Naturalisme

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Affiche de 1880 (Naturalisme renvoie ici au courant littéraire)

Le terme de naturalisme a de nombreux sens selon les domaines.

Dans un sens normatif (donc politique / éthique), le naturalisme est une tendance à valoriser « la nature » par rapport à l'humanité.

Dans un sens proche, on parle de naturalisation lorsqu'un discours présente comme naturel quelque chose qui est une construction sociale. On peut aussi dire d'un discours qu'il fait du réductionnisme biologique, ou qu'il est biologisant.

En philosophie le naturalisme est une thèse (moniste) selon laquelle rien n’existe en dehors de la nature.

1 Naturalisme (politique / éthique)[modifier | modifier le wikicode]

Les discours qui valorisent « ce qui est naturel » au détriment des « artifices de l'humanité » sont en fait des discours politiques qui s'ignorent le plus souvent. Car la plupart du temps, ce qui valorisé comme naturel ne l'est pas réellement, mais est naturalisé. Ainsi c'est de fait une préférence pour un passé - souvent mythifié - de l'humanité qui est exprimé, et non pour une « nature » abstraitement isolée.

1.1 Humanisme et naturalisme[modifier | modifier le wikicode]

L'homme est une composante de la nature, même s'il s'est évidemment particularisé parmi les animaux, par sa conscience puis par sa capacité à influer notablement sur son environnement. Les premiers hommes avaient très peu de compréhension rationnelle de la nature, et tendaient à la diviniser (animisme...). On peut considérer que c'était une forme de "naturalisme" de fait.

Du point de vue historique, les avancées dans la désacralisation de la nature, permettant de mieux la comprendre et de moins la subir ont été des progrès à de nombreux égards (scientifiques, humanistes...) permettant tendanciellement de faire reculer l'aliénation humaine. On peut considérer que cela représente un humanisme.

Mais les menaces que les activités humaines font peser sur l'environnement, et donc sur l'humanité elle-même, apparaissent parfois, et apparaissent de plus en plus clairement depuis la révolution industrielle. Du fait que cela ait lieu dans une société de classes, incapable de maîtriser collectivement son économie, de rectifier autant qu'il le faudrait ses erreurs et d'appliquer un principe de précaution peut alimenter un pessimisme envers tout ce que fait l'humanité, et un certain repli sur un respect mystique de la nature.

La naissance de l'écologie et de la notion d'éco-systèmes et d'éco-système global (la biosphère) est source de progrès scientifiques. Mais des tendances naturalistes réactionnaires se sont aussi appuyées dessus, parfois en revêtant un discours religieux (re-divinisation de la nature en réaction à la réification capitaliste). Par exemple, la personnalisation que fait Lovelock de la biosphère avec son "hypothèse Gaïa" a alimenté bien des visées mystiques. Même si lui même se défend d'avoir une telle vision (et il a été surpris de recevoir tant de courriers de lecteurs mystiques), il tend aussi vers une vision anti-humaniste :

« Notre sollicitude humaniste envers les pauvres des quartiers paupérisés des grandes villes ou du tiers-monde et notre obsession quasi obscène de la mort, de la souffrance et de la douleur – comme si en tant que telles elles étaient malfaisantes –, toutes ces pensées détournent l’esprit du problème de notre domination rude et excessive du monde naturel. »[1]

Plus généralement, la dénonciation de "la liberté humaine" (sans voir qu'elle est conditionnée par le capitalisme) comme facteur perturbateur de l’écosystème peut conduire à des tentations autoritaires de contrôle étatique des naissances, de stérilisation forcée...

C'est dans ce sens que Daniel Bensaïd, tout en décortiquant le productivisme capitaliste et stalinien, prenait ses distances avec l'anti-productivisme naturaliste :

« Il existe en effet une réponse non seulement critique du productivisme capitaliste ou bureaucratique, mais anti-productiviste et naturaliste. En poussant sa logique jusqu’au bout, on pourrait aller jusqu’à regretter les progrès de la médecine qui, en venant à bout de telle ou telle maladie, faussent les données d’une certaine régulation démographique.  (...) L’aspiration à une nouvelle alliance, où l’échange amoureux ne passe plus par le viol et le pillage, est probablement légitime. Dans ces retours repentants à une nature nourricière, la religiosité n’est, hélas, souvent pas très loin. On peut déplorer que la dédivinisation de la nature ait conduit au remplacement d’écosystèmes naturels complexes par des écosystèmes naturels simples. À condition de ne pas glisser de la réhabilitation légitime de la raison synthétique (et de la catégorie de totalité) à la redivinisation de la nature et à la résurrection du mythe. (...) Du rétablissement de l’être vivant en son unité organique, Gaïa surgit comme une séduisante et poétique hypothèse. (...) Le refus proclamé de l’anthropocentrisme bascule dans le réenchantement anthropomorphique de la nature, qui redevient femme, mystérieuse et maternelle comme il se doit. »[2]

1.2 Écologie et naturalisme[modifier | modifier le wikicode]

Il n'y a pas d'automatisme entre écologisme et vision naturaliste.

On peut par exemple souhaiter favoriser les fruits et légumes qui ont coûté le moins d'énergie à produire et à transporter, pour lutter contre les rejets de gaz à effet de serre.

Le naturalisme consiste par exemple à dire qu'il faut "respecter" les saisons pour ne pas être "contre-nature". Ce discours est souvent tenu de façon irréfléchie, sans vraiment évaluer sa cohérence. Les serres utilisant l'énergie du soleil pour maintenir artificiellement au chaud des cultures sont elles aussi à rejeter parce que "contre-nature" et ne respectant pas les saisons ?

On peut être contre la culture d'OGM en plein champ au nom du principe de précaution, sans tenir un discours sacralisant le génome actuel des plantes. Car du point de vue des principes, les OGM ne sont pas plus "contre-nature" que l’hybridation des espèces qui est réalisée empiriquement par l'humanité depuis des milliers d'années.

1.3 Appel à la nature[modifier | modifier le wikicode]

Un procédé rhétorique très fréquent est l'appel à la nature : prétendre que quelque chose est naturel, donc forcément bon, ou inversement, attaquer quelque chose comme mauvais parce que « contre-nature ».

Le pétrole et le gaz fossile (il vaut mieux utiliser ce terme que gaz naturel qui donne une meilleure image) ont été formés naturellement dans les sous-sols, ce n'est pas pour autant que c'est une bonne chose de les utiliser comme source d'énergie. On pourrait même soutenir qu'un panneau solaire est un dispositif bien plus artificiel.

Un grand nombre de problèmes de santé sont naturels, comme la myopie et la plupart des maladies, ce n'est pas pour autant qu'il faut être hostile aux lunettes et aux médicaments.

Les moyens de contraception ou d'avortement sont artificiels, pour autant ils permettent plus de liberté aux individus et en particulier aux femmes.

Dans de nombreux sujets de société (OGM, utérus artificiel, viande de synthèse, substituts végétaux à la viande[3]...), l'opposition épidermique de beaucoup de commentateurs repose sur l'appel à la nature, même si elle est souvent rationalisée par des tentatives d'argumentations plus convaincantes.

Le marketing s'appuie énormément sur l'appel à la nature : ici 4 marques de charcuterie utilisent le mot « natural ».

Une forme courante d'appel à la nature est celle qui fait une opposition « naturel » vs « chimique » qui n'a pas de sens[4]. Cela repose en grande partie sur du manque de connaissances scientifiques, mais c'est largement exploité à des fins rhétoriques, que ce soit dans l'alimentation, la santé[5], les cosmétiques...

2 Naturalisation (sociologie / économie)[modifier | modifier le wikicode]

En sociologie, la naturalisation est une tendance à décrire comme un fait naturel qui existerait en tout lieu et en tout temps ce qui est en réalité une construction sociale.

De même en économie, ceux qui parlent de lois économiques censées être valables de toute éternité ont tendance à les voir comme des « lois naturelles », ou des lois découlant de la nature humaine, ce qui revient au même. En réalité les lois économiques ont un domaine de validité très restreint, et dépendent de nombreux paramètres sociologiques, historiques, institutionnels...

2.1 Naturalisation des femmes[modifier | modifier le wikicode]

En ce qui concerne l'oppression des femmes, les optiques naturalistes impliquent un différentialisme : la société devrait reconnaître les "différences" (biologiques mais aussi psychiques) entre hommes et femmes. Cela peut conduire à un rejet des techniques procréatives au nom de la nature opposée à l’artifice, des remises en cause de la contraception ou du droit à l’avortement au nom de la naturalité des fonctions maternelles...

Dans la Nouvelle Gazette Rhénane de 1850, Marx rend compte du livre de Daumer, Die Religion des neuen Weltalters, et dénonce son médiévalisme nostalgique et naturaliste, et notamment pour son discours sur les femmes :

« Face à la tragédie historique qui s’avance vers lui, Monsieur Daumer se réfugie dans la prétendue nature, c’est-à-dire dans les stupides idylles bucoliques […]. Il tente de reconstruire sous forme modernisée l’ancienne religion préchrétienne de la nature […]. Il cherche à consoler les femmes de leur misère bourgeoise en leur disant que leurs talents s’achèvent avec le mariage, qu’elles ont donc ensuite à s’occuper des enfants, qu’elles ont la possibilité de les allaiter jusqu’à soixante ans, etc. Monsieur Daumer appelle tout cela la soumission du masculin au féminin. »

2.2 Naturalisation des « races »[modifier | modifier le wikicode]

La phrénologie est un exemple de pseudo-science qui naturalise à tort des différences entre personnes.

Il y a des différences biologiques entre des groupes humains (ethnies) : couleur de peau, taille (ex: pygmées), sensibilité à telle maladie (ex: drépanocytose) ou tel trouble (ex: rougissement face à l'alcool). Mais les scientifiques s'accordent à dire qu'elles sont minimes, et qu'elles ne sont pas comparables aux différences majeures qu'il peut y avoir, par exemple, entre races de chiens, et que par conséquent on ne peut pas parler de « races différentes » au sein de l'humanité.[6]

Ce consensus scientifique est récent, et pendant longtemps, de nombreux « penseurs » ont élaboré des théories racialistes, qui ont été au cœur des justifications du racisme. Ces théories ont pris racine sur des intérêts matériels (justifier le nationalisme et l'impérialisme), mais aussi sur des biais de raisonnement consistant à naturaliser des différences ethniques provenant de cultures ou de conditions environnementales différentes.

2.3 Naturalisation des caractères[modifier | modifier le wikicode]

Une pseudo-science en vogue au 19e siècle, la phrénologie, prétendait établir un lien entre la forme du crâne des individus et leur tempérament ou leur intelligence.

Elle a aussi beaucoup été utilisé pour tenir des discours racistes.

3 Naturalisme en philosophie / science[modifier | modifier le wikicode]

Spinoza est parfois considéré comme le premier des philosophes naturalistes modernes.

En philosophie, le naturalisme est la thèse selon laquelle rien n’existe en dehors de la nature. Le naturalisme accorde une place essentielle aux sciences expérimentales dans la résolution des problèmes philosophiques.

Marx a utilisé ce terme dans ses Manuscrits de 1844, notamment pour y exprimer l'idée qu'il faut (et que le communisme le réalisera) unifier les "sciences naturelles" et les "sciences humaines" :

« Donc la société est l’achèvement de l’unité essentielle de l’homme avec la nature, la vraie résurrection de la nature, le naturalisme accompli de l’homme et l’humanisme accompli de la nature […]. L’histoire elle-même est une partie réelle de l’histoire de la nature, de la transformation de la nature en homme. Les sciences de la nature comprendront plus tard aussi bien la science de l’homme que la science de l’homme englobera les sciences de la nature : il y aura une seule science. »[7]

Le géographe marxiste Neil Smith a soutenu dans sa thèse de doctorat (1990) l'idée que nos idées au sujet de la nature sont reliées à l'idéologie des sociétés de classe. Il critiquait les conceptions séparant d'un côté la nature (extérieure et immuable) et l'homme. Conception qui est un point commun à la plupart des écologistes (pour qui cet extérieur doit rester intact) et les technocrates (qui mettent la technique au service du pouvoir capitaliste pour prôner l'utilisation totale de la nature). L'image d'une nature immuable est aussi invoqué par les conservateurs pour dire que la société ne doit pas changer, "comme la nature". A l'inverse, Neil Smith soutenait que la nature est en partie produite par l'humanité.

Au sujet de la démarche de Marx comparée à celle des idéologies dominantes, il faisait la remarque suivante :

« La domination de l'idée de nature commence avec la séparation de la nature et de la société en deux domaines séparés et les tentatives pour les unir. Chez Marx, nous voyons la procédure inverse. Il commence avec le rapport à la nature comme unité et en déduit un résultat historique et logique simultané quelle que soit la séparation qui existe entre elles » [8]

4 Autres sens[modifier | modifier le wikicode]

5 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  1. James Lovelock, Les Ages de Gaïa, Laffont 1990
  2. Daniel Bensaïd, Marx, productivisme et écologie, octobre 1993
  3. Cf. ce post de Raimon Sabater du 16 septembre 2013 sur Facebook
  4. Science Pop, Tout est chimique !, 18 mai 2016
  5. Genre humain, « Médecines alternatives, douces, naturelles… » Une critique matérialiste, 16 Mai 2016
  6. Alberto Piazza, « Un concept sans fondement biologique », Aux origines de la diversité humaine - la science et la notion de race, 30/09/1997, La Recherche no 302, p. 64.
  7. K. Marx, Manuscrits de 1844
  8. Neil Smith, Uneven Development: Nature, Capital and the Production of Space, 1990