Démocratie interne

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« La liberté est une réunion sans fin » Ce slogan fut utilisé par le mouvement étudiant Students for a democratic society dans les années 1960, pour souligner combien la démocratie demande du temps.

La démocratie interne à une organisation (parti, syndicat, association...) est une question politique importante, en particulier pour les organisations du mouvement ouvrier. Elle doit être analysée dans ses rapports avec la démocratie en général (et donc, d'un point de vue marxiste, dans ses rapports avec la division de la société en classe), et dans ses spécificités.

Ces questions touchent tous types de parti, des macronistes[1] aux insoumis[2] en passant par les verts[3]...

1 Généralités[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Révolte et démocratie[modifier | modifier le wikicode]

Dans les premiers mouvements progressistes, luttant dans des sociétés féodales et monarchiques et n'ayant pas de base sociale permettant une structuration (pas de couche large d'urbains avec du temps disponible), les modes d'action étaient souvent trop ponctuels pour poser réellement la question de la démocratie interne. Des leaders charismatiques étaient la plupart du temps indispensables pour mener des révoltes.

Le paradoxe est qu'une révolution démocratique n'est pas quelque chose qui peut facilement être « organisé démocratiquement », si l'on entend par là l'ensemble de règles de droit associé aux standards actuels de la démocratie. Il y a néanmoins un principe qui apparaît dans la lutte, et qui rompt avec un état antérieur, celui de l'assemblée qui délibère. Cela peut être des assemblées populaires se regroupant spontanément au cours d'une révolte, ou des regroupements plus élitistes, comme la campagne des banquets.

La révolution de 1789 est un bon exemple. Les sans-culottes tenaient des assemblées populaires, et, plutôt du côté des intellectuels, des proto-partis se formaient (Jacobins, Girondins...). Il ne fait aucun doute que cela constituait une irruption sans précédent de la démocratie dans la société, au sens brut de pouvoir du peuple.

Les révoltes spontanées ouvrent forcément une situation instable, et font aussitôt toute une série de problèmes nouveaux : si de multiples assemblées se forment un peu partout, lesquelles doivent être décisionnelles ? sur quelle étendue ? avec quelles solutions en cas de conflits entre deux d'entre elles ? Faut-il des règles globales pour protéger les minorités de violences, ou assurer des recours possibles ? Dans ce cas quelle organisation ? Faut il une organisation centraliste ou fédéraliste ? Ces questions sont posées par le mouvement en tant que questions d'organisations de l'État, mais elles seront aussi celles auxquelles doivent répondre des mouvements qui entendent durer, comme des syndicats, associations, ou partis.

1.2 L'apparition des partis[modifier | modifier le wikicode]

Le problème de la codification de la démocratie interne s'est posé à partir du moment où deux conditions étaient réunies :

  • le principe démocratique était une devenue une valeur allant de soi pour les groupes progressistes,
  • des organisations de masse commençaient à se structurer.

Les partis au sens moderne commencent vraiment à se structurer à la fin du 19e siècle. Aussitôt, les problèmes d'organisation interne apparaissent, et suscitent des analyses.

1.3 Premières critiques[modifier | modifier le wikicode]

Suite au livre de Robert Michels, Les Partis politiques, Essai sur les tendances oligarchiques des démocraties (1914), certains sociologues commencent à parler de « loi d'airain de l'oligarchie »[4], pour désigner la tendance de toute organisation à sécréter une élite oligarchique. Selon Michels, « l'organisation est la source d'où nait la domination des élus sur les électeurs, des mandataires sur les mandants, des délégués sur ceux qui les délèguent. » Le courant de la sociologie de Michels (avec Mosca, Pareto...) a été décrit comme « sociologie élitiste »[5].

Au début du 20e siècle aux États-Unis, la démocratie interne de parti était une revendication majeure des réformateurs du Parti progressiste. Ils se plaignaient que les patrons corrompus des « machines politiques » dans pas mal de villes et d'États dominaient l'organisation des partis politiques. Les patrons demeuraient au pouvoir parce qu'ils avaient conquis une charge élective auparavant ou parce qu'ils contrôlaient un groupe d'élus; ceux-ci accordaient alors des emplois, des contrats publics et d'autres avantages matériels à leurs préférés.

1.4 Légitimité et légalité[modifier | modifier le wikicode]

La légitimité de la révolution est supérieure à l'ancienne légalité, et c'est elle qui créée la nouvelle légalité. De même dans une organisation qui se forme, les règles sont créées parce qu'il y a une volonté et une confiance commune. Quand il y a conflit entre une partie de l'organisation et une autre, il y a deux cas possibles :

  • soit la confiance commune et la légitimité des statuts l'emporte, dans ce cas la question est réglée statutairement ;
  • soit la méfiance l'emporte, et chacun des deux camps estime avoir une légitimité supérieure, ce qui mène à une scission.

Des divisions dans une organisations peuvent être le fruit de la lutte des classes, ou d'autres oppressions. Mais elles peuvent aussi être le fruit de divergences sur une tactique conjoncturelle, voire parfois simplement de relations interpersonnelles particulièrement tendues.

Pour éviter que des divisions conduisent systématiquement à des scissions, la plupart des organisations tolèrent, et parfois définissent plus ou moins précisément des expressions différentes de parties de leurs membres (droit de tendance et de fraction).

2 Dans le mouvement ouvrier[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Marx et Engels[modifier | modifier le wikicode]

Pour Marx et Engels, il allait de soi que le fonctionnement interne devait reposer sur la démocratie. Par exemple, le principe de l'annualité des congrès était fondamental pour eux. On le retrouve dans la Ire Internationale, et en 1892 encore, Engels le rappelle à la direction du parti allemand (SPD).[6]

Dans une lettre à August Bebel en 1891, Engels s'inquiétait d'une certaine frilosité de la direction du SPD à accepter le pluralisme dans sa presse, et rappelait l'importance de la liberté de discussion, non seulement pour elle-même, mais comme condition de la justesse des idées :

« Vous, le Parti, vous avez besoin de la science socialiste et celle-ci ne peut pas vivre sans la liberté du mouvement. »[7]

2.2 L'exemple russe[modifier | modifier le wikicode]

Une réunion du parti bolchévik en 1920

Les social-démocrates russes ont dû construire un parti dans un contexte de clandestinité en raison de la répression tsariste. Par conséquent il existait, plus qu'ailleurs, une tension entre organisation efficace (centralisée, avec des cadres inamovibles et à l'identité cachée...) et organisation démocratique (où l'élection impose le maximum de transparence). C'est le débat sur l'organisation qui a provoqué le premier clivage entre deux groupes, qui deviendront les menchéviks et les bolchéviks. Lénine était avec les « durs », et voulait que le parti n'admette que des membres s'impliquant réellement dans le militantisme. Ses adversaires le dénonçaient comme un « jacobin » qui serait moins démocrate, car voulant créer une organisation tellement exigeante envers ses membres, qu'elle finirait par une concentration toujours plus forte du pouvoir.

Par la suite, les majorités et minorités ont changé dans le parti, et la question s'est sans cesse posée pour la minorité d'accepter ou non les décisions de majorité. Ce qui dans la pratique n'a presque jamais été le cas, d'un côté comme de l'autre. Pourtant, officiellement, le parti finit par s'accorder sur le principe du « centralisme démocratique », et il est souvent résumé par une phrase de Lénine : « liberté totale dans la discussion, unité totale dans l'action ».[8]

Lénine écrivait qu'il était pour le droit des minoritaires à exprimer leurs désaccords, même après avoir été battus lors d'un congrès (il était minoritaire à ce moment-là) :

Social-démocrates, nous conspirons contre le tsar et ses mouchards, mais nous entendons aussi que le peuple sache tout sur notre parti, sur ses nuances intérieures, sur le développement de son programme et de sa tactique et même sur ce qu’a dit au congrès du parti tel ou tel délégué.[9]

Il écrivait même que la critique devait être encore plus ouverte dans une période révolutionnaire :

Dans une époque révolutionnaire comme celle que nous vivons, toutes les erreurs théoriques et les déviations tactiques du parti sont d’autant plus impitoyablement critiquées par la vie elle-même, qui éclaire et éduque la classe ouvrière avec une rapidité sans précédent. Dans une telle période, le devoir de tout social-démocrate est de s’assurer que la lutte idéologique dans le parti sur des questions de théorie et de tactique soit menée aussi ouvertement, largement et librement que possible, mais que sous aucun prétexte elle ne contrarie ou rende plus difficile l’unité d’action révolutionnaire du prolétariat social-démocrate.[10]

Ou encore :

La grave maladie de notre parti, c’est la maladie de croissance d’un parti de masse. Car il ne peut y avoir de parti de masse, de parti de classe, si l’on ne fait pas toute la lumière sur les nuances fondamentales, s’il n’y a pas lutte ouverte entre les différentes tendances.[11]

Il défend à cette période une organisation « par le bas » :

Les statuts de notre parti déterminent très nettement son organisation démocratique. Toute l’organisation se construit par la base, suivant le principe de l’électivité. Les organisations locales, d’après les statuts, sont déclarées autonomes dans leur activité locale. Le comité central, d’après les statuts, unifie et dirige tout le travail du parti. Par conséquent, il est clair qu’il n’a pas le droit de se mêler de fixer la composition des organisations locales. Dès lors qu’il est admis que l’organisation se construite par la base, une intervention d’en haut pour en modifier la composition serait une véritable violation de tout le démocratisme de tous les statuts du parti.[12]

Sur la question de l'autonomie des organisations locales par rapport aux comités, Lénine écrivait en mai 1904, que « la tendance indéniable à défendre l’autonomisme contre le centralisme est un trait caractéristique de l’opportunisme dans les questions d’organisation. »[13] Plus tard, en désaccord avec le Comité central, il insistait sur le fait que ses décisions étaient obligatoires « dans les limites des décisions du congrès et dans les limites de l’autonomie reconnue aux organisations locales du parti par le congrès. »[8]

En janvier 1907, Lénine alla jusqu’à argumenter en faveur de l’institution d’un référendum de tous les membres sur la question des alliances à la Douma.[12]

Suite à la Révolution d'Octobre 1917, l'affaiblissement de la démocratie interne au parti bolchévik a eu lieu en parallèle de la bureaucratisation du régime dans son ensemble. En 1921 en particulier, le parti décide d'interdire les tendances et fractions en son sein. En 1923, la démocratie interne sera la principale revendication de l'opposition de gauche (partisans de Trotski).

20e congrès du PCUS

Le Parti communiste de l'Union soviétique n'avait plus grand chose à voir avec son ancêtre. Le régime interne y était totalement caporalisé. Les congrès étaient des grand-messes où l'on écoutait les rapports des dirigeants ou de quelques experts ayant leurs faveurs.

2.3 Le Parti communiste français[modifier | modifier le wikicode]

En 1970, Althusser dénonçait le phénomène d’écœurement des militants de base du PCF, tout juste compensé par le turn over (mais de moins en moins, ce qui est une des raison du déclin numérique du parti) :

«  A-t-on réfléchi au fait suivant ? La contrepartie du mécanisme qui reproduit la direction et lui permet de durer, inamovible, à travers tous les retournements stratégiques et tactiques, comme à travers toutes les erreurs c’est la fuite des militants, leur perpétuelle hémorragie, leur perpétuel remplacement par de nouvelle génération qui n’aura pas connu les batailles et les vicissitudes d’il y a cinq, dix ou vingt ans. (…) Le parti en tant que petit « appareil d’état » a trouvé la solution du problème auquel Brecht faisait allusion après les émeutes sanglantes de Berlin : « le peuple a perdu confiance dans les dirigeants ? Il n’y a qu’à en élire un autre ! ». Périodiquement, de campagne de recrutement en campagne de recrutement, la direction du parti « élit »un nouveau peuple, c’est à dire une autre base, c’est à dire d’autres militants. Mais la direction, elle, reste en place »[14]

3 L'État et le régime interne des partis[modifier | modifier le wikicode]

En Allemagne, la Loi fondamentale de 1949 stipule au sujet des partis politiques que « leur organisation interne devra se conformer aux principes démocratiques » (article 21, para. 1).

Certains - notamment des libéraux - soutiennent qu'en démocratie, l’État n'a pas à réglementer la structure interne des parti, la menace d'impopularité électorale étant la meilleure garantie que ceux-ci ne s'écarteront pas trop du fonctionnement démocratique. Si un électeur n'aime pas la façon dont un parti s'organise, il peut voter pour un autre.

4 Les partis de gouvernement[modifier | modifier le wikicode]

Dans les États capitalistes du centre impérialiste, généralement plus stable, les grands partis bourgeois qui participent régulièrement au gouvernement sont parfois appelés « partis de gouvernement ». Il arrive qu'ils soient tellement institutionnalisés qu'ils en viennent à être intégrés, non de droit mais de fait, dans les processus "classiques" de la démocratie bourgeoise. En particulier, par le mécanisme des primaires. La vie interne de ces partis devient dès lors largement publique (même si une grande partie des négociations entre "clans" politiques et économiques se font discrètement).

En 1968 aux États-Unis, le Parti démocrate décida d'introduire des réformes qui augmenteraient les pouvoirs des militants de la base, et en particulier d'introduire des primaires pour la désignation des candidats aux présidentielles.

5 Notes et références[modifier | modifier le wikicode]