Oligopole
On parle d'oligopole lorsqu'une poignée de grandes entreprises capitalistes détiennent l'ensemble du marché. Le cartel est une forme d'oligopole.
On parle aussi de monopole lorsqu'une entreprise est hégémonique.
1 Généralités[modifier | modifier le wikicode]
1.1 Centralisation du capital[modifier | modifier le wikicode]
Lors de la révolution industrielle, le capitalisme a d'abord vu un boom du nombre d'entreprises en concurrence. C'est cette situation que les économistes classiques ont théorisé en tant que "libre concurrence" apportant naturellement ("la main invisible") ses bienfaits.
Mais très rapidement, le capitalisme a montré qu'il avait une tendance à la centralisation du capital : les entreprises faisant le plus de profits rachètent les plus petites ou causent leur faillite. Cette centralisation est accélérée par un fait général qui est que les économies d'échelles font souvent augmenter la productivité. Ces économies d'échelles varient cependant selon les secteurs. Dans les secteurs où elles sont flagrantes, les économistes de la bourgeoisie eux-mêmes ont été obliges de l'admettre - ce qui a donné naissance à la théorie du "monopole naturel".
1.2 Ententes[modifier | modifier le wikicode]
Lorsqu'un petit nombre d'entreprises dominent un secteur, les accords légaux ou illégaux (cartels) sont plus facilement contractés. La concurrence n'est cependant jamais effacée totalement. Il existe par exemple des duopoles comme AMD et Intel qui sont réputés se livrer une forte concurrence.
Les États bourgeois (et les organisations de coopération internationale comme l'OMC, l'UE...) ont officiellement pour mission de réguler la concurrence.
Plusieurs modèles ont été proposés pour analyser ces cas. On peut généraliser les modèles de Cournot ou de Stackelberg à un nombre arbitraire d’entreprises. D’autres modèles sont les barrières à l’entrée, la demande coudée, le modèle de Chamberlin, le prix limite, la différenciation des produits ou la collusion implicite.
2 Théories économiques[modifier | modifier le wikicode]
2.1 Mesures de la puissance monopolistique[modifier | modifier le wikicode]
Dans son article de 1934, Abba Lerner définit le taux de marge comme une mesure du pouvoir de monopole de l'entreprise via l'indice de Lerner[1].
2.2 "Monopoles naturels"[modifier | modifier le wikicode]
Face au constat que certains secteurs favorisent fortement les oligopoles, des économistes bourgeois ont développé la thèse du "monopole naturel". Il s'agit de dire que les rendements d'échelle sont tellement grands dans ce secteur qu'il est "plus rentable pour l'économie" que le nombre d'acteurs soit limité.
3 Positions politiques[modifier | modifier le wikicode]
3.1 Vers la socialisation de l'économie[modifier | modifier le wikicode]
Pour les marxistes, les oligopoles ne sont que l'expression de la tendance à la centralisation du capital, qui a un aspect progressiste puisqu'elle tend vers le dépassement de la désorganisation d'une production soumise à la concurrence.
Lénine écrivait ainsi que « le monopole qui surgit du capitalisme, c'est déjà l'agonie du capitalisme, le début de sa transition vers le socialisme. »[2]
Kautsky estimait que la socialisation de l'économie, qui doit être progressive, doit « commencer par les branches industrielles qui sont devenues des monopoles privés à un point tel qu’elles sont en mesure de dominer le marché, au lieu d’être dominées par lui. »[3]
3.2 Critiques idéalistes et réactionnaires[modifier | modifier le wikicode]
Les marxistes rejettent donc comme une chimère, voire un « idéal réactionnaire »[2] l’idée de revenir à de la libre-concurrence entre petits patrons. Ce type d'idéologie est très présent dans la petite-bourgeoisie, qui voit parfois cela comme une critique « anticapitaliste », mais c'est en réalité qui n'arrive pas à penser au delà du marché (qui fait structurellement naître les oligopoles), donc au delà du capitalisme.
Pour autant, la plupart des marxistes ne vont pas jusqu’à soutenir la monopolisation capitaliste, puisque dans la cadre capitaliste actuel, cela renforce le pouvoir des grands patrons et nuit souvent à la population en tant que consommateur·ices.
Par exemple, Boukharine pouvait écrire que « La social-démocratie doit voter contre l'introduction de tout monopole, de toute union douanière, etc. »[4] Même si cela représentait un certain progrès économique, cela n'est plus l'enjeu, les forces productives étant déjà bien développées.
4 Monopole féodal et monopole bourgeois[modifier | modifier le wikicode]
Sous le féodalisme, il existait des monopoles, comme les compagnies marchandes (Compagnies des Indes, etc). Les révolutions bourgeoises s'en sont souvent prises à ces monopoles pour revendiquer face à elle la libre concurrence, hors du contrôle des régimes monarchiques. Le développement initial du capitalisme a consisté en la création de nombreuses petites et moyennes entreprises souvent en dehors de ces anciens monopoles.
Par la suite, la concurrence capitaliste a conduit à la formation de nouveaux monopoles.
Certains bourgeois ont justifié les monopoles bourgeois en disant que les monopoles féodaux étaient "artificiels" tandis que les monopoles bourgeois étaient "naturels" (comprendre : rationnels)[5].
Marx décrit ce parcours historique par le schéma dialectique de la "négation de la négation" :
Thèse : Le monopole féodal antérieur à la concurrence. Antithèse : La concurrence. Synthèse : Le monopole moderne, qui est la négation du monopole féodal en tant qu'il suppose le régime de la concurrence, et qui est la négation de la concurrence en tant qu'il est monopole.[6]
5 Exemples[modifier | modifier le wikicode]
Monopoles :
- La distribution du tabac avait été déclaré privilège d'État (donc monopole) sous Louis XIV, libéralisé sous la révolution française, renationalisé par Napoléon en 1810, et deviendra la SEITA (entreprise publique) jusqu'en 1995 où elle est privatisée. Nous sommes aujourd'hui passés à un monopole privé (la SEITA est devenue Altadis).
- Jusqu'aux années 2000, la société De Beers avait un quasi-monopole sur la vente de diamants. L'entreprise a été constituée à l'origine par une politique agressive de Cecil Rhodes qui a manipulé les cours et fait en sorte de racheter tous ses concurrents pour pouvoir contrôler les prix.[V 1]
Duopoles :
- Intel et AMD, qui équipent à eux deux la plus grande partie des ordinateurs personnels en processeurs ;
- Pepsi et Coca-Cola sont les seuls producteurs de cola de taille mondiale ;
- Christie's et Sotheby's, qui se partagent la quasi-totalité du marché des ventes aux enchères d'art de prestige dans le monde
- Airbus et Boeing qui sont les deux plus gros constructeurs aéronautiques.
Triopoles :
Oligopoles :
- les 4 fournisseurs principaux de télécommunication mobile aux États-Unis : AT&T, Sprint, T-Mobile et Verizon, accusés le 26 décembre 2008 par le New York Times de ne pas se livrer à une concurrence très acharnée sur les prix des SMS[9].
- Les motoristes aéronautique Pratt-Whitney, General electric, Rolls-Royce et Snecma se partagent la totalité de la motorisation des Airbus et Boeing.
- Le marché de la notation financière est quasi exclusivement détenu par trois firmes, Moody's, Standard & Poor's et Fitch Ratings.
- Le transport maritime est dominé par une poignée de grandes entreprises, qui ont formé 4 grandes alliances. Les numéros 1 et 2 mondiaux, Maersk et MSC, ont constitué une alliance baptisée 2M. Ocean 3 réunit le français CMA CGM, le chinois CSCL et United Arab Shipping Co (UASC). L’alliance G6 se compose d'APL, Hapag-Lloyd, Hyundai Merchant Marine, Mitsui OSK Lines, NYK et OOCL. Enfin, CKYHE rassemble les compagnies asiatiques Cosco, K Line, Yang Ming Line, Hanjin et Evergreeen.[10]
- Le marche de la banane est dominé par 5 multinationales.
- La grande distribution est en situation d'oligopsone vis-à-vis de l'industrie agroalimentaire, qui est elle-même en situation d'oligopsone vis-à-vis des agriculteurs / éleveurs.
6 Dans la culture populaire[modifier | modifier le wikicode]
6.1 Jeux de société[modifier | modifier le wikicode]
6.1.1 The Landlord's Game[modifier | modifier le wikicode]
En 1904 aux États-Unis, Elizabeth Magie dépose un brevet pour un jeu de société, The Landlord's Game (Le Jeu du propriétaire foncier). Ce jeu visait à dénoncer l'accaparement des terres par les propriétaires fonciers, qui s'enrichissent en accumulant les rentes sur le dos des locataires. Elizabeth Magie était inspirée par l'économiste Henry George, qui faisait une critique radicale de la rente foncière (mais pas du capitalisme en tant que tel).
Jusqu'aux années 1920, des jeux inspirés du jeu de Magie se diffusent progressivement, mais souvent avec des variantes faites à la main, des règles modifiées etc. On commence à appeler ces jeux des « Monopoly ». Au fil des variantes, le jeu tend à élargir le champ du monopole : plus seulement du foncier mais aussi des chemins de fer, des compagnies d'eau et d'électricité, des banques... Par exemple en 1932 un jeu appelé Finance est mis au point.
Les variantes ne sont pas toutes aussi critiques que l'intention initiale de Magie, et suscitent souvent un mélange de fatalisme (naturalisation du capitalisme) ou de fascination pour les riches. Lorsque cette dernière propose son jeu à l'éditeur Parker, celui-ci refuse en répondant qu'il est « trop politique ».[11]
6.1.2 Monopoly[modifier | modifier le wikicode]
Le jeu Monopoly est une variante du jeu d'Elizabeth Magie qui parviendra à un plus grand succès commercial. Cette variante est créée par Charles Darrow en 1931, qui gagnera en popularité et deviendra millionnaire après que Parker lui rachète les droits en 1935.
6.1.3 Anti-Monopoly[modifier | modifier le wikicode]
En 1973, le professeur d'économie Ralph Anspach créé un jeu appelé Bust the Trust (« Fais sauter le Monopole ») qui sera renommé Anti-Monopoly. Il veut y remettre une dénonciation explicite des monopoles, en faisant l'éloge des lois anti-trusts pour rétablir la concurrence.
Paradoxalement, en présentant la « libre concurrence » comme la panacée, l'Anti-Monopoly véhicule sans doute davantage l'idéologie bourgeoise que le Monopoly.
7 Monopsone et oligopsone[modifier | modifier le wikicode]
Un monopole est lorsqu'un vendeur fait face à de nombreux acheteurs.
Symétriquement, on parle de monopsone lorsqu'un acheteur fait face à de nombreux vendeurs (et d'oligopsone lorsqu'il y a un petit nombre d'acheteurs).
C'est une nuance dans l'analyse économique, mais cela revient au même que le monopole en terme de rapport de pouvoir, et cela relève aussi du phénomène de concentration du capital.
Le monopsone concerne particulièrement le secteur de la grande distribution, et le secteur des plateformes (notamment numériques, avec le phénomène de l'ubérisation).
En effet, dans la grande distribution, le pouvoir de mise sur le marché qu'ont la poignée de grandes chaînes fait que les producteurs ne peuvent quasiment pas se passer d'elles, et donc peuvent négocier des contrats largement en leur faveur.[12][13][14]
De même, les plateformes numériques comme Uber ou Deliveroo se retrouvent en position d'acheteuses quasi uniques sur leur marché, et ont donc un rapport de force très favorable face aux « auto-entrepreneurs » (salarié·es déguisés).[15]
8 Monopoles et salaires[modifier | modifier le wikicode]
Le fait d'être en situation de monopole a un impact sur les salaires, mais cet impact peut être dans un sens ou un autre selon les situations.
Dans certains cas, le fait qu'une entreprise ait un monopole fait qu'une grève dans cette entreprise peut produire un impact économique très fort (ex: grève chez les contrôleurs aériens, chez les cheminots à l'époque où le fret était essentiellement ferroviaire...) et donner un bon rapport de force aux salarié·es.
Mais dans d'autres cas, cela a l'effet inverse. Par exemple, des études ont montré que dans les villes états-uniennes où seul Walmart est implanté, cette entreprise de la grande distribution impose en général des salaires plus bas, les travailleur·ses n'ayant pas la possibilité de partir à la concurrence.
De manière plus structurelle, on peut décrire le marché du travail capitaliste comme une situation d'oligopsone, car le nombre des vendeurs de force de travail (prolétaires) est immensément plus grand que le nombre d'acheteurs-employeurs. Il n'y a que le syndicalisme interprofessionnel (et plus largement les conventions collectives, les lois sociales...) qui peut rééquilibrer un peu le rapport de force, en aidant les salarié·es à agir comme une seule force face aux patrons. A l'inverse, lorsque des entreprises imposent dans le contrat de travail des clauses interdisant aux salarié·es de partir vers une entreprise concurrente, cela renforce leur pouvoir et leur capacité à former des ententes.[16]
9 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]
Vidéos
- ↑ Sortie d'usine, Le funeste secret de l'industrie du diamant, janvier 2024
Notes
- ↑ (en) Abba Lerner, « The Concept of Monopoly and the Measurement of Monopoly Power », Review of Economic Studies, vol. 1, no 3, , p. 157–175 (JSTOR 2967480)
- ↑ 2,0 et 2,1 Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, 1916
- ↑ Karl Kautsky, The Labour Revolution, June 1922
- ↑ Boukharine, Contribution à une théorie de l'État impérialiste, 1916
- ↑ Cf par exemple : Pellegrino Rossi, Cours d'économie politique, 1839
- ↑ Karl Marx, Misère de la philosophie, 1847
- ↑ UFC Que Choisir, Grande distribution, Faux concurrents ou vrais alliés ?, 19 novembre 2020
- ↑ Mindmedia, Le triopole assoit sa domination sur le marché publicitaire numérique en 2021
- ↑ http://www.nytimes.com/2008/12/28/business/28digi.html?_r=1
- ↑ Le Marin (Ouest France), Concurrence : les alliances dans le conteneur surveillées de près, 2015
- ↑ History of Monopoly board game, sur Wikipédia
- ↑ Seth Ferranti, Ce que McDonald’s et Walmart peuvent apprendre aux cartels, sur VICE, 28 mars 2017
- ↑ De la puissance d'achat à la puissance de vente ?, Bulletin de l'Ilec, n° 320, 1er janvier 2001
- ↑ Laurent Benzoni, Pierre-Yves Deboude, Du déséquilibre significatif dans les relations entre partenaires commerciaux à la puissance d’achat : une perspective économique, conférence organisée par la DGCCRF, 6 novembre 2014.
- ↑ Deliveroo: le retour des monopsones?. La chronique d’Emmanuel Combe, sur L'Opinion, 12 août 2019
- ↑ Le pouvoir de marché des entreprises sur les salaires, Alternatives économiques, 10 septembre 2018