Mutualisme

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Le mutualisme désigne le fait de mettre en commun des ressources (mutualiser) pour créer un pot commun pour s'assurer contre des risques (maladie, accident du travail, chômage, décès...) ou pour emprunter ensemble (crédit mutuel). C'est une tendance qui existe depuis longtemps, à des échelles plus ou moins corporatistes ou larges. Elle a notamment pris un essor important au 19e siècle, quand la classe ouvrière était devenue nombreuse mais que les systèmes plus globaux (de sécurité sociale ou d'assurances privée) n'étaient pas encore apparus. On peut alors parler de mouvement mutualiste.

Plusieurs courants de pensée ont conceptualisé des idéologies autour de la mutualité, comme celui de Proudhon (qu'en France on appelle « mutuellisme ») ou celle de Léon Bourgeois (solidarisme).

1 Historique du mouvement[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Précurseurs[modifier | modifier le wikicode]

En Grèce antique, Théophraste, philosophe péripatéticien du 4e siècle av. J.-C., a écrit qu'il existait chez les Athéniens et d'autres états des associations ayant caisse commune que leurs membres alimentaient par le paiement d’une cotisation mensuelle destiné à donner des secours à ceux qui avaient été atteints par une adversité quelconque. Le mouvement encourage et aide ceux qui fournissent des prestations mutuelles contre les risques en effectuant un paiement régulier ou une contribution.

Au Moyen-âge en Europe, des formes de mutualisme sont structurées dans les Guildes, les Confréries, les jurandes, les Corporations et le Compagnonnage.

Au Japon, le réformateur Ninomiya Sontoku (1787-1856) insistait sur la nécessité de l'aide mutuelle au sein des communautés villageoises.

1.2 Époque moderne[modifier | modifier le wikicode]

Bâtiment de la Société de secours mutuels à Couze-et-Saint-Front, en Dordogne.

En France, avec l'avènement du siècle des lumières (18e siècle), ces groupements, mouvements, inspirés du principe de solidarité se détachent de la charité pour donner forme aux Sociétés de secours mutuel ou aux sociétés amicales. Celles-ci sont abolies provisoirement sous la Révolution de 1789 par le décret d'Allarde et la loi Le Chapelier, au nom de la suppression de tout « corps intermédiaire » entre les citoyens et la République. Mais la République se stabilise en république bourgeoise et refuse de se préoccuper du sort des exploités. Dans ces conditions, il était nécessaire que des formes de solidarité par en bas se constituent.

1.3 Révolution industrielle[modifier | modifier le wikicode]

Les sociétés de secours mutuel se reconstituent sous le Premier Empire, dans un contexte de révolution industrielle.

1.3.1 Europe[modifier | modifier le wikicode]

La maison de la mutualité de Grenoble au début du 20e siècle.

Organisés par branche ou par métier, les ouvriers doivent s'acquitter d'un droit d'entrée et d'une cotisation mensuelle. Par exemple, les canuts de Lyon étaient regroupés en 1828 au sein de la société du Devoir mutuel et versaient un droit d'entrée de 3 francs et une cotisation mensuelle d'un franc[1]. À Grenoble, la société de bienfaisance mutuelle des gantiers est créée dès 1803 et demeurera longtemps l'une des plus importantes de ces sociétés[2],[3]. En 1848 fut fondée la Société typographique de Paris, qui ne se préoccupait que du maintien du salaire de l'ouvrier typographe. Au 31 décembre 1862, on comptait en France 4 582 sociétés de secours mutuel, comprenant 639 044 membres, dont 73 881 honoraires, et 565 163 participants. Les derniers se composent de 478 855 hommes et 86 308 femmes[4]. En France, on compte jusqu’à 2000 caisses de secours mutuel en 1848.

Le premier texte officiel reconnaissant les sociétés de secours mutuel est la loi du 15 juillet 1850, promulguée sous la deuxième République et signée de Louis-Napoléon Bonaparte[5]. (Cette loi ne fût abrogée qu'en décembre 2019[6]). L'État surveille les sociétés de secours mutuel, car les fonds peuvent à l'occasion servir à soutenir une grève. Aussi, le maire ou le commissaire de police peuvent assister aux réunions. Le Ministère de l'intérieur produisit de 1853 à 1931 un Rapport à l'Empereur sur la situation des sociétés de secours mutuels devenant Rapport à M. le Président de la République après la fin du Second Empire en 1870[7]. L'État remettait aussi des distinctions à certains leaders mutualistes.

Une partie du mouvement mutualiste s'est consacrée à des systèmes de crédit mutuel (Crédit Mutuel, Banque populaire, Raiffeisen...).

1.3.2 États-Unis[modifier | modifier le wikicode]

Aux États-Unis, de nombreuses expériences eurent lieu pour mettre en pratique de petites « colonies » socialistes utopiques. Certaines étaient fondées sur l'idée de remplacer le paiement en argent par le paiement en « bons du travail » (correspondant à du temps de travail), idée que l'on retrouve chez Proudhon.

En 1827, Josiah Warren ouvre le Cincinnati Time Store, où l'on payait en « billets de travail » (labour notes), dont l'unité de base était l'heure de travail. Le magasin ferma ses portes en 1830, puis en 1847 Warren fonde une colonie à proximité, Utopia. Le fonctionnement est basée sur la propriété privée et l'échange marchand de billets de travail, sans système coercitif. L'expansion de la colonie est difficile en raison de la guerre civile et de la hausse du prix des terres environnantes. La colonie durera jusque dans les années 1875.

Aidé de Stephen Pearl Andrews, Josiah Warren fonde une autre colonie de 3 km2 sur l'île de Long Island, New York, États-Unis, en 1851 nommée Modern Times. Cette colonie durera jusque dans les années 1860.

1.4 Entre mouvement ouvrier et « apolitisme »[modifier | modifier le wikicode]

De fait, beaucoup de forces vives du mouvement ouvrier sont issues du mouvement mutualiste, tout comme avec le mouvement coopérativiste, avec lequel il partage beaucoup de points communs. Leurs militant·es les plus investis ont souvent été à l'origine de syndicats ou d'organisations politiques (comme la Première internationale). Le mouvement des bourses du travail, qui a généralisé le principe d'entraide ouvrière en France à la fin du 19e siècle, a été une force majeure de la création de la CGT.

Dans certains pays (Belgique, Scandinavie...), ce sont les syndicats qui ont eux-mêmes mis en place des systèmes de caisses d'aides mutuelles (l'adhésion est alors une condition, ce qui fait que les taux de syndicalisation sont plus élevés dans ces pays).

Mais il existe aussi dans ce mouvement une forte tentation au corporatisme au sens immédiat et au sens de recherche de la collaboration de classe. En en sens le mouvement mutualiste a eu une tendance à se séparer entre une gauche alliée au mouvement ouvrier, et une droite affichant un certain apolitisme en parole.

Un France, la loi du 1er avril 1898 définit une Charte de la mutualité, et permet aux sociétés de secours mutuel de se constituer librement, sans ingérance de l'État.

À la suite de l'adoption du Code de la mutualité en 1945, les sociétés de secours mutuel prennent le nom de sociétés mutualistes ou « mutuelles ».

1.5 L'effet des systèmes de sécurité sociale[modifier | modifier le wikicode]

Des systèmes publics de sécurité sociale commencent à se développer dans les premières décennies du 20e siècle. C'était en partie le résultat de la pression ouvrière, car les conditions de travail et de vie difficiles rendent potentiellement les mouvements ouvriers plus radicaux. Mais le revers de ces victoires est que cela renforce le pouvoir des États bourgeois, à la fois directement et idéologiquement (un État-providence apparaît de façon moins évidente comme un État servant les intérêts capitalistes). C'est pourquoi au début du 20e siècle, la CGT - sur une ligne syndicaliste révolutionnaire - s'oppose aux volontés de l'État de remplacer l'entraide ouvrière par un système étatique.

Sécurité sociale Rennes.JPG

Néanmoins ces systèmes étatiques ont connu une forte progression, surtout au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Les partis communistes étaient alors très puissants, et les capitalistes craignaient une vague révolutionnaire. Par ailleurs, les taux de profits étaient élevés suite aux importantes destructions de capital, ce qui fait qu'ils pouvaient se permettre d'importants prélèvements sans que cela nuise trop à un redémarrage de la croissance. En France, la sécurité sociale mise en place à la Libération était une institution autonome de l'État, contrôlée en grande partie par les syndicats, mais elle a assez vite été remise sous contrôle de l'État.

Or, la création de ces systèmes de sécurité sociale a eu tendance à affaiblir le mouvement mutualiste, essentiellement parce qu'un pot commun à l'échelle de tou·tes les cotisant·es d'un pays est plus efficace qu'une multitude de pots communs plus petits. En France les mutuelles se sont limitées à un rôle de système complémentaire dans le domaine du risque maladie.

1.6 L'essor des assurances privées[modifier | modifier le wikicode]

Avec le tournant néolibéral des années 1980, le secteur des assurances a eu tendance à être dérégulé dans beaucoup de pays. Les assurances privées se sont mises à prendre de plus en plus de parts de marché.

Sur un « marché libre », les assurances privées peuvent facilement mettre en difficulté les mutuelles à but non lucratif :

  • elles peuvent sélectionner leurs clients selon des critères qui leur garantissent d'avoir moins de dépenses (plus riches, plus jeunes, sans maladies chroniques...) ;
  • elles peuvent donc proposer des tarifs de cotisation plus bas et prendre des assurés aux mutuelles ;
  • les mutuelles se retrouvant avec proportionnellement plus d'assurés « à risque », voient leurs dépenses augmenter et sont obligées d'augmenter leurs cotisations, ce qui entraîne un cercle vicieux.

En réaction, les mutuelles, qui étaient déjà très institutionnalisées, évoluent à leur tour vers des pratiques de concurrence marchande.

1.7 Les mutuelles actuelles[modifier | modifier le wikicode]

Liberty Mutual, une assurance privée états-unienne

Il existe un certain nombre de banques ou d'assurances qui ont dans leur nom quelque chose qui évoque l'idée de mutualité.

Il existe toujours certaines « mutuelles » qui ont formellement un statut différent de celui des assurances. Elles se réclament généralement de « l'économie sociale et solidaire » et mettent en avant leurs « valeurs mutualistes » comme argument pour se différencier. Mais dans la pratique, la différence avec le secteur de l'assurance est devenu marginal.

Une des différences est que dans les mutuelles, les décisions sont prises par des assemblées générales où tous les membres (« sociétaires ») ont un droit de vote. Mais en pratique, cela n'a quasiment plus d'infuence sur les décisions, qui sont prises par les permanents, qui arrivent toujours à convaincre les sociétaires (dont seule une petite minorité exerce ce droit de vote) des seuls décisions que le pragmatisme marchand impose.[8]

Quant aux banques de type Crédit mutuel ou Banque populaire, elles n'ont plus que le nom comme héritage, n'ayant plus de différence notable avec les banques ordinaires.

2 Idéologies mutualistes[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Mutuellisme de Proudhon[modifier | modifier le wikicode]

Pierre-Joseph Proudhon était un des premiers républicains à développer des idées socialistes en France. Il développait une critique des grands capitalistes, mais pas du marché lui-même. Il avait une vision du socialisme comme celle de petits producteurs échangeant librement et sans abus le fruit de leur travail. Il soutenait la création de coopératives, mais l'essentiel du problème à résoudre se joue pour lui au niveau de l'échange et non de la production.

« La mutualité, d'après son étymologie, consistant plutôt dans l'échange des bons offices et des produits que dans le groupement des forces et la communauté des travaux ». « L’égalité des personnes est la première condition du nivellement des fortunes, laquelle ne résultera que de la mutualité, c'est-à-dire de la liberté même[9]. »

Il avait notamment été marqué par les mutuelles créées par les canuts. C'est pour cela que Proudhon a beaucoup parlé de sa vision politique comme relevant de la « mutualité », ou du « mutuellisme ». Pour lui l'essentiel était que chaque échange soit un échange entre équivalents : service pour service, produit pour produit, prêt pour prêt, assurance pour assurance, crédit pour crédit, etc. L'échange mutuel implique une relation d'égal à égal, de confiance et de solidarité.

«  Un richard a la fantaisie de me prendre pour valet de chambre : "Point de sot métier, me dirais-je ; il n’y a que de sottes gens. Les soins qui se rendent à la personne sont plus que des travaux d’utilité, ce sont des actes de charité, qui mettent celui qui les exerce au-dessus de celui qui les reçoit. Donc, comme je n’entends pas être humilié, je mettrai une condition à mon service : c’est que l’homme qui désire m’avoir pour domestique me payera 50 p. 100 de son revenu. Hors de là, nous sortons de la fraternité, de l’égalité, de la mutualité : j’irai jusqu’à dire que nous sortons de la justice et de la morale. Nous ne sommes plus démocrates ; nous sommes une société de valets et d’aristocrates[9].  »

Les parties ne cherchent plus à obtenir le maximum ou le minimum d'un objet par spéculation sur les besoins de l'autre partie, mais le prix juste. L'objet de l'échange est vendu et acheté à une valeur juste pour les deux parties. Le problème étant que Proudhon ne donne que peu d'éléments d'analyse économique permettant de déterminer pourquoi les valeurs d'échanges dans le système actuel s'imposent inexorablement quelles que soient les « valeur justes » que l'on proclame en vertu de principes moraux, et n'indique pas réellement comment changer cela. L'association du vendeur et de l'acheteur se fait par contrat, que Proudhon associait au fédéralisme, contre l'État central dont il se méfiait beaucoup.

Proudhon était au fond très influencé par la pensée libérale. Son mutuellisme s'opposait au collectivisme (ce qui a notamment donné lieu à un clivage entre les proudhoniens et les autres courants de la Première internationale). Il est à réaliser, non par une révolution, mais de façon gradualiste, par la création de diverses structures :

  • Sociétés de crédit mutuel: organismes de crédit qui seraient débarrassés de toute usure (intérêts limités aux frais administratifs, de l'ordre de 0,25 à 0,5 % de la valeur de l'avance).
  • Société d'assurances mutuelle (incendie, inondation, etc. pour les biens ; grêle, sécheresse, etc. pour les cultures ; accident, maladie, etc. pour les personnes).
  • Société de bourse : pour fixer, à titre indicatif, la valeur juste des biens et services.
  • Banque du Peuple : Banque d'échanges de produits et de services. Elle fournit aux travailleurs des outils et des crédits, remboursables en bons de travail.

2.2 Autres travaux[modifier | modifier le wikicode]

Aux États-Unis, on peut noter les travaux de Lysander Spooner et William Batchelder Greene sur les banques mutuelles.

3 Références[modifier | modifier le wikicode]

  1. Jean Bron, Histoire du mouvement ouvrier français, Les Éditions ouvrières 1970, T.I p.51
  2. http://www.musee.mutualite.fr/musee/musee-mutualite.nsf/PopupFrame?openagent&Etage=x&Piece=x&Nb=1&Ref=ssm
  3. Dauphiné berceau de la solidarité - Broché – 8 décembre 2005 de Claude Muller - Presses Universitaires de Grenoble
  4. D'après Rapport à l'Empereur sur la situation des sociétés de secours mutuels du 31 décembre 1862, cité dans Isidore Didion, Calcul des pensions dans les sociétés de prévoyance, (1864), pp. 670-671.
  5. Jean Bennet, La Mutualité Française des origines à la Révolution, Coopérative d'information et d'édition mutualiste, 19??
  6. « LOI n° 2019-1332 du 11 décembre 2019 tendant à améliorer la lisibilité du droit par l'abrogation de lois obsolètes | Legifrance », sur www.legifrance.gouv.fr (consulté le 9 janvier 2020)
  7. « Rapport à l'Empereur sur la situation des sociétés de secours mutuels », sur gallica.bnf.fr (consulté le 16 janvier 2020)
  8. Actualité de l'économie sociale, par Association d'économie sociale. Journées,Jean-Paul Domin en ligne
  9. 9,0 et 9,1 Pierre-Joseph Proudhon, De la capacité politique des classes ouvrières

3.1 Lien externe[modifier | modifier le wikicode]