Propagande par le fait

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L'attentat à la bombe de Vaillant à l'Assemblée en 1893

La « propagande par le fait » est une stratégie d'action politique développée à la fin du 19e siècle, misant sur le terrorisme. Elle proclame le « fait insurrectionnel » « moyen de propagande le plus efficace »[1] et vise à sortir du « terrain légal » pour passer d'une « période d’affirmation » à une « période d’action », de « révolte permanente », la « seule voie menant à la révolution »[2]. Elle a été principalement le fait de militants anarchistes , même si :

  • une majorité d'anarchistes ont considéré que ces méthodes étaient mauvaises (en tout cas en dehors des périodes d'âge d'or du terrorisme) ;[3]
  • ces mêmes méthodes se sont retrouvées utilisées assez largement par des courants qui idéologiquement avaient d'autres bases (narodniks russes, plus tard des groupuscules maoïstes, etc.).

Les actions de propagande par le fait utilisent des moyens très divers, dans l'espoir de provoquer une prise de conscience populaire[4]. Elles englobent les attentats, les actions de récupération et de reprise individuelle, les expéditions punitives, le sabotage, le boycott, voire certains actes de guérilla[3].

Suite à l'échec de la première vague d'actions violentes, de nombreux anarchistes ont par la suite (début du 20e siècle) théorisé « l'action directe », qui est toujours un refus des médiations (syndicales, politiques), mais qui n'est pas forcément violente.

De manière assez générale, ce type d'action se développent dans des périodes de démoralisation politique, lorsque peu de militant·es croient dans des perspectives de mouvements de masse, et que domine un régime réactionnaire (mais malgré tout, stable).

1 Histoire[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Origines[modifier | modifier le wikicode]

Les révolutions de 1848 génèrent un formidable élan d'aspirations démocratiques dans toute l'Europe, qui donne des perspectives à toute une génération de militant·es (et contribuera au développement des idées socialistes au sens large).

Mais l'échec global de ces révolutions ouvre une période noire, dans laquelle certains milieux militants se retrouvent radicalisés mais isolés des masses, et en proie à la répression. Marx et Engels ont pu voir que dans cette période certains de leurs camarades devenaient incapables d'admettre que la situation avaient changé, et s'enfermaient dans une attitude "révolutionnariste" contre-productive.

La défaite violente d’une révolution laisse dans les cerveaux de ceux qui y ont participé, de ceux surtout qui se trouvent rejetés de leur patrie en exil, une commotion telle que même des personnalités distinguées en restent, pendant plus ou moins longtemps, comme incapables de discernement ; on ne peut rentrer dans le courant de l’Histoire, on ne veut pas voir que la forme du mouvement a changé. Aussi joue-t-on à la conspiration et à la révolution, ce qui est également compromettant pour eux et pour la cause qu’ils servent. De là viennent les bévues de Willich et de Schapper.[5]

Dans son essai Der Mord (Le Meurtre, 1848), le radical démocrate Karl Heinzen élabore la première doctrine cohérente du terrorisme[6] :

« Si vous devez faire sauter la moitié d’un continent et répandre un bain de sang pour détruire le parti des barbares, n’ayez aucun scrupule de conscience. Celui qui ne sacrifierait pas joyeusement sa vie pour avoir la satisfaction d’exterminer un million de barbares n’est pas un véritable républicain »[6].

Néanmoins, si ce premier effet de radicalisation / isolement est perceptible, les conditions ne sont pas encore réunies pour des passages à l'acte terroriste : les États autoritaires sont très forts, la ruralité domine encore largement, les armes ou explosif ne sont pas disponibles...

1.2 Développement dans les années 1870[modifier | modifier le wikicode]

La révolution industrielle a apporté en Europe et aux États-Unis une croissance sans précédent : de 1800 à 1870, le PIB par habitant des pays industrialisés est multiplié par quatre. Pourtant, dans cette même période le niveau de vie de la plus grande partie de la population ne s'améliore pas[7]. Entre 1875 et 1885, les salaires ouvriers en France restent bas, à peine supérieurs à ceux de la Société d'Ancien Régime. Et pourtant, face aux révoltes ou grèves ouvrières qui se développent, le pouvoir ne montre que sa face répressive.

La Commune de Paris de 1871 a montré la puissance révolutionnaire d'un petit peuple semi-prolétarisé qui s'unit, mais son écrasement dans la Semaine sanglante a changé profondément la situation. La section française de la Première Internationale est dissoute, « les révolutionnaires fusillés, envoyés au bagne ou condamnés à l'exil (...) ; la terreur confinant au plus profond des logis les rares hommes échappés au massacre[8] ». Le mur des Fédérés devient dès lors le symbole de l'oppression bourgeoise. Eugène Pottier proclame dans Le Mur voilé (1886), « Ton histoire, Bourgeoisie, Est écrite sur ce mur ». Le massacre de 30 000 Parisiens avec l'approbation quasi unanime des bourgeois, marque un tournant moral dans l'histoire ouvrière et socialiste. De nombreux révolutionnaires finirent par se convaincre que la terreur devait être combattue par la terreur.

Cela est renforcé par d'autres grandes répressions : massacres de prisonniers à Cadix en 1873, la liquidation violente des vagues de grèves de 1877 aux États-Unis...

En Russie, la situation créait un terreau encore plus fertile pour le terrorisme. Le régime tsariste bouchait toute perspective, et le retard dans la formation d'un prolétariat rendait encore plus difficile de concevoir de militantisme de masse. Le courant politique révolutionnaire qui apparaît est ce qui a été appelé le populisme (narodniki). Ses premiers militants tentent d'aller prêcher une doctrine socialisante auprès des paysans, mais cela s'avère impossible. Un tournant est alors opéré. L'organisation Narodnaïa Volia, créée en 1879, se réclame ainsi ouvertement « terroriste » et lors de son congrès de 1879 à Voronej, son leader Andreï Jéliabov, déclare : « L’histoire est trop lente, il faut la bousculer ». Plus généralement, au delà même des milieux socialisants, le mode d'action terroriste trouve un large écho dans la société russe auprès de toute une frange « nihiliste ».

Mikhaïl Bakounine fut un des hommes qui servit de passerelle entre Russie et Europe, par son influence qui toucha à la fois les anarchistes européens et les nihilistes/narodniks russes. Il tenta par ailleurs d'appliquer une logique insurrectionnaliste à Lyon en 1871[9] (bien que dans le contexte de la Commune de Paris, ce type d'action, même si le rapport de force était très défavorable, n'est pas comparable à du terrorisme individuel).

« Les bourgeois nous tuent par la faim ; volons, tuons, dynamitons, tous les moyens sont bons pour nous débarrasser de cette pourriture »

— Michel Zévaco, cité par Alexandre Bérard, Les Mystiques de l'anarchie : documents d'études sociales sur l'anarchie, A.-H. Storck, Lyon, 1897

En 1876, au cours du congrès international de Berne, Errico Malatesta lance « la guerre continuelle aux institutions établies, voilà ce que nous appelons la révolution en permanence ! ».

Le , Andrea Costa anime à Genève une conférence sur la « propagande par le fait ». Costa est considéré par James Guillaume[10] comme l'inventeur de ce néologisme popularisé quelques semaines plus tard par Paul Brousse dans un article du Bulletin de la Fédération jurassienne.

La section italienne de l'AIT, à l'origine de cette nouvelle stratégie politique, crée le Comité italien pour la révolution sociale en janvier 1874 et organise aussitôt plusieurs tentatives de soulèvements populaires jusqu'en 1877[11],[12].

La plus connue est organisée par Carlo Cafiero et Errico Malatesta. Le , une trentaine de militants armés, dont les deux théoriciens, surgirent dans les montagnes de la province italienne de Bénévent, brûlèrent les actes de propriété d'un petit village, distribuèrent aux miséreux le contenu de la caisse du percepteur, tentèrent d'appliquer un « communisme libertaire en miniature ». Les paysans les ont observés mais pas suivis, malgré un enthousiasme relatif au départ quand l'autorité du roi fut abolie dans ces villages. Les anarchistes furent finalement capturés, après une fusillade.

Ces premiers essais de guérilla échouèrent sans avoir inquiété la monarchie italienne, mais ils impressionnent durablement les compagnons. Rapidement, toute forme d'action contre la propriété privée ou les pouvoirs publics est considérée comme « propagande par le fait ». Influencés par les nihilistes, les anarchistes conçoivent de plus en plus l'action anarchiste sous l'angle du terrorisme, au détriment des activités syndicales ou collectives[12].

1.3 « L'âge d'or » du terrorisme anarchiste (1878-1888)[modifier | modifier le wikicode]

1878 marque l'entrée dans l'âge « classique » du terrorisme. Pendant un demi-siècle, l'imaginaire bourgeois sera hanté par la figure du nihiliste et de l'anarchiste, poseurs de bombe.[13]

Une des premières à passer à l'acte terroriste est Véra Zassoulitch, qui tente le d'assassiner le général Trepov, responsable de la torture des prisonniers narodniks. Jugée le , elle est acquittée. Les attentats seront dès lors endémiques jusqu'à la première guerre mondiale.

Le 11 mai et le , l'empereur Guillaume Ier d'Allemagne est victime de deux tentatives d'assassinat organisées par les anarchistes Max Hödel et Karl Nobiling[14]. Ces tentatives serviront de prétexte à Bismarck pour réprimer les sociaux-démocrates allemands, en faisant adopter par le Reichstag le les « lois anti-socialistes »[14].

Le , Joan Oliva Moncasi tente d'assassiner le roi Alphonse XII d'Espagne. Le , c'est au tour de Giovanni Passannante de tenter d'assassiner le roi Humbert Ier d'Italie.

L'année 1878 se termine par une encyclique du pape Léon XIII consacrée à la « peste mortelle » du communisme[13]. Publié le , l'encyclique Quod apostolici muneris condamne « socialistes, communistes et nihilistes » accusés de vouloir « bouleverser les fondements de la société civile » et « renverser tout l'ordre surnaturel » au nom des « délires de la seule raison »[15].

Le , l'empereur Alexandre II de Russie est assassiné par la Narodnaïa Volïa. Cela vaudra à l'organisation une répression telle qu'elle disparaîtra, mais l'impact est retentissant, le geste est salué par la presse anarchiste.

Dès son apparition en France, la presse anarchiste défend ces méthodes d'action. La Révolution sociale inaugure une rubrique « Études scientifiques » sur la fabrication des bombes. La Lutte, Le Drapeau noir, La Varlope et La Lutte sociale suivent en créant des rubriques aux noms évocateurs tels que « Produits antibourgeois » ou « Arsenal scientifique[16] ». Dans Le Révolté du , Kropotkine clame « La révolte permanente par la parole, par l'écrit, par le poignard, le fusil, la dynamite (...), tout est bon pour nous qui n'est pas la légalité »[Note 1],[17],[18],[19],[20],[21].

Le , Louise Michel déclare au groupe révolutionnaire du 18e arrondissement de Paris :

Mais regardez donc ce qui se passe en Russie ; regardez le grand parti nihiliste, voyez ses membres qui savent si hardiment et si glorieusement mourir ! Que ne faites-vous comme eux ? Manque-t-il donc de pioches pour creuser des souterrains, de dynamite pour faire sauter Paris, de pétrole pour tout incendier ?
  Imitez les nihilistes, et je serai à votre tête ; alors seulement nous serons dignes de la liberté, nous pourrons la conquérir ; sur les débris d'une société pourrie qui craque de toutes parts et dont tout bon citoyen doit se débarrasser par le fer et le feu, nous établirons le nouveau monde social[22].

Cette nouvelle stratégie est adoptée le au Congrès international anarchiste de Londres (où étaient présents Louise Michel et Émile Pouget). Elle devait se trouver sur le terrain de l'illégalité, avec des moyens en adéquation avec le but révolutionnaire qu'était le communisme libertaire.

En 1882, le groupe La Panthère des Batignolles (Paris, 17e arrondissement) consacre sa première réunion à la « confection des bombes à main ». Des tombolas sont organisées, avec des armes pour lots principaux[23].

« Je voudrais que le prix de ma vie, c’est-à-dire ma mort, fût l’étincelle qui mît le feu aux poudres, et que la Révolution éclatât. Cela suffit aux âmes tendres et droites qui roulent sous l’échafaud. » Jacques Sautarel, Lueurs économiques[24]

En France, un premier attentat attribué aux anarchistes est incité puis supervisé par Louis Andrieux, préfet de police. Son but est de mettre la main sur un « nid de dynamiteurs » en facilitant leur arrestation. La cible retenue est la statue d'Adolphe Thiers, le « boucher de la Commune », à Saint-Germain-en-Laye. L'attentat a lieu dans la nuit du 15 au et ne fait aucun dégâts, au plus une mince tache noire. Ne pouvant intervenir sur une accusation aussi mince sans dévoiler le dispositif de la police, Louis Andrieux préfère continuer sa surveillance. Finalement démasqué par les compagnons, l'agent provocateur Égide Spilleux met fin le à l'épopée rocambolesque de La Révolution sociale, journal anarchiste financé et administré par la préfecture de police[25].

Un mois plus tard, le , Émile Florion, ouvrier tisseur de 23 ans, arrive à Paris avec le projet de tuer Gambetta. Le , n'ayant pu approcher sa victime, il décide d'abattre le « premier bourgeois venu » et tire à deux reprises sur le docteur Meymar. Il tente ensuite de se suicider, mais ne parvient qu'à se blesser légèrement. Meymar est indemne. Bien qu'ayant exprimé des regrets lors de son procès, Émile Florion est condamné à vingt ans de travaux forcés le 27 octobre suivant. Il accueille la sentence au cri de « Vive la révolution sociale[26] ! » Son geste sera souvent cité en exemple par Le Révolté.

En 1882 apparait à Montceau-les-Mines différentes organisations syndicale anarchistes minières appelées Bandes noires. Ces organisations commettent des attentats et déclenchent des émeutes contre les symboles de l'église, les informateurs de la police, et ceux considérés comme bourgeois.

Le 7 novembre 1884 un piège est organisé par la gendarmerie, deux gendarmes et le maréchal des logis sont blessés par balles, et le tireur est arrêté. Il dénonce de nombreux membres de la bande noire ce qui conduit à un procès en Mai 1885 durant lequel 32 accusés furent jugés. Les bandes noires font alors beaucoup moins parlées d'elles et disparaissent au cours de l'année 1885[27],[28].

Le , Paul-Marie Curien, 17 ans, décide d'assassiner Jules Ferry. Éconduit par l'huissier, il le menace de son revolver, mais il est aussitôt arrêté. Jugé le pour voies de fait sur un huissier et outrage à agent, il est condamné à trois mois de prison[29].

Quelques mois plus tard, dans la banlieue de Marseille, Louis Chaves tue la supérieure d'un couvent et blesse grièvement sa sous-directrice. Ancien employé du couvent, Louis Chaves écrit une lettre datée du au journal L'Hydre anarchiste[30] dans laquelle il explique son geste et cherche à encourager les compagnons à l'imiter. Il est tué dans la fusillade avec les gendarmes venus l'arrêter. Son geste est magnifié dans la presse anarchiste. Une souscription « pour l'achat du revolver qui doit venger le compagnon Louis Chaves » est même lancée par Le Droit social.

Arrêté en 1879 comme faux-monnayeur, Charles Gallo, qui fait 5 ans de prison, accomplit à sa sortie un acte de propagande par le fait : le , il lance une bouteille d'acide prussique dans l'enceinte de la Bourse de Paris, puis tire trois coups de revolver, sans blesser personne. Aussitôt arrêté, il est jugé le 26 juin suivant mais l'affaire est renvoyée au 15 juillet, à la suite de multiples incidents provoqués par l'accusé. Condamné à 20 ans de travaux forcés, il est de nouveau condamné, à la peine capitale, le , pour s'être révolté contre un de ses geôliers. Sa peine sera finalement commuée en réclusion à perpétuité le [31].

Tragédie de Haymarket Square (1886)

Lors d'une manifestation ouvrière organisée à Chicago le , un inconnu lance une bombe sur les policiers. L'officier Mathias J. Degan est tué sur le coup. Ses collègues ouvrent immédiatement le feu sur la foule. Une trentaine de manifestants et sept agents de police trouvent la mort[14]. Après l'attentat, la répression s'abat sur les milieux anarchistes, très actifs à Chicago. Huit hommes sont arrêtés et accusés de l'attentat de Haymarket. Malgré l'absence de preuve, cinq sont condamnés à mort. August Spies, Albert Parsons, George Engel et Adolph Fischer sont pendus ; Louis Lingg se suicide dans sa cellule[32].

En mars 1887, un groupe de révolutionnaires russes est arrêté alors qu'il projeter d'assassiner le tsar Alexandre III. Dans leurs méthodes ils ne voient pas d'autres perspectives que le terrorisme, au niveau de leurs influences politiques ce sont des narodniks marxisants. Parmi eux, Alexandre Oulianov, frère aîné de Lénine.

1.4 Discours de Jaurès (avril 1894) et usage d'agents provocateurs[modifier | modifier le wikicode]

Après l'attentat d'Auguste Vaillant qui conduit à la promulgation des lois scélérates, Jean Jaurès dénonce dans un discours célèbre, d', la connivence entre certains milieux du capital, le cléricalisme et certains anarchistes, dont certains sont soupçonnés d'être des agents provocateurs.

C'est en effet à l'occasion de la découverte, chez un anarchiste de retour de Carmaux, de fonds venant de haut lieu qu'il prononce un discours à la Chambre, le , où il dénonce la politique répressive du gouvernement, la censure du Père peinard, « consacré presque tout entier à injurier les députés socialistes », le deux poids deux mesures avec d'un côté la censure des journaux et députés socialistes, de l'autre la tolérance de discours également contestataires de certains catholiques (Albert de Mun, l'article « La Bombe » dans La Croix de Morlay, les articles de La Croix ou l'article du père Marie-Antoine publié dans L'Univers puis dans L’En-dehors et titré « Le Christ et la Dynamite »), et l'usage des agents provocateurs :

C’est ainsi que vous êtes obligés de recruter dans le crime de quoi surveiller le crime, dans la misère de quoi surveiller la misère et dans l’anarchie de quoi surveiller l’anarchie. (Interruptions au centre. — Très bien ! très bien ! à l’extrême gauche.)

Et il arrive inévitablement que ces anarchistes de police, subventionnés par vos fonds, se transforment parfois — comme il s’en est produit de douloureux exemples que la Chambre n’a pas pu oublier — en agents provocateurs[33].

Et d'évoquer un certain Tournadre, actif lors des grèves de 1892, qui avait proposé aux ouvriers de Carmaux des fonds pour acheter de la dynamite et éventuellement de s'enfuir ensuite en Angleterre : or, selon Jaurès, alors que Tournadre avait répondu aux ouvriers qu'il avait des « amis capitalistes à Paris », les perquisitions menés chez Tournadre à Carmaux avaient mené à la découverte de deux lettres, l'une du baron Edmond de Rothschild, l'autre de la duchesse d'Uzès[34],[33]. Malgré ce discours, la Chambre vota avec une large majorité la confiance au gouvernement.

1.5 Reflux du terrorisme[modifier | modifier le wikicode]

Les martyrs de Chicago, par Walter Crane (1894)

Kropotkine (et beaucoup d'autres « compagnons ») change de position en 1887 : il écrit dans Le Révolté, qu'« Un édifice basé sur des siècles d´histoire ne se détruit pas avec quelques kilos d´explosifs[35]. »

Si la vague d'attentat commence à refluer à être questionnée dans les milieux militants, elle est encore haute. Certains événements comme la fusillade de Fourmies (1891) viennent d'ailleurs motiver des acteurs vengeurs (de Ravachol notamment).

Dans le milieu des années 1890, les progrès de la deuxième révolution industrielle et de l'industrie lourde contribuent à structurer les mouvements ouvriers. L'essor des partis ouvriers et du syndicalisme alimente l'espoir d'une amélioration, à terme, du quotidien, mais aussi d'un renversement du capitalisme[7].

En accompagnement des développements de l'industrie, les pays développés comptent en 1890 déjà 2,2 millions de syndiqués. Ils sont 4,9 millions en 1900 ; 8,3 millions en 1910 ; 15,3 millions en 1913 ; 34,5 millions en 1919[7]. Dans les pays industrialisés, les salaires connaissent une progression de 20 % entre 1895 et 1914. En même temps, les rudiments d'une sécurité sociale se mettent en place[7].

Dès le tournant du 19e siècle, les anarchistes ont largement abandonné la « propagande par le fait » illégale pour se tourner vers l'action syndicaliste révolutionnaire et le militantisme légal.

Cela ne veut pas dire que les anarchistes (comme d'ailleurs les marxistes révolutionnaires) se sont mis à répudier toute idée de violence. La plupart des anarchistes défendent l'utilisation de la violence « raisonnée », une violence sociale, populaire et révolutionnaire. Malatesta écrivait que « la violence n'est justifiable que quand elle est nécessaire pour se défendre soi-même, ou défendre les autres contre la violence » et ajoutent souvent que « l'opprimé est toujours en état de légitime défense et il a toujours pleinement le droit de se révolter sans attendre qu'on lui tire effectivement dessus ».

2 Résurgences[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Années 1970-1980[modifier | modifier le wikicode]

Au Royaume-Uni, entre 1970 et 1972, le groupe The Angry Brigade lance une série d'attentats visant des banques, des ambassades, ou encore le siège du Parti conservateur.

A la suite de mouvements de masse comme mai 1968 ou le mai rampant italien, s'est produit à nouveau une situation dans laquelle des groupes militants isolés se sont tournés vers des actions terroristes. L'isolement ou le manque de perspectives ne venait cette fois pas seulement d'un reflux des luttes, mais aussi de la main mise des bureaucraties sur le mouvement ouvrier (celles des syndicats, du stalinisme...). Cependant la plupart des groupes terroristes de ces annés-là ont repris des idéologies plutôt maoïstes / tiers-mondistes qu'anarchistes (Brigades rouges, RAF, CCC, Weather Underground, ALS...), même si certains sont à mi-chemin (Action directe...).


De 1986 à 1994 le Comité des mal-logés met en pratique dans ses luttes, ses occupations d'immeubles HLM, et son organisation interne les principes du communisme de conseil, et fait de la propagande par le fait en faveur du logement social, il fédéra plusieurs dizaines d'immeubles en lutte et regroupa jusqu'à cinq cents mal logés de toutes origines géographiques à Paris et Banlieue de 1986 à 1994. Son organisation était de type conseilliste, toutes les décisions étaient prises en assemblée générale avec refus de délégation de représentativité, ses membres sur leur lieu de travail, majoritairement dans les entreprises de nettoyage (Comatec, par exemple), se fédéraient à la CNT. Une dizaine de ses militants se sont réunis pour rédiger une brochure de bilan de cette expérience lorsque scission et dissolution ne faisait quasiment plus de doute tant les forces politiciennes de la gauche de gouvernement se sont liguées pour obtenir la dislocation du comité.[36]

2.2 Années 2000[modifier | modifier le wikicode]

Certains groupes (comme la Fédération anarchiste informelle en Italie ou Lutte révolutionnaire en Grèce) reprennent explicitement la stratégie de la « propagande par le fait ».


Les « attentats pâtissiers » (entartages) du Gloupier (Noël Godin), sont une forme de "terrorisme" symbolique, et relativement pacifique, inspirée de cette lignée.

A Grenoble en 2017, la mouvance autonome revendique une série d'incendies volontaires.

3 Perception dans l'opinion[modifier | modifier le wikicode]

Propagande anti-anarchiste (1919).

Le terrorisme russe de la fin du 19e siècle bénéficiait d'une approbation passive de la population, qui détestait le régime autocratique des tsars.

Concernant les attentats commis dans les pays d'Europe occidentale, la réception est plus mitigée. Une bonne partie des classes moyennes est repoussée par ces méthodes, d'autant plus qu'une partie (Bande à Bonnot...) verse dans la criminalité ordinaire. Malgré tout, il existait une certaine représentation positive du terroriste anarchiste des années 1880. D'une part parce que les régimes étaient assez mal aimés, même le régime républicain en France, issu du massacre de la Commune. Perçu comme un idéaliste révolté et romantique, l'action violente anarchiste doit en partie cette sympathie à la littérature classique, et ce malgré des faits parfois d'une extrême violence. Oscillant entre l'approbation et la condamnation, certains auteurs semblent éprouver une sorte de fascination pour l'action violente anarchiste[37]. De manière paradoxale, certains écrivains, à l'exemple d'Octave Mirbeau et de Bernard Lazare, pourtant proches de l'anarchisme, semblent résister à cette fascination pour « l'anarchisme masqué », alors que d'autres, sans sympathie anarchiste affirmée, s'en font les plus ardents défenseurs[38]. Naturalistes et symbolistes s'affrontent également sur ce terrain, les premiers condamnant l'« éternelle poésie noire » (Zola), les seconds saluant l'« éclat décoratif » de l'attentat (Mallarmé).

Aux États-Unis, la perception semble avoir été plus négative. Les réactionnaires utilisaient largement l'image repoussoir des « anarchistes européens » venus abuser de la terre d'accueil américaine.

L'anarchisme est depuis longtemps associé à l'action violente dans l'esprit du public et des pouvoirs. En dépit des critiques, parfois sévères, adressées par beaucoup de théoriciens, sympathisants et activistes libertaires, à l'exemple d'Élisée Reclus et Pierre Kropotkine, l'imaginaire collectif continue d'associer l'anarchisme au chaos, à la violence, voire à la destruction pure et simple de la société[14].

4 Chronologie de la propagande par le fait[modifier | modifier le wikicode]

4.1 19e siècle[modifier | modifier le wikicode]

4.2 20e siècle[modifier | modifier le wikicode]

5 Citations[modifier | modifier le wikicode]

on pratiquait la « prise au tas » et la propagande par le fait en s'inspirant des grands exemples de Vaillant, de Caserio, de Ravachol, d'Émile Henry[44]...

6 Voir aussi[modifier | modifier le wikicode]

6.1 Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]

6.2 Vidéographie[modifier | modifier le wikicode]

6.3 Articles[modifier | modifier le wikicode]

7 Notes et références[modifier | modifier le wikicode]

7.1 Notes[modifier | modifier le wikicode]

  1. L'article du Révolté n'est pas signé ; la citation a également été attribuée à Carlo Cafiero (Thierry Paquot, Dicorue : Vocabulaire ordinaire et extraordinaire des lieux urbains, CNRS, , 483 p. (ISBN 978-2-271-11730-4, lire en ligne)).

7.2 Références[modifier | modifier le wikicode]

  1. Carlo Cafiero et Errico Malatesta, « Bulletin de la Fédération jurassienne » [PDF], , p. 1
  2. Compte rendu de la réunion de Vevey, septembre 1880, Archives nationales F7 12.504
  3. 3,0 et 3,1 Thierry Vareilles, Histoire d'attentats politiques, de l'an 44 av. Jésus-Christ à nos jours, Paris, l'Harmattan, 2006
  4. Christian Beuvain, Stéphane Moulain, Ami-Jacques Rapin, Jean-Baptiste Thomas, Révolution, lutte armée et terrorisme, tome 1, Paris, L'Harmattan, coll. « Dissidences », 2006
  5. Karl Marx, Postface à « Révélations sur le procès des communistes de Cologne » (1875)
  6. 6,0 et 6,1 Emmanuel de Waresquiel, Le Siècle rebelle - dictionnaire de la contestation au 20e siècle, Larousse, 1999
  7. 7,0 7,1 7,2 et 7,3 Jean Batou, Les « Héros de l’Enfer », solidaritéS, n° 70, sur solidarites.ch, 2005
  8. Fernand Pelloutier, Histoire des bourses du travail, Paris, A. Costes, 1921
  9. Thomas Siret, « Le terrorisme contemporain, aux origines historiques du phénomène : l'exemple de l'anarchisme », Revue française de criminologie et de droit pénal, vol. 7,‎ (lire en ligne)
  10. James Guillaume, L'Internationale. Documents et souvenirs, tome IV
  11. (it) Pier Carlo Masini, Storia degli anarchici italianida Bakunin a Malatesta (1862-1892), Biblioteca Universale Rizzoli, 1974
  12. 12,0 et 12,1 Gaetano Manfredonia, La Chanson anarchiste en France des origines à 1914, Paris, L'Harmattan, 1997 (ISBN 2738460801)
  13. 13,0 et 13,1 Mike Davis, Les « Héros de l’Enfer », solidaritéS, n° 70, sur solidarites.ch, 2005
  14. 14,0 14,1 14,2 et 14,3 (en) Martha Crenshaw, Terrorism in Context, Pennsylvania State University Press, 1995 (ISBN 0271010150)
  15. Léon XIII, Quod apostolici muneris, Rome, 28 décembre 1878
  16. Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, Gallimard, coll. « Tel », 1992 (ISBN 2070724980) p. 206-209
  17. « L'Action », Le Révolté, no 22,‎ (lire en ligne [PDF])
  18. Olivier Meuwly, Anarchisme et modernité : essai politico-historique sur les pensées anarchistes et leurs répercussions sur la vie sociale et politique actuelle, L'Âge d'homme, , 223 p. (ISBN 978-2-8251-1091-1, lire en ligne), p. 88
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  20. Thierry Lévy, Plutôt la mort que l’injustice : Au temps des procès anarchistes, Odile Jacob, , 288 p. (ISBN 978-2-7381-9580-7, lire en ligne)
  21. Édouard Jourdain, L'anarchisme, La Découverte, , 140 p. (ISBN 978-2-7071-9091-8, lire en ligne)
  22. Louise Michel, citée par Louis Andrieux, Souvenirs d'un préfet de police, Paris, J. Rouff, 1885, p. 347
  23. Le Droit social, n° 1, 16-23 mai 1885
  24. Jacques Sautarel, Lueurs économiques,
  25. Louis Andrieux, Souvenirs d'un préfet de police, Paris, J. Rouff, 1885
  26. Gazette des tribunaux, 27-28 février 1882
  27. Emmanuel Germain, « La Bande Noire : société secrète, mouvement ouvrier et anarchisme en Saône-et-Loire (1878-1887) », Dissidences, vol. 3,
  28. Yves Meunier, La Bande noire - Propagande par le fait dans le bassin minier (1878-1885), L'Échappée,
  29. Gazette des tribunaux, 4 janvier 1884
  30. L'Hydre anarchiste, n° 1, 24 février 1884, texte intégral.
  31. Karine Salomé, L'ouragan homicide : l'attentat politique en France au 19e siècle, Champ Vallon, , p. 295
  32. Paul Avrich, The Haymarket Tragedy, Princeton, Princeton University Press, 1984 (ISBN 0691006008)
  33. 33,0 et 33,1 Séance du 30 avril 1894, discours de Jean Jaurès, sur le site de l'Assemblée nationale.
  34. Harvey Goldberg, The Life of Jean Jaures, University of Wisconsin Press, 1962, (ISBN 978-0-299-02564-9), p. 121-122
  35. « Fiche biographique », sur l'archive internet des marxistes
  36. http://ddata.over-blog.com/xxxyyy/2/61/97/51/Brochure-du-comit--des-mal-log-s-19991/brochure-comite-des-mal-log-s-1991.pdf
  37. Gérard Chaliand, Arnaud Blin, Histoire du terrorisme : de l'Antiquité à al-Qaida, Bayard, coll. « Essais », 2004 (ISBN 2227472960) p. 125-144
  38. Uri Eisenzweig, Fictions de l'anarchisme, Christian Bourgois, 2001 (ISBN 2267015706)
  39. 39,0 et 39,1 Salomé, Karine, L'ouragan homicide : l'attentat politique en France au 19e siècle, Champ Vallon, impr. 2010 (ISBN 978-2-87673-538-5, OCLC 708398388, lire en ligne), p. 296
  40. 40,0 40,1 40,2 et 40,3 Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, tome I : Des origines à 1914, Paris, Gallimard, (ISBN 978-2-07-072498-7), p. 214
  41. Salomé, Karine, L'ouragan homicide : l'attentat politique en France au 19e siècle, Seyssel, Champ Vallon, impr. 2010, 319 p. (ISBN 978-2-87673-538-5, OCLC 708398388, lire en ligne), p. 298
  42. Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, tome 1 : Des origines à 1914, Gallimard, (ISBN 978-2-07-072498-7, OCLC 466362142, lire en ligne), p. 229
  43. Lettre à S. Faure du 12 novembre 1893, citée dans la Gazette des tribunaux du 24 février 1894.
  44. Henri Calet, le Tout sur le tout, Gallimard, coll. « L'imaginaire », page 22-23