Défaitisme et défensisme

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Dans le champ politique, le défaitisme est la position d'accepter ou de rechercher la défaite militaire de son pays. Elle s'oppose au défensisme.

Le défaitisme révolutionnaire est une politique prônée par Lénine pendant la Première guerre mondiale, et qui a fait l'objet de débats importants.

Les défensistes russes étaient appelés oborontsi (« défenseurs » en russe).

1 Historique[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Chez Marx et Engels[modifier | modifier le wikicode]

Marx et Engels n'ont pas adopté de positions systématiques lors des guerres de leur époque. Lors de chaque conflit, ils cherchaient à évaluer le camp dont la victoire serait la plus avantageuse pour la classe ouvrière.

Ils estimaient que la victoire des bourgeoisies sur les classes précapitalistes étaient progressiste, parce qu'elle allait dans le sens de l'histoire, celui de développement du capitaliste et de la classe ouvrière, rapprochant le temps de la révolution prolétarienne. Ils considéraient que le prolétariat, tout en s'organisant et en combattant pour son propre compte, devait être leur allié.

« Mon plus grand désir est que la Prusse se fasse bien battre, il y aurait alors une révolution à Berlin » Engels, 2 avril 1866

Marx et Engels considéraient la Russie comme la «plus grande réserve de la réaction», le centre de la contre-révolution en Europe. Ils se prononçaient donc d'abord «contre le tsarisme», pilier de la Sainte Alliance de 1815, gendarme de l'Europe, et à partir de là, contre les petits mouvements nationaux que le tsarisme utilisait contre la démocratie. En 1848, ils prônaient la guerre révolutionnaire de la démocratie contre le tsarisme. « Renverser le tsarisme », « supprimer ce cauchemar ».

Plus tard, deux ouvrages d'Engels, Le socialisme en Allemagne (1891) et La politique étrangère du tsarisme (1890), reprennent cette idée. Engels croit à de grandes luttes révolutionnaires prochaines en Occident et est certain que tous les gouvernements européens n'hésiteront pas à se jetter dans les bras du tsarisme pour restaurer l'ordre.

1.2 Dans la Deuxième internationale[modifier | modifier le wikicode]

En 1870, lorsque Napoléon III attaque l'Allemagne, Engels considère qu'il faut défendre les intérêts nationaux de l'Allemagne contre l'Empire français, car l'unification de la nation allemande est progressiste. Mais dès que les armées prusiennes contre-attaquent et font chuter l'Empire français, Engels considère qu'il faut défendre la France.

Lorsque éclate la guerre russo-japonaise (1904), toute l'Internationale, comme d'ailleurs une bonne partie de la bourgeoisie russe, souhaita la défaite de la Russie dont elle espérait que sortiraient des changements révolutionnaires. Lénine se prononça sans ambiguïté pour la victoire du Japon en tant qu'incarnation du progrès capitaliste face à la réaction tsariste. Le 14 janvier 1905, il se félicita de la chute de Port-Arthur : c'est l'Asie «progressiste» qui vient de porter à la vieille Europe «réactionnaire» un coup irréparable. Et cela alors même qu'il considère les deux pays comme impérialistes[1].

Dans les années qui précèdent la première guerre mondiale, la social-démocratie caractérise la guerre qui menaçait en Europe comme « impérialiste », notamment aux congrès de Stuttgart et de Bâle. Par conséquent cette guerre est jugée réactionnaire quel que soit le camp qui la mène. Les dirigeants socialistes voulaient sans doute réellement empêcher la guerre d'éclater (croyant pour cela plus en la diplomatie qu'en la mobilisation ouvrière). En revanche ils avaient des réticences à s'opposer par des moyens radicaux à l'effort de guerre. Comme l'écrivait Jules Guesde :

« La grève militaire […] serait, si elle pouvait se réaliser, un crime de haute trahison envers le socialisme, puisque, forcément limitée aux pays à fort parti socialiste, elle les livrerait aux pays comme la Russie où un parti socialiste est encore à créer et où aucune grève, par suite, ne viendrait entraver la mobilisation de l'armée et sa marche en avant. Découvrir, désarmer l'Occident socialiste devant la barbarie asiatique, [serait…] l'effet de la tactique préconisée […]. »[2]

Il y avait une petite minorité de socialistes (antimilitaristes et antipatriotes) comme Hervé qui prenaient le contre-pied de Guesde, et soutenaient qu'il faudrait sans hésiter mener des actions de sabotage. Jaurès quant à lui reprenait à son compte la notion de patriotisme, le liant à l'internationalisme, et défendant une armée populaire vouée uniquement à la défense du sol national, non impérialiste.

L'écrasante majorité des directions social-démocrates se rangent derrière leur bourgeoisie belliciste lorsque la guerre éclate, le 4 août 1914.

1.3 Les internationalistes pendant la guerre de 1914[modifier | modifier le wikicode]

Parmi les social-démocrates qui refusent l'Union sacrée guerrière, les "internationalistes", il y avait un ensemble de positions différentes. On peut distinguer d'abord une aile "centriste", qui veut seulement rétablir la paix, et une minorité révolutionnaire qui veut « la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile » (Lénine, Luxemburg, Liebknecht, Trotski...).

Dès le 24 août 1914, Lénine écrit que la social-démocratie russe a pour tâche essentielle de mener un combat impitoyable contre le chauvinisme grand-russe et que le «moindre mal» serait la défaite des armées tsaristes[3]. Il reprend alors le positonnement classique contre le tsarisme, cette «prison des peuples», et pour la libération des nations opprimées et la démocratie. De nombreux socialistes reprochent alors à Lénine cette formule en faisant remarquer qu'elle pouvait être interprétée comme le souhait d'une victoire de l'Allemagne.

Lénine a presque aussitôt internationalisé cette position, en prônant ce défaitisme dans chaque pays, et en avançant d'autres arguments :

  • la lutte révolutionnaire menace le gouvernement bourgeois de défaite (d'où sa politique de répression pour haute trahison) et il faut assumer cette conséquence.
  • les défaites facilitent la guerre civile du prolétariat (se basant sur l'exemple de la Commune de Paris et sur la défaite russe face au Japon).

Pour Lénine il semble que le défaitisme était l'affirmation du contre-pied total des positions chauvines, vu comme conséquence de la lutte de classe. Mais à part quelques formules qui le laissent entendre, il ne semble pas faire du défaitisme un mot d'ordre destiné aux masses. D'ailleurs il précise qu'il ne s'agit pas de préconiser des sabotages de ponts ou autres actions de ce type. En février 1915, une conférence des groupes bolcheviques émigrés réunie à Berne et à laquelle participent de nouveaux venus de Russie, Boukharine et Piatakov, se prononce pour la « transformation en guerre civile de la guerre impérialiste ».

Rosa Luxemburg critiquait le défaitisme de Lénine, en soutenant que la victoire ou la défaite étaient deux issues mauvaises[4]. Lénine lui répond en juillet 1916[5].

Trotski s’oppose à l’Union sacrée, mais ne dit pas qu’il fallait nécessairement voter contre les crédits de guerre et faire « obstruction totale ».[6] Il reproche surtout au SPD d’avoir voté la confiance, et défend la paix. Pour montrer que la guerre était avant tout impérialiste, Trotski balayait les autres critères. D’abord le critère agresseur/agressé est pour lui superficiel face à la question de savoir s’il y a un progrès objectif en cas de victoire d’un camp. Or ce n’est pas le cas, puisque c’est un conflit pour la suprématie et les colonies, entre deux camps comprenant aussi bien des régimes réactionnaires (tsarisme et empires centraux) que des mouvements ouvriers. Il y avait également l’oppression nationale des Serbes par l’Autriche-Hongrie, que la Russie ne se privait pas d’instrumentaliser, mais cela ne changeait pas le caractère dominant de la guerre, avant tout impérialiste.

Son groupe, Nache Slovo critique le mot d'ordre de défaitisme, mais comme point secondaire. Le vrai désaccord était la "question organisationnelle" : Trotski essayait de concilier les menchéviks et les bolchéviks, que Lénine dissociait nettement. C'est ce désaccord qui rejaillit sur la question du défaitisme, et qui conduit Lénine à faire un lien entre le refus du défaitisme et le centrisme[7].

Mais en réalité Lénine ne met pas en avant la formule du «défaitisme» : on ne trouve pas trace de «défaitisme» dans les propositions d'unité que Lénine fait en 1915 au groupe de Nache Slovo, pas non plus dans le projet de résolution et de manifeste de la « gauche de Zimmerwald » rédigé par Lénine.

Il faut noter aussi que le terme n'est pas mentionné dans la préface de 1918 de Zinoviev à Contre le courant, choix d'articles de Lénine et de Zinoviev pendant la guerre, qui résume leur position ainsi :

« Transformer la guerre impérialiste en guerre civile, tel fut le mot d'ordre essentiel que nous lançâmes dès le début de la guerre... Ce fut pour nous une très grande satisfaction que de recevoir, à la fin de la première conférence de Zimmerwald, une lettre de Karl Liebknecht qui se terminait ainsi "la guerre civile et non la paix civile, voilà notre mot d'ordre" »

1.4 Pendant la Révolution russe[modifier | modifier le wikicode]

La guerre menée depuis 1914 a provoqué beaucoup de remises en question du discours nationaliste, d'autant plus que la Russie apparaît affaiblie face à l'Allemagne. Néanmoins, début 1917 ce sont surtout l’incapacité du commandement militaire et ses mauvais traitements qui sont dénoncés. Les slogans de paix immédiate sont au départ plus fréquents à l’arrière qu’au front, où les soldats considèrent souvent les ouvriers comme des « planqués », et refusent d'admettre l’inutilité des sacrifices qu’ils endurent depuis trois ans. Le « défaitisme révolutionnaire » est très impopulaire, et même au sein des bolcheviks il ne passe pas toujours bien.

Au lendemain de la révolution de février, beaucoup espèrent que la paix est proche. Lorsqu'il est découvert que le ministre Milioukov s'est engagé auprès des Alliés à poursuivre la guerre jusqu'au bout comme le tsar, des manifestations le poussent à la démission. Kerensky, devenu ministre de la guerre, prétend incarner le patriotisme progressiste face à l’Allemagne du Kaiser, comme les Jacobins français rejetant les envahisseurs suite à la chute du roi. Une large majorité des Russes sont alors favorables à une « paix blanche » (sans annexion ni contributions), mais beaucoup sont prêts à laisser sa chance à une ultime offensive militaire. L'échec de « offensive Kerensky » en juillet fera définitivement basculer les classes populaires dans le pacifisme, d'autant plus que le gouvernement provisoire s'appuie depuis février sur la guerre pour reporter toute réforme sociale ou démocratique.

A partir de la révolution de février 1917 et la mise en place du gouvernement provisoire, Lénine ne met plus en avant le défaitisme. Il dira plus tard : « Nous étions défaitistes sous le tsar, nous ne l'étions plus sous Tsérétéli et Tchernov »[8]. Il ne devenait pas pour autant partisan de la défense nationale, contrairement aux menchéviks. Contre les bolchéviks qui voulaient aller jusque là, il rappelait :

« Nous demeurons fidèles, sans réserve, à la déclaration que nous avons faite le 13 octobre 1915, dans le n° 47 de l'organe central de notre Parti, le Social-Démocrate, qui paraissait à Genève. Nous y disions que, si la révolution triomphait en Russie et si un gouvernement républicain désireux de continuer la guerre impérialiste, la guerre en alliance avec la bourgeoisie impérialiste d'Angleterre et de France, la guerre pour la conquête de Constantinople, de l'Arménie, de la Galicie, etc., etc., accédait au pouvoir, nous serions ses adversaires résolus, nous serions contre la « défense de la patrie » dans cette guerre. »[9]

C'est dans les Lettres de loin et les Thèses d'avril que Lénine avait défini sa nouvelle orientation. Non seulement il n'était plus question de défaitisme, mais il considérait que, devant la révolution qui se développait, la défense de la patrie et la guerre révolutionnaire étaient à l'ordre du jour. À l'ordre du jour seulement. Il se refuse en effet à apporter le moindre soutien au gouvernement Goutchkov-Milioukov. La guerre reste impérialiste, y compris du côté russe. Et pourtant, Lénine ne souhaite plus «la défaite», ne «contribue» plus à la défaite. Il accuse Goutchkov et Milioukov de contribuer, eux, à désagréger l'armée. Les revers militaires qu'il avait souhaités ont eu lieu et ils ont enfanté la révolution. Février a marqué le début de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile, a fait le premier pas vers la fin de la guerre; seul le second, le passage du pouvoir entre les mains du prolétariat, peut y mettre un terme.

Lénine met donc en avant des mots d'ordre de paix qu'il avait jusqu'alors combattus et les lie à la revendication du pouvoir : en raison de son caractère impérialiste, de ses liens avec la France et l'Angleterre, le gouvernement provisoire est incapable de conclure une paix honorable et démocratique. Le peuple ne peut faire cesser la guerre, ou en modifier le caractère, qu'en changeant le caractère du gouvernement; l'obtention d'une paix honorable et démocratique, sans annexion, exige que le pouvoir d'État passe entre les mains du soviet des députés ouvriers. Alors, à ces conditions, et pour de telles conditions de paix, le soviet pourrait devenir partisan de la défense nationale et de la guerre révolutionnaire.

Après le soulèvement de Kornilov, Lénine est amené à redéfinir et son abandon du défaitisme et son refus de la défense nationale. Il n'est plus question de renverser Kerensky mais de le combattre d'«une autre façon», en soulignant ses hésitations. Lénine écrit le 30 août 1917 :

«Aller jusqu'à admettre le point de vue de la défense nationale (comme Volodarski) ou jusqu'à faire bloc avec les socialistes révolutionnaires, jusqu'à soutenir le Gouvernement provisoire (comme d'autres bolcheviks), c'est, j'en ai la conviction, faire preuve d'absence de principes. (...) Nous ne deviendrons partisans de la défense nationale qu'après la prise du pouvoir par le prolétariat, après avoir offert la paix, après avoir dénoncé les traités secrets et rompu toute attache avec les banques. Après seulement. Ni la prise de Riga, ni la prise de Petrograd ne feront de nous des partisans de la défense nationale. (...) Jusque-là, nous sommes pour la révolution prolétarienne, nous sommes contre la guerre, nous ne sommes pas pour la défense nationale. »[10]

1.5 Dans l'Internationale communiste[modifier | modifier le wikicode]

Abandonné en février 1917, le terme de «défaitisme» n'est plus utilisé durant les six années qui suivent le révolution_d'Octobre. La formule n'est mentionnée dans aucun texte majeur de Lénine ou de l'Internationale communiste. Elle ne figure pas dans les résolutions des quatre premiers congrès de l'IC, on ne la trouve ni dans la revue l'Internationale Communiste ni dans les 21_conditions. Les principaux textes programmatiques du parti bolchevique et de l'I.C. sur la guerre : résolution du 8e congrès du parti, manifeste du 1er congrès de l'I.C, manifeste et programme du 2e congrès de l'I.C., Thèses du 3e congrès, rapport sur la guerre au 4e congrès, manifeste du 5e congrès, ont été rédigés par Trotski et adoptés sans amendements. Ils centrent l'argumentation autour de la « transformation de la guerre impérialiste en guerre civile » et de la formule de Liebknecht « l'ennemi principal est dans notre propre pays ».

Le terme reparaît, principalement sous la plume de Zinoviev, au cours de la lutte engagée par, la Troïka Zinoviev-Kamenev-Staline contre Trotski et le «trotskysme» et pour la «bolchevisation» des PC. Les divergences passées sur cette question entre Lénine et Trotski sont alors exhumées et commentées.

Par la suite, le défaitisme est systématiquement mis en avant comme canon du «léninisme». Le 6e congres de l'IC adopte en aout 1928 des Theses sur la lutte contre la guerre imperialiste et les taches des communistes qui precisent :

« Le proletariat lutte quand il y a guerre entre des Etats imperialistes ; son point de vue est alors celui du defaitisme a l'egard de son propre gouvemement ; il veut transformer la guerre imperialiste en guerre civile contre la bourgeoisie. Le proletariat des pays imperialistes adopte la meme position de principe quand il s'agit d'une guerre d'oppression dirigée contre un mouvement national revolutionnaire, et notamment contre les peuples des colonies ; le proletariat doit se conduire de la meme façon s'il y a guerre revolutionnaire des imperialistes menaçant la dictature proletarienne »

Adoptée en pleine "troisième periode", cette resolution omettait de préciser ce que serait la politique des communistes dans un conflit impérialiste où l'URSS serait alliée a un des camps. Ce qui s'est passé à partir de la signature du Pacte-germano-soviétique et pendant la Seconde guerre mondiale. Les staliniens allaient alors décider qu'une guerre dans laquelle l'URSS luttait pour son existence n'etait pas une guerre imperialiste et appela en consequence les travailleurs des pays alliés a l'URSS à l'union sacrée avec leurs bourgeoisies afin de defendre la « patrie socialiste ».

2 Héritage trotskiste et nouveaux débats[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Nuances entre Trotski et Lénine[modifier | modifier le wikicode]

Dans la mesure où il estimait tout à fait secondaires ses divergences passées avec Lénine, Trotski choisit de ne pas répondre à la provocation et de ne pas se laisser entraîner sur le terrain choisi par ses adversaires. Non seulement il refusa la polémique sur le défaitisme, mais il reprit à son compte la formule en l'employant dans un sens assez différent de celui de Lénine, dans le sens de défaite par la révolution, d'équivalent à la formule « transformation de la guerre impérialiste en guerre civile » sans jamais retenir le sens plus précis que Lénine lui avait donné entre 1914 et 1916 de «souhaiter» et de «contribuer» aux revers militaires de sa propre bourgeoisie. Il précisera d'ailleurs :

« La formule de Lénine selon laquelle «la défaite est le moindre mal» ne signifie pas que la défaite d'un pays donné est un moindre mal que celle du pays ennemi, mais qu'une défaite militaire résultant du développement du mouvement révolutionnaire est infiniment plus bénéfique pour le prolétariat et le peuple tout entier qu'une victoire militaire assurée par la «paix civile» »[11]

Concrètement :

« Si le prolétariat se révèle impuissant à empêcher la guerre au moyen de la révolution --et elle est l'unique moyen d'empêcher la guerre--, les travailleurs, avec le peuple entier, devront participer à l'armée et à la guerre. Les mots d'ordre individualistes et anarchistes d'objection de conscience, résistance passive, désertion, sabotage, sont radicalement opposés aux méthodes de la révolution prolétarienne. [...] Il demeure un combattant, apprend à manier les armes, explique, même dans les tranchées, la signification de classe de la guerre, regroupe autour de lui les mécontents, les réunit dans des cellules, transmet les idées et les mots d'ordre du parti, suit attentivement les changements d'état d'esprit des masses, le reflux de la vague patriotique, la montée de l'indignation et, au moment critique, appelle les soldats à soutenir les ouvriers. »

2.2 Le camp du fascisme et le camp de la démocratie ?[modifier | modifier le wikicode]

Fallait-il soutenir le "camp des démocraties" (États-Unis, Angleterre, France) face au "camp fasciste" (Allemagne, Italie, Japon) ? Lorsque cette position est défendue par le groupe palestinien Haor, Trotski la qualifie de « pas dangereux vers le social-patriotisme ».

Trotski réaffirmait qu'aucun de ces camps impérialistes ne pouvait être soutenu, reprenant la même logique que celle de la Première guerre mondiale. Dans les thèses de 1934, il disait que la guerre serait de même nature que celle de 1914 (partage impérialiste du monde) et qu'il y aurait comme en 1914 des régimes réactionnaires dans les deux camps, et que cette différence devenait secondaire dans un contexte de guerre impérialiste :

« Naturellement il existe une difference de confort entre les différents wagons du train. Mais, quand le train plonge clans un abime, la distinction entre la démocratie décadente et le fascisme meurtrier disparaît devant l'effondrement de l' ensemble du systeme capitaliste »[12]

Par ailleurs, tout en critiquant le pacifisme bourgeois comme illusoire, il estimait que « le mot d'ordre de paixn'est nullement en contradiction avec la formule stratégique du défaitisme […] quand il émane des quartiers ouvriers et des tranchées où il se mêle à celui de la fraternisation entre soldats des armées ennemies, unissant les opprimés contre les oppresseurs. »[6]

Alors au contact de ses partisans aux États-Unis, il combattait le pacifisme bourgeois et l’union sacrée « contre le fascisme », tout en partant de ces sentiments :

« Il est, bien sûr, important d'expliquer aux ouvriers avancés que le véritable combat contre le fascisme est la révolution socialiste. Mais il est plus urgent, plus impératif, d'expliquer aux millions d'ouvriers américains que la défense de leur “ démocratie ” ne peut être confiée à un maréchal Pétain américain »[13]

« Je crois qu'il nous faut aussi examiner le mot d'ordre suivant lequel nous ne sommes évidemment pas opposés à une guerre contre des agresseurs, mais qu'elle doit être menée par une armée d'ouvriers et de fermiers, sous le contrôle de syndicats, sous un gouvernement d'ouvriers et de fermiers. »[14]

Par ailleurs, dans la guerre_civile_espagnole, Trotski ne renvoyait pas dos-à-dos le camp républicain et le camp fasciste. Il était pour que les communistes du monde entier fassent leur possible pour aider militairement le camp républicain, et pour saboter les renforts destinés au camp fasciste. Y avait-il une contradiction entre cette position de parti-pris et la neutralité dans un cas de guerre mondiale ? Trotski argumentait de la façon suivante :

« On peut nous objecter ceci : pendant une guerre entre deux Etats bourgeois, le prolétariat, quel que soit, dans son pays, le régime politique, doit adopter la position selon laquelle «la défaite de notre propre gouvernement est le moindre mal ». Cette règle n'est-elle pas également applicable à une guerre civile dans laquelle s'affrontent deux gouvemements bourgeois ? Elle ne l'est pas. Dans une guerre entre deux Etats bourgeois, l'objectif en jeu est une conquête imperialiste, non la lutte entre democratie et fascisme. Dans la guerre civile espagnole, la question est : démocratie ou fascisme. »[15]

2.3 Le camp de l'URSS ?[modifier | modifier le wikicode]

Pour les trotskistes, une nouvelle difficulté s'ajoutait à la situation : la présence de l'URSS, considérée comme un État ouvrier dégénéré, dirigé par une bureaucratie contre-révolutionnaire mais progressiste malgré elle. Trotski défendait une ligne de défense inconditionnelle de l'URSS face aux puissances capitalistes.

Si deux blocs impérialistes se forment et entrent en guerre, et que l'URSS se retrouve dans l'un des deux camps, quel impact cela doit-il avoir ? Comment concilier défaitisme révolutionnaire et défense de l'URSS ?

Pour Trotski, il fallait maintenir la ligne de défaitisme révolutionnaire, dans un sens général de refus de l'Union sacrée avec sa bourgeoisie, même si elle est alliée momentanément avec l'URSS, mais il fallait néanmoins adapter la tactique, en favorisant de fait la victoire du camp militaire dans lequel se trouverait l'URSS.

Dans une première version de La guerre et la IVe Internationale, Trotski écrivait :

« Le défaitisme n'est pas un quelconque mot d'ordre pratique autour duquel on peut mobiliser les masses pendant la guerre. La défaite de sa propre armée nationale peut être un but dans un cas unique : quand il s'agit d'une armée capitaliste combattant contre un État ouvrier ou marchant sur une révolution qui se développe. Mais quand il s'agit d'une lutte entre deux pays capitalistes, le prolétariat d'aucun des deux ne peut se fixer pour « tâche » la défaite de sa propre armée nationale »

Cela souleva un débat, notamment avec Leonetti et Bauer, qui considéraient que Trotski affaiblissait trop le "défaitisme révolutionnaire" au nom de la défense de l'URSS.

Trotski répondait que « la formule défaitiste de Lenine de 1914-1916 n'avait encore rien à voir avec la guerre entre Etats capitalistes et État ouvrier et n'introduisait pas les déductions qui en découlent »[16] Il préconisait la ligne suivante :

« Le prolétariat d'un pays capitaliste qui se trouve l'allié de l'U.R.S.S. doit conserver pleinement et complètement son irréductible hostilité au gouvernement impérialiste de son propre pays. En ce sens, sa politique ne sera pas différente de celle d'un prolétariat dans un pays qui combat l'U.R.S.S. Seulement, dans la nature des actions pratiques, il peut apparaître, en fonction des conditions concrètes de la guerre, des différences considérables. Par exemple, il serait absurde et criminel, en cas de guerre entre l'U.R.S.S. et le Japon, que le prolétariat américain sabote l'envoi de munitions américaines à l'U.R.S.S. Mais le prolétariat d'un pays combattant l'U.R.S.S. devrait absolument recourir à de telles actions : grèves, sabotages, etc. »[11]

Il développe encore ce type d'exemples plus tard, dans une interview où il répond à la question « Que feriez-vous pour défendre l’URSS dans une guerre, où la France serait l’allié de l’URSS ? » :

« en France je resterais en opposition au gouvernement et développerais cette opposition systématiquement. En Allemagne et au Japon je ferai tout ce que je pourrais pour saboter la machine de guerre. Ce sont deux choses différentes. En Allemagne et au Japon, j’appliquerais des méthodes militaires tant que je serais capable de lutter, je contrarierais le fonctionnement de la machine militaire du Japon, je lui porterais des coups, je la désorganiserais, en Allemagne comme au Japon. En France il s’agit de l’opposition politique à la bourgeoisie, et de la préparation à la révolution prolétarienne. Les deux sont des méthodes révolutionnaires. Mais en Allemagne et au Japon mon but c’est la désorganisation de tout l’appareil. En France mon but c’est la révolution prolétarienne... »[17]

Cette déclaration de Trotski entraine une vigoureuse critique du dirigeant du PSR belge Georges Vereeken, qui l'accuse de revenir à une forme indirecte d'Union sacrée[18]. C'est ensuite la ligne de la "défense de l'URSS" (et de sa nature) qui cristallisera de plus en plus les débats de cette époque. Rudolf Klement répond et revient sur les différents cas de figure qui pourraient se présenter dans la guerre à venir.

2.4 Guerre entre pays impérialistes et dominés[modifier | modifier le wikicode]

Lénine avait déja affirmé dès 1915 qu'il fallait soutenir les guerres de libération nationale menées par des pays dominés :

« Si demain le Maroc déclarait la guerre à la France, l’Inde à l’Angleterre, la Perse ou la Chine à la Russie, etc., […] tout socialiste appellerait de ses vœux la victoire des États opprimés, dépendants, lésés dans leurs droits, sur les "grandes" puissances oppressives, esclavagistes, spoliatrices. »

Cela implique concrètement :

  • un défaitisme révolutionnaire pour les communistes du pays impérialistes : la défaite d'une bourgeoisie impérialiste l'affaiblit aussi dans ses rapports avec la classe ouvrière de la métropole, et favorise la lutte révolutionnaire
  • un défensisme révolutionnaire pour les communistes du pays dominé : faire un front politico-militaire avec les forces anti-impérialistes, tout en conservant l'indépendance politique et les objectifs communistes, utiliser la situation créée par la lutte de libération nationale pour la pousser jusqu'à une lutte révolutionnaire communiste, devant ensuite s'étendre au monde entier (révolution permanente)

C'est en quelque sorte un prolongement militaire du front unique anti-impérialiste.

Pour Trotski, ce principe reste systématiquement valable, et découle du combat anti-impérialiste. Les autres facteurs (quel est le premier pays qui a attaqué, quel type de régime est à la tête du pays dominé ou du pays impérialiste...) ne doivent pas entrer en ligne de compte pour lui. Il insistait là dessus, par exemple à l'occasion du soutien à l'Ethiopie agressée par l'Italie de Mussolini :

« Bien entendu, nous sommes pour la défaite de l’Italie et pour la victoire de l’Éthiopie, et nous devons donc faire tout notre possible pour empêcher, par tous les moyens en notre pouvoir, que d’autres puissances impérialistes soutiennent l’impérialisme italien et en même temps faciliter du mieux que nous pouvons la livraison d’armes, etc. à l’Éthiopie. Néanmoins, nous devons faire valoir que cette lutte n’est pas dirigée contre le fascisme,mais contre l’impérialisme.Quand c’est de guerre qu’il s’agit, il n’est pas question pour nous de savoir qui est "le meilleur", du Négus [le monarque éthiopien] ou de Mussolini, mais d’un rapport de forces et du combat d’une nation sous-développée pour sa défense contre l’impérialisme. » [19]

Il peut paraître plus intuitif que l'on peut "plus facilement" s'allier à un régime démocratique bourgeois qu'à un régime autoritaire. Mais ce n'est pas du tout sur ce critère que se base le front unique anti-impérialiste. L'enjeu prioritaire est de lutter contre le renforcement des impérialistes : leur victoire signifie le renforcement d'une puissante bourgeoisie (donc y compris face aux prolétaires des pays impérialistes), et au contraire leur défaite donne de l'espoir à tous les peuples opprimés.

« Si Mussolini l’emporte, cela signifiera le renforcement du fascisme, la consolidation de l’impérialisme et le découragement des peuples coloniaux en Afrique et ailleurs. La victoire du Négus, en revanche, constituerait un coup terrible pour l’impérialisme dans son ensemble et donnerait un élan puissant aux forces rebelles des peuples opprimés. Il faut vraiment être complètement aveugle pour ne pas le voir. » [20]

Par ailleurs, il ne faut avoir aucune illusion sur les prétextes démocratiques qu'utilisent les gouvernements impérialistes : dans la réalité ils ne veulent pas des droits démocratiques dans les pays qu'ils dominent, car cela n'a que pour résultat de menacer leurs intérêts.

« il règne aujourd’hui au Brésil un régime semi-fasciste qu’aucun révolutionnaire ne peut considérer sans haine. Supposons cependant que, demain, l’Angleterre entre dans un conflit militaire avec le Brésil. Je vous le demande : de quel côté sera la classe ouvrière ? Je répondrai pour ma part que, dans ce cas, je serait du côté du Brésil "fasciste contre l’Angleterre "démocratique". Pourquoi ? Parce que, dans le conflit qui les opposerait, ce n’est pas de démocratie ou de fascisme qu’il s’agirait. Si l’Angleterre gagnait, elle installerait à Rio de Janeiro un autre fasciste, en enchaînerait doublement le Brésil. Si au contraire le Brésil l’emportait, cela pourrait donner un élan considérable à la conscience démocratique et nationale de ce pays et conduire au renversement de la dictature de Vargas. La défaite de l’Angleterre porterait en même temps un coup à l’impérialisme britannique et donnerait un élan au mouvement révolutionnaire du prolétariat anglais. Réellement, il faut n’avoir rien dans la tête pour réduire les antagonismes mondiaux et les conflits militaires à la lutte contre fascisme et démocratie. Il faut apprendre à distinguer sous tous leurs masques, les exploiteurs, les esclavagistes et les voleurs ! »[21]

3 Le cas des occupations militaires[modifier | modifier le wikicode]

Les occupations militaires entre puissances impérialistes créent des situations a priori différentes.

Entre 1871 et 1918, Lénine et la social-démocratie n’hésitaient pas à lutter contre l’occupation allemande de l’Alsace-Lorraine. Par la suite, les communistes ont dénoncé le traité de Versailles puis l’occupation de la Ruhr par la France (1923-1925), mais avec beaucoup plus de tensions : si la majorité mettait en avant la fraternisation avec les soldats et la lutte simultanée contre la bourgeoisie allemande, d’autres comme Karl Radek ont comparé l’Allemagne à une nation opprimée.

L'occupation de la Sarre par la France jusqu’en 1935 a créé une situation encore plus compliquée. Jusqu'en août 1933, le Parti communiste allemand défendait le mot d'ordre du rattachement de la Sarre à l'Allemagne où les nazis étaient pourtant au pouvoir depuis janvier.

Alors au contact de ses partisans aux États-Unis, il combattait le pacifisme bourgeois et l’union sacrée « contre le fascisme », tout en partant de ces sentiments :

« Il est, bien sûr, important d'expliquer aux ouvriers avancés que le véritable combat contre le fascisme est la révolution socialiste. Mais il est plus urgent, plus impératif, d'expliquer aux millions d'ouvriers américains que la défense de leur “ démocratie ” ne peut être confiée à un maréchal Pétain américain »[22]

« Je crois qu'il nous faut aussi examiner le mot d'ordre suivant lequel nous ne sommes évidemment pas opposés à une guerre contre des agresseurs, mais qu'elle doit être menée par une armée d'ouvriers et de fermiers, sous le contrôle de syndicats, sous un gouvernement d'ouvriers et de fermiers. »[23]

L'occupation allemande pendant la Seconde guerre mondiale a soulevé aussi de nombreuses divergences entre communistes révolutionnaires sur l'attitude à avoir par rapport à la Résistance.

Même si Trotski disait que la France sous les bottes allemandes était « en train de devenir une nation opprimée »[24], il refusait de s’adresser à De Gaulle, comme le faisait Marceau Pivert 

4 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

Hal_Draper, Le mythe du 'défaitisme révolutionnaire' de Lénine, 1954

Jean-Paul Joubert, Le défaitisme révolutionnaire, Cahiers Léon Trotski, 23 septembre 1985

Jean-Paul Joubert, Le défaitisme révolutionnaire dans la stratégie marxiste, 1987

  1. Lénine, La chute de Port-Arthur, 14 janvier 1905
  2. Jules Guesde, Le Socialiste, 26 août 1893,cité par Michel Winock, « Socialisme et patriotisme en France (1891-1894) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, juillet-septembre 1973, p. 382.
  3. Lénine, Les tâches de la social-démocratie révolutionnaire dans la guerre européenne, 24 août 1914
  4. Rosa Luxemburg, La crise de la social-démocratie, 1915
  5. Lénine, À propos de la brochure de Junius, juillet 1916
  6. 6,0 et 6,1 Trotski, La guerre et l'Internationale, 31 octobre 1914
  7. Lénine, La défaite de son propre gouvernement dans la guerre impérialiste, 26 juillet 1915
  8. Lénine, Discours de cloture sur le rapport concemant la ratification du traité de Brest-Litovsk, 15 mars 1918
  9. Lénine, Lettre d'adieu aux ouvriers suisses, 26 mars (8 avril) 1917
  10. Lénine, Au comité central du P.O.S D.R, 12 septembre (30 août) 1917
  11. 11,0 et 11,1 Trotski, La guerre et la IVe Internationale, 10 juin 1934
  12. Trotski, Manifeste d'alarme de la IV° Internationale, 26 mai 1940
  13. Trotski, Combattre le pacifisme, 13 août 1940
  14. Trotski, Discussion sur la lutte contre la guerre et l'amendement Ludlow, 22 mars 1938
  15. Trotski, Contre le « défaitisme » en Espagne, 14 septembre 1937
  16. Lettre de Trotski au Secrétariat international, Archives de Harvard, 5 janvier 1934
  17. Rudolf Klement, Les tâches du prolétariat pendant la guerre, 1937
  18. Georges Vereeken, La Guepeou dans le mouvement trotskyste, 1975
  19. Le conflit italo-éthiopien », 17 juillet 1935
  20. À propos des dictateurs des hauteurs d’Oslo, 22 avril 1936
  21. Trotski, La lutte anti-impérialiste, 23 septembre 1938
  22. Trotski, Combattre le pacifisme, 13 août 1940
  23. Trotski, Discussion sur la lutte contre la guerre et l'amendement Ludlow, 22 mars 1938
  24. Trotski, Notre cap ne change pas, 30 juin 1940