Opposition unifiée
L'Opposition unifiée (parfois aussi appelée Opposition conjointe) était un groupe formé en 1926 dans le Parti communiste de l'Union soviétique (PCUS), par Trotski, Kamenev et Zinoviev en opposition à Staline. Elle exigeait, entre autres, une plus grande liberté d'expression au sein du parti.
1 Historique[modifier | modifier le wikicode]
1.1 Contexte de bureaucratisation[modifier | modifier le wikicode]
Assez vite après la Révolution d'Octobre 1917, la démocratie soviétique s'affaiblit, au profit de mécanismes bureaucratiques dans l'État et dans le Parti communiste (bolchévik). L'analyse du rythme et des causes de cette bureaucratisation diffèrent en fonction des courants de gauche. Un certain nombre de « communistes de gauche » forment des oppositions dans le Parti dès 1918. Jusqu'en 1923, Lénine et Trotski se retrouvent (avec des nuances) d'accord sur les principales questions. Pour eux, les oppositions de la période 1918-1923 étaient donc soit des gauchismes, soit des déviations petite-bourgeoises.
Vers 1920, la direction autour de Lénine commence à considérer que le fractionnisme menace l'unité du parti, dans le contexte très difficile de la guerre civile et des difficultés économiques et sociales qui provoquent de la contestation ouvrière et paysanne. Le 10e congrès de mars 1921 décidera l'interdiction des fractions dans le parti, à une large majorité. L'Opposition ouvrière, la principale fraction, l'accepte avec quelques compromis.
1.2 L'Opposition de gauche et la Troïka (1923-1925)[modifier | modifier le wikicode]
Trotski commence à critiquer le bureaucratisme du Parti fin 1923. Il se fait exclure du Politburo par les partisans de Staline, et forme l'Opposition de gauche. A ce moment-là, Zinoviev et Kamenev (d'importants dirigeants bolchéviks) font bloc avec Staline (« la troïka »). Staline se méfiait extrêmement de Trotski en qui il voyait le principal risque pour sa domination. Celui-ci était un brillant orateur et intellectuel, et avait acquis un grand prestige en dirigeant l'Armée rouge pendant la guerre civile.
Lénine, gravement malade, est incapable de prendre part à ces grands conflits qui s'annoncent. Pourtant Lénine a cherché à faire écarter Staline du poste de Secrétaire général juste avant de mourir. Son Testament témoigne notamment de ses inquiétudes.
De son côté, Trotski n'a au début pas réellement pris conscience du danger preprésenté par Staline. Le clivage « droite-gauche » sur les questions économiques primait à ses yeux, ce qui plaçait Staline au centre et Boukharine à droite. Jusqu'en 1926 il cherche avant tout à défendre les idées propres à l'Opposition de gauche (sur l'économie, l'internationale...), et ne cherche pas vraiment à nouer d'alliance avec d'autres secteurs. Souvent absent ou malade pendant cette période clé, mauvais tacticien selon certains, Trotski ne parvient pas à avoir dans les sphères dirigeantes du parti une influence comparable à celle qu'il a dans la base.
1.3 L'Opposition unifiée[modifier | modifier le wikicode]
Après 3 ans d'affrontements entre eux, Zinoviev, Kamenev et Trotski reconnaissent avoir un intérêt commun à faire face à Staline. L'initiative du regroupement a été proposée par le « Groupe des 15 » autour de Vladimir Smirnov, qui affirmait que l'Union Soviétique n'était plus un État ouvrier. Ce nouveau bloc commence à recruter des partisans en secret au printemps 1926. De nombreux anciens partisans de l'Opposition ouvrière se rallient. Mais très vite, le groupe de Smirnov se sépare, en raison des grands désaccords qui les séparent des partisans de Kamenev et de Zinoviev.
Les dirigeants de l'Opposition unifiée rédigent alors la « Déclaration des 13 » pour affronter la direction du parti au Plenum du Comité central des 14-23 juillet 1926. Leurs principales revendications étaient les suivantes :
- Tenir le « parti du prolétariat » à l'écart de la bureaucratie gouvernementale, qui écrasait de plus en plus toute dissidence et appliquait une politique économique éloignée de la volonté du prolétariat.
- Accélérer l'industrialisation du pays et mettre fin en l'enrichissement des koulaks depuis le lancement de la NEP.
- Remettre l'internationalisme révolutionnaire au centre, en opposition au « socialisme dans un seul pays » qu'avançait Staline.
Mais ils sont une petite minorité lors du Plenum, et Staline déchaîne ses accusations de conspirations contre le parti. Zinoviev, particulièrement visé, est exclu du Politburo. Il est remplacé par un partisan de Staline, et 5 autres staliniens entrent au Politburo.
Kamenev est particulièrement optimiste, il dit alors à Trotski : « Il suffit que vous vous montriez avec Zinoviev sur une même tribune : le parti trouvera aussitôt son véritable comité central ». En septembre, l'Opposition décide de solliciter l'appui des groupes de base dans les provinces. Cela semble alors une arme de poids : Kamenev est le dirigeant des instances de Moscou, Zinoviev dirige Petrograd. Mais il apparaît bien vite que le lien avec les ouvriers des deux capitales est distendu, et qu'après des années de démoralisation et de substitutisme, il ne suffit plus de quelques discours à ces leaders qui étaient habitués à se faire ovationner pendant la révolution.
Sous le feu d'une violence campagne de la direction stalinienne, les dirigeants de l'Opposition unifiée décident de se désolidariser du soutien reçu de la direction de l'Internationale (alors dirigée par Zinoviev) et de l'Opposition ouvrière. Ces derniers seront durablement déçus et beaucoup laisseront tomber l'Opposition unifiée.
En octobre, la confrontation s'intensifie. Le Testament de Lénine est publié à l'étranger, et Staline annonce qu'il compte en finir avec l'Opposition. A la fin du mois, lors d'une réunion très tendue du Politburo, Trotski accuse Staline d'être le fossoyeur de la révolution. Le lendemain, Trotski et Kamenev sont exclus du Politburo et Zinoviev est exclu de la présidence de l'Internationale.
Enfin, lors d'une Conférence du parti entre le 26 octobre et le 3 novembre, Staline présente son rapport chargé de calomnies, et l'Opposition n'est pas autorisée à défendre sa position. Mais la direction montrait néanmoins une certaine nervosité, manifestée par l'extrême dureté des attaques et par l'effort volontariste pour s'assurer de remplir la salle avec ses propres fidèles.
Lors de la réunion de l'Internationale en décembre 1927, Staline et ses partisans parviennent à faire exclure les partisans de l'Opposition, et à faire remanier les directions de plusieurs partis communistes comme le KPD et le PCF.
En avril 1927, le massacre des communistes à Shanghai par les nationalistes a montré l'échec de la politique de front suicidaire menée par la direction stalinienne de l'Internationale. L'Opposition s'est servie de cet exemple pour raviver les critiques. Néanmoins, la défaite de la révolution chinoise de 1925-1927 a été globalement néfaste sur le rapport de force en URSS, par ses effets objectifs de démoralisation des éléments révolutionnaires du parti bolchévik. En mai 1927, l'Opposition dénonce aussi le risque de guerre avec la Grande-Bretagne suite à la rupture des relations diplomatiques. Vers le milieu de l'année 1927, beaucoup de partisans de Kamenev et de Zinoviev se rallient à Staline.
A l'approche du dixième anniversaire de la Révolution d'Octobre, l'affrontement entre Trotski et Staline atteint son comble. Le politburo interdit la publication d'un manifeste de l'Opposition, interdiction que celle-ci enfreint en septembre.
Fin octobre Trotski fait une critique très dur de la direction, sa dernière en tant que membre de ce parti. Le débat aborde à nouveau la question du Testament de Lénine. Staline assume totalement sa politique de persécution de l'Opposition et affirme qu'il ira jusqu'au bout, accusant celle-ci de miner le parti et l'Etat.
Finalement, l'Opposition parvient à organiser une manifestation commémorative de la Révolution sur la Place Rouge, avec notamment la veuve de Lénine, Nadejda Kroupskaïa. Cependant, elle n'a le soutien que d'une petite minorité du parti, et subit la répression de la police. Une semaine plus tard, Trotski et Zinoviev sont exclus du parti.
Pendant le 15e Congrès du Parti (2-19 décembre 1927), une centaine de communistes sont encore exclus. Zinoviev et Kamenev demandent leur réadmission, et sont contraints de renoncer à leur position antérieure, d'attendre encore 6 mois, puis de réaffirmer leur autocritique, avant d'être réintégrés. Une vague de 500 000 exclusions dans la base du parti suivront.
Certains proches de Zinoviev-Kamenev (dits "groupe sans leader") refusèrent de suivre ces derniers dans leur ralliement à Staline. Lorsque l'un d'eux leur reprocha d'avoir laissé tomber leur allié Trotski, Kamenev répondit : « Nous avions besoin de Trotski pour gouverner. Pour rentrer dans le parti, il est un poids mort ».[1] Selon Rakovski, Zinoviev-Kamenev s'étaient alliés à l'Opposition de 1923 avant tout dans l'espoir de prendre rapidement le pouvoir, et avaient déchanté en voyant qu'ils ne suffisait plus de faire des discours pour être ovationnés par les masses.
Lors du Plénum du Comité central qui suit l'exclusion de l'Opposition, Staline se déclare dans une mise en scène prêt à démissionner du poste de Secrétaire général, en accord avec ce qu'écrivait Lénine dans son Testament. Le Comité central rejette quasi-unanimement la proposition...
Trotski, quant à lui, refuse d'abjurer sa critique de la direction. En janvier 1928, le GPU vient l'arrêter à son appartement au Kremlin et l'envoie secrètement à Alma-Ata (dans l'actuel Kazakhstan).
2 Conséquences et suites[modifier | modifier le wikicode]
La défaite politique de l'Opposition unifiée a marqué la fin de toute opposition légale à la direction du parti. A partir de ce moment-là, toutes les tendances ou sensibilités distinctes de Staline sera appelée du « déviationnisme ». C'est notamment ce qui est arrivé à Boukharine et à ses proches, qui s'étaient alliés à Staline, et qui furent aussitôt sur la sellette, qualifiée « d'Opposition de droite ».
Trotski, exilé, sera autorisé à quitter l'URSS. A l'étranger, il continuera à tenter d'organiser l'Opposition de gauche internationale, tentant de redresser l'Internationale communiste de l'intérieur à l'aide de ses partisans dans les PC. Mais la répression s'accentuera toujours plus sur les trotskistes, rendant la tâche impossible.
Le 25 août 1936, Kamenev et Zinoviev seront exécutés par Staline lors des Grandes purges. En 1940, la plupart des anciens partisans de l'Opposition unifiée, qu'ils l'aient depuis répudiée ou non, avaient été exécutés sur ordre de Staline. Plus généralement, c'est la quasi-totalité des « Vieux bolchéviks » que Staline a éliminé.
Malgré diverses tentatives de rapprochement, l'Opposition de Gauche Internationale et le « Groupe des 15 » de Smirnov ne se sont jamais entendus sur une plate-forme politique commune.
3 Notes[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ Christian Rakovski, Les dangers professionnels du pouvoir, 6 août 1928