Interrayons

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Jusqu'en 1918, la Russie utilisait le calendrier julien, qui avait à l'époque 13 jours de retard sur le calendrier grégorien. Le 23 février « ancien style » correspond donc au 8 mars « nouveau style » (n.s.).


Trotski, figure centrale des Interrayons

Les interrayons étaient des partisans d'une petite tendance du Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR), entre 1913 et 1917, qui se situait entre les menchéviks et les bolchéviks. Ce nom vient du russe mezhraiontsy (межрайонцы), de mezh (inter) et raion (sorte de district russe, dont le mot vient de « rayon » en français). Formellement, leur organisation se nommait « POSDR (internationalistes) ».

Les interrayons, principalement dirigés par Trotski, rejoignent les bolchéviks durant la révolution de 1917.

1 Historique[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Contexte[modifier | modifier le wikicode]

Les sociaux-démocrates russes ont dès l'origine été très divisés, et n'ont jamais formé un parti équivalent à celui d'Allemagne, qui servait de modèle dans l'Internationale ouvrière. A partir de 1903, le principal clivage entre menchéviks et bolchéviks était sur des questions d'organisation.

Après la défaite de la première révolution russe en 1905, tant les menchéviks que les bolchéviks perdent des membres (sous l'effet de la répression et de la démoralisation), et tendent à se fragmenter en fractions plus petites. En janvier 1912, la fraction bolchevik dominante dirigée par Lénine tient une réunion à Prague, et expulse les mencheviks du parti. En réponse, les menchéviks, les partisans de Trotski, le Bund juif et d'autres groupes sociaux-démocrates ethniques se réunissent à Vienne en août 1912, proclament que la décision de Lénine est illégale et forment leur propre direction du POSDR, le « Bloc d'août ». On distingue alors le POSDR (b) et le POSDR (m).

Fin 1912, il y avait donc deux organisations distinctes du parti dans la capitale russe : le « Comité de Saint-Pétersbourg du POSDR » (bolchevik) et le « Groupe d'initiative du POSDR » (bloc d'Août). Certains sociaux-démocrates de Saint-Pétersbourg, mécontents de cette scission, créaient une organisation alternative qui revendiquait l'objectif de réunir toutes les tendances de la social-démocratie révolutionnaire. Ils n'incluaient pas dans ces tendances une frange des menchéviks qui se concentrait sur l'opposition légale au régime au détriment de l'activité révolutionnaire (liquidationnistes).

Lénine ironisait sur Trotski qui se promenait « avec le rameau de la paix et la burette d'huile non-fractionniste à la main ».

1.2 Formation des interrayons[modifier | modifier le wikicode]

Le groupe interrayons est fondé en novembre 1913 par un menchevik, N. M. Egorov et trois bolcheviks (K. Iouréniev, A. M. Novosyolov et E. M. Adamovich). Yurenev était le leader informel de l'organisation jusqu'en mai 1917, sauf pour un an entre février 1915 et février 1916, où est en prison pour « activités subversives ».

Politiquement, ils défendent le principe de reconstruction d'un parti ouvert à tous les internationalistes. Ils sont adversaires résolus du défensisme menchevique, et méfiants à l'égard des principes d'organisation des bolcheviks. Lénine considère qu'ils ont une position « centriste » entre bolcheviks et mencheviks.

Le groupe interrayon publie un journal, Vpériod, qui est interdit en 1915.

1.3 Croissance pendant la guerre[modifier | modifier le wikicode]

Au début de la Première Guerre mondiale en juillet-août 1914, les clivages politiques au sein du POSDR sont radicalement redessinés sur la question du soutien ou non à la guerre. Ceux qui ont soutenu la guerre ont été appelés « défensistes » et ceux qui étaient opposés étaient appelés « défaitistes ».

  • La plupart des bolchéviks sont défaitistes (Lénine théorise le « défaitisme révolutionnaire »).
  • Les menchéviks sont très divisés. Une forte minorité est défensiste (autour de Potressov). Une majorité est contre la guerre (refuse de voter les crédits) mais refuse toute action. La minorité « internationaliste » autour de Martov est plus clairement défaitiste.
  • La plupart des interrayons sont défaitistes (même si Trotski avait des nuances par rapport au défaitisme révolutionnaire).

En raison de la désillusion populaire croissante face à la guerre, les interrayons connaissent une croissance relative : ils passent de 60-80 membres fin 1915 à 400-500 au moment où la révolution de février 1917 éclate.

Pendant la guerre, le groupe interrayons fait partie de ces groupes ouvriers autonomes qui parviennent à reconstituer difficilement. De façon précaire, pendant quelques mois en 1915, le groupe parvient à établir un contact avec Nache Slovo (journal publié notamment par Trotski à Paris).

1.4 Révolution de frévrier 1917[modifier | modifier le wikicode]

Les interrayons étaient actifs à Petrograd pendant la révolution. Le 27 février (ancien style), ils saisissent une imprimerie et publient le premier tract appelant à un soulèvement armé. Le soir même, le Soviet de Petrograd se forme, et les interrayons se voient attribuer un siège à son presidium, contre deux sièges pour chaque parti socialiste national : les bolcheviks, les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires.

Les interrayons sont parmi les seuls à défendre l'idée que les soviets doivent constituer un organe de pouvoir concurrent au gouvernement bourgeois, comme le prévoyait Trotski dès 1905. Mais Chliapnikov et les métallo qu'il dirige sont proches de ces positions. Les premiers numéros de la Pravda dénoncent le gouvernement provisoire comme « un gouvernement de capitalistes et de grands propriétaires ». Selon Chliapnikov, début mars les interrayons étaient sur le point de fusionner avec les bolchéviks.

Mais l'arrivée de quelques dirigeants exilés à Petrograd, dont Kamenev et Staline, provoque un tournant dans la ligne de la Pravda, qui s'aligne globalements sur les menchéviks et donnent aux soviets un rôle de simple pression sur le gouvernement. Les interrayons s'éloignent.

Les divisions créées ou révélées par le soutien à la guerre ont fait évoluer l'objectif initial d'unification des interrayons. Le 12 avril 1917, ils refusent de participer à une conférence d'unification menchévique (de fait dominée par les défensistes). A l'inverse ils se retrouvent de plus en plus proches des bolchéviks après le retour de Lénine, qui avec ses Thèses d'avril se retrouve sur la même position qu'eux : « tout le pouvoir aux soviets ».

La publication de Vperiod reprend de juin à août 1917 en tant qu'organe du Comité interrayon de Saint-Pétersbourg des social-démocrates unis (Internationalistes). Huit numéros sont publiés été mis hors.

Pour de nombreux sociaux-démocrates exilés de retour en avril-juin 1917, le groupe interrayon paraît alors le meilleur groupe à rejoindre. Un certain nombre de militants de premier plan le rejoint à ce moment-là, comme Trotski (revenu le 5 mai), des militants liés à lui depuis plusieurs années (Joffé, Manouilsky, Lounatcharski, Ouritski, RiazanovPokrovski...), d'anciens bolchéviks (Karakhan...), des menchéviks internationalistes (Ezhov, Volodarski...)...

1.5 Fusion avec les bolchéviks[modifier | modifier le wikicode]

Dès le lendemain de son arrivée à Petrograd le 5 mai, devant le soviet de Pétrograd, Trotski prend position aussi nettement que Lénine pour « tout le pouvoir aux soviets », et conclut : « Vive la révolution russe, prologue de la révolution mondiale ! ». Le 7 mai, à une réception organisée par l'organisation interrayons et les bolcheviks en son honneur, il déclare qu'il a définitivement rompu avec son vieux rêve d'unification de tous les socialistes et que la nouvelle Internationale ne peut se construire qu'à partir d'une rupture totale avec le social-chauvinisme. Dès le 10, il rencontre Lénine.

« Jusqu'à mon adhésion formelle au Parti, je pris part à l'élabo­ration d'une série de décisions et de documents portant l'estam­pille du Parti. Le seul motif qui me fit retarder de trois mois mon adhésion au Parti fut le désir d'accélérer la fusion des bol­cheviks avec les meilleurs éléments de l'organisation interrayonniste et, en général, avec les internationalistes révolutionnaires. Je menais cette politique avec l'entier assentiment de Lénine. (...) Les ouvriers interrayonnistes gar­daient encore une très grande méfiance à l'égard de la politique d'organisation du Comité de Petrograd. Voici ce que j 'avais répliqué dans mon article : "L'esprit de cercle, héritage du passé, existe encore; mais, pour qu'il diminue, les interrayon­nistes doivent cesser de mener un existence isolée, à part". »[1]

Peu de choses, désormais, séparent les deux hommes, et ils le savent. Lénine est pressé de gagner au parti Trotski et ses compagnons. Il a déjà proposé d'en faire le rédacteur en chef de la Pravda, mais n'a pas été suivi. En tout cas, il lui demande d'entrer dans le parti et offre, sans conditions, à Trotski et à ses amis, des responsabilités à la direction de l'organisation et à la rédaction de la Pravda. L'amour-propre, certaines réticences, peut-être de ses compagnons, retiennent Trotski. Il a sans doute plus que Lénine le souvenir des querelles passées et pourtant dépassées. Il souligne que le parti bolchevique s'est « débolchevisé », qu'il a acquis une optique internationale, et que rien ne les sépare plus. Mais c'est précisément pour cela qu'il voudrait le voir changer d'étiquette. « Je ne peux pas me considérer moi-même comme un bolchevik ». Il souhaite un congrès de fondation et un titre nouveau pour un parti nouveau, enterrant définitivement le passé. Lénine ne peut accepter de faire une pareille concession à l'amour-propre de Trotski  : il est fier du parti et de sa tradition, tient à ménager aussi l'amour-propre des vieux-bolcheviks déjà passablement étrillés en avril, qui lui reprochent, à lui, son ralliement à Trotski, et considèrent toujours ce dernier comme un adversaire personnel.

Mais dans les semaines qui suivent, effectivement, Trotski, bon gré, mal gré, devient aux yeux des masses, dont il est l'orateur préféré, un véritable bolchevik. Il est en prison, après les manifestations armées de juillet, avec une pléiade de bolcheviks, anciens et nouveaux, que le deuxième gouvernement provisoire, auquel les mencheviks participent, a jetés en prison et accusés à la fois d'être agents de l'Allemagne et d'avoir préparé une insurrection armée.

Lors des élections aux soviets de district de Petrograd en mai-juin 1917, les interrayons et les bolcheviks forment un bloc.

Les interrayons (avec environ 4000 membres) fusionnent avec les bolcheviks au 6e Congrès du POSDR, dit « congrès d'unification », qui se tient du 26 juillet à début août. Cette organisation est alors officiellement distincte de celle des menchéviks.

Beaucoup des anciens interrayons joueront un rôle important pendant la Révolution d'Octobre, et la guerre civile. Lors du Comité central du 10 octobre, où Lénine parvint à faire voter la ligne de l'insurrection, il raconte qu'il « avait eu peur de l'opportunisme de la part des internationalistes unificateurs, mais cela s'était dissipé ». Il s'agissait des ex interrayons (Ioffé,Ouritsky, Sokolnikov). Mais en réalité ils se rangèrent du côté de Lénine, tandis que c'étaient deux vieux bolchéviks, Zinoviev et Kamenev, qui votaient contre. Comme il le raconte : « cela m'a beaucoup chagriné ».

Le comité de rédaction de Vperiod est modifié, et le n°9 de la revue paraît en tant qu'organe du Comité central du POSDR (b). La publication est arrêté en septembre 1917 sur décision du Comité central.

2 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  • Miller, Viktor Iosifovich."Konstantin Konstantinovich Yurenev," In Alʹbert Pavlovich Nenarokov (Ed.), Revvoensovet Respubliki: 6 sentiabria 1918 g.-28 avgusta 1923 g. Moscow: Politizdat, 1991.
  • Yurenev, Konstantin K. "Mezhraioka (1911-1917 gg.)" in Proletarskaya Revolyutsiya, 1924, No. 1 and 2.
  1. Trotski, Les leçons d'Octobre, 1924