De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins

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« De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins » est un adage de Louis Blanc en 1851 puis repris par Karl Marx dans sa Critique du programme de Gotha écrit en 1875.

Le principe se réfère à un accès libre à la distribution des biens et services (société communiste). Pour nous, marxistes, un tel arrangement sera rendu possible par l'abondance des biens et services rendus possible par le développement des forces productives pour satisfaire ainsi les besoins de chacun.

1 Origines[modifier | modifier le wikicode]

Une sculpture en Inde matérialisant un « pot commun », avec l'inscription « Donne si tu peux, prends si tu as besoin ».

On observe des formes primitives de l'adage dans le Nouveau Testament, dans les Actes des Apôtres, sur la vie en communauté et le partage des biens notamment et entre autres dans l'Acte 2 44-45 et l'Acte 4 32-351.

Le « philosophe oublié » Étienne-Gabriel Morelly développe cette idée dans le Code de la Nature en 1755.

« De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins » a été utilisé comme telle pour la première fois par Louis Blanc dans son Organisation du travail de 1839 comme une révision de la citation d'Henri de Saint-Simon « À chacun selon ses capacités, à chaque capacité selon ses œuvres ».

Étienne Cabet, théoricien du communisme chrétien cite, dans son Voyage en Icarie (1840), la formule « À chacun suivant ses besoins. De chacun suivant ses forces » parmi les principes de sa cité idéale d'Icarie. Elle a été mise en avant lors de la révolution de 1848.

2 Dans le marxisme[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Socialisme allemand[modifier | modifier le wikicode]

Le Programme de Gotha du parti social-démocrate allemand (1875) commence par l'idée que « tous les membres de [la société] devant participer au travail, et cela en vertu d'un droit égal, chacun recevant selon ses besoins raisonnables ».[1]

Dans sa célèbre critique de ce programme, Karl Marx a voulu clarifier ce point. Selon lui il était impossible d'effectuer un saut sans transition de la société capitaliste vers une société communiste. Et concernant cette transition, il souligne qu'une société qui « vient de sortir de la société capitaliste » est une société « qui, sous tous les rapports, économique, moral, intellectuel, porte encore les stigmates de l'ancienne société des flancs de laquelle elle est issue ». Cela implique qu'il est impossible de cesser immédiatement de mesurer le temps de travail de chacun·e.

Dans un premier temps donc, chacun·e recevrait une part du produit global de la société basée sur le temps de travail fourni. Ce serait plus juste que le capitalisme, puisque cette mesure serait égale pour tou·tes et il n'y aurait plus de capitalistes qui accaparent les richesses sans travailler. En quelque sorte, ce qui est vanté dans la méritocratie serait enfin appliqué.

Mais Marx souligne que ce serait encore une justice basée sur du droit bourgeois, et il entend par là une conception qui traite toute personne comme un individu abstrait. Or, se baser de façon aveugle sur le temps de travail de chacun·e reproduit encore de nombreuses injustices, qui découlent de différences naturelles ou sociales entre individus.

« Mais un individu l'emporte physiquement ou moralement sur un autre, il fournit donc dans le même temps plus de travail ou peut travailler plus de temps (...) Ce droit égal (...) reconnaît tacitement l'inégalité des dons individuels et, par suite, de la capacité de rendement comme des privilèges naturels. (...)

D'autre part : un ouvrier est marié, l'autre non; l'un a plus d'enfants que l'autre, etc., etc. A égalité de travail et par conséquent, à égalité de participation au fonds social de consommation, l'un reçoit donc effectivement plus que l'autre, l'un est plus riche que l'autre, etc. Pour éviter tous ces inconvénients, le droit devrait être non pas égal, mais inégal. »[2]

Le plus juste n'est pas de donner exactement la même chose à chacune, mais de fournir à chacun autant qu'il a besoin. (Ici l'abondance serait illustrée par une abondance de caisses permettant de les utiliser sans compter).

En revanche une telle société engagée dans le socialisme évoluerait d'elle-même vers une égalité réelle plus complète :

« Dans une phase supérieure de la société communiste, quand auront disparu l'asservissante subordination des individus à la division du travail et, avec elle, l'opposition entre le travail intellectuel et le travail manuel, (...) quand, avec le développement multiple des individus, les forces productives se seront accrues elles aussi et que toutes les sources de la richesse collective jailliront avec abondance, alors seulement l'horizon borné du droit bourgeois pourra être définitivement dépassé et la société pourra écrire sur ses drapeaux « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ! » »

L'abondance de la production est ici mentionnée comme condition de cette justice supérieure.

Karl Kautsky, principal théoricien de la social-démocratie allemande et donc de la Deuxième internationale, reprenait cette idée :

« On peut imaginer que l’application de la science à l’industrie provoquera un jour une telle productivité que l’homme possédera surabondamment tout ce dont il a besoin. Alors, la formule « à chacun suivant ses besoins » trouvera son application sans difficulté, presque naturellement. »[3]

2.2 Socialisme russe[modifier | modifier le wikicode]

Lénine, dans L'État et la Révolution de 1917, formalise la distinction entre première phase du communisme, ou « socialisme », et deuxième phase, dans laquelle l'adage communiste est réalisé. « L'État pourra s'éteindre complètement quand la société aura réalisé le principe ».

En 1936, Léon Trotski va s'en servir comme levier contre la constitution soviétique et plus particulièrement contre le premier titre, « dit De la structure sociale en URSS, qui se termine par ces mots : "Le principe du socialisme : De chacun selon ses capacités, à chacun selon son travail, est appliqué en U.R.S.S." ». En cette période de parfum de guerre, Staline aurait, donc, trouvé une solution à la réalisation concrète de l'adage par « De chacun selon ses capacités, à chacun selon son travail ». Pour Trotski, ce système mis en place est La Révolution trahie et « À tous ces égards, l'État soviétique est bien plus près du capitalisme arriéré que du communisme. »

« Marx usait, pour définir la société communiste, de la formule célèbre : « De chacun selon ses forces, à chacun selon ses besoins. » Les deux propositions sont indissolublement liées. « De chacun selon ses forces », cela signifie, dans l'interprétation communiste et non capitaliste, que le travail a cessé d'être une corvée, pour devenir un besoin de l'individu ; que la société n'a plus à recourir à la contrainte ; que les malades et les anormaux peuvent seuls se dérober au travail. Travaillant selon leurs forces, c'est-à-dire selon leurs moyens physiques et psychiques, sans se faire violence, les membres de la communauté, bénéficiant d'une haute technique, rempliront suffisamment les magasins de la société pour que chacun puisse y puiser largement « selon ses besoins » sans contrôle humiliant. La formule du communisme, bipartite mais indivisible, suppose donc l'abondance, l'égalité, l'épanouissement de la personnalité et une discipline très élevée. »[4]

3 Chez les anarchistes[modifier | modifier le wikicode]

En 1883, Pierre Kropotkine reprend la formule « À chacun selon ses facultés : à chacun selon ses besoins » dans la proclamation rédigée lors du Procès des 66, qui visait des militants anarchistes. Dans son ouvrage La conquête du pain, il soutient que dans une société communiste libertaire, le principe de «prise au tas » (se servir librement) sera la norme pour tous les biens abondants, et pour les biens plus rares, la norme sera le rationnement.

Des groupes politiques (anarcho-communisme…) ou encore certains syndicats comme la CGT l'ont ensuite inclut dans la Charte d'Amiens depuis 1912.

4 Critiques[modifier | modifier le wikicode]

4.1 Jules Guesde[modifier | modifier le wikicode]

L'expression « de chacun selon ses forces, à chacun selon ses besoins » est pour Jules Guesde un "vieux cliché prétendu communiste" [5],[6].

Dans cet article de son journal L'Égalité, en 1882, il écrit que cet adage a été détourné "en vain" par "un de ses pères" : Louis Blanc. C'est de Louis Blanc que cet adage associatif a été repris à leur compte par certains socialistes du Parti ouvrier français l'opposant à la formule collectiviste : "De chacun selon les nécessités de la production, à chacun selon son temps de travail."[7]

Ainsi, "ce ne sont donc pas les intentions qu'il incrimine. Il ne s'en prend, comme toujours, qu'à la conclusion, qui n'est pas seulement fausse, mais pleine de péril."[5]. Et "Quant à la société communiste, qui ne deviendra une réalité vivante ... et qui sortira de l'ordre collectiviste avec des producteurs ou des hommes transformés par les conditions nouvelles du travail, elle n'aura pas d'autre devise que celle inscrite par Rabelais à la porte de son abbaye de Thélème : fais ce que vouldras."[5]

Alors, "Ni la production de chacun ne sera déterminée par ses forces, ni sa consommation par ses besoins." Et "De chacun et à chacun selon sa volonté, telle sera l'unique règle sociale — si règle on peut appeler cette absence de toute réglementation."[5]

Enfin, "cette liberté dans la production et dans la consommation sera possible, je le répète, parce que la nourriture. le vêtement, etc., existeront alors pour tous dans la même proportion que l'air ou que la lumière aujourd'hui et parce que le travail considérablement restreint, harmonisé avec les goûts et accompli en commun ou en famille — la grande famille humaine réconciliée — sera devenu un attrait, un besoin auquel nul ne sera assez ennemi de lui-même pour vouloir se soustraire"[5].

4.2 Alexandre Zinoviev et le stalinisme[modifier | modifier le wikicode]

D'après Alexandre Zinoviev[8] dans Les Confessions d'un homme en trop, cet adage, ou une partie de celui-ci, "à chacun selon ses besoins", est souvent discuté dans les écoles de Moscou des années 1930. Mais les problèmes du milieu soviétique ne doivent pas être mis en évidence puisque le communisme réel en URSS est supposé achevé, parfait. Dès lors, toute critique scientifique est rejetée par la société, "le pouvoir et l'administration". Ainsi, ce communisme réel va à l'encontre du communisme idéal[9]. Zinoviev remarque que, "dans le collectivisme soviétique réel, le principe "à chacun selon son travail" était violé plus souvent qu'il n'était observé"[10].

Cependant, cela n'est pas la conséquence d'actes d'obscurs individus mais des lois objectives de la société. Alexandre Zinoviev remarque que les phénomènes sociaux de la société communiste sont proches de ceux des milieux naturels. Il pose ainsi la société communiste dans les conditions historiques de sa formation et de sa maturation comme une anti-civilisation par opposition à la civilisation générée par les pays occidentaux, bien que les phénomènes de ces pays ne reposent pas essentiellement sur des phénomènes civilisateurs. Dans la sphère communaliste où le mouvement de chacun est de rechercher le « pouvoir », l'attitude des individus est pragmatique. "En outre, si les gens recherchent, le pouvoir, ce n'est pas pour le pouvoir en soi, mais pour les avantages matériels que leur position et leur influence pourraient leur procurer."[11]. Ainsi, dans sa synthèse scientifique Le Communisme comme réalité, Zinoviev montre que cet adage est en réalité « à chacun sa situation sociale » ou « à chacun sa position sociale ». Le statut, la hiérarchie, la situation, la position sociale de la société communiste du XX ne reposent pas sur l'argent, la richesse comme dans les pays occidentaux, mais sur des privilèges matériels ou sociaux selon la débrouillardise, le carriérisme, etc. des individus.

5 Notes et références[modifier | modifier le wikicode]

  1. Programme de Gotha, mai 1875
  2. Karl Marx, Critique du programme de Gotha, avril 1875
  3. Karl Kautsky, Le programme socialiste. IV. La Société future, 1892
  4. Léon Trotski, La Révolution trahie, 1936
  5. 5,0 5,1 5,2 5,3 et 5,4 Une formule prétendue communiste, L'Égalité, 14 mai 1882
  6. Cf aussi Jules Guesde, En Garde !, éd. Rouff, p 106-111, 1911
  7. Cf aussi article dans La Petite République du 10 mars 1894 in En Garde !, Instruisez-Vous Mr R. Poincaré, p 447 à 454
  8. L'originalité de Alexandre Zinoviev est en effet
  9. Alexandre Zinoviev, Les Confessions d'un homme en trop, Folio actuel, 1991, 695 p.
  10. Alexandre Zinoviev, Les Confessions d'un homme en trop, folio actuel, 1991, p. 55.
  11. Alexandre Zinoviev, 1984 et 1984 in Science Fiction - Politique (1983), éd. Denoël, 1984 (ISBN 2 207 33002 8), t. 2, p. 42