Égalité devant la loi
L’égalité devant la loi ou égalité en droit est le principe selon lequel tout être humain doit être traité de la même façon par la loi (principe d’isonomie). Aucun individu ou groupe d'individus ne doit donc avoir de privilèges garantis par la loi.
Historiquement c'est un principe mis en avant par la bourgeoisie, dans sa lutte révolutionnaire contre les privilèges aristocratiques qui étaient institutionnalisés sous le féodalisme. Cependant avec l'essor du capitalisme, ce principe, progressiste, a de plus en plus été utilisé comme un écran de fumée pour masquer les criantes inégalités sociales. L'égalité dans ce sens restreint est une composante fondamentale de l'idéologie bourgeoise dominant dans les démocraties libérales.
1 En histoire de la philosophie[modifier | modifier le wikicode]
1.1 L'isonomie antique[modifier | modifier le wikicode]
Le principe d'égalité devant la loi trouve son origine dans le principe d'isonomie défini par Clisthène au 6e siècle av. J.-C., et qui constituait l'un des fondements de la démocratie athénienne. Grâce à ce principe, Clisthène a mis en œuvre des réformes en 508 et 507 av. J.-C., qui consistaient principalement à créer de nouvelles circonscriptions populaires et une assemblée, la boulè, dotée de pouvoirs qui d'abord ont contrebalancé, puis surmonté et remplacé, ceux des aristocrates. Ainsi, même les citoyens pauvres pouvaient avoir le droit de vote.
Le principe s'est développé dans la philosophie politique occidentale d'abord chez Aristote : dans son ouvrage sur la Politique, mais aussi dans l’Éthique à Nicomaque[1], le philosophe grec pose comme base de la démocratie « la liberté fondée sur l’égalité »[2] ; ensuite, au 18e siècle, on a imaginé un état de nature de l'être humain, et des droits naturels associés à cet état.
Cette isonomie était cependant loin d'être le seul idéal d'égalité présent dans l'histoire. A Sparte, c'est l'égalité des conditions de richesse qui a été établie pour un temps, par le partage des terres et une éducation en commun (on parle alors d'eunomie). Plus largement, de nombreuses révoltes populaires dans l'Antiquité et au Moyen-Âge se sont faites au nom de conceptions d'égalité confuses, mais d'égalité sociale.
1.2 L'égalitarisme rousseauiste[modifier | modifier le wikicode]
L'égalité a fait l'objet d'une longue réflexion de la part du philosophe français Jean-Jacques Rousseau, à partir de 1755 dans le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes dans lequel il exprime ses préférences en matière de gouvernement, et en 1762 dans Du contrat social.
Rousseau vise bien une égalité sociale, au delà de la simple égalité en droit, même s'il ne cherche pas un nivellement radical. Mais sa vision relève d'un certain idéal utopique d'une société de petits producteurs vivant en harmonie, sans remise en cause de la société marchande.
La philosophie de Rousseau a eu une forte influence sur la petite-bourgeoisie révolutionnaire de 1789, qui est traversée par les nombreuses ambigüités qu'elle contient. Elle a plus largement eu une longue postérité dans de nombreux pays du monde.
1.3 Critique socialiste[modifier | modifier le wikicode]
Le socialisme moderne a bien entendu développé la critique de l'égalité des droits, fondamentalement insuffisante, pour revendiquer une égalité sociale. Karl Marx est connu pour avoir dénoncé l'idéologie des droits de l'homme, comme une idéologie masquant la domination de la bourgeoisie. Celle-ci peut en effet de cette façon continuer à s'enrichir en exploitant le travail salarié, tout en présentant ça comme un simple rapport contractuel entre individus libres et égaux.
1.4 Critique libérale[modifier | modifier le wikicode]
De leur côté les idéologues du libéralisme bourgeois (un libéralisme politique ET économique) ont théorisé que la seule égalité souhaitable était l'égalité devant le droit, toute tentative d'aller plus loin étant illégitime, et inefficace car le marché serait plus efficace que tout interventionnisme. Ainsi Friedrich Hayek écrit : « il y a toutes les différences du monde entre traiter les gens de manière égale et tenter de les rendre égaux. La première est une condition pour une société libre alors que la seconde n'est qu'une nouvelle forme de servitude »[3].
Ces libéraux mettent en avant l'égalité en droit qui serait une égalité de moyens, face à l'erreur de vouloir une égalité de résultat, l'égalité matérielle.
- Hayek défend que l'égalité matérielle et l'égalité en droit sont incompatibles, car les aptitudes différentes des individus, s'ils sont égaux en droit, engendreraient forcément une inégalité matérielle.
- Pascal Salin écrit qu'« il existe en effet deux notions différentes de l'égalité, l'égalité des droits et l'égalité des résultats. La première inspirait la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 [...] mais c'est la seconde notion qui est devenue dominante [...]. La première notion est manifestement libérale et individualiste, puisqu'elle consiste à reconnaître l'égale dignité de chacun, mais à le laisser libre de développer son propre destin à partir du moment où ses droits sont déterminés et respectés. La seconde est un pur produit du constructivisme, puisqu'elle consiste à penser que l'on peut interférer avec les résultats de l'action humaine et imposer une répartition des richesses conforme au modèle décidé par les détenteurs du pouvoir, en donnant a priori à chacun des droits sur l'activité d'autrui »[4].
Et en effet, si l'on ne remet pas encore le cadre du capitalisme, la seule solution pour compenser partiellement des inégalités sociales est d'instaurer une inégalité des droits (et devoirs) : par exemple de la discrimination positive[5], des impôts progressifs, des tarifications sociales... Cette vision modérée, social-libérale, vise une hypothétique « égalité des chances ».
2 Droit international[modifier | modifier le wikicode]
La Déclaration universelle des droits de l'homme affirme sur l'égalité devant la loi dans l'article 7 que « Tous sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une égale protection de la loi. Tous ont droit à une protection égale contre toute discrimination qui violerait la présente Déclaration et contre toute provocation à une telle discrimination »[6]. Puis le Pacte international relatif aux droits civils et politiques assure l'égalité devant la loi et la protection de la loi dans l'article 26 que « Toutes les personnes sont égales devant loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi »[7].
3 Droit par pays[modifier | modifier le wikicode]
3.1 Canada[modifier | modifier le wikicode]
En droit canadien, l'égalité devant la loi est protégée par l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés[8]. Cette disposition prévoit plusieurs règles distinctes relatives à l'égalité devant la loi :
- 1) d'une part, « la loi ne fait acception de personne », ce qui correspond à la version primitive de l'égalité devant la loi
- 2) l'application égale de la loi à tous
- 3) le droit à la même protection de la loi
- 4) le droit au même bénéfice de la loi
Ces multiples formules visent à assurer une égalité réelle de tous les justiciables en droit, et pas seulement une égalité formaliste à l'intérieur d'une même loi. Car auparavant, sous le régime antérieur de la Déclaration canadienne des droits pendant les années 1960 et 1970, la Cour suprême du Canada interprétait l'égalité devant la loi de manière très étroite. Les experts en droit constitutionnel canadien considèrent que la rédaction actuelle de l'article 15 de la Charte canadienne vise notamment à casser un jugement rendu par la Cour suprême dans l'affaire Procureur général du Canada c. Lavell de 1974[9], où la Cour a considéré que les femmes autochtones n'étaient pas discriminées sur le plan du mariage par les règles assimilationnistes de la Loi sur les Indiens[10].
Les provinces ont aussi des lois quasi-constitutionnelles qui protègent l'égalité devant la loi. Au Québec, les articles 1 à 9.1 et 10, puis 10 et 10.1 à 19 de la Charte des droits et libertés de la personne[11] protègent le droit à l'égalité dans l'exercice des droits et libertés. En Ontario, les articles 1 à 9 du Code des droits de la personne protègent l'égalité des droits[12].
3.2 États-Unis[modifier | modifier le wikicode]
Le principe fut mis en œuvre dans des systèmes de démocratie libérale aux États-Unis après la révolution américaine et l'adoption d'une constitution en 1787.
Le quatorzième amendement de la Constitution des États-Unis garantit l'égale protection des droits à toute personne née en territoire américain ou ayant obtenu la naturalisation comme citoyen américaine.
3.3 France[modifier | modifier le wikicode]
Le principe fut mis en œuvre Europe à la suite de la proclamation en France de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
La proclamation de l'abolition des privilèges dans la nuit du 4 août 1789 en France a été rapidement suivie entre les 20 et 26 août par le vote de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui affirme le principe d'égalité :
- dans son article 1er : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ».
- dans son article 6 : « La Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »
3.4 Suisse[modifier | modifier le wikicode]
En Suisse, la Constitution fédérale prévoit l'égalité de traitement : « Tous les êtres humains sont égaux devant la loi. Nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de son origine, de sa race, de son sexe, de son âge, de sa langue, de sa situation sociale, de son mode de vie, de ses convictions religieuses, philosophiques ou politiques ni du fait d’une déficience corporelle, mentale ou psychique. » (article 8)[13].
4 Notes et références[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ Aristote, Éthique à Nicomaque, Livre V, 3, 1131 a 22-29.
- ↑ Aristote, Politique, Livre VI, II, 1317 b 16-17 et 1318 a 5 sq.
- ↑ « Vrai et faux individualisme », Discours prononcé à University College Dublin, le 17 décembre 1945
- ↑ Pascal Salin, Libéralisme, Odile Jacob, 2000, p. 21-22
- ↑ Jacques Robert, « Le principe d'égalité dans le droit constitutionnel francophone | Conseil constitutionnel », sur www.conseil-constitutionnel.fr, (consulté le 26 août 2021)
- ↑ La déclaration universelle des droits de l'homme, article 7
- ↑ Le pacte international relatif aux droits civils et politiques, article 26
- ↑ Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11, art 15, <http://canlii.ca/t/dfbx#art15>, consulté le 2020-10-25
- ↑ [1974] R.C.S. 1349
- ↑ Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada. 2004 Student Ed. (Scarborough, Ontario: Thomson Canada Limited, 2003), par. 1083
- ↑ Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c C-12, art 10, <http://canlii.ca/t/19cq#art10>, consulté le 2020-10-25
- ↑ Code des droits de la personne, LRO 1990, c H.19, art 1, <http://canlii.ca/t/3jq#art1>, consulté le 2020-10-25
- ↑ Constitution fédérale de la Confédération suisse (Cst.) du (état le ), RS 101, art. 8.
5 Annexes[modifier | modifier le wikicode]
5.1 Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]
- Francis-Paul Bénoit, La démocratie libérale, PUF, 1978(ISBN 978-2-13-035733-9)
- Pierre Manent, Histoire intellectuelle du libéralisme, Hachette(ISBN 978-2-01-278865-7)
- Friedrich Hayek, Droit, législation et liberté, PUF(ISBN 978-2-13-056496-6)
- Conseil d'État, Sur le principe d'égalité - Extrait du Rapport public 1996, La Documentation française, 1998(ISBN 2-11-004050-5)