François-Joseph L’Ange
François-Joseph L’Ange (1743-1793), ou Lange, était un théoricien présocialiste de l'époque de la Révolution française.
1 Biographie[modifier | modifier le wikicode]
1.1 Jeunesse[modifier | modifier le wikicode]
Né probablement à l’île de Kembs vers 1743[1], Lange fut élevé à Munster (Haut-Rhin actuel et non la capitale de la Westphalie comme l’a cru Jaurès[2]).
Il vint à Paris vers 1758 où il apprit le métier de peintre sur soie (dessinandier) et alla se fixer à Lyon pour y exercer ce métier qui le plaçait dans la hiérarchie sociale entre ouvriers et artistes. Frappé par l’invention de Montgolfier, il s’intéressa à la navigation aérienne et publia en 1785 et 1786 deux brochures sur les moyens de se diriger dans la haute atmosphère et d’employer les aéronefs dans des opérations militaires.
1.2 Engagement[modifier | modifier le wikicode]
En 1789, la convocation des États généraux, parmi l’innombrable floraison de brochures, suscita l’intervention de L’Ange : il publia en 1789 des Notions problématiques sur les états généraux, suivies d’un plan de leur vraie constitution.
Il participera dès lors à la vie publique. Il collabora au Journal de Lyon.
Élu assesseur à la justice de paix en janvier 1791, officier municipal en décembre de la même année, il fut nommé en décembre 1792 juge de paix du canton de la Fédération (ci-devant Bellecour) dont il présidait le club. Pendant ces années il écrivit au moins neuf plaquettes consacrées surtout aux problèmes de subsistances et à l’élaboration d’un système cohérent de démocratie sociale. Étranger au Parti girondin-royaliste, il se sépara aussi du Parti montagnard de Chalier et fut attaqué des deux côtés. Il entra en conflit avec les sans-culottes et le tribunal de district cassa sa décision de juge de paix d’élargir un suspect.
De juillet à août 1793, Lyon se retrouve en conflit ouvert avec le gouvernement montagnard de Paris, et la ville est assiégée, jusqu'à sa capitulation le 9 octobre 1793.
En tant que fonctionnaire demeuré en fonction pendant le siège, L'Ange est alors condamné à mort le 14 novembre 1793 par la Commission de justice populaire, et exécuté le lendemain.
2 Idées politiques[modifier | modifier le wikicode]
2.1 Démocratie politique[modifier | modifier le wikicode]
Dès sa brochure de 1789, il préconisait un système de vote par centurie. Il s’élevait contre la privation des droits civiques dont étaient victimes les « citoyens passifs » (ceux privés du droit de vote par le suffrage censitaire).
En 1790, dans une autre brochure, il revenait sur l'exclusion des pauvres, soulignant que c’est le travail des non-propriétaires qui crée toutes les richesses et tout le produit net de la terre, que les travailleurs abandonnent aux propriétaires oisifs.
« Enfin, la vérité qui nous éclaire perce le voile ridicule des propriétés dont s’enveloppent nos ennemis, avec l’impudent orgueil de l’oisiveté. L’or dont ils se targuent n’est utile et salutaire qu’entre nos mains laborieuses ; il devient virulent quand il s’accumule dans les coffres des capitalistes, qui sont aux corps politiques ce que les ulcères sont aux corps physiques. Partout, Sire, où Votre Majesté portera ses regards, elle ne verra la terre occupée que par nous ; c’est nous qui travaillons, qui sommes les premiers possesseurs, les premiers et derniers occupants effectifs. Les fainéants qui se disent propriétaires ne peuvent recueillir que l’excédent de notre subsistance. Cela prouve au moins notre copropriété. Mais si naturellement nous sommes copropriétaires et l’unique cause de tout revenu, le droit de borner notre subsistance et nous priver du surplus est un droit de brigand. »
« Rejetez donc, Sire, les vingt-cinq millions de votre liste civile, la solde de vos armées, le gage de votre justice que vous offrent leurs mains impures, et daignez vous rendre dispensateur équitable de toute la moitié de l’abondance, ne nous réservant l’autre moitié que pour élever nos enfants. »
Il y avait donc un caractère utopique à la fois dans le flou laissé sur les mécanismes de répartition, et sur l'appel naïf à un souverain éclairé.
Dans la plaquette de 1791, Du Citoyen, du Monarque et du titre II de la Constitution, il présente son projet de division de la France en groupes de 100 familles ou centuries, 10 centuries formant un canton, 5 cantons une commune avec une mairie, 4 communes un district et 2 districts un arrondissement avec un Congrès. La réunion de tous les congrès constitue l’Assemblée nationale (ou Congrès Central).
2.2 Démocratie sociale[modifier | modifier le wikicode]
La crise des subsistances dès 1792 devait amener l’Ange à donner à la centurie un caractère non seulement politique mais économique et social. En juin 1792, il présenta à la mairie de Lyon une brochure de 16 pages sur les Moyens simples et faciles de fixer l’abondance et le juste prix du pain. Des coopératives, réunies en une Compagnie nationale qui s’identifie à la nation elle-même qui fournit le capital d’un milliard huit cents millions de livres nécessaire à leur départ, construisent 30 000 greniers (appelés « greniers d'abondance ») et fournissent partout pain, blé et farine à un prix identique. Chaque grenier correspond à chacune des centuries. Les producteurs alimentent les greniers et viennent y payer en nature leurs impôts.
Tout le système est exposé avec ce souci de logique et de minutie qui caractérise la construction utopique.
« Alors les propriétés seront bien gardées, alors les dépenses pour les ponts et chaussées seront enfin vraiment profitables à la nation, alors tous les chemins seront toujours beaux, les rivières et les canaux toujours navigables à fortes charges, les marais seront bientôt desséchés, les terres arides bientôt abreuvées, même les eaux des torrents seront bientôt contraintes à circuler doucement dans les prairies nouvelles : en un mot, du jour au lendemain, nous verrons la France devenir un paradis terrestre. »
La notion de grenier collectif ne sortait pas de nulle part puisque c'était une pratique médiévale, qui persista sous l’Ancien Régime, à Lyon par exemple jusqu’en 1777, et à laquelle la Convention recourut encore le 9 août 1793. En 1793 la situation s’aggravant l’Ange se trouvait dans une situation complexe car s’il répudiait la violence des sans-culottes et il était amené idéologiquement à concevoir la possibilité d’une fin de la propriété individuelle du sol dans Remède à tout... qui reprend et précise des projets déjà présentés.
2.3 Analyse économique[modifier | modifier le wikicode]
Le chapitre V qui contient une théorie de la valeur sur laquelle l’Ange base son système. Il distingue deux aspects de la valeur : « Toute valeur mercantile a deux termes : la production et l’usage, ou la valeur intrinsèque et la valeur arbitraire. » Le premier aspect c’est le coût de la production : les frais indispensables que sont « les matériaux, outils, ateliers, logements, vêtements et nourriture des ouvriers, de leurs femmes et de leurs enfants » (l’Ange semble se prononcer ainsi pour une rémunération selon les besoins). Le second aspect correspond à la valeur d’usage, c’est-à-dire « la qualité des choses et le goût, ou les besoins des hommes et leurs facultés ». Différent de Marx pour qui la valeur d’usage d’une chose est le fait qu’elle satisfait un besoin de l’homme, l’Ange ajoute avec le goût et les facultés des hommes des notions psychologiques et subjectives, se rapprochant ainsi du philosophe sensualiste Condillac. Cependant il considère que seule la valeur intrinsèque constitue la vraie valeur des choses, dont la seule base est les frais de production.
Le travail est bien pour lui (comme pour Smith et Marx) le fondement de la valeur. Mais il affirme que « ces frais de production ne peuvent être pris que sur le superflu de l’agriculture en général ». On retrouve l'influence de le pensée physiocrate., car pour lui le blé était considéré comme la mesure des valeurs, ayant seul une valeur fixe et invariable à condition qu’il soit à son « juste prix » (notion héritée des théologies médiévales). [3]
2.4 Socialisation partielle[modifier | modifier le wikicode]
Mais, en 1793, l’Ange ne croit plus que la liberté du commerce puisse permettre l’application de cette « règle d’estimation ». Il préconise alors le relevé détaillé des propriétés terriennes pour constater le revenu net de tout le territoire de la République sur lequel sera basé l’impôt après déduction d’un vingtième « pour l’amélioration des biens-fonds ». Vendre à un prix excédent cette proportion serait un « abus criminel de la propriété ». Il s’agit donc d’un vaste plan de fixation des prix, salaires, ventes immobilières et loyers qui limite, sans le supprimer, le droit de propriété, rendant indispensable une certaine contrainte de l’État.
Les récoltes et produits de l’agriculture sont socialisés dans les 30 000 greniers d’abondance, et le paiement des frais de transport des grains sera assuré par le trésor public. Cette socialisation garantira que le blé sera au juste prix. Les trois derniers chapitres traitent de la bienfaisance civique (un trésor pour les pauvres est prévu), de la force publique, de l’impôt et de la délibération souveraine.
3 Historiographie[modifier | modifier le wikicode]
Jules Michelet faisait de L'Ange un précurseur de Fourier, hypothèse que reprit Jaurès. Cette idée a cependant été beaucoup critiquée. Jaurès étudia les quelques brochures conservées à la Bibliothèque Nationale, et il s’était efforcé, en vain, de découvrir un texte perdu (signalé en 1844 par le bibliographe Gonon qui en avait cité un passage) sur lequel reposait la réputation de l’Ange. Or ce texte ne fut retrouvé et étudié que vers 1970 par Fernand Rude. Dans la mesure où cet écrit de 1793 intitulé Remède à tout ou Constitution invulnérable de félicité publique reprend parfois intégralement des passages parus dans d’autres brochures, il permet d’analyser le système de l’Ange.
Le passage cité par Gonon en 1844 — longtemps le seul connu de l’œuvre — a fait bien rêver :
« Abstraction absolue sera faite de l’étendue de leurs possessions. Les lignes de démarcation seront invisibles sur la terre ; elles seront les mêmes que les lignes indicatives des degrés, tracées sur les bonnes cartes géographiques. » [Gonon avait ajouté le mot « des propriétés » à lignes de démarcation !]
Certains ont pu affirmer que l’Ange pensait à une propriété commune, un regroupement collectif des propriétés individuelles. Jaurès y voyait plutôt l’idée d’un remembrement. Quant à l’abstraction de l’étendue des possessions, c’est un rappel de l’opposition au suffrage censitaire, l’égalité des droits politiques étant le principe unique et fondamental de la république.
Le plan de L'Ange est ambitieux sur le plan de la socialisation de la distribution (par une sorte de réseau de coopératives de consommation), comme ce que l'on peut trouver à la même époque chez les Enragés, mais reste utopique, notamment parce qu'il évacue la question de la propriété, de la collectivisation du travail, agricole et a fortiori industriel (point qu'il n'évoque pas).
En voulant supprimer, pour fixer la vraie valeur, la spéculation et le profit, en élaborant une expropriation partielle, l’Ange est bien un précurseur du socialisme moderne. S’il ne va pas jusqu’à « la refonte totale du système social » comme le pensait Jaurès, son projet annonçait un acheminement vers cette refonte.
4 Écrits[modifier | modifier le wikicode]
- Notions problématiques sur les états généraux, suivies d’un plan de leur vraie constitution, 1789
- Plaintes et représentations d’un citoyen décrété passif aux citoyens décrétés actifs, 1790
- Du Citoyen, du Monarque et du titre II de la Constitution, 1791
- Moyens simples et faciles de fixer l’abondance et le juste prix du pain, 9 juin 1792
- Réponses aux objections qu’on a faites sur les Moyens simples et facile de fixer l'abondance..., 26 août 1792
- Causes de la cherté des denrées et moyens d’y remédier, octobre 1792 [Brochure disparue]
- Remède à tout ou Constitution invulnérable de félicité publique, 1793
5 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]
- Notice sur le Maîtron
- Jacques Droz, Histoire générale du socialisme, 1972