Capital fictif

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1 Définition[modifier | modifier le wikicode]

Dans la section V du livre III du Capital, Karl Marx utilise le concept de capital fictif pour désigner les titres financiers, notamment les titres de la dette publique et les actions. Autrement dit, le capital fictif regroupe l'ensemble des titres créés "à partir de rien" (ne reposant pas sur une production matérielle prééexistante) par des institutions financières, l'Etat, ou des entreprises.

Dans le cas des entreprises, ce "à partir de rien" est dans un premier temps néanmoins lié à un investissement : les entreprises qui veulent investir en finançant ces investissements sur me marché financier émettent des actions, qui sont des parts de la propriété des entreprises. Elles sont émises par ces dernières dans un premier temps sur le marché financier dit "primaire" (primaire dans le sens où il s'agit du marché sur lequel les actions sont échangées pour la première fois). Si les capitalistes financiers achètent ces actions nouvellement émises, l'entreprise dispose de liquidités qui lui permettent d'investir, par exemple en achetant des machines, payer de nouveaux salariés etc. Mais une fois que ces actions sont achetées sur le marché primaire, elles peuvent être mises en circulation sur le "marché secondaire", et ici, leur prix peut varier de façon déconnectée des profits réalisés par les entreprises, sans que cela n'est aucun impact réel :

"Lorsque les variations de valeur des titres fiduciaires sont indépendantes du mouvement de la valeur du capital réel auquel ils correspondent, elles n'affectent d'aucune manière la richesse du pays. [...] La nation ne perd pas un centime à ces hauts et bas d'un capital purement nominal, pour autant que la dépréciation des titres ne soit pas l'indice d'un arrêt de la production, d'un ralentissement du trafic sur les chemins de fer et les canaux, d'une interruption d'entreprises en cours ou d'un gaspillage de capitaux dans des affaires sans objet sérieux."

Karl Marx, Le Capital, Livre III, Section V

La majorité des échanges de titres se font sur le marché secondaire, qui est en réalité un marché inutile pour le développement des forces productives : c'est sur le marché secondaire que se déploie la spéculation financière.

Le caractère "fictif" de ce capital renvoie au fait que les titres financiers représentent du capital, mais qu'ils ne sont pas substantiellement du capital, car le capital "n'existe pas deux fois", comme l'explique Marx dans le livre III du Capital :

"Les papiers-valeurs sont les titres de propriété de ces capitaux fusionnés. Les actions de chemins de fer, de charbonnages, de sociétés de navigation représentent un capital réel, soit le capital engagé et fonctionnant dans ces entreprises, soit l’argent avancé par les participants pour y être dépensé comme capital (ce qui n'empêche évidemment pas qu'elles puissent également reposer sur la fraude). Mais ce capital n'existe pas deux fois, une fois comme capital dont la valeur réside dans les titres de propriété, dans les actions, et une fois comme capital engagé ou à engager réellement dans ces entreprises. Il existe sous cette dernière forme seulement, et l'action est simplement un titre de propriété donnant droit à une part proportionnelle de la plus-value qui sera réalisée dans l'entreprise. Peu importe que A vende son action à B et que celui-ci la cède à C; ces transactions n'auront d'autre conséquence que de permettre à A et B de transformer en capital leur titre de propriété et à C de convertir son capital en un titre de propriété lui donnant droit à une plus-value éventuelle à obtenir du capital des actions."

Karl Marx, Le Capital, Livre III, Section V


Comme le crédit bancaire, le rôle du capital fictif dans l'économie capitaliste est de "prévalider" le procès valorisation du capital afin d'amplifier le développement des forces productives et le marché mondial au-delà de ce qu'il est possible de faire avec la plus-value réellement extorquée par les capitalistes au terme d'un cycle de production. Par exemple, il serait impossible pour un Etat d'investir massivement dans de nouvelles infrastructures ferroviaires uniquement en augmentant les impôts sur les sociétés car cela nuirait à la compétitivité de celles-ci, il est donc obligé d’émettre des obligations (titres de dette), donc du capital fictif. Il en est de même pour une entreprise qui souhaite faire de lourds investissements en capital fixe (bâtiments, machines) qu'il n'est possible d'amortir que sur le long terme, et qui va émettre des actions faute de pouvoir auto-financer ces investissements avec les profits préalablement réalisés par l'exploitation de la force de travail.

En accordant achetant des titres sur les marchés financiers (actions, obligations), les capitalistes financiers s'attribuent des droits de tirage sur la plus-value qui sera réalisée dans le futur. Dans le cas des actions ce "tirage" est effectué au moyen du dividende, et dans le cas des obligations au moyens d'un intérêt. L'intérêt et le dividende, contrairement à l'action et l'obligation qu'ils rémunèrent, peuvent être des flux de valeur réelle et non fictive : l'entreprise peut payer les dividendes de ses actions avec des profits réellement extorqués sur l'exploitation de la force de travail, et l’État payer ses intérêts sur obligations en augmentant les impôts sur les profits des capitalistes ou sur les revenus des travailleurs, le dernier cas étant beaucoup plus fréquent. En cela, ils font un pari sur le futur. Mais en installant ainsi l'idée confortable et chimérique d'une séparation entre procès de valorisation et exploitation du travail, le capitalisme favorise les phénomènes de spéculation financière : d'une part, les capitalistes financiers fétichisent la monnaie en croyant pouvoir faire du profit sans passer par la production de marchandises, en croyant que le capital peut s'auto-fructifier. D'autre part, la spéculation financière devient un refuge pour les capitalistes lorsque les taux de profits dans la sphère productive sont trop bas.

Il existe des acceptions plus larges de la notion de capital fictif, comme par exemple celle de Cédric Durand (2014) qui y intègre la monnaie de crédit. Mais chez Marx, tout capital "non-réalisé" (c'est-à-dire qui n'a pas encore été valorisé par un profit réel) n'est pas forcément du capital fictif. Il semble que Marx restreigne la notion de capital fictif aux titres financiers.

1.1 Références[modifier | modifier le wikicode]

Cédric Durand. Le capital fictif. Comment la finance s'approprie notre avenir, Les Prairies Ordinaires, Paris, 2014.