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« Étiquettes » et « Numéros »
Auteur·e(s) | Léon Trotski |
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Écriture | 7 août 1935 |
Une réponse célèbre au socialiste de gauche M. Pivert.
Au sujet de la lettre de Marceau Pivert aux camarades frappés par la conférence nationale des jeunesses socialistes de Lille.
La lettre de Marceau Pivert sur les exclusions des chefs de la jeunesse révolutionnaire de la Seine[1], malgré son but louable, renferme un certain nombre d'idées inexactes qui, dans leur développement, peuvent conduire à de sérieuses erreurs. Prévenir les jeunes camarades contre ces erreurs est le vrai devoir d'un marxiste.
Pivert lui-même accuse nos amis de commettre une grande « erreur psychologique » en prenant le nom de bolcheviks-léninistes. Puisque le « bolchevisme initial », selon Pivert, niait la structure démocratique du parti, l'égalité (?) pour toutes les tendances, etc. par leur nom même, les bolcheviks-léninistes donnent à la bureaucratie. du parti une arme contre eux-mêmes. En d'autres termes, l’ « erreur psychologique » consiste en une adaptation insuffisante à la psychologie de la bureaucratie du parti.
Ce jugement de Pivert représente une « erreur politique » très sérieuse, et même une série d'erreurs. Il n'est pas vrai que le « bolchevisme initial » niait la structure démocratique du parti. J'avance l'affirmation absolument contraire : il n'y a pas eu et il n'y a pas de parti plus démocratique que celui de Lénine. Ce parti s'était formé par en bas. Il dépendait seulement des ouvriers avancés. Il ne connaissait pas la dictature cachée, masquée, mais d'autant plus néfaste, des « amis » bourgeois du prolétariat, des parlementaires carriéristes, des maires affairistes, des journalistes de salon, de toute cette confrérie parasitaire qui permet à la base du parti de parler « librement », démocratiquement », mais se maintient elle-même avec ténacité à l'appareil et, en fin de compte, fait ce qu'elle veut. Ce genre de « démocratie » dans le parti n'est rien d'autre qu'une copie de l'État démocratique-bourgeois, qui lui aussi permet au peuple de parler « librement », puis laisse le pouvoir réel à une poignée de capitalistes. Pivert commet une très grande erreur politique en idéalisant et en embellissant la « démocratie » hypocrite et mensongère de la S.F.I.O. qui, en fait, freine et paralyse l'éducation révolutionnaire des ouvriers en étouffant leur voix par le chœur des conseillers municipaux, des parlementaires et autres qui sont imprégnés jusqu'à la moelle d'intérêts petits-bourgeois égoïstes et de préjugés réactionnaires. La tâche du révolutionnaire, même si la marche du développement le contraint à travailler dans la même organisation que les réformistes, ces exploiteurs politiques du prolétariat, consiste non pas à prendre l'attitude du protégé et à faire sienne celle de l'amitié mensongère pour ces agents de la bourgeoisie, mais à s'opposer en face des masses le plus clairement, le plus âprement, le plus implacablement possible aux opportunistes, aux patriotes, aux « socialistes » absolument bourgeois. Ceux qui choisiront et qui trancheront, ce seront, en fin de compte, non les Blum et les Zyromski, mais les masses, les millions d'exploités. C'est. sur eux qu'il faut s'aligner, c'est pour eux qu'il faut bâtir un parti. Le malheur de Pivert, c'est que jusqu'à maintenant il n'a pas rompu le cordon ombilical qui le relie au petit monde des Blum et des Zytomski[2]. A chaque occasion nouvelle, il regarde ses « amis » et leur tâte le pouls avec inquiétude. Et c'est cette politique fausse, illusoire, non réaliste, qu'il réclame des bolcheviks-léninistes ! Ils doivent, paraît-il, renoncer à leur propre nom. Pourquoi ? Est-ce que ce nom effraie les ouvriers ? Au contraire. Si les prétendus « communistes », malgré toutes les trahisons et tous les crimes qu'ils ont commis, retiennent sous leur drapeau une partie importante du prolétariat, c'est uniquement parce qu'ils se présentent aux masses comme les porteurs des traditions de la révolution d'Octobre. Les ouvriers ne craignent ni le bolchevisme ni le léninisme. Ils demandent seulement (et ils font bien) : « Sont-ils de véritables bolcheviks, ou de faux ? » Le devoir des révolutionnaires prolétariens conséquents est, non pas de renoncer au nom de bolcheviks, mais de montrer dans les faits aux masses leur bolchevisme, c'est-à-dire l'esprit révolutionnaire conséquent et le dévouement absolu, à la cause des opprimés.
Mais pourquoi donc, insiste Pivert, se coller sur le nombril une étiquette (?) au lieu de « suivre les enseignements qu'elle comporte » ? Mais Pivert lui-même ne porte-t-il pas l' « étiquette » de socialiste ? Dans le domaine de la politique tout comme les autres domaines de l'activité humaine, il est impossible de procéder sans « étiquettes », c'est-à-dire sans dénominations et qualificatifs aussi précis que possible. Le nom de « socialiste » est non seulement insuffisant mais absolument trompeur, car s'intitulent « socialistes » en France tous ceux qui en ont envie. Par leur nom, les bolcheviks-léninistes disent à tous et à chacun que leur théorie, c'est le « marxisme », que c'est non pas le « marxisme » dénaturé et prostitué des réformistes (à la Paul Faure, Jean Longuet, Séverac, etc.) mais le véritable marxisme restauré par Lénine et appliqué par lui aux questions fondamentales de l'époque de l'impérialisme; qu'ils s'appuient sur l'expérience de la révolution d'Octobre, développée dans les décisions des quatre premiers congrès de l'Internationale communiste; qu'ils sont solidaires du travail théorique et politique accompli par l' « opposition de gauche » de l'Internationale communiste (1923-1932); enfin qu'ils se rangent sous le drapeau de la IV° Internationale. En politique, le « nom », c'est le « drapeau ». Celui qui renonce aujourd'hui à un nom révolutionnaire pour le bon plaisir de Léon Blum et consorts, celui-là renoncera aussi facilement demain au drapeau rouge pour le drapeau tricolore[3].
Pivert proclame le droit de tout socialiste d'espérer en une meilleure Internationale « avec ou sans changement de numéro ». Cette ironie un peu déplacée sur le « numéro » représente une erreur politique du même type que l'ironie sur l'« étiquette ». Politiquement, la question se pose ainsi : le prolétariat mondial peut-il arriver à lutter avec succès contre la guerre, le fascisme, le capitalisme, sous la direction des réformistes ou des staliniens - c'est-à-dire de la diplomatie soviétique ? Nous répondons : il ne le peut pas. La II° et la III° Internationales ont épuisé leur contenu et sont devenues des obstacles sur la voie révolutionnaire. Les « réformer » est impossible, car toute leur direction est radicalement hostile aux tâches et aux méthodes de la révolution prolétarienne. Celui qui n'a pas compris jusqu'au bout l'effondrement des deux Internationales, celui-là ne peut pas lever le drapeau de la Nouvelle Internationale. « Avec ou sans changement de numéro » ? Cette phrase est dénuée de sens. Ce n'est pas par hasard que les trois anciennes Internationales se sont trouvées numérotées. Chaque « numéro » correspond à une époque déterminée, un programme et des méthodes d'action. La Nouvelle Internationale doit être non pas la somme des deux cadavres, comme le rêve le vieux social-patriote Zyromski, surpris dans sa reconnaissance inattendue de la « défense de l'U. R. S. S. », mais la « négation » vivante de ces cadavres et, en même temps, la « continuation » du travail historique accompli par les Internationales précédentes. En d'autres termes, il s'agit de la IV° Internationale. Le « numéro » signifie ici une perspective et un programme déterminés, c'est-à-dire un « drapeau ». Que les philistins ironisent là-dessus. Il ne faut pas les imiter.
L'aversion pour les « étiquettes » et les « numéros » en politique est aussi dangereuse que l'aversion pour les définitions précises dans le domaine scientifique. Dans un cas comme dans l'autre, nous avons là le symptôme infaillible d'un manque de clarté dans les idées elles-mêmes. Invoquer les « masses » ne sert, dans de tels cas, qu'à couvrir ses propres hésitations. L'ouvrier qui croit encore à Vandervelde ou à Staline sera sans doute adversaire de la IV° Internationale. L'ouvrier qui a compris que la II° et la III° Internationales sont mortes à la cause de la révolution se rangera immédiatement sous notre drapeau. C'est précisément pourquoi il est criminel de cacher ce drapeau sous la table.
Pivert se trompe quand il pense que le bolchevisme est incompatible avec l'existence des fractions. Le principe de l'organisation bolchevique est le « centralisme démocratique » assuré par une complète liberté de critique et de groupement comme par une discipline de fer dans l'action. L'histoire du parti bolchevique est en même temps l'histoire de la lutte interne des idées, des groupements et des fractions. Certes, au printemps 1921, au moment d'une terrible crise, de la famine, du froid, d'un mécontentement aigu des masses, le 10° congrès du parti bolchevique, qui comptait en ce temps dix-sept années d'existence, interdit les fractions. Mais cette mesure fut jugée exceptionnelle, temporaire et fut appliquée par le comité central avec beaucoup de prudence et de souplesse Le véritable écrasement des fractions ne commença qu'avec la victoire de la bureaucratie sur l'avant-garde prolétarienne et aboutit rapidement à la mort virtuelle du parti. La IV° Internationale, bien entendu, ne souffrira pas dans ses rangs de « monolithisme » mécanique. Au contraire, une de ses plus importantes tâches est de régénérer à un niveau historique plus élevé la « démocratie révolutionnaire de l'avant-garde prolétarienne ». Les bolcheviks-léninistes se considèrent comme une fraction de l'Internationale qui se bâtit[4]. Ils sont prêts à travailler la main dans la main avec les autres fractions vraiment révolutionnaires. Mais ils refusent catégoriquement d'adapter leur politique à la psychologie des cliques opportunistes et de renoncer à leur propre drapeau[5].
7 août 1935
- ↑ Dans une lettre aux exclus, publiée d'ailleurs dans le même numéro de la Vérité que l'article de Trotsky, Marceau Pivert s'était déclaré solidaire d'eux. Sur le fond, il déclarait : « Sous aucun prétexte ( ... ) le parti ne doit se prêter à propager l'idée de l'acceptation de la guerre. Si c'est là le véritable motif de votre exclusion, qu'on le dise franchement, ouvertement. Nous en tirerons, nous, adultes, qui avons conservé à nos discussions de tendances un caractère de courtoisie, de fraternité même que nous ne regrettons pas, nous en tirerons les conséquences inévitables. Nous comprendrons qu'il faudra lutter autrement qu'à fleuret moucheté contre des adversaires de tendance qui veulent nous chasser de la communauté socialiste avant peut-être d'entraîner le prolétariat dans une nouvelle guerre. » Il ajoutait cependant que les auteurs de l'exclusion, ce « geste de scission », avaient « utilisé les erreurs », saisi « l'arme tendue » par les révolutionnaires eux-mêmes. Sur leur étiquette de bolcheviks-léninistes, il notait : « Si vous êtes fidèles au bolchevisme initial, vous n'acceptez pas la structure démocratique du parti, l'égalité pour toutes les tendances et pour tous les militants. » Il décrivait le parti « braqué » contre la peur du « noyautage », demandait aux B.L. d'insister sur la loyauté de leurs intentions et suggérait : « Et si même, pour que vous puissiez obtenir satisfaction, l'étiquette bolchevik-léniniste ou trotskyste devait disparaître de la circulation, je suis certain que vous n’hésiteriez pas à la changer ( ... ). L'essentiel n'est pas de porter sur le nombril l'étiquette d'un nom prestigieux, mais de s'appliquer à suivre les enseignements qu'il comporte. » Il affirmait le droit de ces militants à se déclarer en faveur de la IV* Internationale, car « c'est le droit des militants et des jeunes d'apprécier l'état actuel des deux Internationales et d'espérer mieux, avec ou sans changement de numéro ». C'est sur l'emploi des termes « étiquette » et « numéro » que Trotsky devait bâtir sa démonstration. La publication de cet article dans la Vérité, organe d'une tendance de la S.F.I.O., devait fournir, à Paul Faure, secrétaire général de la S.F.I.O., un argument de plus en faveur de l'exclusion des collaborateurs du journal. (Note de P. Broué)
- ↑ En 1938 encore, un an après la dissolution de la Gauche révolutionnaire, après l'intervention de la police, dirigée par le S.F.I.O. Marx Dormoy, à Clichy, où une militante de la Gauche Révolutionnaire avait été tuée, Pivert écrivait encore : « Pour nous, le parti révolutionnaire est tout construit. C'est le parti socialiste. Mais à condition qu'il demeure fidèle à ses principes de lutte de classes et de liberté. » (Note de P. Broué)
- ↑ On pourrait objecter que Pivert, en 1938, refusera de suivre Blum dans la voie de l'Union sacrée. Il n'en est pas moins vrai qu'il sera exclu après avoir tenté de l'éviter jusqu'au dernier moment. Commentant cette exclusion sous le titre « Rupture », son lieutenant Lucien Hérard explique dans le numéro de Juin 36 du 17 juin 1938 : « Dans la limite de cette imprescriptible dignité, nous avons tout tait pour que le congrès de Royan ne nous contraignît pas au départ ( ... ). Sur la question de l'union nationale, notre texte, largement emprunté à la Bataille socialiste, ne contenait aucune condamnation, même implicite, de l'initiative de Blum et du vote du 12 mars. » Au lieu de se produire, à l'initiative de Pivert, quand les circonstances étaient favorables à l'aile gauche, la rupture se produisit au moment que l'appareil de la S.F.I.O. jugea le plus opportun. Après la fondation du P.S.O.P. au lendemain du congrès de Royan, le dialogue reprendra néanmoins, pour peu de temps, entre Pivert et Trotsky (Note de P. Broué).
- ↑ Cette conception d'une Internationale formée de fractions diverses ne fut pas réalisée dans les organisations se réclamant de la IV°, ni du vivant de Trotsky, ni après sa mort. Le 10 janvier 1940, il écrivait à Farrell Dobbs : « Nos propres sections ont hérité quelque poison du Comintem en ce sens que beaucoup de camarades sont enclins à abuser de mesures comme les exclusions, les scissions ou les menaces d'exclusion ou de scission » (In Defence of Marxism, p. 97). (Note de P. Broué).
- ↑ La lettre de Trotsky et la réponse de Pivert en date du 20 août devaient être publiées par la XV° section du parti socialiste, le fief de Pivert. Dans sa réponse, Pivert soulignait d'abord que si « Trotsky et ses amis considèrent que la II° Internationale est un « cadavre » dont il n'y a plus rien à tirer », « leur rentrée à la S.F.I.O. prend le caractère d'un débauchage, après tant d'autres, au sein de notre parti ». Mais il écarte cette hypothèse et discute les appréciations de Trotsky. C’est, selon lui, non « à la psychologie des cliques opportunistes » que les B.L. devraient s'adapter, mais à celle des « ouvriers socialistes ». Or ceux-ci ont une connaissance expérimentale du bolchevisme, différente évidemment du « bolchevisme des origines », et ils le rejettent : « réformisme et bolchevisme sont aujourd'hui dépassés dans la conscience ouvrière ». « Le prolétariat français veut maintenant l'unité, la réconciliation et une action révolutionnaire largement appuyée sur toutes les victimes de la crise. » Pivert défend le parti socialiste : « Rien ne prouve qu'il soit incapable de s'adapter à un niveau supérieur de la lutte des classes. » Et il conclut : « Rien n'est plus déprimant pour le travailleur honnête qui cherche sa voie que les accusations de « traître », de « contre-révolutionnaire », « agent de la bourgeoisie au sein du prolétariat » qui pleuvent sur la tête de Blum, Staline, Doriot, Trotsky, etc. Qui donc est épargné dans la distribution ? Ce sport ne nous intéresse pas, il porte de l'eau au moulin fasciste. Ce qui compte pour nous, et ce en quoi nous sommes d'accord avec Trotsky, c'est de « montrer en fait aux masses un esprit de conséquence révolutionnaire et le dévouement absolu à la cause des opprimés ». (Note de P. Broué).