Manifeste du parti communiste
Le Manifeste du parti communiste est l'ouvrage le plus connu de la littérature socialiste/communiste. Il a été écrit par Karl Marx et Friedrich Engels entre 1847 et 1848 sur demande de la Ligue des communistes (anciennement Ligue des justes), pour définir le programme et l'attitude des communistes face aux autres courants politiques, que ce soit les autres socialistes ou les courants bourgeois.
Le terme de « parti » était alors employé dans un sens général, et ne renvoyait pas spécifiquement à la Ligue des communistes, mais au courant communiste en général (que ce Manifeste voulait décrire et faire émerger de façon performative). C'est pourquoi dans des éditions ultérieure le texte a souvent été nommé simplement Manifeste communiste.
Cet ouvrage emblématique ne comporte que quatre chapitres relativement courts et est disponible gratuitement sur internet (comme la majeure partie des grandes œuvres socialistes).
1 Bref survol analytique du texte[modifier | modifier le wikicode]
Il commence par cette phrase devenue célèbre :
« Un spectre hante l'Europe : le spectre du communisme. Toutes les puissances de la vieille Europe se sont unies en une Sainte-Alliance pour traquer ce spectre : le pape et le tsar, Metternich et Guizot, les radicaux de France et les policiers d'Allemagne. »
Qui exprime l'idée suivante : le prolétariat en mouvement est craint par les puissances réactionnaires de tout bord.
Le premier chapitre du Manifeste débute par la phrase suivante :
« L'histoire de toute société passée est l'histoire de la lutte de classes. »
Cette thèse constitue la conclusion la plus importante de la conception matérialiste de l'Histoire. Pour les communistes, ce ne sont pas les grands hommes qui ont fait l'Histoire mais bien les luttes collectives des opprimés dans leur quête d'amélioration de leurs conditions matérielles.
Le manifeste a pour but de regrouper les tendances socialistes révolutionnaires en un parti prolétarien unifié. Pour ce faire, il explique dans les grandes lignes les conceptions, les buts et les tendances des communistes.
« Toute lutte de classes est une lutte politique. (...) l'organisation des prolétaires en classe et, par suite, en parti politique. »
Déjà à l'époque du Manifeste, les premiers communistes tiraient la conclusion que chaque lutte des travailleurs (syndicale ou associative) était politique. Le développement du syndicalisme américain et l'histoire de la révolution espagnole sont des exemples parmi d'autres de la véracité de ce fait.
« Déjà les démarcations nationales et les antagonismes entre les peuples disparaissent de plus en plus avec le développement de la bourgeoisie, la liberté du commerce, le marché mondial, l'uniformité de la production industrielle et les conditions d'existence qu'ils entraînent. Le prolétariat au pouvoir les fera disparaître plus encore. »
Le rôle historique et révolutionnaire de la bourgeoisie est dépeint de manière claire dans le manifeste mais l'on peut aussi y trouver les limites de ce rôle et du système bourgeois. Pour les communistes, la tâche que représente l'unification des peuples ne peut être accomplie que par la classe des travailleurs dans sa quête d'une société plus socialement juste. Comme l'avènement de la bourgeoisie au pouvoir a amené une nouvelle forme de démocratie (parlementarisme, démocratie représentative bourgeoise), l'avènement de la classe des travailleurs amènera une nouvelle forme de démocratie plus intéressante. La bourgeoisie n'a eu de cesse de clamer que le mouvement des travailleurs organisé et ses organisations revendiquaient le pouvoir de manière non-démocratique et putschiste dans l'unique but d'instaurer une dictature. Il est amusant de constater les similitudes de points de vue entre les classes opprimantes dans les différentes périodes de l'Histoire : les reproches des bourgeois envers les travailleurs sont semblables à ceux qu'émettait l'aristocratie concernant les bourgeois quand ceux-ci aspiraient au pouvoir. Bien sûr, l'aristocratie n'employait pas les mêmes termes techniques que ceux que les bourgeois emploient actuellement pour convaincre de la non-légitimité du changement mais elle utilisait toutes les calomnies possibles pour convaincre de l'appartenance du pouvoir au sang bleu, alors que son système était obsolète et dépassé par le nouveaux alors naissant. C'est parce que cette aristocratie s'est accrochée au pouvoir en utilisant la violence d'État pour le conserver, que des révolutions ont eu lieu.
« En outre, on a accusé les communistes de vouloir abolir la patrie, la nationalité. Les ouvriers n'ont pas de patrie. On ne peut leur ravir ce qu'ils n'ont pas. Comme le prolétariat de chaque pays doit en premier lieu conquérir le pouvoir politique, s'ériger en classe dirigeante de la nation, devenir lui-même la nation, il est encore par là national, quoique nullement au sens bourgeois du mot. »
Les guerres entre États-nations sont la plus grande défaite des peuples. La bourgeoisie rêve de pouvoir unifier le monde sous ses propres conditions d'exploitation mais elle en est incapable. Seul le commerce international prospère sur base de cette exploitation des plus faibles alors que sont sans cesse traînés dans la boue les chartes universelles à caractère social ou pacifique. Cela s'explique par la propriété privée des moyens de production des différentes multinationales qui sont en guerre économique constante pour les parts de marché des autres. Les gouvernements défendant les intérêts bourgeois peuvent décider de voter à l'unanimité toutes les chartes internationales qu'ils veulent, cela ne changera rien. Dans un monde où l'argent tient une place si grande, laisser les 1% les plus riches du monde en possession de la plus grande partie de l'industrie rend inutile le chemin légal pour aller vers un changement. Pourtant les pauvres qui donnent leur sang aux riches durant ces guerres s'en passeraient bien et les exemples de fraternisations des soldats durant les guerres et à la fin de ces guerres ne manquent pas pour étayer l'argument communiste du peuple travailleur sans patrie nationale.
« Une fois que, dans le cours du développement, les différences de classe ont disparu et que toute la production est concentrée aux mains des individus associés, le pouvoir public perd son caractère politique. »
Autrement dit l'État dépérit. Il reste donc une société libérée de sa camisole de force. C'est cela le socialisme. Le théorème inverse, la monstrueuse croissance de la contrainte d'État en URSS démontre que la société s'éloigne du socialisme.
1.1 Programme[modifier | modifier le wikicode]
Le Manifeste est écrit à une époque révolutionnaire et contient (à la fin de son second chapitre) dix revendications qui correspondent à la période de la transition immédiate du capitalisme au socialisme. Dans leur préface de 1872, Marx et Engels indiquent que ces revendications étaient en partie vieillies et qu'elles n'avaient plus qu'une signification secondaire. Les réformistes se sont emparés de cette appréciation et l'on interprétée dans le sens que les mots d'ordre révolutionnaires transitoires cédaient définitivement la place au "programme minimum" de la social-démocratie qui, lui, comme on le sait, ne sortait pas du cadre de la démocratie bourgeoise et du capitalisme.
Même si l'ouvrage est considéré avant tout comme le programme des partis communistes naissants, la majeur partie de l'ouvrage est consacrée à l'analyse de la jeune société capitaliste avec ses antagonismes de classe et ses dérives économiques.
Seule une page du livre est dédiée au programme en lui-même, avec le détail préalablement énoncé qu'il ne s'agit pas d'un programme pouvant être appliqué à tous les pays (de plus, ce programme est également adapté à l'époque et ne contient pas non plus tous les points que les communistes revendiquent, seulement les principaux).
Le programme en lui même reste majoritairement d'actualité concernant le chemin pour atteindre les buts finaux des communistes en lutte pour une autre société. Toutefois, il est clair que certains points du programme ne sont plus énoncés de la même manière.
Par exemple le point 8 qui concerne l'obligation du travail : à l'époque, le chômage n'était pas rémunéré et la revendication du travail pour tous était portée par le peuple ouvrier. Aujourd'hui, les communistes restent persuadés que cette revendication est encore valable mais formule différemment la chose en expliquant qu'une division du temps de travail permettrait de donner de l'emploi à tous ceux qui le désirent. Même les économistes bourgeois estiment, de leur côté, que sur les 8 heures que nous prestons chaque jour, seules 4 sont suffisantes pour produire la quantité de biens matériels existante sur terre (le reste des profits obtenus sur base des 4 autres heures étant accumulé par le capitaliste en capital financier et stocké en banque ou employé pour spéculer). Mais d'après les marxistes, il n'y a que par l'abolition de l'extraction de la plus-value que l'on peut réellement savoir combien d'heures de travail journalières seraient nécessaires pour subvenir à nos besoins collectifs.
1.2 Critique des autres courants socialistes[modifier | modifier le wikicode]
Un chapitre entier est dédié à la critique des autres courants « socialistes » en circulation à l'époque :
- le socialisme réactionnaire :
- le socialisme conservateur ou bourgeois
- le socialisme et le communisme critco-utopique
- le communisme
On pourrait penser que consacrer toute une partie à la critique des autres courants est inutilement agressif, mais au vu de toutes les trahisons des intérêts du prolétariat et des paysans pauvres qu'ont commis de nombreux courants socialistes par la suite, la nécessité de la délimitation stratégique n'a fait que gagner en importance.
1.3 Conclusion[modifier | modifier le wikicode]
La fin du dernier chapitre énonce clairement que les communistes n'ont absolument rien à dissimuler concernant leurs objectifs en terme de société différente. Ils ne cachent pas non plus comment ils projettent d'arriver à cette société et au travers du célèbre appel de Marx et Engels, adopté sur base de discussions préparatoires à l'ouvrage tenues par la Ligue des communistes :
Les communistes appellent les travailleur·ses à prendre conscience de leurs points communs dans leurs conditions de travail, de vie et dans l'oppression capitaliste, pour qu'ils aillent au-delà des divergences de nationalité, de couleur de peau, de genre, d'orientation sexuelle et des autres divergences.
2 Autour du Manifeste[modifier | modifier le wikicode]
Marx habitait alors 42 rue d’Orléans à Ixelles. (Il y a habité d’octobre 1846 à la mi-février 1848.) Cette maison a été démolie et son emplacement est celui de l’actuelle maison au 50 de la rue Jean d’Ardenne.[1] Il passait du temps à la taverne « Maison du Cygne » avec la « Deutscher Arbeiterverein » et l'« Association Démocratique ».[2]
Bien que considérant plusieurs aspects du texte dépassés, notamment du fait des leçons à tirer de la Commune de 1871, Marx et Engels écrivaient en 1872 : « le Manifeste est un document historique que nous ne nous attribuons plus le droit de modifier »[3].
Léon Trotski a déclaré :
« De même que le Manifeste était une anticipation, de même que la 1ère Internationale était venue trop tôt pour son temps, c'est-à-dire pour pouvoir unir les travailleurs de tous les pays, de même la Commune était un épisode prématuré de la dictature du prolétariat. »[4]
L'anarchiste W. Tcherkessof, dans son ouvrage Pages of Socialist History en 1902, a accusé Karl Marx d'avoir, pour la rédaction de son manifeste, fortement plagié l'ouvrage de Victor Considerant, Principe du socialisme ; Manifeste de la démocratie au 19e siècle, publié en 1843.
Le conspirationniste Antony Cyril Sutton a repris cette accusation dans son livre Le Complot de la réserve fédérale.
3 Éditions et traductions[modifier | modifier le wikicode]
La première édition du Manifeste a lieu à Londres, en langue allemande, en février 1848.
Il paraît en français de manière anonyme durant le mois de février 1848, dans le contexte des mouvements révolutionnaires à Paris, après l'interdiction d'un banquet républicain le 22 février 1848.[3] Il est ensuite publié en 1885 (traduction de Laura Marx) en plusieurs fois dans Le Socialiste, Paris, 1885. De nombreuses autres traductions suivront.[5]
La première traduction du Manifeste en néerlandais est l’œuvre de Christiaan Cornelissen en 1891. Une autre traduction a été réalisée en 1904 par Herman Gorter.
La première traduction du Manifeste en russe aurait été réalisée par Bakounine.[6][7] L'information provient de Marx et Engels eux-mêmes. Selon Arthur Lehning[8], Marx et Engels auraient été mal renseignés, et la traduction daterait des années 1869, à un moment où il est matériellement impossible à Bakounine de faire cette traduction. La correspondance de Bakounine n'en laisse de surcroît rien paraître.
Première publication en anglais du Manifeste (1850) dans le Red Republican
Plusieurs adaptations illustrées ont été réalisées :
Le texte du Manifeste communiste est aujourd'hui facile à trouver en ligne. Par exemple sur Archives militantes ou sur Marxists.org.
4 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ Jean Stengers, « Ixelles dans la vie et l’œuvre de Karl Marx », Revue belge de Philologie et d’Histoire, 2004, 82-1-2, p. 349-357
- ↑ Plaque commémorative apposée sur la façade
- ↑ 3,0 et 3,1 Préface allemande de 1872 au Manifeste communiste
- ↑ Léon Trotski, La guerre et l'Internationale, 31 octobre 1914
- ↑ Dominique Meeùs, Note de lecture sur le Manifeste du parti communiste
- ↑ Kaminski, Bakounine, la vie d'un révolutionnaire, Bélibaste, 1971, page 186
- ↑ James Guillaume, L'Internationale. Documents et souvenirs., volume 1, deuxième partie, page 283, Éditions Gérard Lebovici, 1985
- ↑ Introduction à Michel Bakounine, Œuvres Complètes, volume 5, Relations avec Serge Netchaiev, Ivrea, 1977