Accumulation primitive du capital
L'accumulation primitive du capital est le processus historique qui a conduit la bourgeoisie à se créer par les rapines et la violence son capital, qui a permis la révolution industrielle, et le salariat (par la prolétarisation massive de la population). On l'appelle accumulation primitive car elle s'opère dans un cadre pré-capitaliste et c'est elle qui met en place les rapports de production capitaliste, qui rendent possible l'accumulation du capital par l'exploitation du travail.
1 Généralités[modifier | modifier le wikicode]
Puisque pour être capitaliste et accumuler du capital, il faut déjà en avoir, la question de l'origine du capital se pose. Lorsqu'il n'y avait pas de salariat à exploiter, il a bien fallu par un quelconque procédé que la classe bourgeoise concentre des biens.
En étudiant cette genèse, Marx rappelle que le capital arrive au monde « suant le sang et la boue par tous les pores »[1].
2 Expropriations des paysans et armée de réserve[modifier | modifier le wikicode]
La plus grande lame de fond qui a créé le salariat en Grande-Bretagne a été l'expropriation de très nombreux petits paysans et leur entassement dans les villes industrielles pour y former une masse prête à travailler à n'importe quel prix, une "armée de réserve".
2.1 Enclosures[modifier | modifier le wikicode]
La bourgeoisie anglaise parvient peu à peu à découper en propriétés privées les terrains communaux qui étaient d'usage collectifs, et bien sûr, à se les approprier. Des champs pâturages communs et champs ouverts au glanage ont été récupérés et clôturés par de riches propriétaires de troupeaux de moutons pour le commerce de la laine alors en pleine expansion. La population rurale s'appauvrit et des mouvements de révolte éclatent, comme dans les Midlands en 1607. Expropriés, bon nombre de paysans ou bergers sont contraints à l'exode vers les villes ou au vagabondage. Les conséquences sociales de l'Enclosure ont été décriées dès le 16e siècle par des auteurs anglais tels que Thomas More.
2.2 Privatisation des forêts[modifier | modifier le wikicode]
D'autres communs sont privatisés, comme les forêts. Cela conduit à des révoltes, comme la « guerre des Demoiselles » (1829-1832).
Parmi ses premiers combats, Karl Marx a dénoncé une loi en Allemagne qui criminalisait comme voleurs ceux qui récupéraient du bois dans des forêts comme ils l'avaient toujours fait.[2]
2.3 Fermages augmentés[modifier | modifier le wikicode]
Parallèlement, les contrats d'affermage entre cultivateurs et propriétaires deviennent plus défavorables aux premiers. Les fermages augmentent voire doublent. Nombreux sont ceux qui ne peuvent pas suivre et n'ont plus assez avec leurs récoltes. Cela contribuera à accentuer l'exode rural.
2.4 Révolution agricole[modifier | modifier le wikicode]
La révolution agricole, c'est-à-dire l'augmentation rapide de la productivité dans l'agriculture, va enrichir les propriétaires terriens, et diminuer leur besoin de main d’œuvre. Ainsi une partie des ruraux n’a plus sa place dans les villages, et doit aller grossir les rangs de ceux qui cherchent du travail en ville.
2.5 Lois répressives[modifier | modifier le wikicode]
Le droit bourgeois pérennise et encadre cette évolution. À la fin du 17e siècle, le parlement ratifie les enclosures, ce qui délégitime toute contestation. Parallèlement, les lois condamnant le vagabondage se succèdent, promettant les hommes errants à la torture, à l'emprisonnement, à l'esclavage et même parfois à la mort. Ils sont poussés à s'entasser dans les villes et à se battre pour trouver du travail.
La loi fixe également le salaire au plus bas niveau, et c'est l'ouvrier qui encourt une peine d'emprisonnement en cas de dépassement.
3 Le rôle de la Réforme[modifier | modifier le wikicode]
La Réforme protestante a joué un grand rôle en Angleterre dans l'accumulation primitive du capital. Elle permet la spoliation des biens de l'Église catholique dès le 16ème siècle.
4 Commercial colonial[modifier | modifier le wikicode]
Dans les colonies, les plantations de tabac puis de sucre dégagent une très forte rentabilité, grâce à l’exploitation d’une main d’œuvre gratuite, les esclaves, que leurs maîtres épuisent à la tâche pour obtenir une très forte productivité. Le coût de ces esclaves diminue d’autant plus que la traite négrière bénéfice de capacités de transport croissantes, avec la concurrence entre armateurs hollandais, anglais, français et portugais, effective dès les années 1670 et renforcée dans les années 1720 par l’augmentation de la taille des navires.
Le commerce colonial va créer une grande bourgeoisie commerciale dès la fin du XVIIème siècle, via le commercie triangulaire : c'est à la fois la traite négrière et le produit des colonies, surtout les plantations, qui dégage du profit. Les grands bourgeois sont d'ailleurs souvent à la fois armateurs et propriétaires de plantations. Les armateurs nantais[3] retirent des profits énormes - 80% en moyenne, mais investissent surtout dans la terre.
Mais ce commerce a eu aussi l'effet indirect de favoriser l'industrialistion de certains ports et de tout l'arrière-pays alentour, comme Liverpool et Bordeaux. « Bordeaux étend son influence jusqu'à Montauban », note l'historien Jean-Pierre Rioux.
Marx identifia également la centralité du travail des esclaves africains dans la genèse du capitalisme. Il ne faisait pas de l'esclavage des Noirs en Amérique une particularité locale, mais un rouage du système :
« L’esclavage direct est le pivot de l’industrie bourgeoise aussi bien que les machines, le crédit, etc. Sans esclavage, vous n’avez pas de coton; sans le coton, vous n’avez pas d’industrie moderne. C’est l’esclavage qui a donné leur valeur aux colonies, ce sont les colonies qui ont créé le commerce de l’univers, c’est le commerce de l’univers qui est la condition de la grande industrie. Ainsi l’esclavage est une catégorie économique de la plus haute importance. »[4]
Ou encore :
« La découverte des contrées aurifères et argentifères de l’Amérique, la réduction des indigènes en esclavage, leur enfouissement dans les mines ou leur extermination, les commencements de conquête et de pillage aux Indes orientales, la transformation de l’Afrique en une sorte de garenne commerciale pour la chasse aux peaux noires, voilà les procédés idylliques d’accumulation primitive qui signalent l’ère capitaliste à son aurore. »[5]
5 L'étude de Marx[modifier | modifier le wikicode]
- Marx, Le Capital, Huitième section : l'accumulation primitive
- Le secret de l'accumulation primitive
- L'expropriation de la population campagnarde
- La législation sanguinaire contre les exprorpiés à partir de la fin du XV° siècle. - Lois sur les salaires.
- Genèse des fermiers capitalistes
- Contrecoup de la révolution agricole sur l'industrie. Etablissement du marché intérieur pour le capital industriel.
- Genèse du capitaliste industriel
- Tendance historique de l'accumulation capitaliste.
- La théorie moderne de la colonisation
6 Discussions contemporaines[modifier | modifier le wikicode]
Le courant dominant chez les historiens fait de l’essor du capitalisme le résultat d’une levée plus ou moins rapide selon les pays des « obstacles » qui entravaient une marche inéluctable vers la « modernité » de « l'économie de marché ».
Mais le capitalisme n’est pas le marché « en général ». Car ce dernier a historiquement fonctionné dans de nombreux cas comme lieu d’échanges et occasions de profit sans imposer sa logique à la production économique et à la reproduction de la société.
Reprenant l’analyse que faisait Marx de « l’accumulation primitive », l’historienne Ellen Meiksins Wood situe la rupture historique dans la mise en place en Angleterre au 16ème siècle de rapports sociaux de propriété d’un nouveau genre. Elle remet au premier plan les relations de classe, en insistant sur la destruction des droits coutumiers que les paysans exerçaient sur les « communs » et leur expropriation massive, puis la diffusion par voie impérialiste au reste du monde.
7 « Accumulation socialiste primitive »[modifier | modifier le wikicode]
Certains marxistes ont parlé d'une « accumulation socialiste primitive » à propos de la tentative faite en URSS de dégager suffisamment de survaleur dans les années 1920 pour industrialiser le pays[6]. Cette accumulation s'est faite essentiellement de façon violente par la collectivisation forcée de 1928-1929 menée par la bureaucratie stalinienne.
8 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ http://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-31.htm
- ↑ Karl Marx, Débats sur la loi relative au vol de bois, novembre 1842
- ↑ Avec des hommes comme Antoine Walsh, Jean Stapleton, d'autres irlandais de Nantes ou Guillaume Grou et Antoine Crozat.
- ↑ Karl Marx, Misère de la philosophie, 1847
- ↑ Karl Marx, Le Capital - Livre premier, 1867
- ↑ Ernest Mandel, Emancipation, science et politique chez Karl Marx, 1983