État ouvrier bureaucratiquement déformé
La notion d'État ouvrier bureaucratiquement déformé est utilisée par divers courants trotskistes pour désigner certains États, généralement les "démocraties populaires" de l'ancien Bloc de l'Est.
1 Caractéristiques[modifier | modifier le wikicode]
Cette notion désigne un État qui aurait été dès sa naissance déformé par la bureaucratie stalinienne qui l'a mise en place. Il est néanmoins qualifié d'État ouvrier, parce que la bourgeoisie y a été expropriée et l'économie planifiée.
C'est la thèse qu'a défendu notamment le Secrétariat unifié de la Quatrième internationale.
2 Positions historiques[modifier | modifier le wikicode]
2.1 Trotski[modifier | modifier le wikicode]
Les controverses ont émergé après la Seconde guerre mondiale, donc après la mort de Trotski (1940).
En 1939, l'URSS s'empare de territoires en Pologne, et la bourgeoisie y est expropriée. Trotski explique que cette expropriation est progressiste, même si elle se fait militairement et bureaucratiquement. Le raisonnement de Trotski le pousse à considérer (implicitement) cet État comme un État ouvrier dirigé bureaucratiquement à son tour, bien que la révolution prolétarienne n'ait pas pu dégénérer puisqu'il n'y en a pas eu.
2.2 Quatrième internationale[modifier | modifier le wikicode]
D'importants débats avaient lieu sur la nature des pays du "glacis" d'Europe de l'Est. Jusqu'en 1951, la Quatrième internationale (QI) a affirmé qu'ils étaient restés capitalistes, tout en maintenant la position que la Russie était un État ouvrier dégénéré. A cette époque, les débats sur le capitalisme d'État n'étaient pas aussi iconoclastes qu'ils ont pu le paraître par la suite.
Au 2e congrès mondial (avril-mai 1948), une minorité du SWP états-unien, conduite par Joseph Hansen, soutient que ces pays sont des États ouvriers déformés.[1] La majorité soutient qu'il s'agit encore d'États capitalistes, en voie d'assimilation structurelle à l'URSS.
Un leader de la QI, Ernest Mandel (sous le pseudonyme de «Germain») a déclaré que l'idée que la Russie et les glacis étaient capitalistes, ou l'idée que la Russie et les glacis étaient des États ouvriers, étaient toutes les deux évidemment fausses et n'avaient aucune place dans l'Internationale. Cependant, quelques mois plus tard il se rallia à la position que les pays d'Europe de l'Est étaient devenus des États ouvriers déformés.
Le 3e congrès mondial (1951) adopte finalement la caractérisation de Hansen. A ce moment-là, quasiment toute propriété privée a disparu dans les pays du glacis. Cette adoption impliquait normalement une position de défense de la propriété étatique des moyens de production, en même temps que la lutte contre la bureaucratie stalinienne. Il s'y ajoutait la question nationale, de l'oppression russe sur ces pays.
Mais en 1953, la direction autour de Pablo choisit, en même temps que son tournant vers l'entrisme sui generis dans les partis staliniens, de réduire l'envergure des mots d'ordre. Ainsi, la revendication de « républiques socialistes indépendantes » pour l'Ukraine, la Bulgarie, la Pologne, la Roumanie, la Hongrie et la Tchécoslovaquie, est retirée d'une déclaration programmatique.[2]
2.3 SWP des États-Unis[modifier | modifier le wikicode]
Dès les années 1940, un clivage apparaît dans la Quatrième internationale, entre le SWP des États-Unis et les "pablistes", à propos des révolutions yougoslave puis chinoise. Ces derniers considèrent qu'il y a objectivement "transcroissance de la lutte de libération nationale en révolution socialiste", sans nécessité d'un parti révolutionnaire. Le SWP s'oppose à cette conception.
2.4 Lutte ouvrière[modifier | modifier le wikicode]
Voix ouvrière, le courant qui allait donner naissance à Lutte ouvrière fit une critique similaire à celle du SWP des États-Unis.
Lutte ouvrière reproche à cette thèse d'assimiler abusivement ces États à des États ouvriers, alors que ceux-ci ne sont pas issus d'une révolution prolétarienne comme l'URSS - le seul État ouvrier, certes dégénéré.[3] Pour LO, les "démocraties populaires", y compris la Yougoslavie titiste, tout comme la Chine maoïste, sont des États bourgeois. LO reconnaît que l'économie y a été nationalisée, mais rétorque que nombre d'États bourgeois ont nationalisé à tour de bras dans des circonstances particulières, comme la Première guerre mondiale. Et précisément, c'est à l'occasion de la Seconde guerre mondiale que l'essentiel de la faible industrie des pays d'Europe centrale et orientale a été nationalisé par les nazis. LO admet qu'il n'y a pas réellement de bourgeoisie dans ces pays (par exemple l'Europe de l'Est ou la Chine des années 1960) mais considère que l'État agit pour protéger "les chances d’un retour au bercail du marché capitaliste".
Voix ouvrière parlait "d'État bourgeois sans bourgeoisie".
2.5 OCI[modifier | modifier le wikicode]
L'Organisation communiste internationaliste (OCI), dit courant lambertiste, applique à ces pays la même notion d'État ouvrier dégnéré que Trotski. Elle soutenait que dans ces pays (Cuba, Europe de l'Est...) des soulèvement ouvriers ont eu lieu, permet de parler d'État ouvrier ayant dégénéré.
3 Exemples (selon les courants trotskistes)[modifier | modifier le wikicode]
3.1 Europe de l'Est[modifier | modifier le wikicode]
La nature des États d'Europe de l'Est jusqu'à la restauration de l'économie de marché en 1989 est sujette à controverse.
La Yougoslavie est souvent considérée comme un cas particulier.
3.2 Cuba[modifier | modifier le wikicode]
Controverse sur la nature de l'État issu de la révolution cubaine de 1959.
3.3 Corée du Nord[modifier | modifier le wikicode]
Controverse sur la nature de l'État issu de la guerre de Corée, dans le Nord du pays.
3.4 Chine[modifier | modifier le wikicode]
Au début du 19ème siècle, la Chine est un pays dominé par les impérialismes occidentaux, puis également par l'impérialisme japonais. L'État chinois, d'abord féodal, se voit affaibli par la révolution bourgeoise de 1911, qui ne parvient pas à créer un État bourgeois central. La controverse entre courants issus du trotskisme porte sur la nature de l'État chinois après la révolution maoïste de 1949.
4 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]
Lutte ouvrière, LES DÉMOCRATIES POPULAIRES sont-elles des Etats SOCIALISTES ? Ce que signifie leur évolution actuelle vers la «libéralisation», janvier 1966.
- ↑ Joseph Hansen, The Problem Of Eastern Europe, December 1949
- ↑ Socialist Workers Party, Against Pabloist Revisionism, 1953
- ↑ Lutte ouvrière, L'étatisation et la planification sont-ils des critères de classe d'un État ?, Lutte de Classe n°9 - novembre 1967