Salaire, prix et profit
Salaire, Prix et Profit, est un petit livre fait à partir d'une conférence tenue par Karl Marx devant l'Association Internationale des Travailleurs en 1865. Il y présente de façon synthétique sa théorie de la valeur, et ce que cela permet de comprendre du salariat, un mode d’exploitation qu'il faut nécessairement abolir.
Ce texte de vulgarisation est souvent rapproché de Travail salarié et capital, écrit en 1847. Les deux ont notamment été publiés ensemble aux Éditions Science marxiste[1].
1 Autour du texte[modifier | modifier le wikicode]
1.1 Contexte et enjeu[modifier | modifier le wikicode]
Dans les années 1860, une « épidémie de grèves » se répandait sur le continent européen. Or, aussi surprenant que cela puisse paraître, toute une frange des socialistes étaient hostiles au mouvement syndical, en grande partie spontané, qui émergeait. Un important débat eut lieu dans l'Association Internationale des travailleurs (AIT), qui venait d'être fondée à Londres en 1864.
John Weston, un des membres de son conseil général et disciple du britannique Owen, soumit le 14 mars une brève résolution réfutant tout effort pour augmenter les salaires : une augmentation des salaires de certains travailleurs conduirait à la baisse des salaires d’autres salariés et, si elle était générale, n’aboutirait qu’à une hausse des prix qui annulerait la hausse des salaires nominaux en termes de pouvoir d’achat. L’hostilité aux grèves et aux syndicats était partagée par les partisans du français Proudhon et de l’allemand Lassalle. Weston, comme Lassalle, reprenaient à leur compte la théorie du « fonds salarial » de la « science économique » de l’époque. Pour T. Malthus, J. Marcet, J.S. Mill, J.R. McCulloch, N. Senior… le total des salaires réels était une part fixe de la production.
Karl Marx, qui travaillait à cette époque aux brouillons du Capital, réfute cette thèse pro-capitaliste. En juin 1865, il fit un exposé lors de deux réunions du conseil général de l’AIT dans le cadre d’une discussion sur les syndicats.
L’internationale tourna le dos aux dogmes empruntés à la bourgeoisie qui l’auraient condamnée à n’être qu’une secte à l’écart du mouvement réel des travailleurs des années 1860. Le congrès de 1866 de l’AIT adopta une résolution favorable au syndicalisme et pour la journée de 8 heures maximum.
1.2 Publication[modifier | modifier le wikicode]
Le Conseil aurait souhaité que ce texte soit publié. Dans une lettre du 24 juin 1865, Marx consulte Engels sur l’opportunité de cette publication. Parmi les raisons de sa perplexité, il rappelle que « cette intervention, dans sa deuxième partie, contient sous une forme extrêmement concise mais relativement populaire, beaucoup de nouveautés qui sont une anticipation de mon livre, mais d’un autre côté, j’ai du passer nécessairement très vite sur toutes sortes de choses ». Engels lui répond qu’il ne voit aucun problème à « anticiper certains éléments de ton livre », si celui-ci est effectivement prêt, puisque « le premier septembre était le tout dernier délai, et, comme tu le sais, l’enjeu est de douze bouteilles de vin ». Derrière l’anecdote, les deux révolutionnaires parlent du Capital et Engels en sollicite en plaisantant la publication attendue depuis longtemps, qui surviendra bien en septembre, mais deux ans plus tard.
Les « nouveautés » que les dirigeants de la Première internationale, sans s’en rendre alors réellement compte, eurent la chance de connaître en avant-première, ne sont autres que la découverte fondamentale de la « valeur du travail » ou, plus précisément, du fait qu’il est impossible de déterminer cette valeur sans introduire le concept de « force de travail ». Salaire, prix et profit constitue ainsi la première explication scientifique du mécanisme de l’exploitation capitaliste.
Quant à la conférence, Marx et Engels finissent par refuser de la voir publiée, si bien que Salaire, prix et profit ne sera édité en brochure qu’après leur mort, en 1898, par Eleanor Marx, une des trois filles de Marx.
2 Contenu[modifier | modifier le wikicode]
2.1 L'idée essentielle[modifier | modifier le wikicode]
Même si toutes les marchandises sont vendues et achetées à leur valeur, elles dégagent des profits. Les capitalistes les produisent en effet grâce à l’achat non pas du travail, mais de la force de travail qui crée plus de valeur qu’elle ne coûte. La valeur de la force de travail est déterminée, comme toute marchandise, par la quantité de travail abstrait nécessaire à la produire. Mais elle inclut un élément historique, social qui est déterminé par la lutte entre capital et travail. Renoncer à la lutte pour augmenter le salaire ou pour empêcher sa baisse, ce serait pour le prolétariat accepter, dans l’immédiat, la dégradation et renoncer, à l’avenir, à transformer radicalement la société pour en finir avec la précarité et la pauvreté.
2.2 Valeur et loi de l'offre et de la demande[modifier | modifier le wikicode]
Tout le monde l’a déjà entendu au moins une fois dans sa vie : la valeur d’une marchandise se détermine par la loi de l’offre et de la demande ; plus une marchandise est réclamée, plus son prix monte ; plus elle est courante, moins elle est chère. Mais que se passe-t-il quand l’offre et la demande s’équilibrent ? Pour Marx, on atteint le « prix naturel » de la marchandise, qui coïncide avec sa valeur. La grande erreur des libéraux est d’avoir confondu le prix, qui fluctue en fonction de l’offre et de la demande, avec la valeur de la marchandise, qui, elle, reste fixe, toutes choses égales par ailleurs. La loi de l’offre et de la demande ne fait qu’expliquer la variation des prix ; pas la valeur des marchandises.
« L’offre et la demande ne règlent pas autre chose que les fluctuations momentanées du marché »
2.3 Valeur travail[modifier | modifier le wikicode]
Marx critique ensuite ceux qui expliquent que la valeur est déterminée par le prix des salaires... sans dire d’où vient la valeur des salaires eux-mêmes.
« L’assertion selon laquelle « les salaires déterminent les prix des marchandises » revient à ceci, « la valeur est déterminée par la valeur », et cette tautologie signifie en fait que nous ne savons rien de la valeur ».
On ne peut donc pas considérer que la valeur d’une marchandise est le salaire auquel s’ajoutent des pourcentages de profit et de rente.
Pour déterminer l'origine de la valeur, « il faut nous demander quelle est la substance sociale commune à toute les marchandises », trouver quelque chose que toutes les marchandises aient en commun et qui permette de les situer les unes par rapport aux autres. Pour Marx, cela ne fait aucun doute : « c’est le travail ». Explication :
Lorsque l’ouvrier travaille une heure pour créer une marchandise, on dira que ce produit cristallise une heure de travail ; et la valeur de cette marchandise sera celle d’une heure de travail (un travail moyen, avec la moyenne du taux de productivité). La valeur des marchandises varie ensuite en fonction de l’apparition de nouvelles technologies qui rendent le travail plus productif (et qui permettent plus de production en une heure de travail), ou de difficultés qui rendent le travail moins productif (comme l’appauvrissement des terres, par exemple).
En bref, ce raisonnement permet à Marx d’arriver à énoncer la loi économique suivante :
Les valeurs des marchandises sont directement proportionnelles au temps de travail employé à leur production, et inversement proportionnelles à la force productive du travail employé.
2.4 La source du profit[modifier | modifier le wikicode]
Contrairement à une idée intuitive, Marx explique qu' « il est absurde de supposer que le profit (…) provient d’une majoration du prix des marchandises ». Au contraire, les marchandises sont vendues la plupart du temps à des prix proches de leur valeur réelle. L'important pour comprendre la source du profit, c'est de comprendre que le capitaliste ne paie pas "le travail" de l'ouvrier, mais sa "force de travail".
- Quand on prend n’importe quelle marchandise, sa valeur équivaut à la quantité totale du travail contenu dedans : par exemple, pour un pull : la quantité de travail nécessaire pour obtenir la matière première + la quantité de travail nécessaire de l’ouvrier qui a assemblé le pull + la quantité de travail nécessaire à construire les machines qui permettent de tisser le pull, divisée par le nombre de pulls qu’elles produisent.
- La valeur de la force de travail équivaut à la valeur que l’ouvrier consomme chaque jour en produits de première nécessité : la valeur totale de sa force de travail est la valeur de ce qu’il mange, de ce qu’il s’habille, voire la valeur qu’il consomme en formation, etc.
Or la force de travail que le capitaliste emploie permet de réaliser un travail qui a, en général, bien plus de valeur que la force de travail. Elle n'a aucune raison d'être égale ou inférieure :
« La quantité de travail qui limite la valeur de la force de travail de l’ouvrier ne constitue en aucun cas la limite de la quantité de travail que peut exécuter sa force de travail »
Si la force de travail de l’ouvrier correspond à 5 heures de travail en moyenne (s'il faut 5 heures par jour pour produire sa nourriture, ses vêtements, etc.), et si l'employeur le fait travailler dix heures par jour, il y a 5 heures de « surtravail », non-payées à l’ouvrier, et qui vont représenter la plus-value. Le profit qu'empoche l'industriel lors de la vente des marchandises correspondant à cette plus-value.
Le rapport entre salaires et profit peut varier : plus il paie l’ouvrier au-dessus de la valeur de sa force de travail, moins le capitaliste a de profit à se mettre sous la dent, puisque les marchandises restent en moyenne vendues à leur valeur. La lutte de classe, dont le syndicalisme, a donc un rôle à jouer.
Pour mettre en contraste avec le servage, Marx souligne que dans le rapport salarial, le travailleur "libre" n'a pas la sensation de travailler en partie gratuitement. Alors que le serf travaillait trois jours sur son champ puis trois jours gratuitement sur le champ de son seigneur, le temps non-payé du salarié est caché et dilué parmi le temps qu'il croit passer à travailler "pour lui".
2.5 Le syndicalisme est utile, mais il faut viser l'abolition du salariat[modifier | modifier le wikicode]
Marx conclut par l'idée suivante :
Les trade-unions agissent utilement en tant que centres de résistance aux empiètement du capital. Elles manquent en partie leur but dès qu’elles font un emploi peu judicieux de leur puissance. Elles manquent entièrement leur but dès qu’elles se bornent à une guerre d’escarmouches contre les effets du régime existant, au lieu de travailler en même temps à sa transformation et de se servir de leur force organisée comme d’un levier pour l’émancipation définitive de la classe travailleuse, c’est-à-dire pour l’abolition définitive du salariat.