Vote des travailleurs

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"The Georgetown Election - The Negro at the Ballot Box" by Thomas Nast - Harper's Weekly - March 16, 1867

Le vote des travailleur·ses, ou "vote ouvrier" est un reflet indirect de leur conscience de classe.

1 Généralités[modifier | modifier le wikicode]

Les élections sous la démocratie bourgeoise moderne ont une caractéristique : elles sont un reflet déformé de la lutte des classes et de la conscience de classe. C'est assez flagrant du côté de la bourgeoisie qui vote en majorité pour les candidats de droite, et c'est plus indirect au sein du prolétariat, où les idéologies dominantes engendrent de fortes distorsions et poussent la majorité à voter pour leurs intérêts de leurs exploiteurs. Le vote des travailleurs pour des partis plus ou moins socialistes, voire pour des révolutionnaires, indique pour partie la conscience de classe moyenne. Une des distorsions majeures entre la lutte de classe et le vote est l'abstention. En effet, puisque celle-ci tend à être plus élevée parmi les travailleurs les plus jeunes et les plus pauvres, notamment les immigrés, elle affecte bien plus le vote pour les partis ouvriers que pour les partis bourgeois.

Les sociologues ont montré que l'on vote le plus souvent de façon en fonction de son réseau, et cela est vrai en particulier des travailleur-se-s. Les discussions sur les lieux de travail, où l'on passe le plus clair de son temps, sont déterminantes. Cela permet de comprendre pourquoi les expériences de la lutte des classes, vécues par les travailleur-se-s, peuvent se traduire en changements rapide du vote ouvrier.[1]

2 Historique[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Commune de Paris de 1871[modifier | modifier le wikicode]

Entre les élections du 8 février et celles du 26 mars, on passe de 9% d'élus révolutionnaires à 100%. Une telle transformation est le fruit d'une révolution sociale qui transforme les rapports sociaux et aiguise la conscience de classe, et qui ne pourrait jamais découler d'un processus "normal" de campagne électorale dominée (matériellement, idéologiquement, médiatiquement...) par la bourgeoisie.

La participation, de 50% en moyenne, masque en fait le fait que c'est une élection parmi le prolétariat uniquement : 76% de participation dans le 20e arrondissement, autour de 25% dans les arrondissements de l'Ouest désertés.

2.2 Révolution russe de 1917[modifier | modifier le wikicode]

Trotski témoigne de l'attention que portait Lénine aux résultats électoraux, pour évaluer l'évolution des rapports de forces, sans jamais perdre de vue que c'était toujours un indicateur déformé.

« Lenine compulse très attentivement toute les élections dans le pays, recueillant soigneusement les chiffres qui peuvent jeter quelque lumière sur le réel rapport des forces. L'indifférence à demi anarchique à l'égard de la statistique électorale ne rencontrait de sa part que du mépris. En même temps, Lenine n'identifiait jamais les indices du parlementarisme aux réels rapports de forces : il apportait toujours un correctif pour l'action directe. »[2]

2.3 Après-guerre[modifier | modifier le wikicode]

Dans l'après-guerre, le mouvement ouvrier est globalement organisé et puissant, malgré sa domination par les forces staliniennes et social-démocrates. En France, le PCF et le PS se partagent l'essentiel du vote ouvrier : ceux-ci votent plus pour ces partis que la moyenne de l'électorat, de 15 à 20 points. Aux États-Unis, le mouvement ouvrier n'a revanche aucune indépendance, mais il est significatif que les travailleurs votent plus que la moyenne pour le Parti démocrate, qui est davantage en faveur de la redistribution.

2.4 Tournant néolibéral[modifier | modifier le wikicode]

Après les années 1970, ce vote ouvrier va se transformer rapidement. C'est le fruit, d'abord des nombreuses trahisons des réformistes et des staliniens (la chute de l'URSS venant s'y ajouter), puis de l'offensive néolibérale qui a beaucoup désorganisé, atomisé, démoralisé la classe laborieuse. Le vote pour les directions socialistes traditionnelles va s'éroder, remplacé en grande partie par l'abstention, et pour certaines franges par un vote pour l'extrême-droite. En 1973, 40% des ouvriers votaient pour le PCF ; en 2002 ils n'étaient plus que 4%.

Beaucoup de commentateurs parlent de "droitisation des couches populaires", en expliquant notamment que les ouvriers ou petits employés sont plus conservateurs sur les questions de mœurs, d'immigration ou d'environnement. C'est pourtant loin d'être généralisable, si l'on se souvient combien la bourgeoisie était réactionnaire au 19e siècle ou il y a seulement quelques décennies. En revanche, il est vrai que de nombreux partis de droite ou d'extrême droite ont su profiter de la déroute du mouvement ouvrier et de la dégradation sociale pour avancer leurs thèmes et diviser le prolétariat. Face à une gauche qui a trahi les espoirs d'émancipation du travail, la droite a beau jeu regagne assez facilement du terrain en prétendant que ses valeurs conservatrices sont un rempart contre la "décadence".

En France, les premiers pans de l'électorat ouvrier qui se radicalisent à l'extrême-droite dans les années 1980 sont ceux qui votaient déjà à droite. Il arrive, de façon plus rare, que certains ouvriers qui votaient PCF se retrouvent à voter FN, mais le plus souvent par étapes, en passant par le vote PS ou l'abstention. En 2007, les ouvriers sont pour la première fois plus nombreux à voter à droite (FN et UMP) qu'à gauche.

Aux États-Unis, cette évolution a été encore plus rapide et brutale, le parti démocrate abandonnant rapidement son électorat populaire. Les républicains, particulièrement depuis Reagan, ont eux réussi à récupérer une grande partie du vote ouvrier en désignant des boucs-émissaires ("étrangers latinos, criminels noirs, déviants homosexuels"...).

Écart de vote des ouvriers pour la "gauche" (PS / Démocrates) par rapport au reste de la population, en France et aux États-Unis

Les courants politiques de gauche qui, bien que réformistes, cherchent à remobiliser l'électorat populaire déçu, essaient de combattre l'abstention. Mélenchon par exemple : « Avec votre bulletin de vote, le plus misérable est l'égal du plus puissant. Ne renoncez jamais à cette dignité, parce que vous êtes le nombre, donc vous êtes la force »[3].

Aux élections législatives françaises de 2024, on constate qu'en terme de niveau de revenus, la gauche fait de meilleurs scores parmi ceux qui gagnent le moins, alors qu'elle a très peu de non diplômés dans son électorat. Ce qui signifie qu'elle fait de bons score parmi des travailleur·es qualifiés (voire surdiplômés) et parmi la petite-bourgeoisie intellectuelle ou artistique (qui gagne peu d'argent par rapport à la petite-bourgeoisie commerçante ou de professions libérales).[4]

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Un des résultats les plus commentés dans les médias est le fait que le vote RN est particulièrement fort dans le monde rural, alors que le vote NFP est fort dans les métropoles. Beaucoup d'analyses ont été faites sur cette opposition villes / campagnes (effet de repli individuel de l'habitat pavillonnaire, sentiment de déclassement de ceux qui sont en difficultés avec le crédit de leur maison et la hausse du coût de l'essence...). D’autres contestent, et soulignent que le facteur déterminant reste la catégorie sociale, et c’est uniquement parce que les métropoles concentrent CSP+ et racisé·es que le vote RN y est plus faible.

Par ailleurs, il faut souligner que la partie racisée des classes populaires (Noir·es et Arabes) vote principalement à gauche, et que c'est la partie objectivement la plus précaire du prolétariat, tandis que les classes populaires blanches sont économiquement un peu au dessus (ce sont plutôt des petits propriétaires par exemple), mais ont un sentiment de déclassement très fort.[5][6][7]

On peut également souligner qu'un nombre plus important de travailleur·ses sont des fonctionnaires dans les métropoles, par rapport aux zones rurales[8]. Et également qu'un certain nombre de fonctionnaires sont comptabilisé·es dans les professions intermédiaires[9] sans nécessaire être plus payé·es que certain·es employés ou ouvriers.

Enfin, les chômeur·ses ont tendance à voter pour le RN (40%), ou pour le NFP (37%).[4] Les travailleur·ses semblent également voter nettement plus pour le RN là où ils n'ont pas la possibilité de discuter avec la hiérarchie ou les syndicats de leur travail.[10]

3 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]