Externalités

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Rejeter des polluants dans l'air ne coûte rien à un patron : les coûts des conséquences (maladies, dégâts sur l'environnement qui engendrent des coûts diffus sur la société...) sont supportés par d'autres.

Les externalités sont des effets positifs ou négatifs d'une activité économique, dont celui (ménage ou entreprise) qui en est la cause ou celui qui en bénéficie n'a pas à assumer le coût.

Par exemple, des abeilles qui butinent les fleurs dans un verger sont une externalité positive pour celui qui récolte les fruits (il n'a pas à payer les abeilles). A l'inverse, si un céréalier utilise des pesticides qui provoquent la mort des abeilles dans le verger voisin, il s'agit pour lui d'une externalité négative (il n'a pas à subir le coût de la baisse de production qui en résulte).

C'est une notion qui permet de faire une critique partielle et réformiste du capitalisme, car elle est souvent utilisée pour appeler à un marché régulé par l’État, dans une logique « pollueur-payeur ».[1]

1 Exemples d'externalités[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Externalités négatives[modifier | modifier le wikicode]

Une externalité négative existe lorsque la production ou la consommation d'un bien ou d'un service nuit à une tierce partie :

L'analyse exhaustive des externalités — en particulier négatives — est loin d'être évidente. Le risque de les omettre s’accroît lorsque celles-ci sont masquées par un surcroît d'activité économique qui fausse le bilan apparent et global de l'événement en cause.

  • Ainsi lorsqu'un accident routier se produit : Un surplus d'activité – donc du PIB – est généré (intervention des secours, mise en œuvre des soins médicaux, réparation automobile ou rachat de nouvelle voiture, etc.). Mais par ailleurs, des dommages irréparables ont été occasionnés dont les effets ne sont pas ou mal comptabilisés : deuil des personnes disparues, prise en charge des handicaps, perte de compétence et d'expérience portées par des personnes bien formées.
  • Ainsi la concentration d'animaux nécessitée par l'élevage intensif favorise au stade de l'éleveur une plus grande productivité et par suite un meilleur prix de revient de la fabrication de la viande. Mais — en aval — il ne faut pas méconnaître le fait que ce mode d'élevage augmente le risque d'occurrence de coûts non ou mal comptabilisés (risques de pandémies, pollutions des sols et des cours d'eau, eutrophisation...) dont les coûts seront finalement payés par la collectivité qui les subit.
  • Un cas historique d'externalité négative : au début du 20e siècle, des mines de cuivre s'installent dans la région de Ducktown, la technique utilisée à l'époque provoque des pluies acides qui rendent stériles les terres agricoles situées à proximité. Mais l'activité génère aussi des externalités positives sous forme d'emplois et de richesse dans la région. Appelée à se prononcer, la Cour Suprême du Tennessee a rendu en 1904 un arrêt célèbre qui préfigure le traitement moderne des externalités : elle reconnait la nuisance mais refuse de la faire cesser, au contraire elle autorise les mines à continuer leur activité à condition d’indemniser les victimes[2].

1.2 Externalités positives[modifier | modifier le wikicode]

  • 90 % de l'usure des routes est dû aux poids lourds, pourtant, les routes sont financées par les impôts de l'ensemble de la population. Le coût du transport routier apparaît donc artificiellement bas par rapport au ferroviaire, ce qui est une externalité positive pour une entreprise de transport par camion.
  • Implantation d'une activité au voisinage d'une autre qui bénéficie des synergies ou des effets induits par cette nouvelle proximité.
  • Construction d'infrastructures d'équipement ou de transport dont la présence et la meilleure commodité d'usage accroissent la valeur des terrains riverains.

2 Théorisations[modifier | modifier le wikicode]

Un exemple de double externalité positive est celui de l'apiculteur et de l'arboriculteur.

Le théoricien libéral Arthur Pigou (dans The Economics of Welfare) avançait déjà en 1920 qu’une production bénéfique individuellement pouvait être nuisible collectivement, mais il le présentait comme un cas anecdotique.

Un des premiers théoriciens des externalités est le keynésien James Meade. Ce fut lui qui développa en 1952 l'exemple l'externalité positive entre l'apiculteur et l'arboriculteur. L'apiculteur profite de la proximité de l'arboriculteur et obtient un miel de meilleure qualité qu'il peut vendre à meilleur prix sans avoir à surmonter de coût supplémentaire. L'arboriculteur n'est pas payé pour le service indirect qu'il rend à l'apiculteur. Cela dit, l’arboriculteur profite aussi gratuitement de la pollinisation de ses arbres, ce qui améliore son rendement sans faire recours à de coûteuses méthodes manuelles, et la pollinisation aléatoire des abeilles enrichit aussi la diversité génétique qui permet aux plantations de mieux résister à d'autres affections ou maladies. L’externalité est positive dans les deux sens.

William Kapp, dans son livre Les coûts sociaux de l’entreprise privée (1950), développa également ces idées.

Ronald Coase, dans son article de 1960, « The problem of social cost », préconise l’attribution de droits de propriété par l’État pour éviter de recourir à la taxation ou à la réglementation pour corriger les externalités négatives touchant des biens publics. C'est le début de la théorie des mécanismes de marchés environnementaux, de type marché du carbone ou marché des droits à polluer.

En prenant en compte les externalités, la forte croissance du routier et de l'aérien au détriment du rail n'a pas de rationalité.

A partir des années 1970, la notion d'externalités est de plus en plus utilisée pour décrire les dégâts écologiques des activités humaines. Diverses évaluations scientifiques sont produites pour tenter de quantifier ces dégâts, qui ne sont pas a priori commensurables (difficile d'additionner des quantités d'espèces animales poussées à l'extinction et des quantités de métaux lourds dans des sols). Cependant, des indicateurs à visée globalisante sont peu à peu mis en place. Cette tendance est ambivalente : elle procède à la fois d'une démarche scientifique utile pour comprendre le monde, et à la fois d'une pression de l'idéologie capitaliste à tout quantifier.

Ces dernières décennies, la notion de « coûts environnementaux » a été de plus en plus développée. Il s'agit de convertir en argent ce que coûtent les dégâts écologiques.[3] La logique sous-jacente est de mettre en place des régulations qui obligeraient les entreprises à « internaliser » ces coûts, pour que le marché soit en quelque sorte « réparé ». Certains ont même tenté de définir un « PIB vert » sur cette base.

3 Réponses politiques[modifier | modifier le wikicode]

Situation en 2021
  • Taxe carbone en vigueur ou prévue
  • Marché des droits à polluer en vigueur ou prévu
  • Marché des droits à polluer envisagé
  • Lorsque l'on analyse les effets du capitalisme, la notion d'externalités peut difficilement être niée. Seuls les économistes libéraux les plus dogmatiques tentent par tous les moyens de minimiser leur ampleur.

    3.1 Social-libéralisme[modifier | modifier le wikicode]

    La plupart des économistes bourgeois sont en un sens « sociaux-libéraux » dans la mesure où ils reconnaissent la nécessité que l'État mette en place certaines régulations pour que le marché n'ait « pas d'effets négatifs ». On peut penser par exemple au social-libéralisme d'un Tony Blair, qui avait demandé en 2006 à Nicholas Stern, économiste et vice-président de la Banque Mondiale, un rapport sur les enjeux du changement climatique et les réponses à y apporter. Stern évoque le fait que les dégâts environnementaux sont des externalités pour les pollueurs :

    « Ceux qui produisent des gaz à effet de serre provoquent des changements climatiques, de ce fait ils imposent des coûts au monde et aux générations futures, mais ils ne font pas face eux-mêmes à toutes les conséquences de leurs actes ».

    Mais il ne distingue pas du tout dans ces pollueurs entre capitalistes détenteurs des moyens de production et consommateurs à la marge de manœuvre plus que réduite. Il préconise de les "responsabiliser" tous autant qu'ils sont en établissement un marché du carbone ou éventuellement en taxant le CO2 (taxe carbone). Les gouvernements mettent en place de plus en plus ce type de mesures de bonus-malus, car il s'agit des seules mesures qu'ils sont prêts à envisager (elles ne remettent pas fondamentalement en cause la propriété privée capitaliste).

    3.1.1 Marché des droits à polluer[modifier | modifier le wikicode]

    La variante la plus modérée est celle qui consiste à vouloir monétiser les pollutions, pour qu'il existe un « signal-prix » intégrable par le marché. L’exemple type est le marché des droits à polluer (cap and trade).

    Pour que ces quotas carbone aient un effet notable, il faudrait que leur prix soit beaucoup plus élevé. A l'inverse, les politiciens bourgeois se font les relais du patronat et prolongent des quotas gratuits pour les entreprises...[4]

    Ce système a été introduit dans l'Union européenne depuis 2005 et n’a pas permis de réduire les émissions de GES. Théoriquement, le terme cap désigne un plafond d’émission (or, il intervient plutôt comme un plancher puisque dès qu’un individu ou une entreprise émet moins de CO2, un autre peut sans problème en émettre davantage aussi longtemps que la limite fixée n’est pas dépassée).

    Un système de cap and trade a été mis en place aux États-Unis en 2009. Il prévoit d’innombrables exceptions, comme pour les industries du charbon... Suite aux nombreuses manipulations et à la complexité quasi baroque du document, cette loi compte près de 2 000 pages. Les États-Unis refusent en outre une vente au plus offrant et se basent, avec une certaine bonhomie, pour déterminer les droits d’émissions des entreprises, sur leurs émissions antérieures. 

    Le parlement britannique a très sérieusement étudié une proposition de loi d’un député travailliste visant à attribuer à chacun un quota annuel de permis de polluer négociables ensuite entre particuliers (un comble de marchandisation). Cette loi n’est pas passée mais elle a tout de même été approuvée par le ministre de l’Environnement du gouvernement Blair. [5]

    3.1.2 Taxes carbones[modifier | modifier le wikicode]

    La version légèrement plus critique (car elle donne un rôle plus actif à l'État et repose sur une moindre confiance dans l'auto-régulation du marché) est celle des dispositifs type taxe carbone : taxer les marchandises en fonction des émissions de GES qu’il a fallu pour les produire ou les transporter. Il s'agit de « responsabiliser les acteurs », inciter les industriels à produire plus « vert » et les acheteurs à « consommer responsable ». Sauf que les capitalistes sont surtout enclins à se contenter de répercuter les coûts à la vente, et très peu à investir, surtout dans la période de suraccumulation actuelle. Peut-être qu’une taxe élevée aurait un effet plus net, mais elle serait socialement intenable. Car dans une société de classes, une taxe sur la consommation, comme la TVA, est une taxe injuste qui pénalise les plus pauvres. Une (petite) taxe carbone a donc en vérité un intérêt bien différent de l’affichage : augmenter un peu les impôts, sans freiner la compétitivité capitaliste. C’est bien pour cela que le gouvernement SPD-Verts de Schröder a fait passer une taxe carbone au milieu de ses lois anti-sociales Hartz.

    Or ce genre de mesure revient à frapper plus durement les plus pauvres. C'est valable pour le salaire réel des salarié·es des pays riches, mais à plus forte raison pour les pauvres des pays dominés. Selon les calculs de l’Agence Internationale de l’Énergie, le surcoût de la facture pétrolière pour les pays pauvres lors de la dernière flambée des prix du pétrole a été dix fois plus important que l’allègement de la dette de ces mêmes pays décidé au sommet du G8 de Gleneagles en 2005. A l'inverse, ceux qui ont les moyens de se payer aujourd’hui des jets privés pour leurs déplacements ne seront pas mis sur la paille s’ils doivent, demain, payer le kérosène deux ou dix fois plus cher.

    Mais dans le même temps, comme les politiciens ne veulent ni déranger trop leurs amis patrons et actionnaires, ni se rendre trop impopulaires (exemple : recul face aux gilets jaunes[6]), ils fixent des montants très faibles pour ces taxes carbones. Ces taxes sont donc condamnées à avoir une efficacité extrêmement faible, et envisager un montant brusquement élevé dans le cadre du capitalisme serait à la fois utopique (les gouvernements ne le feraient pas) et réactionnaire (cela prendrait à la gorge avant tout les plus pauvres).

    3.1.3 Autres taxes environnementales[modifier | modifier le wikicode]

    Les taxes d'enlèvement des ordures ménagères peuvent être vues comme des taxes « internalisant » en partie les coûts engendrés par les déchets en les faisant reposer sur ceux qui les produisent. Celles-ci sont souvent forfaitaires, mais de plus en plus, elles tendent à être corrélées à la quantité de déchets produits (ex: quantité de bacs collectés, pesée des poubelles...), ce qui est censé envoyer un signal prix dissuasif. Cependant dans l'immense majorité des communes de France, c’est une filiale de Suez ou de Véolia qui récupère directement l'argent de la taxe, et qui sert ainsi en partie aux profits des actionnaires de ces entreprises.

    En France on peut citer d'autres mécanismes :

    3.2 Socialistes réformistes[modifier | modifier le wikicode]

    Évidemment, des socialistes réformistes, plus critiques, vont plus loin et affirment que ces effets négatifs ne sont pas du tout marginaux et qu'il est dans l'ordre des choses que le marché soit de plus en plus régulé. Leur logique tend souvent vers l'objectif plus ou moins confus d'un « horizon socialiste », mais dans une optique gradualiste, pacifique, en recherchant le maximum de collaboration de classe. Généralement, ce courant plus « radical » met moins en avant le marché du carbone, et plutôt une hypothétique taxe carbone écologiquement efficace et socialement juste. Mais dans le cas où ils arrivent au pouvoir, les socialistes réformistes sont pris dans les mêmes contradictions que les politiciens bourgeois.

    3.3 Marxistes révolutionnaires[modifier | modifier le wikicode]

    Enfin, les marxistes révolutionnaires considèrent que le problème des externalités est consubstantiel au capitalisme : penser que la recherche de leur intérêt privé par les capitalistes en concurrence aboutit la plupart du temps à l'optimum pour l'intérêt général relève de l'aveuglement idéologique. Le mode de production capitaliste est aveugle, il n'est pas contrôlé consciemment par l'humanité, mais fait des forces productives une machine avec ses propres lois, qui ne sont même pas décidées par les capitalistes. Que ce soit pour des raisons sociales ou écologiques, il est urgent de le remplacer par un mode de production collectiviste, démocratiquement auto-géré et planifié.

    4 Notes[modifier | modifier le wikicode]