Organisation de masse
Une organisation de masse est une organisation qui, même si elle n'est pas majoritaire, regroupe une très large partie de la population. Cela peut être un parti de masse, un syndicat de masse, une association de masse...
1 Parti de masse[modifier | modifier le wikicode]
Un parti de masse désigne souvent un parti qui a un très grand nombre d'adhérent·es, ou en tout cas une forte influence électorale. Les partis modernes sont d'ailleurs nés, vers la fin du 19e siècle, en lien avec la participation aux élections. Le fait d'avoir un grand nombre d'adhérent·es permet de disposer de nombreux relais locaux pour diffuser un programme, mais aussi pour faire remonter des informations sur l'état d'esprit dans différentes localités, ce qui permet de mieux adapter les messages politiques et les rendre plus efficaces.
Les partis du mouvement ouvrier, en particulier les partis socialistes, ont généralement pour objectif de devenir des partis de masse. Cela peut être, dans une optique réformiste, pour gagner des élections et espérer changer le capitalisme par le parlementarisme et l'accession au pouvoir. Cela peut être, dans une optique révolutionnaire, pour favoriser la conscience de classe, et à terme l'auto-organisation des exploité·es, afin d'aboutir à une nouvelle forme de pouvoir ouvrier révolutionnaire, renversant les rapports de production hiérarchiques du capitalisme (hiérarchie entre patrons et salarié·es et hiérarchie entre politiciens professionnels et gouverné·es).
Il existe aussi tout un dégradé de positions centristes, pour lesquelles l'objectif d'un parti de masse est de gagner les élections, mais en reconnaissant une certaine importance à l'organisation des travailleur·ses, notamment pour disposer d'un moyen de pression extra-parlementaire.
On utilise parfois la distinction entre un parti d'adhérents et un parti de militants :
- un parti d'adhérents est un parti dans lequel les adhérents sont relativement passifs, reçoivent les directives et sont surtout actifs pour coller des affiches en temps électoral,
- un parti de militants est un parti dans lequel l'importance de l'activité de toutes et tous est mise en avant, pour que la démocratie interne soit vivante, et dans l'optique d'une unité plus organique entre le parti et la classe.
L'objectif de construire un parti révolutionnaire est partiellement contradictoire avec l'objectif de construire un parti de masse. En effet, en temps « normal », l'idéologie bourgeoise en confrontation avec les intérêts ouvriers produit dans la majorité de la classe ouvrière un état d'esprit réformiste, voire à un état d'esprit réformiste / conservateur dans l'aristocratie ouvrière. Par conséquent, un parti ouvrier est poussé à s'adapter aux idées réformistes s'il veut devenir rapidement un parti de masse. A l'inverse un parti qui propose un programme révolutionnaire est nécessairement minoritaire, en tout cas en temps de « paix sociale ». En revanche, dans les moments de crise révolutionnaire, un parti révolutionnaire préparé peut voir son audience croître rapidement.
2 Syndicat de masse[modifier | modifier le wikicode]
La plupart des syndicats de travailleur·ses sont des organisations de masse ou en tout cas aspirent à l'être. Ils se trouvent dans la nécessité pour remporter des victoires d'opposer la force du nombre à la force patronale. Par conséquent, encore davantage que les partis ouvriers, ils sont poussés à adopter des positions idéologiques très générales (notions élémentaires de solidarité ouvrière, qui peuvent malheureusement aussi se limiter à un corporatisme de métier assez étroit).
Certains courants du syndicalisme affichent une idéologie plus précise, comme les anarcho-syndicalistes et le syndicalisme révolutionnaire. On peut alors considérer dans un certain sens qu'il s'agit d'organisations hybrides entre syndicats et partis (dans un sens non électoral). Généralement, cela a pour conséquence que ces syndicats sont beaucoup moins massifs que la moyenne des syndicats. Il a cependant existé quelques exceptions historiques, comme les IWW ou la CNT espagnole au début du 20e siècle, qui ont été des organisations de masse.
3 Association de masse[modifier | modifier le wikicode]
Les très grands partis de masse ont généralement de nombreuses organisations qui lui sont alliées.
Cela peut être des syndicats alliés, mais aussi des associations de tout type : clubs sportifs, associations culturelles, librairies...
Ce type de phénomène a été notable à différentes occasions historiques :
- En Allemagne lorsque la social-démocratie a atteint ses sommets, au début du 20e siècle.
- Au Royaume-Uni au 20e siècle entre les syndicats, le parti travailliste (qu'ils ont créé) et diverses associations.
- Dans le mouvement communiste avec les « organisations communistes de masse ».
4 Historique[modifier | modifier le wikicode]
4.1 Origines[modifier | modifier le wikicode]
Les partis modernes sont d'ailleurs nés, vers la fin du 19e siècle, en lien avec la participation aux élections.
4.2 Crise contemporaine[modifier | modifier le wikicode]
A la fin du 20e siècle, les grandes organisations de masse du mouvement sont entrées en crise, et se sont pour la plupart effondrées (surtout les partis ouvriers). Cela fait suite au tournant néolibéral qui a matériellement provoqué une réorganisation profonde des lieux de travail (délocalisations, externalisations, réduction des effectifs...) et qui a infligé de profondes défaites politiques. L'embourgeoisement des directions des syndicats et des partis ouvriers les a rendus incapables de stratégies combatives à même d'être à la hauteur (sans même parler de sortir du réformisme). L'incapacité à obtenir des victoires ou simplement à bloquer les reculs sociaux a diminué l'attrait des organisations misant sur le collectif, et favorisé le repli sur soi individualiste. A terme, cela a favorisé l'extrême droite et sa canalisation des ressentiments sur des boucs émissaires.
La chute des « États communistes » a accentué cette dynamique. Même si ces États de type stalinien n'avaient rien de socialiste, leur existence avait indirectement un effet idéologique renforçant l'idée d'une alternative possible au capitalisme. Leur effondrement a provoqué dans les années 1990 une impression de capitalisme triomphant et de fin de l'histoire.
Des contestations de la mondialisation néolibérale ont émergé dans les années 2000, mais elles se sont faites en dehors de ce qui restait des vieux partis de gauche, sous de formes nouvelles de militantisme (« nouveaux mouvements sociaux »), souvent créatives et mobilisant la jeunesse, mais avec un rapport de force limité par le manque d'organisation et de centralisation.
Sur le plan de la pensée stratégique, un certain nombre de penseurs ont accompagné ce mouvement, justifiant théoriquement l'abandon de l'objectif de construire des partis de masse (Chantal Mouffe et Ernesto Laclau[1]), voire l'abandon de la conquête du pouvoir (John Holloway). Certains succès relatifs dans les années 2010 ont remis au goût du jour l'idée d'organisation de masse, mais pas de partis de masse, c'est-à-dire d'organisations peu structurées, au nom de l'efficacité, du rejet de la bureaucratisation, du renouveau... Mouffe et Laclau ont ainsi théorisé un rapport populiste entre leaders et masses, donc une organisation de masse mais pas de classe[2]. Ainsi Podemos ou la France insoumise ont proné des formes d'organisation plus mouvantes, « gazeuses », mais qui ont l'inconvénient de manquer de démocratie interne et d'implantation locale durable (contrairement aux anciens partis ouvriers avec leurs relais dans les quartiers et les entreprises). Certains commencent à en tirer un bilan critique.[3]
5 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ Chantal Mouffe et Ernesto Laclau, Hegemonie et Stratégie Socialiste, 1985
- ↑ Ernesto Laclau, De la raison populiste, 2005
- ↑ Cihan Tuğal, Pour gagner, la gauche doit-elle en revenir aux partis de masse ?, 4 janvier 2025