Socialisme vrai
Le « socialisme vrai » est le nom donné par Marx et Engels à un courant socialiste des années 1840 en Allemagne, représenté notamment par Moses Hess, Ernst Dronke, ou Karl Grün.
1 Contexte[modifier | modifier le wikicode]
La pensée socialiste allemande présente pour spécificité de découler pour partie d'un débat philosophique. À la fin des années 1830, un désaccord profond émerge entre les disciples de Hegel. Tandis que le courant alors dominant (qui sera nommé « hégélien de droite ») justifie de façon conservatrice l'ordre établi en théorisant la fin de l'histoire, un courant de jeunes hégéliens (ou « hégéliens de gauche ») se forme, affirmant que le libéralisme politique progressera encore.
À partir des années 1840, cette gauche hégélienne se radicalise : la promotion d'une libéralisation graduelle ne parvient pas à s'imposer face à un État prussien rétif à tout changement.
2 Le « socialisme vrai »[modifier | modifier le wikicode]
Moses Hess, futur théoricien du sionisme, soucieux de transformer la philosophie de Hegel en philosophie de l'action, développe une pensée socialiste préconisant l'instauration d'une société sans propriété privée, qui serait une « nouvelle Jérusalem ». La tendance de Hess — que Marx surnomme par la suite, de manière ironique, le « socialisme vrai » — se répand en Allemagne vers 1844, en particulier dans les provinces occidentales, témoignant de l'intérêt des milieux intellectuels pour les questions sociales. Mais la littérature issue de ce courant est trop abstraite et inactuelle pour avoir une influence politique directe.
En 1845, Engels collabore avec Hess au lancement d'un journal, le Gesellschaftsspiegel, mais en raison de ligne politique de Hess, Engels refuse finalement d'endosser le rôle de co-éditeur.[1]
Un autre socialiste rattaché à ce courant est Ernst Dronke.
En février 1847, Marx et Engels adhèrent à la Ligue des justes. On assiste de fait à la réunion des deux principales sources de la pensée socialiste allemande : celle, intellectuelle, des hégéliens de gauche et celle, artisanale, des associations de compagnonnage. Marx et Engels parviennent à faire prévaloir leurs conceptions révolutionnaires face aux doctrines utopistes : la Ligue des justes devient la Ligue des communistes, la devise « Tous les hommes sont frères » est remplacée par « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! », et Marx et Engels sont chargés d'écrire la profession de foi de l'organisation, le Manifeste du Parti communiste, qui est adopté après qu'un premier projet de Hess a été refusé.
Dans le Manifeste, Marx et Engels font une critique des autres courants socialistes, et notamment du courant de Hess. Ils expliquent que les Allemands ont importé les idéaux socialistes nés en France dans la lutte, et en ont fait des idéaux abstraits, rendus impuissants par un humanisme idéaliste :
« La substitution de cette phraséologie philosophique aux développements français, ils la baptisèrent : "philosophie de l'action", "socialisme vrai", "science allemande du socialisme", "justification philosophique du socialisme"' etc. De cette façon on émascula formellement la littérature socialiste et communiste française. Et, comme elle cessait d'être l'expression de la lutte d'une classe contre une autre entre les mains des Allemands, ceux-ci se félicitèrent de s'être élevés au-dessus de l'"étroitesse française" et d'avoir défendu non pas de vrais besoins, mais le besoin du vrai; non pas les intérêts du prolétaire, mais les intérêts de l'être humain, de l'homme en général, de l'homme qui n'appartient à aucune classe ni à aucune réalité et qui n'existe que dans le ciel embrumé de l'imagination philosophique. »
Ils accusent ce courant d'être par la suite devenu une arme de la petite-bourgeoisie et des nobles allemands, tous menacés par l'industrialisation, contre la bourgeoisie. Or, là où en France le socialisme émergeait contre la bourgeoisie après que celle-ci l'ait globalement emporté sur les nobles, ici ce front contre la bourgeois joue un rôle antilibéral réactionnaire :
« De la sorte, le "vrai" socialisme eut l'occasion tant souhaitée d'opposer au mouvement politique les revendications socialistes. Il put lancer les anathèmes traditionnels contre le libéralisme, le régime représentatif, la concurrence bourgeoise, la liberté bourgeoise de la presse, le droit bourgeois, la liberté et l'égalité bourgeoises; il put prêcher aux masses qu'elles n'avaient rien à gagner, mais au contraire, tout à perdre à ce mouvement bourgeois. Le socialisme allemand oublia, fort à propos, que la critique française, dont il était l'insipide écho, supposait la société bourgeoise moderne avec les conditions matérielles d'existence qui y correspondent et une Constitution politique appropriée, toutes choses que, pour l'Allemagne, il s'agissait précisément encore de conquérir. »
Dans la réédition allemande de 1890 du Manifeste, Engels ajoute en note :
« La tourmente révolutionnaire de 1848 a balayé toute cette pitoyable école et fait passer à ses partisans le goût de faire encore du socialisme. Le principal représentant et le type classique de cette école est Karl Grün. »
3 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]
- Karl Marx, Historiographie du socialisme vrai, revue Das Westphälische Dampfboot, août et septembre 1847
- Karl Marx, Friedrich Engels, Le manifeste du parti communiste, 21 février 1848
- Jacques Droz (directeur), Histoire générale du socialisme, tome 1 : des origines à 1875, Presses universitaires de France,
- ↑ Moses Hess, Friedrich Engels, To the Readers of and Contributors to the Gesellschaftsspiegel, January 1845