Léo Frankel

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Léo Frankel — orthographié en hongrois Leó Frankel —, né le à Budapest (précisément à Újlak), alors dans l'Empire austro-hongrois, et mort le à Paris (10e arrondissement)[1], est un militant syndicaliste et socialiste hongrois d'origine juive. Il fut membre de la Première internationale et une personnalité importante de la Commune de Paris de 1871.

1 Biographie[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Rencontre avec les socialistes[modifier | modifier le wikicode]

Fils d’un père médecin, Frankel était orfèvre comme son grand-père maternel.

Selon le rapport du dossier contumace (Arch. Nat.), Frankel aurait été, en 1864, incorporé dans l’armée prussienne ; il aurait tenu « garnison à Kœnigschwartz où il fit connaissance de Bebel et Jacoby détenus dans la forteresse » qui l’auraient initié au socialisme ; mais cette légende n’a aucune crédibilité. On sait par contre qu’il faisait à la fin des années 1860 partie du courant socialiste inspiré par Ferdinand Lassalle.

Afin de parfaire son apprentissage, Léo Frankel voulut ensuite parcourir l’Allemagne, mais, en 1867, il s’établit en France. Selon la police, il serait venu à Lyon et aurait adhéré à l’Internationale en s’affiliant « directement à Londres », est-il précisé dans les archives de police, mais cela semble très improbable.

Il vint vivre et travailler à Paris où il fut correspondant du Social-Demokrat, organe lassallien. Parfois qualifié curieusement d’horloger mécanicien, en réalité ouvrier bijoutier, il habitait, 8 (ou 6 ?), passage Saint-Sébastien, XIe arr. Selon La Marseillaise du 20 février 1870, il appartint à la section allemande de l’Internationale constituée à ce moment (cf. Dict., t. IV, p. 47), qu’il représenta le 18 mars suivant à la réunion au cours de laquelle les représentants de onze sections élaborèrent le projet de statuts de la Fédération parisienne qui furent adoptés à l’assemblée générale du 19 avril.

1.2 Le troisième procès de l'Internationale[modifier | modifier le wikicode]

À la fin de ce mois, la police de l’Empire, qui préparait le plébiscite du 8 mai, arrêta les principaux dirigeants de l’Internationale sous la double inculpation de complot et de société secrète. Robin, qui rédigea la protestation, et ses camarades du Conseil fédéral parisien — dont Frankel — s’élevèrent publiquement contre cette accusation et revendiquèrent pour l’Internationale le droit d’être la « conspiration permanente de tous les opprimés et de tous les exploités ». (La Marseillaise, 2 mai 1870.) Voir Berthomieu.

Impliqué dans le troisième procès intenté à l’Internationale, Léo Frankel déclara à ses juges : « L’Association internationale n’a pas pour but une augmentation du salaire des travailleurs, mais bien l’abolition complète du salariat, qui n’est qu’un esclavage déguisé » (compte rendu, p. 218). Le 8 juillet, il fut renvoyé de la prévention d’avoir appartenu à une société secrète, mais convaincu d’avoir, à Paris, fait partie de l’AIT non autorisée, et condamné à deux mois de prison, 25 F d’amende, quatre mois de contrainte par corps le cas échéant. Son plaidoyer fit forte impression sur Marx.

Écroué à Paris en juillet puis à la Maison correctionnelle de Beauvais (Oise) le 28 août, il fut libéré le 5 septembre. Aussitôt il reconstitue avec Eugène Varlin le Comité fédéral de l'Internationale pour Paris.

Pendant le Siège de Paris, il aurait été un orateur assidu du Club de la Reine-Blanche.

En revanche, il ne semble pas avoir appartenu au comité central républicain des vingt arrondissements. Le 12 janvier 1871, à la séance du conseil fédéral de l’Internationale, il fut désigné avec Bachruch, J. Minet, Pindy, H. Goullé, Franquin, Varlin, Laporte, Theisz et Verdure pour faire partie de la commission de rédaction de la partie qui devait être réservée à l’AIT dans la Lutte à outrance ; mais ce journal disparut avant que cela ne se concrétise.

En février, le 8, il fut au nombre des 43 socialistes révolutionnaires présentés aux élections législatives par l’Internationale, la Chambre fédérale des sociétés ouvrières et la Délégation des vingt arrondissements de Paris. Il ne fut pas élu.

Frankel s'engage aussi dans la Garde nationale. Celle posait la question du compromis entre les classes : les jeunes ouvriers étaient nombreux dans ses rangs, mais les petit-bourgeois très présentes dans la hiérarchie. Sur la question de participer ou non au commandement de cette institution, Frankel s’oppose à d’autres au sein de l’AIT, dont Varlin.

Le 23 mars, il élabora, avec Demay, Pottier et Theisz, au nom du Conseil fédéral des sections parisiennes de l’Internationale et de la Chambre fédérale des sociétés ouvrières, le manifeste qui engageait le peuple de Paris à voter « pour la Commune ». Il pose la « révolution communale » comme le moyen de parvenir à l’égalité sociale.

Quelques jours plus tard — le 29 — il proposa « la nomination d’une commission qui serait intermédiaire entre la Commune et le Conseil fédéral ». Cette proposition fut adoptée à l’unanimité, mais cependant reprise aux séances des 3 et 10 mai. Il fut finalement décidé que la Commission aurait son siège à l’Hôtel de Ville et que ses membres, toujours révocables par le conseil fédéral, devraient rendre compte de leurs travaux à chacune de ses séances. (Les Séances officielles de l’Internationale à Paris pendant le Siège et pendant la Commune.)

1.3 Élu de la Commune[modifier | modifier le wikicode]

Le 26 mars, Léo Frankel était élu membre de la Commune par 4 080 voix sur 8 010 votants dans le XIIIe arrondissement.

Une décision du Conseil de la Commune acte que Frankel est naturalisé citoyen :

« Considérant que le drapeau de la Commune est celui de la République universelle ; considérant que toute cité a le droit de donner le titre de citoyen aux étrangers qui la servent (...), la commission est d'avis que les étrangers peuvent être admis, et vous propose l'admission du citoyen Frankel. »[2]

Dans une lettre écrite à Karl Marx le 30 mars, il se réjouissait de son élection, « non pour des raisons personnelles », mais parce qu’il appréciait « son importance internationale ». Et il ajoutait : « Si nous réussissions à transformer radicalement le régime social, la révolution du 18 mars serait la plus efficace de celles qui ont eu lieu jusqu’à présent. Ce faisant, nous arriverions à résoudre les problèmes cruciaux des révolutions sociales à venir. Dès lors, il nous faut tout faire pour atteindre notre but. »

Léo Frankel figurait alors sur une liste des principaux membres de la section du XIIIe arr. de l’Internationale (cf. Dict., t. IV, p. 67). Le 29 mars, il fut élu membre de la commission du Travail et de l’Échange dont il devint la cheville ouvrière. En quelque sorte, il est de facto le premier ministre du travail de l'histoire du pays.

Le 5 avril, de celle des Finances. Le 20 avril, il fut délégué au Travail et à l’Échange et, à ce titre, devint membre de la seconde commission exécutive. Il eut trop peu de temps pour réaliser ses vues, mais c’est néanmoins à lui principalement que sont dues quelques-unes des mesures sociales, sinon socialistes, prises par la Commune : décret du 16 avril demandant aux Chambres syndicales ouvrières de constituer une commission d’enquête afin de dresser une statistique des ateliers abandonnés et de présenter un rapport sur les conditions pratiques pour remettre promptement en exploitation ces ateliers « par l’association coopérative des travailleurs qui y étaient employés » ; décret du 20 avril supprimant le travail de nuit pour les ouvriers boulangers — « seul décret véritablement socialiste qui ait été rendu par la Commune à cette date », estimait Frankel — et supprimant les placeurs institués par la police impériale ; arrêté du 27 avril interdisant les amendes et retenues sur appointements et salaires. Et il justifiait ainsi ses propositions à la séance du 12 mai de la Commune :

« La Révolution du 18 mars a été faite exclusivement par la classe ouvrière. Si nous ne faisons rien pour cette classe, nous qui avons pour principe l’égalité sociale, je ne vois pas la raison d’être de la Commune. »

Frankel vota pour le comité de salut public le 1er mai, mais, se réservant le droit de le juger, signa, le 15 mai, la déclaration de la minorité : « La Commune de Paris a abdiqué son pouvoir entre les mains d’une dictature à laquelle elle a donné le nom de Salut public. ».

1.4 Blessé au combat durant la semaine sanglante[modifier | modifier le wikicode]

Deux fois blessé le 25 mai à la barricade de la rue du Faubourg-Saint-Antoine, il fut sauvé par une militante russe de l’Internationale — Élisabeth Dmitrieff — demeurée seule avec lui derrière le tas de pavés, et réussit à fuir cependant que son frère, artiste peintre à Paris, était perquisitionné le 1er juin, sans résultat.

Par contumace, le 6e conseil de guerre le condamna à la peine de mort, le 19 novembre 1872.

1.5 La fuite de Paris et la cavale[modifier | modifier le wikicode]

Frankel arriva à Genève en juin. Son extradition, demandée par le gouvernement français, fut refusée. James Guillaume, qui le rencontra vers le 10 juillet le vit « tout petit jeune homme, noiraud, fort laid » (L’Internationale..., t. II, p. 167).

En août, par la Belgique sans doute, Frankel gagna Londres où il retrouva son ami Robin, membre du Conseil général. Il rompit avec lui peu après lorsque Robin fut exclu du Conseil. Frankel fut élu au Conseil général de l’AIT. Il fut membre de la section de langue française de l’AIT à Londres, dont le secrétaire était Bourdeille.

1.6 Infatigable internationaliste[modifier | modifier le wikicode]

Il participa à la Conférence de l’Internationale qui se tint à Londres du 17 au 23 septembre 1871, désigné avec cinq autres par le Conseil général dans la séance extraordinaire qu’il tint le 16 septembre. Cette Conférence mit en avant l’idée de la constitution de la classe ouvrière en parti politique et, dans une lettre à Karoly Farkas écrite un peu plus tard, Frankel a souligné l’importance de cette idée. « Afin de réaliser cet objectif [la prise du pouvoir], les ouvriers se doivent de créer un parti autonome s’opposant à tous les autres partis, « unique moyen » pour liquider le règne des autres classes. » Frankel prit part très activement aux travaux de la conférence, intervenant une cinquantaine de fois en secondant Marx. Il signa les résolutions de la conférence, ainsi que les statuts généraux et règlements administratifs de l’AIT, comme secrétaire-correspondant pour l’Autriche-Hongrie et, à ce titre également, le 5 mars 1872, la brochure Les prétendues scissions dans l’Internationale.

En septembre 1872, Frankel assista au 5e congrès général de l’Internationale qui se tint à La Haye et fit partie du comité de vérification des pouvoirs. Il y représentait « une section française » — voir Serraillier. Il y soutint Marx le plus souvent, se déclara « favorable à la centralisation » et vota pour l’expulsion de Bakounine et de James Guillaume — non de Schwitzguébel — des rangs de l’Internationale. Il vota pour les pleins pouvoirs au conseil général, mais contre le transfert du siège à New York. Il fit partie du comité chargé d’examiner tous les documents soumis au congrès et d’en faire un rapport, et de la commission chargée de l’examen et de la traduction des procès-verbaux du congrès et du transfert des papiers et des documents au nouveau conseil général. C’est en tant que membre de la commission des procès-verbaux qu’il signa, le 21 juillet 1873, la brochure L’Alliance de la démocratie socialiste et l’Association internationale des travailleurs. Rapport et documents publiés par ordre du Congrès international de La Haye.

Il était toujours à Londres à cette époque, et Engels écrivait à son sujet à Sorge, le 14 juin : « Frankel travaille dans son shop [sa boutique] jusqu’à neuf heures du soir. » (Correspondance F. Engels-K. Marx et divers, publiée par F. A. Sorge, Paris, 1950)

En 1875, il quitta l’Angleterre. Il aurait été expulsé de Rhénanie, puis de Munich ; il fut emprisonné à Vienne à la fin de l’année 1875. Libéré en mars 1876 en Hongrie, il appartint, à partir d’octobre de cette même année, à la rédaction de Munkas Heti-Kronika (La Chronique hebdomadaire des ouvriers) et de l’Arbeiter Wochen-Chronik (titre identique : Chronique hebdomadaire des ouvriers) dont il devint rédacteur en chef en février 1877.

Au congrès international socialiste de Gand, en septembre 1877, il plaida en faveur de l’union des forces socialistes, qu’elles soient d’inspiration marxiste ou libertaire, estimant que les divergences de principe pourraient être résolues ultérieurement.

1.6.1 Hongrie[modifier | modifier le wikicode]

Expulsé de Gand le 15 septembre, Frankel revint en Hongrie où il continua son action de propagandiste et de journaliste et milita en vue de la création d’un parti ouvrier dont le congrès constitutif se tint en avril 1878. Ce congrès mit en avant la conquête du suffrage universel. Frankel devint le chef spirituel du nouveau parti, celui des « non électeurs ». Après la fin de la guerre russo-turque en 1878, il se prononça, dans l’Arbeiter Wochen-Chronik, contre l’occupation de la Bosnie-Herzégovine par la monarchie austro-hongroise, dénonça les charges financières écrasantes de la guerre et fit campagne pour le désarmement général. Au printemps 1880 se constitua le Parti général des ouvriers de Hongrie, dont la déclaration de principe ne se bornait plus à revendiquer le suffrage universel, mais la réalisation d’un programme socialiste. Ce fut Frankel qui, après adoption du programme, en rédigea l’introduction. Il y réclama la nationalisation des moyens de production, y compris celle de la terre. En septembre 1880, Frankel publia un article dans l’Arbeiter Wochen-Chronik, dans lequel, s’adressant aux soldats prussiens, il leur demandait d’apprendre « à sentir et à penser comme le peuple », à agir en sa faveur et à ne plus pratiquer l’obéissance passive. Un procès fut engagé contre lui, et il fut condamné, en mars 1881, à un an et demi de détention. Il fut libéré en février 1883.

1.6.2 Vienne, Paris[modifier | modifier le wikicode]

Des luttes de fractions divisaient le parti et, en juin, Frankel se rendit à Vienne où il demeura jusqu’au début 1889, participant au mouvement ouvrier autrichien. Il s’installa alors à Paris.

En 1890, il était rédacteur à La Bataille de Lissagaray. Il collabora également à divers journaux français et étrangers, le Vorwärts, par exemple, qui lui versait 1 200 f par an au dire de Ch. Vérecque (Dictionnaire du Socialisme). Il participa enfin aux congrès socialistes internationaux : Paris, 1889 ; Bruxelles, 1891 ; Zürich, 1893.

En 1893 et 1894, il fut administrateur de la revue marxiste L’Ère Nouvelle, publiée à Paris sous la direction de George Diamandy.

Il vivait de peu, et un rapport de police du 26 décembre 1891 précise : « Sa mise est convenable et on le voit toujours coiffé d’un chapeau haut de forme, mais on prétend que sa chambre est misérablement meublée et que ses ressources paraissent bien modestes ; il fait souvent sa cuisine lui-même. »

Frankel se maria en 1892 et eut deux enfants.

1.7 Mort et testament[modifier | modifier le wikicode]

Le 2 janvier 1896, on le transportait, moribond, à Lariboisière, « échappant à la pneumonie pour subir consécutivement trois douloureuses opérations d’abcès froids engendrés par l’épuisement ». Il mourut le 29 mars et eut le corbillard « de septième classe », et « la famille du défunt n’ayant pas acquitté les droits d’inhumation, un retard d’une demi-heure s’est produit » au cimetière, précise un rapport de police du 2 avril. Des discours furent prononcés par Vaillant, Longuet et autres, et Gérault-Richard lut son testament :

« Ayant vécu libre penseur, je veux mourir de même. Je demande donc qu’aucun prêtre d’aucune Église n’approche de moi, soit à l’heure où je meurs, soit à mon enterrement, pour « sauver » mon âme.

« Je ne crois ni à l’enfer, ni au ciel, ni aux châtiments ni aux récompenses dans un autre monde.

« Enfer et ciel, châtiments et récompenses vivent dans la conscience de chacun. Le remords et le contentement sont le châtiment et la récompense que chacun reçoit et porte en soi en rapport de ses actions, bonnes ou mauvaises.

« Je meurs sans crainte.

« Mon enterrement doit être aussi simple que celui des derniers crève-de-faim.

« La seule distinction que je demande c’est d’envelopper mon corps dans un drapeau rouge, le drapeau du prolétariat international, pour l’émancipation duquel j’ai donné la meilleure part de ma vie et pour laquelle j’ai toujours été prêt à la sacrifier. »

Il est enterré au Père-Lachaise (96e division) dans un drapeau rouge, selon ses dernières volontés[3]. Un monument est érigé par souscription internationale des socialistes d'Allemagne, d'Autriche, de France, de Hongrie et de Suisse[4]. Son corps fut plus tard transféré en 1968 au cimetière national de Fiumei út à Budapest.

Répondant à la demande de l’association des Amies et Amis de la Commune de Paris, la Ville de Paris a décidé de donner le nom du communard à une voie nouvelle du XIIIe arrondissement. L’inauguration de cette rue a eu lieu le 22 mai 2015. Il existe également une synagogue Léo Frankel à Budapest.

2 Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Articles[modifier | modifier le wikicode]

2.2 Ouvrages[modifier | modifier le wikicode]

  • Julien Chuzeville, Léo Frankel, communard sans frontières, Libertalia, 2021 (ISBN 978-2-3772-9165-6)
  • Bernard Noël, Dictionnaire de la Commune de Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1978
  • Jules Clère, Les Hommes de la Commune, Paris, Édouard Dentu, 1871

2.3 Radio[modifier | modifier le wikicode]

3 Notes[modifier | modifier le wikicode]

  1. Archives de Paris, État-civil numérisé du 10e arrondissement, registre des décès de l'année 1896, acte n° 1348. Selon ce document, il est fils d'Albert Frankel et de Régina Deutsch, et époux d'Adèle Perreard.
  2. Séance du 30 mars 1871 du Conseil de la Commune de Paris
  3. Raoul Dubois, À l'assaut du ciel : La Commune racontée, Editions de l'Atelier, 1991, 398 p. (ISBN 978-2-7082-2880-1, p. 260
  4. Jules Moiroux, Le cimetière du Père Lachaise, Paris, S. Mercadier, 1908, p. 163