Premier mai
La fête des travailleur·ses, généralement le 1er Mai, est une journée internationale de commémoration et de revendication du mouvement ouvrier.
On parle de façon plus précise de journée internationale de lutte des travailleuses et travailleurs.
Elle a été nommée fête du travail sous le régime de Vichy, terme qui est malheureusement largement resté présent depuis.
1 Historique[modifier | modifier le wikicode]
1.1 Fêtes de mai traditionnelles[modifier | modifier le wikicode]
Il a depuis longtemps existé en Europe des fêtes en mai liées au retour de l'été : les Floralia en Rome antique, les fêtes païennes autour des arbres de mai (ou mât, MayPole) et des rubans, le May Day en Angleterre, les Nuits de Walpurgis en Allemagne ou en Scandinavie...
La chrétienté a oscillé entre répression et assimilation de ces fêtes traditionnelles.
Il est arrivé que ces fêtes soient l'occasion de débordements populaires et de luttes des classes, comme lorsque des apprentis et de marins se révoltent à Londres lors de la fête de mai 1640.[1]
1.2 Premières fêtes du travail[modifier | modifier le wikicode]
L'idée de fêter le travail ou les travailleur·ses a commencé à se faire jour avec l'essor de la bourgeoisie, qui contrairement à la noblesse vantait le travail ("son" travail initialement) comme source d'amélioration du monde. Par exemple le 24 octobre 1793, le révolutionnaire Fabre d'Églantine institue une fête du Travail le 1er pluviôse dans son rapport sur le calendrier républicain. Elle ne durera que quelques années.
Le renforcement numérique de la classe ouvrière va conduire à des initiatives locales, comme la fête du travail mise en place au familistère de Guise en 1867[2]. Aux États-Unis, dès 1882, certains membres des Knights of Labor et du Central Labor Union militaient pour un Labor Day ("Journée du travail") début septembre.
1.3 La journée internationale des travailleurs naît dans le sang[modifier | modifier le wikicode]
Mais il ne s'agissait là que d'initiatives de portée locale et souvent bourgeoises. L'histoire internationale du 1er Mai remonte aux débuts du syndicalisme ouvrier et en particulier autour de la revendication de la journée de 8 heures, avec le slogan "8 heures de travail, 8 heures de loisir, 8 heures de repos". Au 19e siècle, il était courant de travailler jusqu'à 10 ou 12 heures tous les jours sauf le dimanche.
Le 1er Mai 1886, c'est la grève générale aux États-Unis, 340 000 travailleurs manifestent. La tension monte le 3 mai à Chicago, lorsque le patron de machines agricoles McCormick veut licencier ses salariés syndiqués. Le patron appelle les policiers qui chargent et tuent deux ouvriers. Le lendemain se tient un meeting de protestation à Haymarket Square, et la police charge lorsque en soirée quand la foule se disperse. Une bombe explose et les policiers tirent. Bilan : 7 morts des deux côtés. Huit syndicalistes et anarchistes sont arrêtés, sans preuve et pour l'exemple. La Justice bourgeoise prononce 7 condamnations à mort. En 1888, des militants de Livourne (Italie) attaquent alors des navires états-uniens.
Ces martyrs deviennent un symbole pour les ouvriers en Europe. Lors du Congrès international syndical de 1888 à Londres, Edouard Anseele demande à ce que soit fixée une journée internationale de manifestation le 1er Mai. Le 20 juillet 1889, le congrès parisien de l'Internationale ouvrière adopte une résolution pour faire du 1er mai un jour de manifestation internationale pour mettre « les pouvoirs publics en demeure de réduire légalement à huit heures la journée de travail ».
Le 1er Mai 1890 ont lieu d'importantes manifestations partout dans le monde : France (dans 139 villes), Allemagne, Autriche-Hongrie, Roumanie, Belgique, Hollande, Italie, Pologne, Espagne, Royaume-Uni., Suède, Norvège, Danemark, USA... A Paris les ouvriers portent à la boutonnière un triangle rouge, symbole de la division de la journée en 3 parts de 8 heures. A cette époque, le socialiste Jules Guesde parle de "fête du travail", travail renvoyant alors au camp du travail par opposition au camp du capital. On parle toutefois peu de "fête" en général, vu les violences policières, vu le risque pour les grévistes d'être licenciés en défilant... En Allemagne les militants portent des œillets rouges.
Le 1er Mai 1891, à Levallois-Perret, des anarchistes improvisent une marche vers Clichy, et la police leur confisque un drapeau rouge, provoquant une fusillade et des arrestations. Simultanément, à Fourmies, petite ville du Nord de la France, des gendarmes à cheval chargent des manifestants, qui répliquent avec des pierres. S'ensuivent des arrestations, et alors que la foule grossit et réclame leur libération, un officier donne l'ordre de tirer : 33 blessés et 9 morts. Parmi ces morts, 8 jeunes ouvriers et ouvrières de moins de 20 ans, dont une jeune fille Maria Blondeau, qui tenait à la main une branche d'aubépine que son fiancé lui avait offerte. Dès lors en France beaucoup porteront en souvenir des églantines cintrées d'un ruban rouge.
Tout cela contribua à faire du 1er Mai une journée de solidarité internationale des travailleurs.
L'Internationale décide lors de son congrès de Bruxelles (août 1891) de pérenniser le 1er mai comme Journée internationale des travailleurs.
1.4 Célébrations et revendications[modifier | modifier le wikicode]
A partir de 1906, la Confédération Générale du Travail, créée en 1895, cherche à s'appuyer sur le 1er Mai pour obtenir ses revendications, en particulier la journée de 8 heures. A Paris cette année-là, on compte 800 arrestations et de nombreux blessés.
Néanmoins, dans les démocraties bourgeoises les plus stables, le 1er mai commence à devenir une commémoration routinière. Ainsi Engels écrivait en 1893 à propos du défilé de Londres :
« Ici, la fête du 1er Mai a été très jolie ; mais elle devient déjà une chose de tous les jours, ou plutôt de tous les ans ; la première fraîcheur est partie. »[3]
Peu à peu le triangle rouge est remplacé par l'églantine. Une autre tendance apparaît : à la Belle Époque de nombreux couturiers offrent à leurs client·es et travailleur·ses des brins de muguet, qui est un symbole traditionnel de l'Ile de France. Celui-ci est notamment bien visible le 1er Mai 1907.
Après la Première Guerre, la grande presse organise la promotion systématique du muguet blanc contre la rouge églantine, tout comme la presse allemande encourage l'edelweiss et la Démocratie chrétienne italienne l'œillet blanc.
Le 25 avril 1919, 29 ans après la première manifestation du 1er Mai, une loi institue enfin la journée de huit heures, et fait du 1er Mai suivant un jour chômé exceptionnellement. La pression de la vague révolutionnaire qui suit la guerre (et en particulier de la Révolution russe) y est pour beaucoup. D'ailleurs, les alliés victorieux inscrivent dans le Traité de Versailles l'objectif de concessions aux travailleurs, et notamment «l'adoption de la journée de huit heures ou de la semaine de quarante-huit heures comme but à atteindre partout où elle n'a pas encore été obtenue»[4]. Mais le 1er Mai continue bien entendu à rassembler les travailleurs combatifs, car la condition ouvrière n'est pas pour autant une sinécure, et l'application même des lois obtenues nécessite toujours un rapport de force.
1.5 Un jour reconnu... au grès de la lutte de classe[modifier | modifier le wikicode]
En 1920, la Russie bolchévique fait du 1er Mai un jour de fête chômé. Sous la pression des partis et syndicats ouvriers qui se renforcent, des pays capitalistes vont faire de même, et tenter de "pacifier" ce jour de grève et de mobilisation. Mais la lutte de classe n'est pas un chemin continu vers le progrès. Au contraire, plus les tensions sont fortes, plus la bourgeoisie oscille entre la récupération politique ou le retour à la répression pure et simple. Aux États-Unis, un Loyalty Day est lancé en 1921 le 1er Mai, célébration peu populaire mais réaffirmée jusqu'à aujourd'hui.
Le 1er Mai 1929, le préfet de Berlin Zörgiebel (sous un gouvernement social-démocrate) interdit les manifestations. Des travailleurs défilent malgré tout à l'appel du KPD, et sont réprimés dans le sang : 33 morts et 200 blessés. La division entre les communistes et socialistes est à son comble : le SPD accuse les communistes d'être des agents de Moscou n'ayant pour but que le chaos, et de son côté le KPD, en pleine Troisième périodique sectaire, au lieu d'encourager le désir de front unique présent à la base, traite de « social-fascistes » tous ceux qui veulent co-organiser des défilés avec des militants social-démocrates.[5]
Le 1er Mai 1936 a lieu dans un fort contexte de mobilisation ouvrière. En mars la CGT s'était réunifiée en même temps que communistes et socialistes se rapprochaient pour former le Front populaire. Le 1er Mai tombait deux jours avant les élections. Par ailleurs, beaucoup de travailleurs ont été licenciés pour avoir chômé le 1er Mai, ce qui a contribué à déclencher le grand mouvement de Juin.
Le 1er Mai 1937 est une des plus grandes manifestations jamais organisées en France.
1.6 Le 1er Mai sous les fascismes[modifier | modifier le wikicode]
Les régimes fascistes, qui s'appuient sur des mouvements petit-bourgeois hostiles aux organisations socialistes des travailleurs, ont à la fois interdis les défilés syndicaux et socialistes, et à la fois canaliser la popularité de cette journée dans une ferveur nationaliste.
En Italie, le premier régime fasciste a interdit les défilés, et tenté d'instaurer à la place une "journée du travail italien" pour fêter la "naissance de Rome". Au Portugal et en Espagne, le 1er Mai fut également réprimé durement.
En Allemagne, le régime nazi va décider en 1933 de faire du 1er Mai une journée chômée et payée pour draguer les ouvriers, mais en prenant soin d'organiser lui-même les défilés et en remplaçant l'aspect internationaliste par un "Jour du travail national".
En 1941, le Maréchal Pétain, par la loi Belin, fait du 1er Mai un jour férié chômé. Il promeut la collaboration de classe en nommant ce jour « la fête du Travail et de la concorde nationale ». Sous Pétain c'est bien sûr le travail au sens de labeur et non de camp social qui est mis en avant, comme dans son slogan "Travail, Famille, Patrie". Par ailleurs, le 1er Mai est aussi la Saint Philippe, ce qui n'est pas pour déplaire au dictateur... Tout en retirant la connotation corporatiste, les politiciens garderont l'idée de jour férié à la Libération.
1.7 La Libération et l'Après-guerre[modifier | modifier le wikicode]
En avril 1947, sur proposition du député socialiste Daniel Mayer et avec l’accord du ministre du Travail, le communiste Ambroise Croizat, le 1er Mai devient dans toutes les entreprises publiques et privées un jour chômé et payéle. La même année en Italie, les mafieux de Salvatore Giuliano tirent dans le cortège et font 11 morts et 50 blessés.
Le 29 avril 1948, la dénomination du 1er Mai en France est officiellement "Fête du travail".
A partir de 1954, les manifestations à Paris sont interdites en raison de la Guerre d'Algérie. Ce ne sera qu'en 1968 que la CGT appellera à nouveau à défiler. En 1975, la manifestation fut particulièrement suivie, servant en même temps à fêter la fin de la guerre du Vietnam.
En 1955, le pape Pie XII instaure le 1er Mai la fête de Saint Joseph artisan, l’Église tentant de canaliser la popularité de ce jour vers une ferveur religieuse.
Dans les années 1980, le mouvement des travailleurs reflue sous l'effet des trahisons des directions stalinienne et social-démocrate, et, ce qui est lié, des défaites face au néolibéralisme. Il s'ensuit une désyndicalisation, un recul de la conscience de classe, et des mobilisations moins fortes, ce qui ouvre la voix à des récupérations par des discours réactionnaires. En 1988, Jean-Marie Le Pen obtient 15% aux élections présidentielles, et dans la foulée le Front National lance le 1er mai la "fête du travvil et de Jeanne d'Arc", qui réunit des dizaines de milliers de personnes entre Opéra et la Concorde. Le FN renouvèlera ce rassemblement tous les ans.
Le 1er Mai 2002, entre les deux tours de l’élection présidentielle où Jean-Marie Le Pen est arrivé second, 500 000 personnes manifestent à Paris.
En 2012, le 1er Mai tombe entre les deux tours de l'élection présidentielle. Dans sa cour à l'électorat du Front national, le candidat de droite Nicolas Sarkozy organise un rassemblement pour "le vrai travail", avec un discours très anti-syndical. Malgré tout l'arsenal déployé (l'UMP affrétera des cars pour faire venir des sympathisants de toute la France), il n'y aura que maximum 25 000 personnes (même si l'UMP affirmera 200 000 !)[6]. Les cortèges syndicaux eux ont rassemblé 750 000 personnes dans toute la France, dont 250 000 à Paris.
Il y a cependant aussi des possibilités de renforcement des mobilisations sous l'effet de la crise actuelle et de la radicalisation des travailleurs, notamment contre les plans d'austérité. En Grèce, le 1er Mai 2010 a vu d'immenses manifestations déferler dans le pays contre le gouvernement et les diktats de la Troïka. En Égypte en 2011, suite à la révolution contre le régime de Moubarak, les défilés ont été organisés par des syndicats indépendants pour la première fois depuis 1952.
2 État des lieux[modifier | modifier le wikicode]
Même si le 1er mai reste un jour suivi internationalement, dans beaucoup de pays la fête n'a pas lieu ou a lieu un autre jour, ce qui est souvent le fruit de victoires historiques de la bourgeoisie ou de directions syndicales traîtres pour effriter la solidarité internationale. Il y a au moins 80 pays dans lesquels le 1er mai est férié.
2.1 Amérique[modifier | modifier le wikicode]
1er Mai chômé | Autre jour | |
Cuba | Oui | |
Argentine | Oui, très suivie | |
Bolivie | Oui, très suivie | |
Brésil | Oui, très suivie | |
Chili | Oui, depuis 1931 | |
Colombie | Oui | |
Mexique | Oui | |
Pérou | Oui | |
Costa Rica | Oui, mais institutionnalisé | |
Uruguay | Oui, très suivie | |
République dominicaine | Non | 30 avril |
États-Unis | Non | Labor Day le 1er lundi de septembre, apolitique |
Canada | Non, mais célébré | Labor Day le 1er lundi de septembre, apolitique |
2.2 Europe[modifier | modifier le wikicode]
1er Mai chômé | Autre jour | |
France | Oui, depuis 1941 | |
Belgique | Oui | |
Irlande | Célébré | |
Royaume-Uni | Non | 1er Lundi de mai |
Pays-Bas | Non, faiblement célébré | |
Italie | Oui | |
Espagne | Oui, depuis 1975 | |
Portugal | Oui | |
Allemagne | Oui (aussi fête du Printemps), payé depuis 1933 | |
Autriche | Oui | |
Suisse | Que dans certains cantons, mais célébré | |
Grèce | Oui | |
Macédoine | Oui | |
Bosnie-Herzégovine | Oui | |
Croatie | Oui | |
Serbie | Oui | |
Slovénie | Oui | |
Hongrie | Oui | |
Bulgarie | Oui, depuis 1939 | |
Roumanie | Oui | |
Suède | Oui, depuis 1938, célébré depuis 1890 | |
Russie | Oui, depuis 1920 |
2.3 Asie[modifier | modifier le wikicode]
1er Mai chômé | Autre jour | |
Turquie | Oui, depuis 1923 (par intermittance), célébré depuis 1899 | |
Géorgie | Non | |
Liban | Oui | |
Syrie | Oui | |
Chine | Oui | |
Vietnam | Oui | |
Corée du Nord | Oui | |
Corée du Sud | Oui | |
Japon | Non, mais un peu célébré | 23 novembre, jour férié "pétainiste" |
Philippines | Oui | |
Indonésie | Non, mais célébré | |
Bahrein | Oui | |
Emirats Arabes Unis | Non | |
Inde | Oui, célébré depuis 1921 | |
Maldives | Oui, depuis 2011 | |
Iran | Oui | |
Irak | Oui | |
Jordanie | Oui | |
Népal | Oui depuis 2007, célébré depuis 1963 | |
Pakistan | Oui | |
Bangladesh | Oui | |
Singapour | Oui | |
Malaisie | Oui, depuis 1972 | |
Sri Lanka | Oui | |
Thaïlande | Oui | |
Israël | Non, mais célébré |
2.4 Afrique[modifier | modifier le wikicode]
1er Mai chômé | Autre jour | |
Egypte | Oui | |
Libye | Oui | |
Afrique du Sud | Oui, depuis 1994 |
2.5 Évolution du nombre de manifestant·es en France[modifier | modifier le wikicode]
3 Évolution des symboles[modifier | modifier le wikicode]
- 1890 : Triangle rouge
- 1891-1907 : Églantine avec ruban rouge
- Depuis 1907 et encore plus après Pétain : Muguet
- 1955 : l’Église fête le 1er Mai "Saint Joseph artisan"
4 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]
Un petit historique sur le 1er mai, UL CGT Roissy
1er mai 1886, Journée de 8 heures et fête du travail, Hérodote
Premier mai, Parti ouvrier social-démocrate de Russie
- ↑ London Radical Histories, Pasttense.co.uk, May Day in South London: a history
- ↑ Au Familistère de Guise (Aisne), une fête du travail pour honorer... un patron, Le Monde
- ↑ Correspondance citée dans Histoire du Premier Mai, de Maurice Dommanget.
- ↑ Article 427 du Traité de Versailles, 28 juin 1919
- ↑ La Révolution prolétarienne, numéro 81, 1er juin 1929, p.168
- ↑ Sarkozy à la Concorde: Y'a quelqu'un?