Fusillade de Fourmies
La fusillade de Fourmies est un évènement qui s'est déroulé le 1er mai 1891. Ce jour-là, la troupe met fin dans le sang à une manifestation pacifique d'ouvrier·ères clamant : « C'est les huit heures qu'il nous faut ! ». Le bilan est de dix morts (dont 2 enfants) et de 35 blessé-e-s. Cet événement fournit un écho national aux socialistes.
1 Contexte[modifier | modifier le wikicode]
Vieille cité industrielle du Nord de la France, la ville de Fourmies atteint son apogée industrielle et démographique à la fin du 19e siècle grâce au textile. Elle compte alors 15 000 habitants, en majorité des ouvriers. La distance la séparant de Paris n’est que de 200 km. Les journées des ouvriers étaient fréquemment de onze heures, le travail des filatures de laine très insalubre et dangereux, les patrons venaient de réduire les salaires. Et surtout la classe ouvrière se manifestait de plus en plus, à Fourmies comme partout ailleurs, ses organisations et sa conscience grandissant.
À plusieurs reprises, des grèves éclatent, en particulier le 1er mai. En effet, à la suite du massacre de Haymarket Square à Chicago, consécutif à une manifestation pour la journée de 8 heures, l'Internationale ouvrière décide de créer, en juillet 1889, une « journée internationale de revendication des travailleurs » le 1er mai.
Cette année 1891 à Fourmies, une série de grèves eurent lieu dans les filatures et furent créés les premiers syndicats et groupes du Parti Ouvrier. En avril, Paul Lafargue, un dirigeant socialiste, était venu faire des conférences à Fourmies et aux alentours, réunissant plusieurs centaines d'ouvriers et renforçant encore le moral de la poignée de militants locaux. Les socialistes guesdistes, bien implantés localement, appelaient à la grève générale et à la manifestation le 1er mai. L'appel publié par le Parti Ouvrier en avril affirmait :
« Le 1er mai, les frontières se trouveront effacées et dans l'univers entier on verra uni ce qui doit être uni, et séparé ce qui doit être séparé : d'un côté les producteurs de toute richesse, que sous couleur de patriotisme on cherche à jeter les uns contre les autres ; de l'autre les exploiteurs de tout ordre. »
2 La manifestation fusillée[modifier | modifier le wikicode]
La veille, 30 avril, pour montrer leur opposition aux revendications, les patrons font apposer sur les murs de Fourmies, une affiche affirmant leur détermination à ne pas faire de concessions. Sous leur impulsion, le maire de la ville demande l’envoi de deux compagnies d’infanterie du 145e régiment de ligne au sous-préfet d’Avesnes.
Les organisateurs du Parti Ouvrier prévoyaient explicitement une manifestation pacifique et festive. Il était prévu qu'à 10 heures, les ouvriers aillent porter leurs revendications à la mairie, des festivités l'après-midi et un bal en soirée. Le programme établi par Hippolyte Culine, animateur local du Parti ouvrier, se conclut par :
« Le plus grand calme est recommandé ; pas de tumulte, pas de récriminations personnelles. Le Parti Ouvrier veut le droit et la justice, et en demandant le respect de lui-même, il compte sur le respect moral de chacun pour faire aboutir par la raison, ses justes revendications. »
La grève du 1er mai 1891 fut quasi générale dans les filatures de la ville.
À 9 heures, après une échauffourée avec les gendarmes à cheval, quatre manifestants sont arrêtés. Des renforts sont demandés à la sous-préfecture qui envoie deux compagnies du 145e de ligne caserné à Maubeuge. Le 84e RI d'Avesnes est déjà sur place.
Dès lors le premier slogan, « c'est les huit heures qu'il nous faut », est suivi par « c'est nos frères qu'il nous faut ».
18 h 15 : 150 à 200 manifestants arrivent sur la place et font face aux 300 soldats équipés du nouveau fusil Lebel qui contient 9 balles (une dans le canon et huit en magasin) de calibre 8 mm. Ces balles peuvent, quand la distance n'excède pas 100 mètres, traverser trois corps humains sans perdre d'efficacité. Les cailloux volent ; la foule pousse. Pour se libérer, le commandant Chapus fait tirer en l'air. Rien ne change.
Il crie : « Baïonnette ! En avant ! »
Collés contre la foule, les trente soldats, pour exécuter l'ordre, doivent faire un pas en arrière. Ce geste est pris par les jeunes manifestants pour une première victoire. Kléber Giloteaux, leur porte drapeau s'avance.
Il est presque 18 h 25... le commandant Chapus s'écrie : « Feu ! feu ! feu rapide ! Visez le porte-drapeau ! ».
Bilan : neuf morts, trente cinq blessés (au moins) en quarante cinq secondes.
Paul Lafargue décrit ainsi l'événement :
« Alors, les soldats, sans avoir été provoqués par la foule, sans avoir fait les trois sommations réglementaires, tirèrent. La boucherie aurait duré encore longtemps si le curé catholique Margerin, n'était pas sorti de la maison et n'avait pas crié : "Assez de victimes." Neuf enfants étaient couchés sur la place, un homme de 30 ans, 2 jeunes gens de 20 ans, 2 enfants de 11 et 12 ans et quatre jeunes filles de 17 à 20 ans. »
L'historien Edouard Dolléans raconte :
« le 1er mai 1891 reste une date inoubliable : c’est l’affreuse journée de Fourmies. La population ouvrière avait coutume de fêter le Mai fleuri qu’on allait cueillir, puis planter sur la place où l’on dansait, selon les traditions de la région : les ouvriers se proposaient de fêter le renouveau par une matinée théâtrale et un bal. Les industriels avaient refusé de fermer les usines ce jour-là et ils avaient demandé au gouvernement d’envoyer deux compagnies d’infanterie et des renforts de gendarmerie. Dans l’après-midi, sur la place de l’église, des enfants, des jeunes gens et des jeunes filles s’avancent, curieux de voir les soldats. En tête, une jeune fille de 18 ans, Marie Blondeau, tenant en chantant une branche de gui au-dessus de sa tête. Le commandant ordonne de tirer. Ainsi que d’autres, Marie Blondeau tombe sous les balles ; elle a tout le haut du crâne emporté. Au bruit de la fusillade, l’abbé Margerin, accourt. Il emporte dans ses bras une jeune fille de 17 ans ; puis il s’avance vers la troupe et supplie le commandant Chapuis de cesser le feu : « Ah, je vous en conjure, ne tirez plus, voyez ces cadavres…» Et le commandant répond : «Je ne demande pas mieux » »
Dans ces conditions la fusillade, loin de briser le moral des ouvriers comme l'escomptaient les patrons, les jeta dans la grève. Le 4 mai, des milliers d'ouvriers, venus à pied de toutes les communes environnantes, convergèrent vers Fourmies pour les funérailles. Ce jour-là le drapeau rouge fut arboré pour la première fois dans les rues de la ville.
La grève continua encore quelques jours, dans une ville mise en état de siège par l'armée. Les travailleurs, encore mal organisés, reprirent atelier par atelier sans avoir rien obtenu. Rien, sauf le plus important : la conscience de classe, qu'ils manifestèrent en adhérant dès lors en grand nombre au syndicat et au Parti Ouvrier. La journée internationale de lutte du prolétariat, au-delà des revendications immédiates des travailleurs, au premier rang desquelles les huit heures, était à cette époque une démonstration politique de l'Internationale ouvrière et de ses partis.
3 L'impact de la fusillade[modifier | modifier le wikicode]
3.1 Suites pénales[modifier | modifier le wikicode]
Le gouvernement républicain ne trouva rien à redire à l'officier qui avait commandé le feu, au sous-préfet qui lui avait tenu la main et au patronat local qui avait exigé que des troupes fussent envoyées à Fourmies. En revanche Culine, le fondateur du Parti Ouvrier et des syndicats à Fourmies, et Lafargue, l'orateur socialiste, furent arrêtés et condamnés respectivement à six ans et un an de prison pour incitation à l'émeute. Toutefois, Lafargue fut libéré de façon anticipée, après son élection comme député, en novembre 1891.
3.2 Médias[modifier | modifier le wikicode]
Le massacre souleva une vague d'indignation et eut un fort retentissement en France car de nombreux journaux de l’époque le mettent en première page, retenant surtout l’aspect tragique. Certains comme le Voleur illustré, soulignent le rôle de l’abbé Margerin qui s’interposa durant la fusillade.
3.3 A l'Assemblée[modifier | modifier le wikicode]
Georges Clemenceau prononce un discours à la tribune de la Chambre, le 8 mai 1891 où il rend hommage aux victimes : « Ces femmes et ces enfants dont le sang a pour si longtemps rougi le pavé. [...] Il y a quelque part, sur le pavé de Fourmies, une tache innocente qu’il faut laver à tout prix… Prenez garde ! Les morts sont des grands convertisseurs, il faut s’occuper des morts. » Puis il plaide pour l'amnistie : « Monsieur le président du conseil [Charles de Freycinet], vous avez refusé l'enquête. [...] Il me semble que la conséquence nécessaire du refus de l'enquête, c'était la proclamation de l'amnistie. » Il refuse de voter contre le gouvernement mais le passage à la discussion des quatre propositions d'amnistie est rejeté par 294 députés contre 191. Ce discours est resté fameux, en outre, car Clemenceau y évoque la révolution à venir : « C'est le Quatrième État qui s'est levé ».
3.4 Dans le mouvement ouvrier[modifier | modifier le wikicode]
Jean Jaurès prononce un discours peu de temps après la fusillade.
Le socialiste Ernest Roche fera aussi un récit des événements.
Cet épisode contribua au progrès du socialisme en France et fut un événement fondateur de la Section française de l'Internationale ouvrière (SFIO).
Les actions anarchistes de Ravachol en mars 1892 sont entre autres inspirées par la fusillade de Fourmies et le jugement de l'affaire de Clichy.
Des journaux comme la Croix du Nord s'emparent de l’évènement pour justifier un socialisme chrétien.
3.5 Chez les réactionnaires[modifier | modifier le wikicode]
La tragédie fait aussi germer des hypothèses de toutes sortes comme celle de l’écrivain antisémite Édouard Drumont dans Le Secret de Fourmies (1892), qui accuse le sous-préfet juif Issac.
Certains ex-boulangistes et quelques bonapartistes l'utilisent pour décrédibiliser le parlementarisme, les députés par leur mesures notamment l'éducation laïque et obligatoire, qui serait à l'origine de revendications comme celles de Fourmies.
4 Commémoration[modifier | modifier le wikicode]
4.1 Mémorial[modifier | modifier le wikicode]
Il fallut douze années pour obtenir l'autorisation d'ériger un monument en mémoire des fusillés de Fourmies. Le 3 mai 1903, jour de l'inauguration, des milliers de travailleurs vinrent rendre hommage aux leurs. Tous les partis de l'Internationale étaient représentés. Le journal « Le Socialiste », organe central du Parti Socialiste, rapporte ainsi l'intervention de Vaillant, ancien communard et dirigeant socialiste : il « rappela les massacres accomplis par les bourgeois depuis les journées de juin 1848 et la Commune. Contre la puissance que donne à la classe dominante le pouvoir politique, l'organisation ouvrière ne suffit pas. Il faut que le prolétariat s'empare de ce pouvoir pour en user dans son intérêt. »
4.2 Les mort-e-s[modifier | modifier le wikicode]
- Maria Blondeau, 18 ans
- Louise Hublet, 20 ans
- Ernestine Diot, 17 ans
- Félicie Tonnelier, 16 ans
- Kléber Giloteaux, 19 ans
- Charles Leroy, 20 ans
- Émile Ségaux, 30 ans
- Gustave Pestiaux, 14 ans
- Émile Cornaille, 11 ans
- Camille Latour, 46 ans (décède des suites de ses blessures le lendemain)
4.3 Chanson populaire[modifier | modifier le wikicode]
Dans la commune, c'était fête Sans craindre la menace Quand, aveuglé par la colère Alors, plein de tendresse |
Pendant la fête, sur la place Enfants aux lèvres roses À flots le sang rougit la terre Français, nous sommes frères |
4.4 Chanson contemporaine[modifier | modifier le wikicode]
Le groupe montpelliérain Mauresca rend hommage aux manifestants tués et à la lutte ouvrière dans sa chanson (en occitan et français) Maria Blondeau dans l'album Cooperativa.
5 Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]
5.1 Articles[modifier | modifier le wikicode]
- Lutte ouvrière, Le 1er mai 1891 : La fusillade de Fourmies
- Académie de Lille, La fusillade de Fourmies
- Alain Delfosse, La fusillade de Fourmies
5.2 Ouvrages généraux[modifier | modifier le wikicode]
- La Part du rêve - Histoire du 1er mai en France ; Danielle Tartakowsky ; Hachette (2005) (ISBN 2-01-235771-7)
- Histoire du mouvement ouvrier ** 1871-1920. Edouard Dolléans. Page 36. Armand Colin. 1967
5.3 Ouvrages spécialisés[modifier | modifier le wikicode]
- La Fusillade De Fourmies : premier mai 1891 ; André Pierrard, Jean-Louis Chappat ; Paris : Maxima (1991) (ISBN 2-84003-000-4)
- Fourmies et les premier mai ; Colloque Fourmies 1891/1991 (1991), Madeleine Rebérioux ; De l'Atelier (1994) (ISBN 2-7082-3077-8)