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Quelques mots sur l'histoire de la Ligue des communistes
Auteur·e(s) | Friedrich Engels |
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Écriture | 18 octobre 1885 |
Avec la condamnation des communistes de Cologne, en 1852[1], le rideau tombe sur la première période du mouvement ouvrier autonome allemand. Cette période est, de nos jours, presque oubliée. Elle s’étendit cependant de 1836 à 1856 ; et, en raison de la dissémination des ouvriers allemands à l’étranger, le mouvement se fit sentir dans presque tous les États civilisés. Bien plus. L’actuel mouvement ouvrier international est au fond la continuation directe du mouvement allemand d’alors, qui fut en somme le premier mouvement ouvrier international, et d’où sont sortis beaucoup d’hommes qui prirent, dans l’Association internationale des travailleurs, le rôle directeur. Et les principes théoriques que, dans le Manifeste communiste de 1847, la Ligue des communistes inscrivit sur son drapeau forment aujourd’hui le lien international le plus fort de tout le mouvement prolétarien d’Europe et d’Amérique.
Pour l’histoire d’ensemble de ce mouvement, il n’existe jusqu’ici qu’une seule source principale. C’est ce qu’on appelle le livre noir : Die Kommunistenverschwörungen des 19. Jahrhunderts, par Wermuth et Stieber. Berlin, en deux parties, 1853 et 1854. Ce factum, dû à deux hommes qui comptent parmi les plus misérables canailles policières de notre siècle, n’est qu’un ramassis de mensonges et fourmille de faux commis volontairement ; il sert encore aujourd’hui de source ultime, pour l’étude de cette époque, à tous les écrits non communistes.
Ce que je puis donner ici n’est qu’une esquisse, et encore cette esquisse ne parle-t-elle que de ce qui se rapporte directement à la Ligue même et est absolument indispensable pour l’intelligence des présentes Révélations. J’espère qu’il me sera permis un jour de mettre en œuvre la riche documentation que nous avons, Marx et moi, réunie pour servir à l’histoire de cette jeunesse glorieuse du mouvement ouvrier international.
En 1834, les réfugiés allemands fondèrent à Paris la Ligue secrète républicaine démocratique des proscrits. En 1836, il s’en détacha les éléments les plus extrêmes, pour la plupart prolétariens, qui fondèrent une nouvelle ligue secrète, la Ligue des justes. La ligue-mère, où il n’était resté que les éléments les plus engourdis, à la Jakob Venedey, fut bientôt plongée en plein sommeil ; et lorsque la police, en 1840, en éventa quelques sections en Allemagne, ce n’était plus à peine qu’une ombre. La nouvelle ligue, par contre, eut un développement relativement rapide. À l’origine, c’était un rejeton allemand du communisme ouvrier français, inspiré de réminiscences de Babeuf[2], qui se développait à cette époque même à Paris ; la communauté des biens était réclamée comme une conséquence nécessaire de l’« égalité ». Les buts étaient identiques à ceux des sociétés parisiennes secrètes de ce temps : partie association de propagande, partie association de conjuration, Paris restant cependant toujours le centre de l’action révolutionnaire, bien que l’on ne se défendît nullement de fomenter à l’occasion des troubles en Allemagne. Mais, comme Paris restait le champ de bataille décisif, la Ligue n’était alors, en fait, que la section allemande des sociétés secrètes françaises, surtout de la Société des saisons, fondée par Blanqui et Barbès, avec laquelle elle était en relations étroites. Les Français déclenchèrent l’insurrection le 12 mai 1839 ; les sections de la Ligue emboîtèrent le pas et furent entraînées ainsi dans la défaite commune[3].
Parmi les Allemands, on avait arrêté notamment Karl Schapper et Heinrich Bauer. Le gouvernement de Louis-Philippe se contenta de les expulser après une assez longue détention. Tous deux se rendirent à Londres. Schapper, originaire de Weilburg (Nassau), adhéra en 1832, alors qu’il étudiait les sciences forestières à Giessen, à la conspiration ourdie par Georg Büchner, prit part, le 3 avril 1833, à l’assaut de la grand-garde de Francfort[4], put passer la frontière et participa, en février 1834, à l’expédition de Mazzini en Savoie[5]. D’une taille de géant, énergique et résolu, toujours prêt à mettre en jeu l’existence et la vie bourgeoises, il était le type du révolutionnaire de profession tel qu’il joua un rôle entre 1830 et 1840. Malgré une certaine lourdeur de la pensée, il n’était pas du tout inaccessible à une compréhension théorique meilleure, comme il l’a prouvé d’ailleurs par son évolution de « démagogue[6] » à communiste ; une fois la vérité reconnue, il y tenait avec d’autant plus d’entêtement. C’est précisément à cause de cela que sa passion révolutionnaire emportait parfois sa raison ; mais il a toujours, dans la suite, compris et franchement avoué son erreur. C’était un homme dans toute la force du terme, et ce qu’il a fait pour la fondation du mouvement ouvrier allemand restera inoubliable.
Heinrich Bauer, de Franconie, était cordonnier ; c’était un petit homme vif, éveillé, spirituel, qui cachait dans son petit corps beaucoup de finesse et de décision.
Arrivés à Londres où Schapper, qui avait été typographe à Paris, essaya de gagner sa vie comme professeur de langues, tous deux renouèrent les fils rompus de l’Association et firent de Londres le centre de la Ligue. À eux se joignit à Londres, s’il ne l’avait déjà fait à Paris, Joseph Moll, horloger, originaire de Cologne. C’était un hercule de taille moyenne, – que de fois Schapper et lui n’ont-ils pas défendu victorieusement la porte d’une salle contre la poussée de centaines d’adversaires, – un homme qui, du moins l’égal de ses deux compagnons pour l’énergie et la décision, les surpassait tous deux en intelligence. Il n’était pas seulement un diplomate né, comme en témoignent les succès des nombreuses missions dont il fut chargé ; il s’entendait aussi, plus que les autres, aux matières théoriques. C’est en 1843 que je les connus tous les trois à Londres. C’étaient les premiers prolétaires révolutionnaires que j’eusse vus. Et bien que, sur des points de détail, il y eût alors grande divergence entre nos idées, – à leur communisme égalitaire borné[7], j’opposais encore une bonne part d’orgueil philosophique non moins borné, – je n’oublierai jamais l’impression imposante que ces trois hommes véritables firent sur moi qui n’étais encore qu’en train de devenir un homme.
À Londres, comme dans des proportions moindres en Suisse, ils profitèrent de la liberté d’association et de réunion. Dès le 7 février 1840, ils fondèrent l’Association légale des ouvriers allemands pour la propagation de l’instruction, société qui existe encore aujourd’hui[8]. Cette société servit à la Ligue de terrain de recrutement de nouveaux membres. Et les communistes étant, comme toujours, les membres les plus actifs et les plus intelligents de l’Association, il va de soi que toute la direction fut entre les mains de la Ligue, qui eut bientôt plusieurs communes, ou, comme on disait alors, « ateliers » à Londres. On suivit la même tactique, si nette et si précise, en Suisse et ailleurs. Partout où l’on pouvait fonder des associations ouvrières, on les utilisait de la même façon. Dans les pays où les lois n’autorisaient pas ces créations, on fréquentait les sociétés de gymnastique, de chant, etc. La liaison était en majeure partie maintenue par les membres qui allaient et venaient continuellement et qui, en cas de besoin, remplissaient le rôle d’émissaires. Dans les deux sens, la Ligue fut grandement soutenue par la sagesse des gouvernements qui, en expulsant tout ouvrier indésirable, – et neuf fois sur dix celui-ci faisait partie de l’Association, – le transformaient en émissaire.
La Ligue reconstituée prit une extension considérable. En Suisse notamment Weitling, Auguste Becker (très belle intelligence, mais qui, comme tant d’Allemands, fut la victime de sa propre inconsistance intérieure), et d’autres, avaient créé une forte organisation affiliée plus ou moins au système communiste de Weitling. Ce n’est ni le moment ni le lieu de faire la critique du communisme de Weitling. Mais, quant à l’importance qu’il revêt en tant que première manifestation théorique indépendante du prolétariat allemand, je souscris encore aujourd’hui à ce que Marx a dit dans le Vorwärts[9] parisien de 1844 :
« Où donc la bourgeoisie (allemande), sans excepter ses philosophes et ses savants, pourrait-elle présenter un ouvrage comparable à celui de Weitling : Garanties de l’harmonie et de la liberté sur l’émancipation de la bourgeoisie, – l’émancipation politique ? Compare-t-on la médiocrité timide et terre à terre de la littérature politique allemande avec ce début littéraire, énorme et brillant, des ouvriers allemands ; compare-t-on ces bottes de géant du prolétariat à son aurore avec les tout petits souliers éculés de la bourgeoisie politique allemande, on ne peut faire autrement que prédire une taille gigantesque au Cendrillon. »
Cette taille gigantesque, le Cendrillon allemand la possède aujourd’hui, et il n’a pas fini de grandir.
Il existait également en Allemagne de nombreuses sections, naturellement de caractère plus éphémère ; mais celles qui naissaient compensaient et au-delà celles qui disparaissaient. Ce ne fut qu’au bout de sept ans, en 1846, que la police découvrit à Berlin (Mentel) et à Magdebourg (Beck) une trace de la Ligue, mais sans pouvoir la poursuivre plus loin.
Weitling, qui se trouvait encore à Paris en 1840, y avait également, avant de partir pour la Suisse, regroupé les éléments dispersés.
Le noyau de la Ligue était formé par les tailleurs. Partout il y avait des tailleurs allemands, en Suisse, à Londres, à Paris.
Dans cette dernière ville, la langue allemande prédominait à tel point dans ce corps de métier, que j’y ai connu, en 1846, un tailleur norvégien, passé directement par mer de Drontheim en France et qui, en dix-huit mois, avait fort bien appris l’allemand, mais pour ainsi dire pas un mot de français. En 1847, deux des communes de Paris se composaient surtout de tailleurs et une autre d’ouvriers ébénistes.
Depuis que le centre de gravité avait été transféré de Paris à Londres, un autre facteur fut mis en relief : d’allemande qu’elle était la Ligue se transforma peu à peu en ligue internationale. Dans la société ouvrière, en dehors des Allemands et des Suisses, se rencontraient également des membres appartenant à toutes les nationalités qui se servaient principalement de la langue allemande dans leurs relations avec les étrangers, notamment des Scandinaves, des Hollandais, des Hongrois, des Tchèques, des Slaves du Sud, et aussi des Russes et des Alsaciens. En 1847, un grenadier de la garde anglaise assistait régulièrement en uniforme aux séances. La société ne tarda pas à prendre le titre de : Cercle d’étude ouvrier communiste. Sur les cartes de membre, la devise : « Tous les hommes sont frères » se trouvait reproduite en vingt langues au moins, bien que, par-ci par-là, non sans faute. À l’exemple de la société légale, la société secrète, elle aussi, prit bientôt un caractère plus international, d’abord dans un sens encore restreint : en pratique, parce que les membres appartenaient à des nationalités différentes, en théorie, parce qu’on avait compris que, pour être victorieuse, toute révolution devait être européenne. On n’alla pas plus loin ; mais les bases étaient jetées.
Par l’intermédiaire des combattants du 12 mai 1839, réfugiés à Londres, on se tenait en relations étroites avec les révolutionnaires français. De même avec les Polonais, radicaux. Il va de soi que l’émigration polonaise officielle était, ainsi que Mazzini, adversaire plutôt qu’allié de la Ligue. À cause du caractère spécifiquement anglais de leur mouvement, les chartistes anglais furent laissés de côté comme non-révolutionnaires.
Ce n’est que plus tard que, par mon intermédiaire, les dirigeants londoniens de la Ligue entrèrent en relations avec eux.
À d’autres points de vue encore, le caractère de la Ligue s’était modifié avec les événements. Bien que l’on considérât toujours, à juste titre du reste, Paris comme la ville-mère de la révolution, on s’était pourtant libéré de la sujétion aux conspirateurs parisiens. Au fur et à mesure qu’elle gagnait du terrain, la Ligue prenait davantage conscience d’elle-même. On sentait qu’on prenait de plus en plus racine dans la classe ouvrière allemande, et que ces ouvriers avaient la mission historique d’être le porte-drapeau des ouvriers du nord et de l’est de l’Europe. On avait, en Weitling, un théoricien communiste que l’on pouvait hardiment mettre en parallèle avec ses concurrents français de l’époque. Enfin, l’on avait appris, par l’expérience du 12 mai, qu’il fallait renoncer momentanément aux tentatives d’émeutes. Si l’on continuait néanmoins à s’interpréter tout événement comme un présage de la tempête imminente ; si l’on maintenait en somme les anciens statuts à demi conspirateurs, la faute en était surtout à l’ancien entêtement révolutionnaire, qui commençait déjà à se heurter à la nouvelle compréhension plus judicieuse.
Par contre, la doctrine sociale de la Ligue, quelque imprécise qu’elle fût, avait un très grand défaut, provenant des conditions même du moment. Les membres de la Ligue, ceux du moins qui étaient des ouvriers, étaient presque exclusivement des artisans proprement dits. La plupart du temps l’homme qui les exploitait n’était lui-même, dans les grandes villes, qu’un petit patron. L’exploitation même de la couture en grand, de ce qu’on appelle actuellement la confection, par la transformation du métier en industrie à domicile au compte d’un grand capitaliste, commençait à peine à Londres. D’une part, l’exploiteur de ces artisans était un petit patron ; et, d’autre part, tout le monde espérait devenir un jour petit patron. Et en outre l’artisan allemand de ce temps-là était encore infecté d’une foule d’idées héritées des anciennes corporations. Et ce qui leur fait le plus grand honneur, c’est que, eux, qui n’étaient pas encore des prolétaires dans toute l’acception du terme, qui ne constituaient qu’un élément complémentaire de la petite bourgeoisie, mais en train d’évoluer vers le prolétariat moderne, sans être toutefois en opposition directe avec la bourgeoisie, c’est-à-dire le grand capital, c’est que ces artisans furent capables d’anticiper instinctivement leur développement futur et de se constituer, bien que ce ne fût pas encore avec une pleine conscience, en parti du prolétariat. Mais il était également inévitable que leurs vieux préjugés d’artisans vinssent à tout instant leur donner un croc-en-jambe, dès qu’il s’agirait de critiquer par le détail la société existante, c’est-à-dire d’étudier des faits économiques. Et je ne crois pas qu’à cette date la Ligue ait compté un seul adhérent ayant jamais lu un traité d’économie. Mais cela n’avait pas grande importance. Pour le moment, l’égalité, la fraternité et la justice suffisaient à faire franchir tout obstacle théorique.
Entre-temps, à côté du communisme de la Ligue et de Weitling, il s’en était constitué un autre, essentiellement différent. À Manchester, je m’étais rendu compte, de la façon la plus nette, que les faits économiques, auxquels les historiens n’ont, jusqu’à nos jours, attribué qu’un rôle secondaire, quand ils leur en attribuaient un, constituent, du moins dans le monde moderne, une force historique décisive ; qu’ils forment le fondement sur lequel s’élèvent les actuels antagonismes de classe ; que ces antagonismes de classe, dans les pays où la grande industrie en a favorisé le plein épanouissement, donc notamment en Angleterre, constituent à leur tour la base de la formation des partis politiques, des luttes de parti, et par conséquent de toute l’histoire politique. Non seulement Marx avait abouti à la même idée, mais, dès 1844, il l’avait généralisée dans des Deutsch-Franszösische Jahrbücher[10] et exposé qu’en somme ce n’est pas l’État qui conditionne et règle la société bourgeoise, mais la société bourgeoise qui conditionne et règle l’État, qu’il faut donc expliquer la politique et l’histoire par les conditions économiques et leur évolution, et non inversement. Lorsqu’en été 1844 j’allai voir Marx à Paris, nous constatâmes notre complet accord dans toutes les questions théoriques ; et c’est de cette époque que date notre collaboration. Quand nous nous retrouvâmes à Bruxelles au printemps 1845, Marx avait déjà, sur les principes ci-dessus, complètement construit sa théorie matérialiste de l’histoire, et nous nous mîmes à développer par le détail et dans les directions les plus diverses notre nouvelle conception.
Mais cette découverte, qui bouleverse la science historique et qui est, comme on le voit, essentiellement l’œuvre de Marx, et dont je ne puis m’attribuer qu’une très faible part, était d’une importance directe pour le mouvement ouvrier de l’époque. Le communisme chez les Français et les Allemands, le chartisme chez les Anglais, n’avaient plus l’air de quelque chose de purement accidentel qui aurait pu tout aussi bien ne pas exister. À dater de ce moment, ces mouvements se présentaient comme un mouvement de la classe opprimée des temps modernes, le prolétariat, comme les formes plus ou moins développées de la lutte historiquement nécessaire du prolétariat contre la classe dirigeante, la bourgeoisie ; comme les formes de la lutte de classe, mais différentes de toutes les anciennes luttes de classe par ce point spécial : la classe opprimée actuelle, le prolétariat, ne peut réaliser son émancipation sans émanciper en même temps toute la société de la division en classes, sans l’émanciper par conséquent des luttes de classe. Par communisme, on n’entendait plus la construction, par un effort d’imagination, d’un idéal social aussi parfait que possible, mais la compréhension de la nature, des conditions et des buts généraux adéquats de la lutte menée par le prolétariat.
Mais notre intention n’était nullement de chuchoter, au moyen de gros volumes, ces nouveaux résultats scientifiques aux oreilles du monde savant. Au contraire. Tous deux, nous étions déjà profondément engagés dans le mouvement politique, nous comptions un certain nombre de partisans parmi les intellectuels, dans l’Ouest de l’Allemagne notamment, et nous étions largement en contact avec le prolétariat organisé. Nous avions l’obligation de donner à notre conception une base scientifique. Mais il ne nous importait pas moins de gagner à notre conviction le prolétariat européen, à commencer par celui d’Allemagne. Dès que nous eûmes tout tiré au clair, nous nous mîmes à l’ouvrage. Nous fondâmes, à Bruxelles, une association ouvrière allemande[11] et nous nous emparâmes de la Deutsche Brüsseler Zeitung[12] qui nous servit d’organe jusqu’à la révolution de février. Nous étions en relation avec la fraction révolutionnaire des chartistes anglais par l’intermédiaire de Julian Harnay, rédacteur de l’organe central du mouvement, The Northern Star[13], dont j’étais un des collaborateurs. Nous avions en outre formé une espèce de cartel avec les démocrates de Bruxelles (Marx était vice-président de la Société démocratique[14]) et les social-démocrates français de la Réforme[15] où je publiais des renseignements sur le mouvement anglais et allemand. Bref, nos relations avec les organisations radicales et prolétariennes ainsi qu’avec les journaux de même nuance étaient tout à fait au gré de nos désirs.
Vis-à-vis de la Ligue des justes, notre situation était la suivante. Nous connaissions naturellement l’existence de la Ligue : en 1843, Schapper m’avait offert d’en faire partie ; mais j’avais alors, cela va de soi, décliné sa proposition. Cela ne nous empêcha pas de rester en correspondance constante avec le groupe de Londres et d’entretenir des relations plus étroites encore avec le docteur Ewerbeck, alors à la tête des sections de Paris. Sans nous mêler des affaires intérieures de la Ligue, nous étions tenus au courant de tout événement important. D’autre part, nous agissions de vive voix, par lettres, par la presse sur les opinions théoriques des membres les plus importants de la Ligue. Nous recourions également, dans le même but, à diverses circulaires lithographiées que, dans des occasions particulières, où il s’agissait des affaires intérieures du parti communiste en formation, nous envoyions à nos amis et correspondants. Dans ces circulaires, il nous arrivait parfois de mettre la Ligue elle-même en jeu. Voici un exemple. Un jeune étudiant westphalien, Hermann Kriege, partit en Amérique, s’y présenta comme émissaire de la Ligue, s’associa avec ce fou de Harro Harring, pour révolutionner, grâce à la Ligue, l’Amérique du Sud. Il avait même fondé un journal où il prêchait, au nom de la Ligue, un communisme fondé sur l’amour, débordant d’amour, farci de rêverie amoureuse. Nous répliquâmes par une circulaire qui ne manqua pas son effet : Kriege disparut de la scène de la Ligue.
Plus tard, Weitling vint à Bruxelles. Mais ce n’était plus le jeune et naïf ouvrier tailleur qui, stupéfait de ses talents personnels, cherchait à se rendre compte de ce que pouvait bien être une société communiste. C’était le grand homme persécuté, à cause de sa supériorité, par des envieux, et flairant partout des rivaux, des ennemis secrets, des pièges ; le prophète traqué de pays en pays, qui avait en poche une recette toute prête pour réaliser le ciel sur la terre, et s’imaginait que tout un chacun ne songeait qu’à lui voler sa panacée. À Londres, il s’était déjà brouillé avec les gens de la Ligue ; et à Bruxelles, où Marx et sa femme lui témoignèrent, plus que d’autres, une patience surhumaine, il ne pouvait s’entendre avec personne. Aussi ne tarda-t-il pas à se rendre en Amérique pour essayer d’y jouer au prophète.
Toutes ces circonstances contribuèrent à l’évolution qui, sans bruit, s’accomplissait au sein de la Ligue et notamment parmi les dirigeants de Londres. Ils se rendaient de plus en plus compte que l’ancienne conception du communisme, tant du simple communisme égalitaire des Français que du communisme préconisé par Weitling, était insuffisante. Weitling avait essayé de ramener le communisme au christianisme primitif ; mais, en dépit de certaines particularités géniales qui se rencontrent dans son Évangile des pauvres pécheurs, sa tentative n’avait abouti en Suisse qu’à remettre le mouvement en majeure partie entre les mains de fous tels qu’Albrecht, et puis de faux prophètes tels que Kuhlmann. Le « vrai socialisme », que diffusaient quelques gens de lettres, transcription de formules socialistes françaises en un mauvais allemand hégélien et une sentimentale rêverie amoureuse (voir, dans le Manifeste communiste, le chapitre sur le socialisme allemand ou le « vrai » socialisme), socialisme que Kriege et la lecture des ouvrages appropriés avaient introduit dans la Ligue, ne pouvait manquer, à cause de sa veulerie et de sa déliquescence, de soulever le cœur des vieux révolutionnaires de la Ligue. Constatant que les anciennes idées théoriques ne tenaient plus debout, constatant en outre qu’elles conduisaient dans la pratique à de véritables aberrations, on comprenait tous les jours davantage à Londres qu’avec notre nouvelle théorie nous étions, Marx et moi, dans le vrai. Ce qui contribua, sans aucun doute, à faire rapidement prendre corps à cette idée, c’est la présence, parmi les dirigeants de Londres, de deux hommes infiniment plus capables que tous ceux que nous avons cités jusqu’ici d’acquérir des notions théoriques ; c’étaient le peintre miniaturiste Karl Pfaender, de Heilbronn, et le tailleur Georg Eccarius, de la Thuringe[16].
Bref, au printemps 1847, Moll s’en fut trouver Marx à Bruxelles et vint ensuite me voir à Paris, pour nous inviter, au nom de ses compagnons et à plusieurs reprises, à entrer dans la Ligue. Ils étaient, nous disait-il, convaincus de l’exactitude absolue de notre conception autant que de la nécessité de soustraire la Ligue aux anciennes formes et traditions de conspiration. Si nous voulions adhérer, on nous donnerait l’occasion, dans un congrès de la Ligue, de développer notre communisme critique dans un manifeste, qui serait ensuite publié comme manifeste de la Ligue ; et nous pourrions également intervenir afin de remplacer l’organisation surannée de la Ligue par une organisation nouvelle, telle que la réclamaient l’époque et le but poursuivi.
Qu’il fallût, dans la classe ouvrière allemande, une organisation, ne fût-ce que pour la propagande, et que cette organisation, dans la mesure où elle n’était pas uniquement locale, ne pût être, même hors de l’Allemagne, qu’une organisation secrète, nous n’en doutions pas. Or, la Ligue constituait précisément une organisation de ce genre. Ce que nous avions jusqu’alors critiqué dans la Ligue, les représentants de la Ligue en reconnaissaient actuellement le côté défectueux et le sacrifiaient. Et l’on nous invitait nous-mêmes à collaborer à la réorganisation. Pouvions-nous refuser ? Évidemment non. Nous entrâmes donc dans la Ligue. À Bruxelles, Marx constituait une commune de la Ligue avec nos meilleurs amis, tandis que je rendais visite aux trois communes de Paris.
En été 1847, le premier congrès de la Ligue se réunit à Londres. W. Wolff y représentait les communes de Bruxelles et moi celles de Paris. On y mena d’abord à bonne fin la réorganisation de la Ligue. Toutes les anciennes appellations mystiques datant du temps des conspirations furent supprimées, et la Ligue s’organisa en communes, cercles, cercles directeurs, comité central et congrès, et prit dès lors le nom de « Ligue des communistes ».
« Le but de la Ligue, c’est le renversement de la bourgeoisie, le règne du prolétariat, la suppression de la vieille société bourgeoise fondée sur les antagonismes de classes et la fondation d’une nouvelle société sans classes et sans propriété privée. »
Tel est le premier article. L’organisation elle-même était absolument démocratique, avec des dirigeants élus et toujours révocables ; ce seul fait barrait le chemin à toutes les velléités de conspiration qui exigent une dictature, et transformait la Ligue, du moins pour les temps de paix ordinaires, en une simple société de propagande. Ces nouveaux Statuts – tel était maintenant le procédé démocratique – furent soumis aux sections pour discussion, puis débattus à nouveau au deuxième congrès qui les adopta définitivement le 8 décembre 1847. On les trouve dans l’ouvrage de Wermuth et Stieber, vol. I, p. 239, annexe X.
Le deuxième congrès se tint fin novembre et début décembre de la même année. Marx y assista et, dans des débats assez longs, – la durée du congrès fut de dix jours au moins, – défendit la nouvelle théorie. Toutes les contradictions et tous les points litigieux furent tirés au clair ; les principes nouveaux furent adoptés à l’unanimité et l’on nous chargea, Marx et moi, de rédiger le manifeste. Nous le fîmes sans retard aucun. Quelques semaines avant la révolution de février, nous expédiâmes le Manifeste à Londres, aux fins d’impression. Il a fait, depuis lors, le tour du monde ; on l’a traduit dans presque toutes les langues, et il sert aujourd’hui encore, dans les pays les plus divers, de guide au mouvement prolétarien. L’ancienne devise de la Ligue : « Tous les hommes sont frères », avait été remplacée par le nouveau cri de guerre : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » qui proclamait ouvertement le caractère international de la lutte. Dix-sept ans plus tard, ce cri de guerre remplissait le monde, comme cri de guerre de l’Association internationale des travailleurs, et aujourd’hui le prolétariat militant de tous les pays l’a inscrit sur son drapeau.
La révolution de février éclata. Le comité central, dont Londres avait été jusqu’alors le siège, transféra tout aussitôt ses pouvoirs au cercle directeur de Bruxelles. Mais cette décision fut connue à Bruxelles au moment où la ville subissait déjà un état de siège effectif et où les Allemands en particulier ne pouvaient plus se réunir nulle part. Nous étions justement tous sur le point de nous rendre à Paris. Le nouveau comité central décida donc de se dissoudre également, de remettre tous ses pouvoirs à Marx et de lui donner plein pouvoir pour constituer immédiatement à Paris un nouveau comité central. Les cinq personnes qui avaient pris cette résolution (3 mars 1848) venaient à peine de se séparer que la police envahit le domicile de Marx, arrêta celui-ci et le mit en demeure de partir le lendemain pour la France, où il avait précisément l’intention de se rendre.
Et nous ne tardâmes pas à nous retrouver tous à Paris. Et c’est là que fut rédigé le document suivant, signé des membres du nouveau comité central ; on le répandit dans toute l’Allemagne. Même de nos jours, plus d’un peut encore en faire son profit.
Revendications du Parti communiste en Allemagne[17][modifier le wikicode]
1. L’Allemagne entière est déclarée République une et indivisible.
3. Les représentants du peuple sont rétribués, pour que l’ouvrier puisse lui aussi siéger au Parlement du peuple allemand.
4. Armement général de la nation.
7. Les domaines princiers et autres domaines féodaux, toutes les mines, carrières, etc., sont convertis en propriétés de l’État. Sur ces domaines, l’exploitation agricole se fera en grand, avec les procédés scientifiques les plus modernes, au profit de la collectivité.
8. Les hypothèques dont sont grevés les biens de paysans sont déclarées propriété de l’État ; les intérêts de ces hypothèques sont payés par les paysans à l’État.
9. Dans les régions où le régime des baux à ferme est développé, la rente foncière ou le fermage est payé à l’État sous forme d’impôt.
11. Tous les moyens de transport : chemins de fer, canaux, bateaux à vapeur, routes, postes, etc., sont pris en main par l’État. Ils sont convertis en propriété de l’État et mis à la disposition de la classe indigente.
14. Restriction du droit de succession.
15. Établissement de forts impôts progressifs et suppression des impôts de consommation.
16. Création d’ateliers nationaux. L’État garantit l’existence à tous les travailleurs et assure l’entretien de ceux qui sont dans l’incapacité de travailler.
17. Instruction générale et gratuite du peuple.
Le prolétariat allemand, les petits bourgeois et les petits cultivateurs ont intérêt à travailler de toute leur énergie à la réalisation des réformes ci-dessus énumérées. Seule cette réalisation peut permettre aux millions d’Allemands exploités jusqu’ici par quelques individus, et que l’on essaiera de maintenir sous cette oppression, d’obtenir justice et de conquérir la puissance qui leur revient comme producteurs de toute richesse.
Le Comité : Karl Marx, Karl Schapper, H. Bauer, F. Engels, J. Moll, W. Wolff
À Paris sévissait alors la manie des légions révolutionnaires. Italiens, Espagnols, Belges, Hollandais, Polonais, Allemands, se groupaient en bandes pour délivrer leurs patries respectives. La légion allemande avait à sa tête Herwegh, Bornstedt, Börnstein. Comme tous les ouvriers étrangers se trouvaient, au lendemain de la révolution, non seulement sans travail, mais encore en butte aux tracasseries du public, ces légions avaient beaucoup de succès. Le nouveau gouvernement y vit le moyen de se débarrasser des ouvriers étrangers ; il leur accorda donc l’étape du soldat jusqu’à la frontière, avec 0 franc 50 d’indemnité de route par jour ; mais, quand ils arrivaient à la frontière, le toujours larmoyant ministre des Affaires étrangères, le beau parleur Lamartine, trouvait bien l’occasion de les trahir et de les livrer à leurs gouvernements respectifs.
Nous prîmes parti, de la façon la plus nette, contre cet enfantillage révolutionnaire. Importer au beau milieu de l’effervescence allemande du moment une invasion qui devait y introduire de vive force, et en partant de l’étranger, la révolution, c’était donner un croc-en-jambe à la révolution en Allemagne même, consolider les gouvernements, et – Lamartine en était le sûr garant – livrer sans défense les légionnaires aux troupes allemandes. Et quand la révolution fut ensuite victorieuse à Berlin et à Vienne, la légion fut plus inutile que jamais ; mais on avait commencé, et le jeu continua.
Nous fondâmes un club communiste allemand[18], où nous donnions aux ouvriers le conseil de rester à l’écart de la légion, mais de rentrer isolément en Allemagne et d’y faire de la propagande en faveur du mouvement. Notre vieil ami Flocon, qui faisait partie du gouvernement provisoire, fit accorder aux ouvriers que nous expédiions les mêmes avantages de voyage qu’aux légionnaires. Nous fîmes ainsi rentrer en Allemagne trois à quatre cents ouvriers, en grande majorité membres de la Ligue.
Comme il était facile de le prévoir, la Ligue, une fois que les masses populaires se furent mises en mouvement, s’avéra bien trop faible comme levier. Les trois quarts de ses membres, qui jusque-là résidaient à l’étranger, avaient, par leur retour dans la patrie, changé de résidence ; par là même, la plupart des communes auxquelles ils appartenaient se trouvaient dissoutes et perdaient toute liaison avec la Ligue. Certains des membres les plus ambitieux de la Ligue ne cherchèrent d’ailleurs pas à rétablir cette liaison, mais se mirent à fomenter, à leur propre compte, un petit mouvement séparé dans sa localité. Enfin, dans chaque petit État secondaire, dans chaque province, dans chaque ville, la situation était en outre tellement différente que la Ligue se fût trouvée dans l’impossibilité de donner autre chose que des directives générales, qu’il valait du reste beaucoup mieux répandre par la voie de la presse. Bref à l’instant même où cessaient les causes qui avaient rendu nécessaire la Ligue secrète, celle-ci cessait d’avoir une signification comme telle. Ceux qui devaient en être le moins surpris, c’étaient les hommes qui venaient d’enlever à cette Ligue secrète la dernière apparence d’allure de conspiration.
Mais il fut en même temps prouvé que la Ligue avait été une excellente école d’action révolutionnaire. Sur les bords du Rhin, où la Neue Rheinische Zeitung constituait un point de ralliement solide, dans le Nassau, dans la Hesse rhénane, etc., le mouvement démocratique extrémiste était partout dirigé par des membres de la Ligue. De même à Hambourg. Dans l’Allemagne du Sud, la prépondérance de la petite bourgeoisie démocratique barrait la route. À Breslau, Wilhelm Wolff déploya jusqu’en été 1848 une activité très fructueuse ; il fut élu par la Silésie représentant suppléant au Parlement de Francfort[19]. À Berlin, enfin, le typographe Stephan Born, qui avait travaillé à Bruxelles et à Paris comme membre actif de la Ligue, fonda une « Association fraternelle des travailleurs » qui prit une assez grande extension et exista jusqu’en 1850. Born, jeune homme de très grand talent, mais trop pressé de se muer en sommité politique, « fraternisa » avec le tiers et le quart, uniquement pour constituer un groupe ; ce n’était nullement l’homme capable de mettre de l’unité dans les tendances opposées, ni de la clarté dans le chaos. C’est pourquoi, dans les communications officielles de cette association, s’entremêlent en un fouillis inextricable les idées exposées dans le Manifeste communiste, des réminiscences et des vœux datant des vieilles corporations, des déchets de Louis Blanc et de Proudhon, des doctrines protectionnistes, etc., bref, on voulait être la mouche du coche. On organisa surtout des grèves, des groupements professionnels, des coopératives de production, oubliant qu’il s’agissait avant tout de conquérir d’abord, par des victoires politiques, le terrain où tout cela pouvait être réalisé à la longue. Et le jour où les victoires de la réaction firent comprendre aux dirigeants de l’Association fraternelle la nécessité d’intervenir directement dans la lutte révolutionnaire, ils furent naturellement lâchés par la masse confuse qu’ils avaient groupée autour d’eux. Born prit part à l’insurrection de Dresde en mai 1849[20] et eut la chance de pouvoir s’échapper. Quant à l’Association fraternelle des travailleurs, elle s’était, en face du grand mouvement politique du prolétariat, avérée une fédération purement séparatiste qui n’existait guère que sur le papier et joua un rôle si effacé que la réaction ne jugea nécessaire de la supprimer elle-même qu’en 1850 et ses sections seulement quelques années plus tard. Born, qui s’appelle en réalité Buttermilch, ne devint pas une sommité politique, mais un petit professeur suisse qui, au lieu de réaliser Marx dans les corporations, traduit le doux Renan en son propre allemand à l’eau-de-rose.
Le 13 juin 1849, à Paris[21], la défaite des insurrections allemandes de mai, la répression de la révolution hongroise par les Russes, marquèrent la fin d’une grande période de la révolution de 1848. Mais la victoire de la réaction n’était encore rien moins que définitive. Une réorganisation des forces révolutionnaires dispersées s’imposait, et par suite celle de la Ligue. Mais tout comme avant 1848, les circonstances interdisaient toute organisation publique du prolétariat ; il fallait donc de nouveau recourir à l’organisation secrète.
À l’automne 1849, la plupart des membres des anciens comités centraux et des congrès se retrouvèrent à Londres. Il ne manquait plus que Schapper qui était détenu à Wiesbaden, mais nous rejoignit également au printemps 1850 après son acquittement, et Moll qui, après avoir, dans une série de voyages des plus dangereux, rempli des missions et fait de l’agitation, – dans les derniers temps il avait recruté, dans les rangs de l’armée prussienne, des canonniers montés pour l’artillerie du Palatinat, – entra, à Besançon, dans la compagnie ouvrière du corps de Willich et fut tué d’une balle dans la tête au combat de la Murg, devant le pont de Rotenfels. Par contre, Willich entra en action. Willich était un de ces communistes sentimentaux, si nombreux, depuis 1845, dans l’Allemagne occidentale, et pour cela même en opposition instinctive et secrète avec notre tendance critique. Mais il était davantage encore : c’était un prophète dans toute la force du terme, convaincu qu’il avait la mission personnelle d’être le libérateur prédestiné du prolétariat allemand, et à ce titre il aspirait à la dictature politique non moins qu’à la dictature militaire. À côté du communisme de l’Eglise primitive prêché par Weitling s’instituait de la sorte une espèce d’Islam communiste. La propagande en faveur de cette religion nouvelle resta cependant, dans les débuts, limitée à la caserne de réfugiés commandée par Willich.
La Ligue fut donc réorganisée. Nous publiâmes l’Adresse de mars 1850, et Heinrich Bauer fut envoyé en Allemagne en qualité d’émissaire. Cette adresse, rédigée par Marx et par moi, présente encore aujourd’hui de l’intérêt, parce que la démocratie petite-bourgeoise reste toujours le parti qui, au prochain bouleversement européen dont l’échéance ne saurait tarder à cette heure (les échéances des révolutions européennes s’espacent de 15 à 18 ans ; par exemple 1815, 1830, 1848-1852, 1870) occupera tout d’abord, sans réserve aucune, le pouvoir, pour ne pas laisser tomber la société aux mains des ouvriers communistes. Sur plus d’un point, ce que nous disions alors vaut donc encore aujourd’hui. La mission de Heinrich Bauer fut couronnée d’un succès complet. Le joyeux petit cordonnier était un diplomate né. Il fit rentrer dans l’organisation active les anciens membres de la Ligue, dont les uns avaient l’air de sommeiller, et dont les autres opéraient à leur propre compte ; et notamment les chefs actuels de l’Association fraternelle des travailleurs. Bien plus qu’avant 1848, la Ligue se mit à jouer le rôle prépondérant dans les groupements ouvriers et paysans et dans les sociétés de gymnastique ; si bien que l’adresse trimestrielle suivante aux communes, en juin 1850, put déjà constater que l’étudiant Schurz, de Bonn (plus tard ex-ministre américain), qui parcourait l’Allemagne au profit de la démocratie petite-bourgeoise, « avait déjà trouvé entre les mains de la Ligue toutes les forces utilisables ». La Ligue était incontestablement la seule organisation révolutionnaire qui eût de l’importance en Allemagne.
À quoi cette organisation devait-elle servir ? Cela dépendait surtout des chances que présentait un nouvel essor de la révolution. Or, dans le courant de l’année 1850, cela devenait de plus en plus improbable, voire de plus en plus impossible. La crise industrielle de 1847, qui avait préparé la révolution de 1848, était passée ; une nouvelle période de prospérité industrielle inouïe s’était ouverte ; et quiconque avait des yeux pour voir, et s’en servait, s’apercevait forcément que la bourrasque révolutionnaire de 1848 s’apaisait peu à peu.
« Étant donné cette prospérité générale dans laquelle les forces productives de la société bourgeoise se développent aussi abondamment que le permettent les conditions bourgeoises, on ne saurait parler de véritable révolution. Une telle révolution n’est possible que dans les périodes où ces deux facteurs, les forces productives modernes et les formes de production bourgeoises, entrent en conflit les uns avec les autres. Les différentes querelles auxquelles s’adonnent aujourd’hui les représentants des diverses fractions du parti de l’ordre continental et où elles se compromettent réciproquement, bien loin de fournir l’occasion de nouvelles révolutions, ne sont, au contraire, possibles que parce que la base des rapports est momentanément si sûre, et, ce que sa réaction ne sait pas, si bourgeoise. Toutes les tentatives de réaction pour arrêter le développement bourgeois s’y briseront aussi fortement que toute l’indignation morale et toutes les proclamations enthousiastes des démocrates. »
Voilà ce que nous écrivions, Marx et moi, sous la rubrique « Revue de mai à octobre 1850 », dans la Neue Rheinische Zeitung[22], fascicules V et VI, Hambourg, 1850, p. 153.
Mais cette froide appréciation de la situation était considérée par beaucoup de gens comme une hérésie à une époque où Ledru-Rollin, Louis Blanc, Mazzini, Kossuth, et, parmi les lumières allemandes de second ordre, Ruge, Kinkel, Goegg et tutti quanti, constituaient en masses à Londres de futurs gouvernements provisoires, non seulement pour leurs patries respectives, mais encore pour toute l’Europe, et où il ne restait plus qu’à réunir, au moyen d’un emprunt révolutionnaire émis en Amérique, l’argent nécessaire pour réaliser en un clin d’œil la révolution européenne, ainsi que les différentes républiques qui devaient en être la conséquence naturelle. Qu’un homme tel que Willich se soit laissé duper ; que Schapper lui-même, en raison de ses vieilles aspirations révolutionnaires, ait donné dans le panneau ; que la plupart des ouvriers de Londres, en majorité des réfugiés, les ait suivis dans le camp des démocrates bourgeois, faiseurs de révolution, qui pourrait s’en étonner ? Bref, la réserve que nous préconisions n’était pas du goût de ces gens ; il fallait essayer de déclencher des révolutions ; nous nous y refusâmes de la façon la plus absolue. La scission se produisit comme on le verra dans les Révélations. Puis il y eut l’arrestation d’abord de Nothjung, puis de Haupt, à Hambourg. Ce dernier trahit, révéla les noms des membres du Comité central de Cologne et devait servir de témoin principal dans le procès. Mais les membres de sa famille ne voulurent pas subir pareille honte ; ils l’expédièrent à Rio de Janeiro où il s’établit plus tard comme commerçant et fut, en reconnaissance de ses services, nommé consul général, de Prusse d’abord, d’Allemagne ensuite. En ce moment il est de retour en Europe[23].
Pour faciliter l’intelligence de ce qui va suivre, je donne ci-après la liste des accusés de Cologne :
- P. G. Rœser, ouvrier cigarier ;
- Heinrich Bürgers, mort comme député progressiste au Landtag ;
- Peter Nothjung, tailleur, mort il y a quelques années comme photographe à Breslau ;
- W. J. Reiff ;
- Dr Hermann Becker, aujourd’hui premier bourgmestre à Cologne et membre de la Chambre des seigneurs ;
- Dr Roland Daniels, médecin, mort quelques années après le procès, de phtisie contractée en prison ;
- Karl Otto, chimiste ;
- Dr Abraham Jacoby, actuellement médecin à New York ;
- Dr J.-J. Klein, pour le moment médecin et conseiller municipal à Cologne ;
- Ferdinand Freiligrath, mais qui déjà résidait à Londres ;
- J.-L. Ehrhard, commis ;
- Friedrich Lessner, tailleur, actuellement à Londres.
Après que les débats publics eurent duré du 4 octobre au 12 novembre 1852, furent condamnés pour tentative de haute trahison : Rœser, Bürgers et Nothjung à 6 ans, Reiff, Otto, Becker à 5, Lessner à 3 ans de forteresse. Daniels, Klein, Jacoby et Ehrhard furent acquittés.
Avec le procès de Cologne se termine cette première période du mouvement ouvrier communiste allemand. Immédiatement après la condamnation, nous procédâmes à la dissolution de notre Ligue, et quelques mois plus tard la fédération séparatiste Willich-Schapper[24] mourait de sa belle mort.
Entre l’époque d’alors et celle d’aujourd’hui, une génération a passé. En ce temps-là, l’Allemagne était un pays d’artisanat et d’industrie à domicile fondée sur le travail manuel ; aujourd’hui, c’est un grand pays industriel encore en état de continuelle transformation. En ce temps-là, il fallait réunir un par un les ouvriers capables de comprendre leur situation d’ouvriers et l’antagonisme historique et économique qui les oppose au capital, parce que cet antagonisme lui-même était encore en voie de formation. Aujourd’hui, il faut placer tout le prolétariat allemand sous des lois d’exception pour ralentir, ne fût-ce que légèrement, l’évolution qui lui donnera la pleine conscience de sa situation de classe opprimée. En ce temps-là, les rares personnes, qui avaient, à force de travail, pénétré jusqu’à la compréhension du rôle historique du prolétariat, devaient se grouper en secret et se réunir en cachette dans de petites communes de 3 à 20 hommes ; aujourd’hui, le prolétariat allemand n’a plus besoin d’organisation officielle ni publique ni secrète ; la liaison simple et naturelle de compagnons appartenant à la même classe sociale et professant les mêmes idées suffit, sans statuts, ni comités directeurs, ni résolutions ou autres formes tangibles, à ébranler tout l’Empire allemand. Bismarck est l’arbitre en Europe, de l’autre côté de nos frontières ; mais à l’intérieur des frontières grandit, plus menaçante chaque jour, la personnalité athlétique du prolétariat allemand, le géant que Marx prévoyait dès 1844, qui se trouve déjà à l’étroit dans le cadre de l’empire fait à la mesure du philistin bourgeois, et qui, dans un avenir prochain, lorsque sa stature puissante et ses larges épaules se seront encore développées, n’aura qu’à se lever de son siège pour faire sauter tout l’édifice de la constitution impériale. Bien plus. Le mouvement international du prolétariat américain et européen est à cette heure devenu tellement puissant que non seulement sa forme première et étroite – la Ligue secrète, – mais encore sa seconde forme, infiniment plus vaste – l’Association publique internationale des travailleurs – lui est devenue une entrave, et que le simple sentiment de solidarité, fondé sur l’intelligence d’une même situation de classe, suffit à créer et à maintenir, parmi les travailleurs de tout pays et de toute langue, un seul et même grand parti du prolétariat. Les théories que la Ligue a représentées de 1847 à 1852 et que les bourgeois, dans leur haute sagesse, pouvaient, avec des haussements d’épaules, décrier comme des chimères écloses dans la folle cervelle de quelques extrémistes, ou comme la doctrine secrète de quelques sectaires disséminés un peu partout, ces théories ont à l’heure qu’il est d’innombrables adeptes dans tous les pays civilisés du monde, parmi les parias des mines de Sibérie comme chez les chercheurs d’or de Californie. Et le fondateur de cette doctrine, l’homme le plus haï, le plus calomnié de son temps, Karl Marx, était, au moment de sa mort, le conseiller toujours recherché et toujours prêt du prolétariat des deux mondes.
Londres, le 8 octobre 1885
- ↑ Il s’agit du procès de provocation monté à Cologne par le gouvernement prussien contre onze membres de la Ligue des communistes (4 octobre -12 novembre 1852). Accusés de haute trahison sur la base de faux documents et témoignages, sept d’entre eux furent condamnés à des peines allant de trois à six ans de prison.
- ↑ François-Emile Babeuf, dit Gracchus, révolutionnaire français de la fin du XVIII° siècle, fondateur du communisme utopique égalitaire.
- ↑ Société des saisons, organisation conspiratrice de socialistes républicains, qui exerça son activité à Paris de 1837 à 1839, sous la direction de A. Blanqui et A. Barbès. L’Insurrection du 12 mai 1839 à Paris où les ouvriers révolutionnaires jouèrent un rôle essentiel, fut préparée par la Société des saisons. La révolte ne fut pas appuyée par les larges masses et fut écrasée par les troupes gouvernementales et la Garde nationale.
- ↑ Il s’agit d’un épisode de la lutte des démocrates allemands contre la réaction, dit l’attentat de Francfort-sur-le-Main. Le 3 avril 1833, un groupe d’éléments radicaux tenta une action contre la Diète de la Confédération germanique, à Francfort-sur-le-Main, dans le but de proclamer la république en Allemagne. La tentative de coup d’État avorta, les troupes gouvernementales réduisirent cette action mal organisée.
- ↑ En février 1834, Giuseppe Mazzini, démocrate bourgeois italien, rassembla les membres de la société « Jeune Italie » (qu’il avait fondée en 1831) et les groupes d’émigrés révolutionnaires et les conduisit de Suisse en Savoie, espérant y provoquer une révolte populaire qui mènerait à l’unité italienne et à la création d’une république bourgeoise italienne indépendante. Les troupes piémontaises défirent le détachement de Mazzini.
- ↑ En Allemagne, dès l’année 1819 on appela « démagogues », les participants au mouvement d’opposition des intellectuels allemands qui se prononçaient contre le régime réactionnaire dans les États allemands et qui exigeaient l’unification de l’Allemagne. Les « démagogues » étaient en butte à de sévères répressions de la part des autorités allemandes.
- ↑ Par communisme égalitaire je n’entends, comme je l’ai déjà dit, que de communisme qui s’appuie exclusivement ou surtout sur la revendication de l’égalité. (Note d’Engels)
- ↑ Il s’agit de l’Association légale des ouvriers allemands pour la propagation de l’instruction qui fut fondée en février 1840 à Londres par Karl Schapper, Joseph Moll et les autres leaders de la Ligue des Justes. Marx et Engels collaborèrent activement à l’Association de 1849 à 1850. Le 17 septembre 1850, Marx, Engels et certains de leurs compagnons d’idées quittèrent l’Association, car la grande majorité de ses membres soutenaient le groupe sectaire et aventuriste de Willich-Schapper. Après la création de l’Internationale en 1864, I’Association représentait la section allemande de l’Association internationale des travailleurs à Londres. L’Association légale pour la propagation de l’instruction exista jusqu’en 1918, date à laquelle elle fut interdite par le gouvernement anglais.
- ↑ « Vorwärts » (En Avant !) : journal allemand bihebdomadaire ; parut à Paris de janvier à décembre 1844. Marx et Engels y collaborèrent.
- ↑ « Deutsch-Französische Jahrbücher » (Annales franco-allemandes), paraissait à Paris sous la rédaction de K. Marx et A. Ruge, en allemand. Seul le premier fascicule (double) vit le jour en février 1844. Y furent publiés les ouvrages de Marx : Sur la question juive et Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, et ceux d’Engels : Esquisse d’une critique de l’économie politique et la Situation de l’Angleterre. Thomas Carlyle « Le passé et le présent. » Ces ouvrages marquèrent le passage définitif de Mars et d’Engels de la démocratie révolutionnaire au matérialisme et au communisme. Les divergences de principe entre Marx et le radical bourgeois Ruge furent la cause principale de l’arrêt de la parution.
- ↑ L’Association ouvrière allemande fut fondée par Marx et Engels fin août 1847 à Bruxelles pour propager les idées du communisme scientifique parmi les ouvriers allemands résidant en Belgique. Sous la direction de Marx, d’Engels et de leurs partisans, l’Association devint le centre légal de ralliement de tous les prolétaires révolutionnaires allemands résidant en Belgique. Les meilleurs éléments de l’Association faisaient partie de la section de Bruxelles de la Ligue des communistes. L’Association cessa ses activités après la révolution bourgeoise de février 1848 en France, après que ses membres aient été arrêtés et déportés par la police belge.
- ↑ « Deutsche Brüsseler-Zeitung » (Journal allemand de Bruxelles), fondé par les émigrés politiques allemands à Bruxelles. Parut de janvier 1847 à février 1848. À partir de septembre 1847, Marx et Engels devinrent ses collaborateurs permanents et influèrent directement sur son orientation. Sous la direction de Marx et d’Engels, le journal devint l’organe de la Ligue des communistes.
- ↑ « The Northern Star », hebdomadaire anglais ; organe central des chartistes, parut de 1837 à 1852, d’abord à Leeds puis à Londres, à partir de novembre 1844. F. O’Connor, son fondateur, en fut le rédacteur en chef ; G. Harney était également membre du comité de rédaction. Engels publia ses articles dans ce journal de 1843 à 1850.
- ↑ La Société démocratique fondée à Bruxelles en automne 1847 groupait des révolutionnaires prolétariens, essentiellement des émigrés révolutionnaires allemands et des démocrates bourgeois et petits bourgeois belges avancés. Marx et Engels contribuèrent activement à la fondation de la Société. Le 15 novembre 1847, Marx en fut élu vice-président, et le démocrate belge, L. Jottrand, son président. Grâce à l’influence de Marx, la Société démocratique devint un important centre du mouvement démocratique international. Après l’expulsion de Marx de Bruxelles, début mars 1848, et les coups portés par les pouvoirs belges contre ses membres les plus révolutionnaires, la Société réduisit sensiblement son activité et devint une organisation d’envergure locale. En 1849, elle cessa pratiquement toute activité.
- ↑ « La Réforme », quotidien français, organe des démocrates-républicains et socialistes petits-bourgeois ; édité à Paris de 1843 à 1850. Dès octobre 1847 jusqu’au janvier 1848 Engels y publia une série d’articles.
- ↑ Pfaender est mort, à Londres, il y a huit ans environ. C’était un homme d’une finesse toute particulière, spirituel, ironique, dialectique. Comme l’on sait, Eccarius fut plus tard, durant de longues années, secrétaire général de l’Association internationale des travailleurs, dont le Conseil Général comprenait entre autres les anciens membres de la Ligue : Eccarius, Pfaender, Lessner, Lochner, Marx et moi-même. Dans la suite, Eccarius s’est consacré de façon exclusive au mouvement corporatif anglais.
- ↑ « Les Revendications du Parti communiste en Allemagne » furent composées par Marx et Engels entre le 21 et le 29 mars 1848. C’était la plate-forme politique de la Ligue des communistes dans la révolution allemande. Imprimées en tract, les Revendications étaient remises comme directive aux membres de la Ligue qui regagnaient leur patrie. Au cours de la révolution Marx, Engels et leurs partisans diffusèrent les Revendications parmi les larges masses populaires.
- ↑ Le Club communiste allemand fut fondé à Paris les 8 et 9 mars 1848 sur l’initiative de la Ligue des communistes. Le rôle dirigeant y appartenait à Marx. Le Club avait pour but de réunir les émigrés ouvriers allemands résidant à Paris et de leur expliquer la tactique du prolétariat dans la révolution démocratique bourgeoise.
- ↑ L’Assemblée nationale de Francfort, assemblée convoquée après la révolution de mars en Allemagne et ouverte le 18 mars 1848 à Francfort-sur-le-Main. Son objectif principal fut la liquidation du morcellement politique de l’Allemagne et l’élaboration d’une Constitution panallemande. Mais la position pusillanime, faite de flottements, de sa majorité libérale, aussi bien que l’indécision et l’inconséquence de sa gauche, l’empêchèrent de prendre en main le pouvoir suprême dans le pays et de s’exprimer plus résolument quant aux problèmes fondamentaux de la révolution allemande de 1848-1849. Le 30 mai 1849, l’Assemblée fut obligée de transférer son siège a Stuttgart. Elle fut dispersée par la force armée le 19 juin de la même année.
- ↑ Il s’agit de l’insurrection armée de Dresde des 3-8mai et de celle en Allemagne du Sud et de l’Ouest en mai-juillet 1849, qui éclatèrent pour défendre la constitution d’Empire adoptée par l’Assemblée nationale de Francfort le 28 mars 1849, mais répudiée par plusieurs États allemands. Ces insurrections, isolées et spontanées furent réprimées vers le mi-juillet 1849.
- ↑ Le 13 juin 1849, à Paris, le parti petit-bourgeois de la Montagne organisa une manifestation pacifique contre l’envoi de troupes françaises pour réprimer la révolution en Italie. La manifestation fut dispersée par la troupe. Plusieurs leaders de la Montagne furent obligés d’émigrer de France.
- ↑ « Neue Rheinische Zeitung, Politisch-ökonomische Revue » (Nouvelle Gazette Rhénane. Revue économique et politique), organe théorique de la Ligue des communistes, fondée par Marx et Engels ; parut de décembre 1849 à novembre 1850. Six numéros en tout.
- ↑ Schapper mourut à Londres un peu avant 1870. Willich prit part à la guerre de Sécession et s’y distingua. À la bataille de Murfreesboro, dans le Tennessee, il eut, étant général de brigade, la poitrine traversée par une balle, mais en réchappa et mourut en Amérique il y a dix ans environ. Quant aux autres que j’ai cités plus haut, je dirai que Heinrich Bauer a disparu en Australie et que Weitling et Ewerbeck sont morts en Amérique.
- ↑ La fédération séparatiste Willich-Schapper (Sonderbund), (Union supérieure), c’est ainsi que Marx et Engels appelaient ironiquement, – par analogie avec la ligue séparatiste des cantons catholiques suisses dans les années 1840 –, la fédération séparatiste et aventuriste Willich-Schapper qui se forma après la scission de la Ligue des communistes, le 15 septembre 1850 ; sur le plan de l’organisation, elle était indépendante et avait son Comité central. Par son activité, la fédération aida la police prussienne à mettre la main sur les sections clandestines de la Ligue des communistes en Allemagne et lui fournit un prétexte pour monter à Cologne, en 1852 un procès contre les communistes en vue de la Ligue.