Entrisme

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Le Parti communiste chinois faisait à l'origine de l'entrisme dans le Kuomintang

L'entrisme est une stratégie politique révolutionnaire qui consiste à faire entrer de manière concertée des membres d'une organisation militante dans une autre organisation ouvrière (syndicat, parti ouvrier réformiste, etc...). L'objectif est variable : cela peut aller du recrutement de nouveaux membres se radicalisant, à des tentatives d'influer sur l'orientation de l'organisation ciblée pour parvenir à infléchir la stratégie de l'ensemble de l'organisation. Il existe deux types d'entrisme : officiel (que Léon Trotski appelle « à drapeaux déployés ») et clandestin.

1 Histoire[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Premiers exemples[modifier | modifier le wikicode]

Friedrich Engels raconte comment les membres de la Ligue des communistes avaient de fait la direction de l'Association éducative des travailleurs allemands (une association large d'ouvriers émigrés à Londres) et plus largement d'autres groupes larges.

« Cette société servit à la Ligue de terrain de recrutement de nouveaux membres. Et les communistes étant, comme toujours, les membres les plus actifs et les plus intelligents de l’Association, il va de soi que toute la direction fut entre les mains de la Ligue, qui eut bientôt plusieurs communes, ou, comme on disait alors, « ateliers » à Londres. On suivit la même tactique, si nette et si précise, en Suisse et ailleurs. Partout où l’on pouvait fonder des associations ouvrières, on les utilisait de la même façon. Dans les pays où les lois n’autorisaient pas ces créations, on fréquentait les sociétés de gymnastique, de chant, etc. »[1]

Au Royaume-Uni, le mouvement ouvrier s'est structuré de manière massive bien plus tôt qu'ailleurs, mais il était moins politisé et moins connecté au socialisme que sur le continent. Pendant toute la fin du 19e siècle, alors qu'il existait de puissants syndicats, leurs dirigeants n'étaient pas socialistes et il n'y avait pas de représentation politique indépendante de la classe ouvrière. A côté de ces syndicats, il n'existait que de petits groupes socialistes. Lorsque finalement les dirigeants syndicaux ont créé le Parti travailliste (Labour) en 1900, les socialistes ont dû se poser la question de leur rapport avec ce parti, qui était hégémonique dans la classe ouvrière. La plupart ont fait le choix de s'affilier au Labour, souvent en espérant à terme rendre le socialisme majoritaire.

La même logique s'appliquait à l'Australie où le paysage politique était proche. Par exemple la plupart des membres du Victorian Socialist Party étaient aussi membres du Parti travailliste, et espéraient le « creuser de l'intérieur ».

1.2 Internationale Communiste[modifier | modifier le wikicode]

1.2.1 1921 : Une question de survie pour le PC de Grande-Bretagne[modifier | modifier le wikicode]

En 1921, la situation en Angleterre apparaît contradictoire. Dans le contexte de la crise européenne après la fin de la guerre mondiale, les ouvriers se radicalisent. La structuration du mouvement ouvrier britannique, autour du syndicat-parti qu'est le Labour (Parti Travailliste), permet néanmoins aux réformistes de garder la main, et même de soutenir l'intervention coloniale britannique en Irlande sans remous. Au second congrès de l'Internationale Communiste en 1921, celle-ci voit dans cette situation un danger pouvant compromettre les liens du Parti Communiste de Grande-Bretagne avec la classe ouvrière. Le congrès vote dans ces circonstances la décision de demander l'affiliation du Parti Communiste au Parti Travailliste afin de ne pas se couper des masses, et en cas de refus d'exposer les errements de la direction du Parti Travailliste. Celui-ci refuse cette demande d'affiliation, tout comme celle qui vont suivre, ce qui va forcer le Parti communiste (CPGB) à une existence indépendante.

1.2.2 1924-1927 : Entrisme des communistes chinois dans le Kuomintang[modifier | modifier le wikicode]

Après une dure répression du mouvement ouvrier et du jeune Parti communiste chinois (PCC) en 1923, les dirigeants du parti et de l’Internationale décident un virage stratégique, sous la forme d’une alliance avec le Kuomintang (KMT). L’idée est de s’appuyer sur ce parti bourgeois nationaliste progressiste pour développer le PCC à la fois en soutenant la cause de la révolution nationale et démocratique chinoise, en bénéficiant d’une certaine « couverture » pour protéger les militants communistes et pour nouer des liens avec les membres les plus progressistes du KMT. Sun Yat-Sen, le dirigeant du parti, tient alors des propos socialisants.

L'objectif principal du KMT est alors de conquérir l'ensemble du pays, qui depuis 1911 est morcelé et contrôlé par différents « seigneurs de la guerre ». ils ont donc un besoin impérieux d’argent et d’armes pour lancer leurs offensives militaires ; dès lors, ils voient dans l’alliance avec les communistes une opportunité pour se développer dans les villes grâce à des militants qu’ils savent dévoués et efficaces, et surtout pour bénéficier d’un appui politique, financier et militaire de la part de l’État soviétique.

Les dirigeants du KMT soumettent l’alliance envisagée à une condition impérative ; les communistes ne pourront entrer qu’à titre individuel dans le parti nationaliste, et n’auront pas le droit d’y faire de la propagande communiste. Les dirigeants de l’Internationale communiste, dont le président est Zinoviev, demandent au PCC d’accepter la condition imposée par le Kuomintang. L’alliance est donc scellée en janvier 1923, et des accords entre Sun Yat-Sen et l’État soviétique sont signés (les « accords Sun-Joffé »).

Dès lors, la plupart des militants communistes seront investis à temps plein dans la construction du KMT. Pendant ces premières années, ils se construisent rapidement, et dominent l'aile gauche du KMT. Cependant, la situation change à la mort de Sun Yat-Sen (1925), qui est remplacé par Tchang Kaï-chek, hostile aux communistes. Tandis que la tension augmente, la direction de l'IC (Zinoviev et Staline faisant bloc contre Trotski) insiste pour que le PCC donne de plus en plus de gages d'obéissance. Jusqu'à la catastrophe : en 1927, l'avant-garde des ouvriers communistes est massacrée par le KMT.

Trotski était contre l'entrée dans le KMT depuis le début. Cependant, il dira rétrospectivement : « l’entrée en elle-même, en 1922, n’était pas un crime, peut-être même pas une erreur, surtout dans le Sud, si on admet que le Guomindang avait, à cette époque, nombre d’ouvriers et que le jeune parti communiste était faible et composé surtout entièrement d’intellectuels (c’est vrai pour 1922). »[2] Il votera la politique en Chine à plusieurs reprises, et cela fut un cheval de bataille de l'Opposition de gauche (même si, lors de la tentative de bloc avec les zinoviévistes, ce point de désaccord fut mis de côté)[3].

1.3 Opposition de Gauche[modifier | modifier le wikicode]

1.3.1 1934 : l’entrisme comme tactique de court terme[modifier | modifier le wikicode]

C'est sur ce précédent que se fonde Trotski pour définir sa politique sur l'entrisme dans le contexte de l’entre-deux-guerres, marqué par les dangers fasciste d’un côté, staliniste de l’autre. L’époque est déroutante y compris pour le mouvement trotskyste. C’est ainsi que, selon Daniel Bensaïd, « les recommandations de Trotski pendant les années 30 épousent au mois près les fluctuations d'une situation mouvante ». La stratégie va donc varier, et l’entrisme correspond à l’une de ses orientations au cours de l’année 1934, Trotski publiant le premier article à ce sujet, dans La Vérité, le 10 juillet 1934, sans toutefois le signer. Le 3 août 1934, Raymond Molinier, dirigeant de la Ligue communiste, signe lui aussi un texte intitulé « Unité organique? Oui! » dans lequel il va jusqu'à envisager la fusion entre la SFIO et le PCF.

Cette année est en effet marquée par l’émergence de courants mettant en danger la direction de la sociale-démocratie. En Autriche, l’insurrection ouvrière est brutalement réprimée tandis que les émeutes du 6 février 1934 à Paris déstabilisent la Troisième République. Face à cela, des ailes gauches actives apparaissent au sein des partis socialistes, ce qui crée des opportunités en Europe.

1.3.1.1 En France[modifier | modifier le wikicode]

La Ligue communiste, sur les conseils de Trotski, entre dans la SFIO en 1934, et se regroupe autour de la tendance Bolchévique-léniniste (BL). Trotski écrit à Marceau Pivert, représentant de la tendance Gauche Révolutionnaire de la SFIO :

« Les Bolcheviques-léninistes se considèrent comme une fraction de l’Internationale qui se bâtit. Ils sont prêts à travailler la main dans la main avec les autres fractions réellement révolutionnaires. »

C'est ainsi qu’au cours de l'année 1934, l’entrisme « à drapeau déployé » - des partisans issus de l'organisation trotskyste se regroupent en « tendance », « courant » et tentent d’infléchir les orientations de la SFIO - se développe avec succès. Les trotskystes organisent des noyaux de militants de gauche dans la SFIO et contrôlent la fédération de la Seine des Jeunesses Socialiste. La direction de la SFIO, qui voit son autorité remise en cause et veux avoir les mains libre pour discuter avec le PCF stalinien, lance en juillet 1935, au congrès national de Lille, une purge des trotskystes. Les exclus créent en 1936 le Parti ouvrier internationaliste (POI) et la Jeunesse Socialiste Révolutionnaire (JSR). Une partie des trotskystes, autour de Raymond Molinier, ne sont pas expulsés tout de suite, et se rapprochent de Marceau Pivert, ce qui ne les protégera pas d'être à leur tour exclus en décembre 1935.

Après une période d’existence indépendante dans diverses organisations trotskystes, ceux-ci entrèrent individuellement dans le Parti Socialiste Ouvrier et Paysan de Marceau Pivert en 1938, ce qui permis à nouveau aux trotskystes de se renforcer jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale.

1.3.1.2 En Espagne[modifier | modifier le wikicode]

En 1931 la monarchie espagnole a été renversée. Cette situation fait que les organisations ouvrières espagnoles se renforcent, notamment les groupes de l’opposition de gauche.  La section espagnole joue un rôle important dans la constitution des alliances ouvrière en 1933-34. Mais elle rompt avec Trotski pour former le POUM, alors que celui-ci demandait un travail au sein de Parti Socialiste Ouvrier Espagnol, et surtout de ses jeunesses, qui se radicalisait à ce moment. Le POUM fini par rejoindre le Bureau de Londres.

1.3.1.3 Au Royaume-Uni[modifier | modifier le wikicode]

L’entrisme n’est pas dans ce pays proposé par Trotski au début des années 30 vers un parti social-démocrate au sens propre, mais vers l’Independant Labour Party, un parti que Trotski qualifie de centriste, c’est-à-dire oscillant entre position révolutionnaire et réformiste. Le but est de gagner assez de militants de ce parti au trotskysme afin d’en faire un véritable parti révolutionnaire. Malgré ces efforts, la majorité de l’ILP se range du côté du Bureau de Londres pendant la guerre d’Espagne, rompant ainsi avec le trotskysme. A partir de 1936, les groupes trotskystes britannique se tournent plutôt vers un travail entriste au sein du Parti Travailliste.

1.3.1.4 Aux États-Unis[modifier | modifier le wikicode]

Des résultats plus probants furent obtenus aux États-Unis. En 1934, la Communist League, trotskyste, avait fusionné avec l’American Workers Party pour créer le Workers Party. Au début de 1936, ce parti suivi les conseils de Trotski d’entrer dans le Parti Socialiste pour y gagner les éléments les plus à gauche. Ce travail eu lieu tout au long de l’année 1937, via la parution du bulletin trotskyste Socialist Appeal. Quand le Parti Socialiste pris la décision d’expulser le groupe, qui avait réuni la plupart de la gauche du PS autour de lui, en décembre 1937, les trotskystes avaient gagnés la majorité des YPSL, les Jeunesses Socialistes. Ces gains militants soutinrent la création du Socialist Workers Party au début de 1938.

1.3.1.5 En Belgique[modifier | modifier le wikicode]

La section belge (LCI), qui a déjà une implantation dans les entreprises, publie son programme en 1935 avant d’entrer dans le Parti ouvrier belge jusqu’en 1936 (renforcée, elle fonde le Parti Socialiste Révolutionnaire).

1.3.2 1952 - 1953 : entrisme sui generi et dispersion durable[modifier | modifier le wikicode]

Les années 1950 correspondent à une cristallisation de la situation de guerre froide. Les trotskystes se sentent plus que jamais impuissants dans le jeu politique mondial qui semble polarisé entre les deux blocs. C’est alors qu’une partie de leurs dirigeants sont tentés par la stratégie d'entrisme, cette fois tournée vers les partis communistes alignés sur Moscou, ce qui implique à l'époque une clandestinité forcée. Le principal promoteur de cette stratégie est Michel Raptis, dit Pablo. Il constate que « la réalité sociale objective […] est composée essentiellement du régime capitaliste et du monde stalinien » et que la troisième guerre mondiale est imminente. Il en déduit que le seul moyen pour les trotskystes d’influer réellement sur le cours de l’histoire est de se confronter aux travailleurs et aux partis qui les représentent. C’est-à-dire aux puissants partis communistes des pays occidentaux, présenté comme l’extension de la bureaucratie russe, progressiste face aux impérialismes occidentaux. Il précise que « cette intégration doit commencer par les organisations périphériques pour arriver jusqu'au parti communiste même ». Selon Pablo, le militant doit « mettre tout à fait à l'arrière-plan sa qualité de trotskyste si les directions bureaucratiques l’exigent, et si nous-mêmes arrivons à la conclusion que c’est là la condition pour faciliter notre intégration ».

Il préconise également l’entrisme sui generi dans les organisations nationalistes des pays arriéré, dans la même optique de soutien au mouvement progressiste.

Cette clandestinité répond au monolithisme aligné sur Moscou des PC de l'époque, mais aussi fais le pari de ruptures radicales au sein des PC qui ne pourront manquer de se produire d'après les tenants de cette théorie. C’est pourquoi Daniel Bensaïd parle d'un « entrisme spéculatif ». Il apparaît que cette stratégie est le seul moyen d’action d’un mouvement qui dénonce « l’usurpation du pouvoir par une bureaucratie privilégiée » en URSS.

Elle provoque cependant de nombreux antagonismes, et sera la cause du plus grave déchirement qu’ait connu la IVe Internationale depuis sa création. En effet, dès l’énoncé de ses thèses, Michel Pablo est critiqué. Marcel Bleibtreu, secrétaire du PCI, critique cette stratégie. Il préfère que cet entrisme clandestin soit réservé à une toute petite part des militants, dans le but de constituer une fraction. Pablo, au contraire, ne veux conserver qu’un noyau de militants minuscule autour du journal trotskyste, et envoyer la masse des militants au sein des PC.

1.3.2.1 En France[modifier | modifier le wikicode]

La rupture a lieu avec le congrès de juillet 1952. La majorité du PCI refuse l’entrisme dans les organisations staliniennes. La minorité de celui-ci acte la stratégie d'entrisme, mais provoque une grave scission.

La minorité, autour du journal La Vérité des Travailleurs puis Quatrième Internationale, mène donc le travail entriste au sein du PCF et de l’UEC, gagnant clandestinement des membres à ses positions. Le groupe est néanmoins très petit et se renforce surtout par son travail non entriste, surtout en Normandie et dans les syndicats enseignants. Cette situation va continuer jusqu’en 1968, avec la fondation de la Ligue Communiste. Certains militants, comme Jean-Michel Krivine, vont néanmoins rester dans le PCF jusqu’au milieu des années 70. Le principal résultat du travail entriste du PCI va se faire ressentir non dans le PCF, mais au sein de l’UEC, où l’aile gauche va être expulsée en 1966 et fonder la Jeunesse Communiste Révolutionnaire, qui rejoindra la Ligue Communiste après sa dissolution.

Au début de 1956, un groupe d’une douzaine de membre, autour de Bleibtreu et de Lequenne, expulsé du PCI majoritaire pour des divergence sur la Guerre d’Algérie, commencèrent une opération d’entrisme à drapeau déployé au sein de l’Union de la Gauche Socialiste, avec une revue, Tribune Marxiste. En avril 1960, l’UGS participe à la création du Parti Socialiste Unifié, ce qui ouvre de nouvelles possibilités pour le petit groupe trotskyste, qui organisa une tendance socialiste révolutionnaire en son sein. Des militants comme Michel Löwy ou Arlette Laguiller furent gagnés au trotskysme par ce groupe

1.3.3 Années 1960 - 1990[modifier | modifier le wikicode]

1.3.3.1 En France[modifier | modifier le wikicode]

Le terme entrisme a également été employé abusivement pour qualifier une toute autre pratique, menée par le cercle dirigeant de l'Organisation Communiste Internationaliste. Des militants de l'organisation sont mis en place dans des organisations réformistes afin d'y occuper des postes d'importance. Cette pratique, qualifiée de "sous-marinage", a surtout pour but de renforcer le réseau d'influence de Pierre Lambert lui-même.

Cette stratégie ne donne pas nécessairement de résultat notable. Par exemple, bien au contraire, Lionel Jospin, dont Edwy Plenel affirme qu'il avait été infiltré de l'OCI au PS, aurait peu à peu renoncé à ses idéaux de jeunesse en adhérant au PS, tout en cumulant ses remises de rapports à Lambert (dirigeants du mouvement trotskiste international) et ses responsabilités politiques socialistes.

Lambert est même pris à son propre piège en 1986, quand les dirigeants du secteur jeune du Parti Communiste Internationaliste, Benjamin Stora et Christophe Cambadélis, organisent le départ de 450 militants du PCI au Parti Socialiste.

1.3.3.2 Au Royaume-Uni[modifier | modifier le wikicode]

A Liverpool dans les années 1980 le groupe trotskiste Militant était devenu majoritaire dans le Parti travailliste, et a dirigé la mairie sous cette étiquette en 1983 et 1987.

2 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  • Daniel Bensaïd, Les Trotskismes, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2002.
  • Christophe Nick, Les Trotskistes, Fayard, 2002
  • Michel Lequenne, Le trotskisme, une histoire sans fard, 2005
  • Edwy Plenel, Secrets de jeunesse, Paris, Stock, 2001.
  • Jean Jacques Marie, Le Trotskisme et les trotskystes, Armand Colin, 2002.
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