Préparation de la révolution (1847-1848)

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On remarquera que, dans tous ces écrits, et notamment dans ce dernier, je ne me qualifie jamais de social-démocrate, mais de communiste... Pour Marx, comme pour moi, il est donc absolument impossible d'employer une expression aussi élastique pour désigner notre conception propre.

Il en va autrement aujourd'hui, et ce mot peut passer à la rigueur, bien qu'il ne corresponde pas davantage aujourd'hui à un parti dont le programme économique n'est pas seulement socialiste en général, mais directement communiste, c'est-à-dire un parti dont le but final est la suppression de tout État et, par conséquent, de la démocratie.

ENGELS, préface de 1894 à Internationales aus dem Volksstaat, 1871-1875.

Discours sur le parti chartiste, l'Allemagne et la Pologne[modifier le wikicode]

Nous venons de recevoir les informations suivantes sur le contenu des discours tenus à Londres par MM. Marx, Engels et Tedesco (de Liège) [1]. Nous reproduirons plus tard le discours de ce dernier, tenu en français. Karl Marx dit :

L’union et la fraternité des nations est un mot d'ordre que l'on trouve dans la bouche de tous les partis, et notamment des libre-échangistes bourgeois. De fait, il y a une certaine fraternité entre les classes bourgeoises de toutes les nations. C'est la fraternisation des oppresseurs contre les opprimés, des exploiteurs contre les exploités. De même que la classe des bourgeois d'un pays fraternise et s'unit contre les prolétaires d'un même pays, malgré la concurrence et la rivalité existant entre les membres individuels de la bourgeoisie, de même les bourgeois de tous les pays fraternisent et s'unissent contre les prolétaires de tous les pays, malgré leurs luttes mutuelles et leur concurrence sur le marché mondial.

Pour que les peuples puissent véritablement s'unir, il faut que leur intérêt soit commun. Pour que leur intérêt puisse être commun, il faut abolir les rapports de propriété actuels, qui déterminent l'exploitation des peuples entre eux. Or, seule la classe ouvrière a intérêt à éliminer les conditions de propriété actuelles, de même qu'elle seule en a les moyens.

La victoire du prolétariat sur la bourgeoisie sera en même temps la victoire sur les conflits des nations et des économies qui, de nos jours, poussent chaque peuple contre l'autre. La victoire du prolétariat sera donc le signal de la libération de tous les peuples opprimés.

La Pologne d'ancien régime est certes ruinée, et nous sommes les derniers à vouloir la restaurer. Mais il n'y a pas que la vieille Pologne qui soit ruinée, la vieille Allemagne, la vieille Angleterre et toute la vieille société le sont aussi. Mais la ruine de la vieille société n'est pas une perte pour nous, qui n'avons rien à perdre dans la vieille société, comme c'est également le cas pour la grande majorité de la population. Au contraire, nous avons tout à gagner dans la ruine de la vieille société qui conditionne la formation d'une société ne reposant plus sur des oppositions de classes.

De tous les pays, l'Angleterre est celui où l'antagonisme entre prolétariat et bourgeoisie est le plus développé. La victoire des prolétaires anglais sur la bourgeoisie anglaise sera décisive pour la victoire de tous les opprimés sur leurs oppresseurs. C'est pourquoi la Pologne n'est pas à émanciper en Pologne, mais en Angleterre. C'est pourquoi vous, les chartistes, vous n'avez pas à formuler de vœux pieux pour la libération des nations : renversez vos propres ennemis à l'intérieur, et vous pourrez avoir la fière conscience d'avoir défait toute la vieille société[2].

Discours de Friedrich Engels sur la Pologne[modifier le wikicode]

Messieurs,

L'insurrection dont nous célébrons aujourd'hui l'anniversaire a échoué[3] Après quelques jours de résistance héroïque, Cracovie a été prise, et le spectre sanglant de la Pologne, qui s'était dressé un instant devant les yeux de ses assassins, redescendit dans la tombe.

C'est par une défaite que s'acheva la révolution de Cracovie, une défaite bien déplorable. Rendons les derniers honneurs aux héros tombés, plaignons leur échec, vouons nos sympathies aux vingt millions de Polonais dont cet échec a resserré les chaînes.

Mais, Messieurs, est-ce là tout ce que nous avons à faire ? Est-ce assez de verser une larme sur le tombeau d'un malheureux pays et de jurer à ses oppresseurs une haine implacable, mais jusqu'à présent peu puissante ?

Non, Messieurs ! L'anniversaire de Cracovie n'est pas un jour de deuil seulement, c'est pour nous, démocrates, un jour de réjouissance ; car la défaite même renferme une victoire, victoire dont les fruits nous restent acquis, tandis que les résultats de la défaite ne sont que passagers.

Cette victoire, c'est la victoire de la jeune Pologne démocratique, sur la vieille Pologne aristocratique[4].

Oui, la dernière lutte de la Pologne contre ses oppresseurs étrangers a été précédée par une lutte cachée, occulte, mais décisive au sein de la Pologne même [5], lutte des Polonais opprimés contre les Polonais oppresseurs, lutte de la démocratie contre l'aristocratie polonaise.

Comparez 1830 et 1846, comparez Varsovie et Cracovie. En 1830, la classe dominante en Pologne était aussi égoïste, aussi bornée, aussi lâche dans le corps législatif qu'elle était dévouée, enthousiaste et vaillante sur le champ de bataille.

Que voulait l'aristocratie polonaise en 1830 ? Sauvegarder ses droits acquis, à elle, vis-à-vis de l'empereur. Elle bornait l'insurrection à ce petit pays qu'il a plu au congrès de Vienne d'appeler le royaume de Pologne ; elle tenait l'élan des autres provinces polonaises ; elle laissait intactes le servage abrutissant des paysans, la condition infâme des juifs. Si l'aristocratie, dans le cours de l'insurrection, a dû faire des concessions au peuple, elle ne les a faites que lorsqu'il était déjà trop tard, lorsque l'insurrection était perdue.

Disons-le hautement : l'insurrection de 1830 n'était ni une révolution nationale (elle excluait les trois quarts de la Pologne) ni une révolution sociale ou politique ; elle ne changeait rien à la situation antérieure du peuple : c'était une révolution conservatrice[6].

Mais, au sein de cette révolution conservatrice, au sein du gouvernement national même, il y avait un homme qui attaquait vivement les vues étroites de la classe dominante. Il proposa des mesures vraiment révolutionnaires et devant la hardiesse desquelles reculèrent les aristocrates de la Diète. En appelant aux armes toute l'ancienne Pologne, en faisant ainsi de la guerre pour l'indépendance polonaise une guerre européenne, en émancipant les juifs et les paysans, en faisant participer ces derniers à la propriété du sol, en reconstruisant la Pologne sur la base de la démocratie et de l'égalité, il voulait faire de la cause nationale la cause de la liberté ; il voulait identifier l'intérêt de tous les peuples avec celui du peuple polonais[7]. L'homme dont le génie conçut ce plan si vaste et pourtant si simple, cet homme, ai-je besoin de le nommer ? C'était Lelewel.

En 1830, ces propositions furent constamment rejetées par l'aveuglement intéressé de la majorité aristocratique. Mais ces principes mûris et développés par l'expérience de quinze ans de servitude, ces mêmes principes nous les avons vus écrits sur le drapeau de l'insurrection cracovienne de 1846. À Cracovie, on le voyait bien, il n'y avait plus d'hommes qui avaient beaucoup à perdre ; il n'y avait point d'aristocrates ; toute décision qui fut prise portait l'empreinte de cette hardiesse démocratique, je dirais presque prolétaire, qui n'a que sa misère à perdre, et qui a toute une patrie, tout un monde à gagner. Là point d'hésitation, point de scrupules ; on attaquait les trois puissances à la fois ; on proclamait la liberté des paysans, la réforme agraire, l'émancipation des juifs, sans se soucier un instant si cela pût froisser tel ou tel intérêt aristocratique[8].

La révolution de Cracovie ne se fixa pas pour but de rétablir l'ancienne Pologne, ni de conserver ce que les gouvernements étrangers avaient laissé subsister des vieilles institutions polonaises : elle ne fut ni réactionnaire ni conservatrice. Non, elle était le plus hostile à la Pologne elle-même, barbare, féodale, aristocratique, basée sur le servage de la majorité du peuple. Loin de rétablir cette ancienne Pologne, elle voulut la bouleverser de fond en comble, et fonder sur ses débris, avec une classe toute nouvelle, avec la majorité du peuple, une nouvelle Pologne, moderne, civilisée, démocratique, digne du XIXe siècle, et qui fût, en vérité, la sentinelle avancée de la civilisation.

La différence de 1830 et de 1846, le progrès immense fait au sein même de la Pologne malheureuse, sanglante, déchirée, c'est : l'aristocratie polonaise séparée entièrement du peuple polonais et jetée dans les bras des oppresseurs de sa patrie ; le peuple polonais gagné irrévocablement à la cause démocratique ; enfin, la lutte de classe (…), cause motrice de tout progrès social, établie en Pologne comme ici. Telle est la victoire de la démocratie constatée par la révolution cracovienne ; tel est le résultat qui portera encore ses fruits quand la défaite des insurgés aura été vengée.

Oui, Messieurs, par l'insurrection de Cracovie, la cause polonaise, de nationale qu'elle était, est devenue la cause de tous les peuples ; de question de sympathie qu'elle était, elle est devenue question d'intérêt pour tous les démocrates. Jusqu'en 1846, nous avions un crime à venger, dorénavant nous avons à soutenir des alliés — et nous le ferons.

Et c'est surtout l'Allemagne qui doit se féliciter de cette explosion des passions démocratiques de la Pologne. Nous sommes, nous-mêmes, sur le point de faire une révolution démocratique[9] ; nous aurons à combattre les hordes barbares de l'Autriche et de la Russie. Avant 1846, nous pouvions avoir des doutes sur le parti que prendrait la Pologne en cas de révolution démocratique en Allemagne. La révolution de Cracovie les a écartés. Désormais, le peuple allemand et le peuple polonais sont irrévocablement alliés: Nous avons les mêmes ennemis, les mêmes oppresseurs, car le gouvernement russe pèse aussi bien sur nous que sur les Polonais. La première condition de la délivrance et de l'Allemagne et de la Pologne est le bouleversement de l'état politique actuel de l'Allemagne, la chute de la Prusse et de l'Autriche, le refoulement de la Russie au-delà du Dniestr et de la Dvina.

L'alliance des deux nations n'est donc point un beau rêve, une charmante illusion ; non. Messieurs, elle est une nécessité inévitable, résultant des intérêts communs des deux nations, et elle est devenue une nécessité par la révolution de Cracovie. Le peuple allemand, qui pour lui- même jusqu'à présent n'a presque eu que des paroles, aura des actions pour ses frères de Pologne ; et de même que nous, démocrates allemands, présents ici, offrons la main aux démocrates polonais, présents ici, de même tout le peuple allemand célèbrera son alliance avec le peuple polonais sur le champ même de la première bataille gagnée en commun sur nos oppresseurs communs[10].

Préparation de l'organisation internationale[modifier le wikicode]

On nous écrit de Londres[11] l’ouverture d’un parlement nouvellement élu, et comptant parmi ses membres des représentants distingués du parti populaire, ne pouvait manquer de produire une agitation extraordinaire dans les rangs de la démocratie. Les associations locales des chartistes se réorganisent partout. Le nombre des meetings se multiplie ; les moyens d'action les plus divers s'y proposent et s'y discutent. Le comité exécutif de l'Association chartiste vient de prendre la direction de ce mouvement, en traçant, dans une adresse à la démocratie britannique, le plan de campagne que le parti suivra pendant la session actuelle.

« Sous peu de jours, y lit-on, il va se réunir une Chambre qui, à la face du peuple, ose s'appeler les communes de l'Angleterre[12]. Sous peu de jours, cette assemblée, élue par une seule classe de la société, va commencer ses travaux iniques et odieux pour fortifier, au détriment du peuple, les intérêts de cette classe.

« Il faut que le peuple en masse proteste dès l'abord contre l'exercice des fonctions législatives usurpé par cette assemblée. Vous, chartistes du Royaume-Uni, vous en avez les moyens ; il est de votre devoir de les mettre à profit. Nous vous soumettons donc une nouvelle pétition nationale pour la charte du peuple. Couvrez-la de vos millions de signatures ; faites que nous puissions la présenter comme l'expression de la volonté nationale, comme la protestation solennelle du peuple contre toute loi rendue sans le consentement du peuple, comme une loi, enfin, pour la restitution de la souveraineté nationale escamotée depuis tant de siècles.

« La pétition, à elle seule, ne saurait cependant suffire aux exigences du moment. Nous avons, il est vrai, conquis un siège à la législative à M. O'Connor. Les députés démocrates trouveront en lui un chef vigilant et plein d'activité. Mais il faut que O'Connor trouve un soutien dans la pression du dehors [13] et cette pression du dehors, cette opinion publique forte et imposante, c'est vous qui devez la créer. Que partout les affiliations de notre association se réorganisent ; que tous les anciens membres rejoignent nos rangs ; que partout on appelle à des meetings ; que partout la discussion de la charte soit à l'ordre du jour ; que toutes les localités s'imposent des cotisations pour grossir nos fonds. Soyez actifs, faites preuve de la vieille énergie anglaise, et la campagne qui s'ouvre sera la plus glorieuse que nous ayons encore entreprise pour la victoire de la démocratie[14]. »

La Société des démocrates fraternels[15], composée de démocrates de presque toutes les nations européennes, vient elle aussi, de se rallier ouvertement et complètement à l'agitation chartiste. Elle a adopté la résolution suivante :

« Considérant que le peuple anglais ne pourra appuyer d'une manière effective la lutte de la démocratie dans les autres pays qu'autant qu'il aura pour lui-même conquis le gouvernement de la démocratie ;

« Qu'il est du devoir de notre société, établie pour soutenir la démocratie militante de tous les pays, de se rallier aux efforts des démocrates anglais pour obtenir une réforme électorale sur la base de la charte ;

« La Société des démocrates fraternels s'engage à appuyer de toutes ses forces l'agitation pour la charte populaire. »

Cette société fraternelle, qui compte parmi ses membres les démocrates les plus distingués, tant anglais qu'étrangers, résidant à Londres, prend de jour en jour plus d'importance. Elle s'est tellement accrue que les libéraux de Londres ont trouvé bon de lui opposer une Ligue internationale bourgeoise[16], dirigée par les sommités parlementaires du libre-échange. Le but de cette nouvelle association, à la tête de laquelle se trouvent MM. le docteur Bowring, le colonel Thompson et autres champions de la liberté du commerce, n'est autre que de faire de la propagande pour le libre-échange[17] chez les étrangers, sous le manteau de phrases philanthropiques et libérales. Mais il apparaît qu'elle ne fera pas long feu. Depuis six mois qu'elle existe, elle n'a presque rien fait, tandis que les Démocrates fraternels se sont ouvertement prononcés contre tout acte d'oppression tenté par qui que ce soit. Aussi la démocratie, tant anglaise qu'étrangère, en tant qu'elle est représentée à Londres, s'est-elle attachée aux Démocrates fraternels, déclarant en même temps qu'elle ne se laissera pas exploiter au profit des manufacturiers libre-échangistes de l'Angleterre.

Activités de parti de Marx : février 1848 à début mars 1848[modifier le wikicode]

13 FÉVRIER : Marx polémique dans la Deutsche Brüsseler Zeitung contre le journal radical Débat social qui, en termes voilés, avait attaqué le communisme[18].

Il participe à la séance de l'Association démocratique dont les débats portent sur le premier congrès international des démocrates, ainsi que sur la réponse à l'invitation faite par les Démocrates fraternels anglais de participer à ce congrès. Cette réponse (contenant un compte rendu sur les progrès effectués par l'Association, cosigné de Marx en qualité de vice-président) sera publiée le 4 mars par le Northern Star.

MI-FÉVRIER : Engels, expulsé de Paris, arrive à Bruxelles.

19 FÉVRIER : Marx quitte Ixelles, rue d'Orléans, pour s'installer à Bruxelles, plaine Sainte-Gudule ; il n’informera la police de son changement d'adresse que le 26 février. (Cf. ministère de la Justice, Bruxelles. Documents concernant Marx dans le dossier « Risquons tout » : MEGA, I/6, p. 657[19].)

20 FÉVRIER : Marx préside une réunion de l'Association démocratique dans laquelle, entre autres, Engels expose les raisons politiques de son expulsion de Paris. (Cf. Deutsche Brüsseler Zeitung, du 24 février 1848.)

22 FÉVRIER : À l'occasion de la commémoration de l'insurrection de Cracovie de 1846, Marx tient un discours qui sera publié dans le compte rendu de cette réunion, mi-mars. Une controverse se produit à ce meeting entre Marx et Jottrand (président de l'Association démocratique de Bruxelles), à la suite de laquelle Marx démissionne de la vice-présidence. Cependant, après la lettre de Jottrand du 25 février, Marx retire sa démission. (Cf. Jottrand à Marx, 24 février 1848, d'après la copie trouvée dans le carnet de notes de Marx, 1860. Notices autobiographiques de Marx pour le conseiller à la cour Weber, mars 1860, publiées dans Grünberg Archiv, X, 65. MEGA, 1/6, p. 409, 676.)

FIN FÉVRIER : Parution à Londres du Manifeste du parti communiste. (Cf. MEGA, 1/6, p. 683.)

DU 25 FÉVRIER AU 4 MARS : Marx prend une part active aux préparations d'un soulèvement armé en faveur de la république à Bruxelles. Il donne des sommes d'argent importantes pour l'armement des ouvriers de Bruxelles[20]. Il participe, en outre, aux préparatifs d'un soulèvement armé à Cologne en liaison avec les éléments cléricaux, et libéraux qui s'efforçaient de séparer les provinces rhénanes de la Prusse. (Cf. La Nouvelle Gazette rhénane, du 18-8-1848, correspondance d'Anvers. Criminalzeitung de New York, 25-11-1853, voir Neue Zeit, XXI/1, p. 719 ; F.-A. SORGE, « En commémoration du 14 mars ». Archives de l'État prussien de Berlin, A. A. l., rapport IV, police no 232, vol. l.)

VERS LE 27 FÉVRIER : Marx reçoit la décision du Conseil central londonien de la Ligue des communistes qui lui transmet les pleins pouvoirs pour le district directeur de Bruxelles. (Cf. ministère de la Justice de Bruxelles : Sûreté publique, no 73 946 cé ; reproduit dans WERMUTH- STIEBER, Les Conjurations communistes du XIXe siècle, Berlin, 1853, vol. l, p. 65; G. ADLER, Geschichte der ersten soz.-pol. Arbeiterbewg in Deutschland, Breslau, 1885, p. 211. ENGELS, La Ligue des communistes, p. 11.) Avec la participation de Marx, l'Association démocratique, dans une adresse au conseil municipal de Bruxelles, réclame que la garde civile régulière soit complétée par un second contingent formé d'ouvriers et d'artisans. Le conseil municipal rejette cette revendication le 4 mars. (Cf. Ville de Bruxelles, Bulletin des séances du conseil communal, année 1848-1849, p. 129, ainsi que MEGA, I/6, p. 655.) VERS LES 27-28 FÉVRIER : Marx participe à l'élaboration de deux adresses de l'Association démocratique : l'une aux Démocrates fraternels et au Northern Star afin de rendre compte de l'activité de l'Association lors des événements révolutionnaires français de février 1848 ; l'autre pour saluer le gouvernement provisoire de la République française. (Cf. MEGA, I/6, p. 653, 655.)

VERS LE 3 MARS : Marx reçoit du gouvernement provisoire français une invitation, signée par Flocon, afin qu'il revienne en France. (Cf. MARX, Herr Vogt, Londres, 1860, p. 187 : Flocon à Marx, ler mars 1848.)

3 MARS : Le comité de district bruxellois, agissant comme Conseil central, décide de transférer à Paris le siège du Conseil central de la Ligue des communistes et transmet ses pouvoirs à Marx. (Cf. les références du 27 février.)

Vers 5 heures de l'après-midi, Marx reçoit du cabinet royal belge l'ordre de quitter la Belgique dans les 24 heures. (Cf. ministère de la Justice, Bruxelles, dossier Marx ; reproduit en fac-similé dans La Revue générale, Bruxelles, 15-9-1928. T. BASYN, L'Arrestation de Karl Marx à Bruxelles. MEGA, I/6, p. 421, 471.)

Parution de la première partie du Manifeste communiste dans la Deutsche Londoner Zeitung, no 174 28-3-1848.

4 MARS : À l heure du matin, Marx est arrêté par la police, alors qu'il était en train de préparer ses bagages pour quitter Bruxelles, comme l'ordre lui en avait été donné ; après plusieurs de garde à vue, il est amené, sous escorte policière, jusqu'à la frontière française, d'où il poursuit son voyage jusqu'à Paris, avec ses enfants ainsi que sa femme qui, au cours de la même nuit, avait été arrêtée également et maltraitée par la police. (Cf. MEGA, I/6, p. 417,657.)

6 AU 10 MARS À PARIS : Marx prend la parole le 6 mars dans une réunion organisée par la colonie allemande des artisans pour s'opposer au recrutement de volontaires en vue de « faire » la révolution en Allemagne à l'instigation de la Société démocratique allemande (Herwegh, Bornstedt, etc.). Rencontre avec Julian Harney, Ernest Jones, Bauer et Moll. Il développe l'agitation parmi les travailleurs allemands contre le retour immédiat en Allemagne et pour la participation au prochain soulèvement armé du prolétariat parisien. (Cf. Northern Star, 25-3-1848, p. 5. S. SEILER, Das Komplott vom 13. Juni 1849, Hamburg. 1850, p. 21.)

VERS LE 6 MARS : Marx informe le conseil local londonien du transfert à Paris du siège du Conseil central, il obtient l'accord exprès de Londres le 8 mars. (Cf. conseil local de Londres au Conseil central, 8 mars 1848.)

8 MARS : Marx publie dans La Réforme une lettre ouverte sur son expulsion de Belgique et les brutalités policières contre sa femme. (Cf. MEGA, I/6, p. 417.) Participation, comme secrétaire, à une réunion commune des quatre sections parisiennes de la Ligue des communistes pour décider de la création d'un Club des travailleurs allemands en opposition à la Société démocratique allemande. (Cf. protocole de séance de la main de Marx dont l'original se trouve à l'Institut Marx- Engels-Lénine de Moscou.)

9 MARS : Dans la réunion commune des quatre sections parisiennes de la Ligue des communistes, Marx lit son projet de statuts pour le Club des travailleurs allemands de caractère non conspiratif. Il propose que tout membre de la Ligue porte un bandeau rouge. (Cf. protocole de séance, de l'écriture de Marx.)

MARS : Marx reçoit une lettre de Daniels et Weerth sur la situation politique de Cologne et les affaires courantes de la commune locale. (Cf. Daniels à Marx, vers le 18 mars 1848 ; Weerth à Marx, 25 mars 1848.)

VERS LE 10 MARS : Le Conseil central de la Ligue des communistes se constitue à Paris, élit Marx comme président, Schapper comme secrétaire, et comme membres, Bauer, Engels — encore à Bruxelles à ce moment-là —, Moll, Wallau et W. Wolff[21]. (Cf. Marx à Engels, vers le 12 mars 1848.)

FAITS MARQUANTS DE FÉVRIER 1848 À FIN AOÛT 1849

Tentative de soulèvement à Bruxelles / Expulsion / Paris Club ouvrier allemand / « Revendications du parti communiste en Allemagne » / Cologne / Tentatives de création d'un parti ouvrier / Gottschalk : La Nouvelle Gazette rhénane / Parlement de Francfort / Soulèvement de juin à Paris / Comité de district de la démocratie rhénane / Mot d'ordre de guerre contre la Russie / Weitling / Assemblée nationale de Berlin / Le ministère d'action / La « demi- révolution » / Voyage à Berlin et Vienne / Journée de septembre de Cologne et l'état de siège / Reparution de La Nouvelle Gazette rhénane / Soulèvement d'octobre à Vienne / Contre-révolution berlinoise / Mot d'ordre de refus des impôts / Société ouvrière de Cologne / Nouvelle vague révolutionnaire et mot d'ordre de la République rouge / Procès pour délit de presse / Numéro imprimé en rouge de La Nouvelle Gazette rhénane / Voyage à travers les provinces soulevées / Paris.

L’association démocratique de Bruxelles aux Démocrates fraternels réunis à Londres[modifier le wikicode]

Nous avons reçu votre lettre de décembre dernier ; nous avons immédiatement pris en considération et discuté votre proposition relative à la tenue d'un congrès démocratique de toutes les nations et un échange mensuel de correspondance entre votre association et la nôtre[22].

Vous avez proposé de tenir le premier congrès démocratique ici à Bruxelles, et de réunir le second à Londres ; de faire organiser le premier congrès par notre association pour l'anniversaire de la révolution belge, en septembre prochain, et de préparer le programme par le comité de notre association : toutes ces propositions ont été acceptées à l’unanimité et avec enthousiasme.

L'offre d'échange d'une correspondance mensuelle régulière avec notre société a également été accueillie avec le plus grand enthousiasme.

Nous voulons maintenant vous donner un bref aperçu de nos progrès et de la situation générale de notre cause.

L'état de notre association est aussi prospère qu'on peut le souhaiter. Le nombre de nos adhérents, augmente de semaine en semaine, et la participation du public en général et de la classe ouvrière en particulier à notre activité s'accroît dans la même mesure.

La meilleure démonstration de notre force est, cependant, l'intérêt éveillé dans les provinces de ce pays par notre mouvement. Les principales villes de Belgique nous ont demandé de leur envoyer des délégués en vu d’y établir des associations démocratiques semblables à la nôtre et de nouer des relations permanentes avec l'association de la capitale.

Nous avons dédié toute notre attention à ces appels. Nous avons envoyé une délégation à Gand, afin d'y tenir une réunion publique dans le but d'y créer une branche locale. Cette réunion a attiré énormément de monde, et notre délégation, formée de ressortissants de différentes nationalités, fut accueillie avec un enthousiasme indescriptible. La fondation d'une société démocratique fut décidée sur-le-champ, et les noms des membres furent aussitôt portés sur une liste. Par la suite, nous avons reçu de Gand la nouvelle de la constitution définitive de cette société, ainsi que de la tenue d'une seconde réunion, où le nombre de participants et l'enthousiasme furent encore plus grands. Plus de trois mille citoyens y assistèrent, et nous avons le plaisir de pouvoir dire que la plupart en étaient des ouvriers.

Nous considérons le progrès réalisé à Gand comme l'un des plus grands succès de notre cause dans ce pays. Gand est, en effet, la plus grande ville industrielle de Belgique avec plus de cent mille habitants. C'est dans une grande mesure le centre d'attraction pour toute la population laborieuse des Flandres. La position occupée par Gand est décisive pour l'ensemble du mouvement ouvrier du pays. C'est ce qui nous permet de croire que la participation des ouvriers des fabriques de ce Manchester belge au renouveau du mouvement purement démocratique peut être considérée comme le signal de l'adhésion de l'ensemble des prolétaires belges à notre cause.

Nous espérons, dans notre prochaine lettre, pouvoir être en mesure de vous informer de progrès ultérieurs dans d'autres villes du pays, pour arriver ainsi progressivement à la constitution d'un parti démocratique fort, uni et organisé en Belgique.

Nous partageons entièrement les positions que vous avez défendues dans votre récente adresse à la classe ouvrière de Grande-Bretagne et d'Irlande sur la question de la « défense nationale »[23]. Nous souhaitons que cette adresse contribue dans une large mesure à éclairer le peuple anglais sur ses véritables ennemis.

Nous avons également suivi avec grande joie les démarches que vous avez entreprises auprès de la masse des chartistes anglais, afin de conclure enfin une alliance solide entre le peuple d'Irlande et celui de Grande-Bretagne. Nous sommes arrivés à la conclusion que vous avez en ce moment plus de chances que jamais de surmonter les causes qui ont suscité les ressentiments du peuple irlandais qui poussent celui-ci à confondre, dans une haine commune, les classes opprimées d'Angleterre avec les oppresseurs des deux pays.

Nous souhaitons que soit réunie bientôt entre les mains de Feargus O'Connor la direction des mouvements populaires des deux pays, et nous considérons la prochaine alliance entre les classes opprimées des deux pays, sous la bannière de la démocratie, comme le progrès le plus important de notre cause en général.

Nous concluons en vous transmettant nos salutations fraternelles.

Le comité de l'Association démocratique.

L. JOTTRAND, président,

K. MARX, vice-président,

A. PICARD, secrétaire.

Le « Débat social » du 6 février sur l'Association démocratique[modifier le wikicode]

Le Débat social du 6 février prétend défendre l'Association démocratique de Bruxelles et ses diverses sections locales[24]. Nous nous permettons de faire quelques observations sur l'art et la manière de cette défense.

Il peut être utile au parti radical belge de démontrer aux catholiques qu'ils agissent contre leurs propres intérêts lorsqu'ils s'en prennent au parti radical belge. Il peut être utile à ce même parti de distinguer entre bas et haut clergé et d'adresser des compliments au clergé en général pour les vérités que dit une fraction de celui-ci. Nous n'avons rien à voir dans tout cela. Cependant, nous nous étonnons que le Débat ne se soit pas aperçu que les journaux catholiques de Flandres reproduisent aussitôt avec empressement les attaques menées contre les associations démocratiques par le quotidien libéral l'Indépendance belge qui, pour autant que nous le sachions, n'a pas d'attaches catholiques.

Le Débat social déclare que les Belges réclament des réformes politiques par le truchement des associations démocratiques. Or, le Débat oublie à cette occasion de mentionner le caractère international de l'Association démocratique. Mais peut-être ne l'a-t-il pas vraiment oublié. Ne sait-il pas qu'une association qui s'efforce de promouvoir la démocratie dans tous les pays doit agir d'abord dans le pays où elle réside ?

Le Débat social ne se contente pas de dire ce que les Belges se proposent de réaliser grâce aux associations démocratiques, il va plus loin et dit ce que les Belges ne se proposent pas de réaliser ; en d'autres termes, ce qu'ils ne doivent pas vouloir lorsqu'ils font partie de ces associations que les Belges ont créées... pour réclamer des réformes politiques. Avis aux étrangers !

Le Débat écrit : « Les réformes politiques que les Belges veulent réclamer, grâce aux associations démocratiques, ne font pas partie de ces utopies [communistes] que certains démocrates poursuivent dans des pays où les institutions sociales ne laissent pas espérer de réformes efficaces, où il paraît donc aussi raisonnable de rêver de châteaux en Espagne que du bien-être modeste dont jouissent déjà les peuples libres. Celui qui ne possède rien peut aussi bien rêver d'un seul coup à des millions qu'à cent francs de rente ou de profit. »

Le Débat parle manifestement ici des communistes.

Nous voudrions lui demander si « le modeste bien-être » de la « libre » Angleterre se manifeste par le fait que les dépenses pour les pauvres croissent plus vite que la population ?

Nous voudrions lui demander s'il comprend aussi la misère flamande dans le modeste bien-être des peuples libres ?

Nous voudrions qu'il nous éclaircisse ce mystère : comment s'y prendra-t-il pour mettre un salaire à la place des « cent francs de rente ou de profit » ? Mais sans doute entend-il par « modeste bien-être des peuples libres » le modeste bien-être des libres capitalistes et propriétaires fonciers !

Enfin nous voudrions lui demander si l'Association démocratique de Bruxelles l'a chargé de faire passer pour des menteurs les utopistes qui ne croient pas « au modeste bonheur des peuples libres » ?

Le Débat social ne parle pas, cependant, des communistes tout court, mais des communistes allemands qui —parce que les conditions politiques de leur pays ne leur permettent de créer ni une Alliance allemande ni une « Association libérale » allemande — tombent dans les bras du communisme en désespoir de cause.

Nous faisons observer au Débat que le communisme a son origine en Angleterre et en France, et non en Allemagne.

Nous donnons, en tout état de cause, au Débat l'assurance suivante en échange de la sienne : le communisme allemand est l'ennemi le plus déterminé de tout utopisme et, loin d'exclure le développement historique, il se fonde bien plutôt sur lui.

Certes, l'Allemagne a un grand retard dans l'évolution politique, et il lui faut traverser encore de longues phases politiques. Nous sommes bien les derniers à le nier. Mais, par ailleurs, nous croyons qu'un pays de plus de quarante millions d'habitants ne cherchera pas la mesure de son mouvement dans le radicalisme de petits pays libres[25], lorsqu'il s'agit de préparer une révolution.

Le Débat entend-il par communisme le fait de souligner les oppositions de classe et la lutte de classe ? Alors ce n’est pas le communisme qui est communiste, mais l’économie politique et la société bourgeoises. Nous savons que Robert Peel a prophétisé que l'antagonisme des classes de la société moderne devait éclater en une terrible crise. Nous savons que Guizot lui-même, dans son histoire de la civilisation, n'a rien fait d'autre que d'exposer des formes déterminées de la lutte de classes. Mais, bien sûr, Peel et Guizot sont des utopistes, et réalistes sont ceux qui considèrent les manifestations de la réalité sociale comme une atteinte portée à l'intelligence bienveillante de la vie. Libre au Débat social d'admirer et d'idéaliser l'Amérique du Nord et la Suisse ! Nous lui demandons simplement si la constitution politique de l'Amérique du Nord a jamais pu être introduite en Europe sans de grands bouleversements sociaux ?

Que le Débat veuille nous pardonner si nous sommes assez chimériques pour croire que la revendication de la charte anglaise n'a pas été établie par quelques bons esprits rêvant de suffrage universel, mais bien par un grand parti à l'échelle nationale qui impliquait lui-même un long processus d'unification en classe des ouvriers anglais. Or, cette charte est réclamée dans un tout autre but que les constitutions d'Amérique et de Suisse, et elle aura également des conséquences sociales absolument différentes[26]. À nos yeux, sont utopistes ceux qui séparent les formes politiques de leur fondement social et les présentent comme des dogmes abstraits et généraux.

Le Débat social s'efforce de défendre l'Association démocratique en éliminant en même temps « certains démocrates » qui ne se satisfont pas du « modeste bien-être des peuples libres ». C'est ce qui ressort de ses propos sur la discussion de la question du libre-échange au sein de l'Association. Le Débat écrit : Six séances furent consacrées à la discussion de cette intéressante question, et de nombreux ouvriers des divers ateliers de notre ville firent valoir à cette occasion des raisons qui n'eussent pas été en mauvais lieu au célèbre congrès des économistes qui s'est tenu à Bruxelles en septembre dernier.

Auparavant, le Débat social remarque encore que l'Association s'est prononcée pratiquement à l'unanimité pour la liberté absolue des échanges entre les peuples, comme but de la démocratie.

Ensuite, le Débat, dans le même numéro, reproduit un discours de M. Le Hardy Beaulieu, véritable ramassis des déchets les plus corrompus de la cuisine des libre-échangistes anglais. Et pour finir, il fête le libéral Cobden.

Qui douterait après cette présentation du Débat social que l'Association ait voté à une forte majorité pour le libre-échange dans le sens du congrès des économistes et des libre-échangistes bourgeois[27] ?

À M. Julian Harney, rédacteur du journal « Northern Star », secrétaire de l'association « Fraternal Democrats » à Londres[modifier le wikicode]

Bruxelles, le 28 février 1848

Vous connaissez, déjà la glorieuse révolution qui vient de s'accomplir à Paris.

Nous avons à vous communiquer qu'en conséquence de cet événement important l'Association démocratique a établi ici une agitation pacifique, mais énergique, pour obtenir, par les voies propres aux institutions politiques de la Belgique, les avantages que le peuple français vient de conquérir.

Les résolutions suivantes ont été arrêtées par acclamations les plus enthousiastes :

1. L'Association démocratique tiendra assemblée tous les soirs et le public y sera admis ;

2. Une adresse, au nom de l'Association, sera envoyée au gouvernement provisoire de la France, dans le but de lui exprimer nos sympathies pour la révolution du 24 février[28] ;

3. Une adresse sera présentée au conseil communal de Bruxelles, l'invitant à maintenir la paix publique et à éviter toute effusion de sang en organisant les forces municipales composées de la garde civile en général, c'est-à-dire les bourgeois qui sont armés dans les circonstances ordinaires, et les artisans qui peuvent être armés dans les temps extraordinaires, conformément aux lois du pays. Les armes seront ainsi confiées à la classe moyenne et à la classe ouvrière également[29].

Nous vous informerons, aussi souvent que possible, des démarches et des progrès que nous ferons ultérieurement.

Nous avons l'espoir que vous réussirez bientôt, de votre côté, à faire passer « la charte du peuple » dans les lois de votre pays, et qu'elle vous servira à faire ensuite d'autres progrès [30].

Finalement, nous vous invitons à vous tenir, dans cette crise importante, en fréquente communication avec nous, et à nous transmettre toutes les nouvelles de votre pays qui peuvent être de nature à exercer un effet favorable sur le peuple belge.

La situation en Belgique[modifier le wikicode]

La bourgeoisie belge a refusé la république au peuple il y a quinze jours ; maintenant c'est elle qui se prépare à prendre l'initiative du mouvement républicain[31]. Elle ne pose pas encore tout haut la proclamation, mais partout à Bruxelles elle le dit tout bas à l'oreille : « Décidément, il faut que Léopold s'en aille ; décidément, il n’y a que la république qui puisse nous sauver, mais ce qu'il nous faut c'est une bonne et solide république, sans organisation du travail, sans suffrage universel, sans que les ouvriers s'en mêlent ! »

Cela est déjà un progrès. Les bons bourgeois, qui, il y a peu de jours encore, se défendirent à outrance de toute intention de contrefaire la République française, ont ressenti le contrecoup de la crise financière de Paris. Tout en décriant la contrefaçon politique, ils subirent la contrefaçon financière. Tout en chantant des hymnes à l’indépendance et à la neutralité belges, ils trouvèrent que la Bourse de Bruxelles était dans la dépendance la plus complète, la plus humiliante, de celle de Paris. Le cordon de troupes qui occupe la frontière du sud n'a pas empêché la baisse des fonds d'entrer, tambour battant, sur le territoire garanti neutre de la Belgique...

Lettre de Marx sur son expulsion de Bruxelles[modifier le wikicode]

Monsieur le rédacteur,

En ce moment, le gouvernement belge se range tout à fait du côté de la politique de la Sainte-Alliance[32]. Sa fureur réactionnaire tombe sur les démocrates allemands avec une brutalité inouïe[33]. Si nous n'avions pas le cœur trop navré des persécutions dont nous avons été spécialement l'objet, nous ririons franchement du ridicule que se donne le ministère Rogier, en accusant quelques Allemands de vouloir imposer la république aux Belges, malgré les Belges ; mais c'est que, dans le cas spécial auquel nous faisons allusion, l'odieux l'emporte sur le ridicule.

D'abord, Monsieur, il est bon de savoir que presque tous les journaux de Bruxelles sont rédigés par des Français, qui se sont, pour la plupart, sauvés de France pour échapper aux peines infamantes dont ils étaient menacés dans leur patrie : ces Français ont donc le plus grand intérêt à défendre dans ce moment l'indépendance belge, qu'ils avaient tous trahie en 1833. Le roi, le ministère et leurs partisans se sont servis de ces feuilles pour accréditer l'opinion qu'une révolution belge dans le sens républicain ne serait qu'une contrefaçon d'une france-quillonnerie, et que toute l'agitation démocratique qui se fait dans ce moment sentir en Belgique avait été provoquée uniquement par des Allemands surexcités.

Les Allemands ne nient nullement qu'ils se sont franchement associés aux démocrates belges, et ils l'ont fait sans exaltation aucune. Aux yeux du procureur du roi, c'était exciter les ouvriers contre les bourgeois, c'était rendre suspect aux Belges un roi allemand qu'ils aiment tant, c'était ouvrir les portes de la Belgique à une invasion française. Après avoir reçu, le 3 mars, à cinq heures du soir, l'ordre de quitter le royaume belge dans le délai de vingt-quatre heures, j'étais occupé encore, dans la nuit du même jour, de faire mes préparatifs de voyage, lorsqu'un commissaire de police, accompagné de dix gardes municipaux, pénétra dans mon domicile, fouilla toute la maison, et finit par m'arrêter, sous prétexte que je n'avais pas de papiers[34].

À Monsieur le directeur du journal l'« Alba »[modifier le wikicode]

Sous le titre de La Nouvelle Gazette rhénane et sous la direction de M. Karl Marx sera publié à Cologne, à partir du ler juin, un nouveau quotidien[35]. Ce journal poursuivra, dans le nord de l'Europe, les mêmes principes démocratiques que ceux que l’Alba représente en Italie[36]. Il ne peut donc y avoir de doute sur la position que nous avons dans le conflit qui oppose actuellement l'Italie à l'Autriche : nous défendrons la cause de l'indépendance italienne et combattrons à mort le despotisme autrichien en Italie, comme en Allemagne et en Pologne. Nous tendons fraternellement la main au peuple italien, et nous voulons lui démontrer que la nation allemande répudie, d'où qu'elle vienne, l'oppression exercée chez vous par ceux-là mêmes qui ont depuis toujours combattu la liberté chez nous.

Nous voulons faire tout notre possible pour préparer l'union et la bonne entente entre les deux grandes et libres nations qu'un infâme système de gouvernement a fait croire jusqu'ici qu'elles étaient ennemies l'une de l'autre.

Nous demanderons donc que la brutale soldatesque autrichienne soit retirée sans retard de l'Italie, et que le peuple italien soit mis en état de pouvoir exprimer sa volonté souveraine conformément à la forme de gouvernement qu'il lui plaira de choisir.

Afin de nous permettre de connaître les affaires italiennes et vous donner l'occasion de juger de la sincérité de nos promesses, nous vous proposons d'échanger votre journal avec le nôtre : nous vous transmettrions donc chaque jour La Nouvelle Gazette rhénane, et vous nous adresseriez régulièrement l'Alba. Nous espérons qu'il vous plaira d'accepter cette proposition, et vous prions de nous envoyer l'Alba le plus tôt possible, afin que vous puissiez profiter de nos premiers numéros.

S'il se trouvait que vous avez également d'autres nouvelles à nous faire parvenir, nous vous prions de bien vouloir le faire. Nous promettons que tout ce qui peut servir la cause de la démocratie dans l'un ou l'autre pays trouvera toujours chez nous toute l'attention possible.

Salut et fraternité.

La direction de La Nouvelle Gazette rhénane

le rédacteur en chef

Dr Karl MARX

L'action de Cologne[modifier le wikicode]

L'affaire de Cologne est désagréable[37]. Nos trois meilleurs hommes sont en prison. J'ai pu m'entretenir avec l'un de ceux qui ont pris une part active à l'affaire. Ils voulaient déclencher une action, mais au lieu de se munir d'armes — faciles à se procurer —, ils sont allés manifester, désarmés, devant l'hôtel de ville, où on les a coincés. On prétend que la troupe leur était en majeure partie favorable. Cette affaire a été engagée de manière stupide et irréfléchie. Si le rapport qu'on m'en a fait est exact, ils auraient pu très facilement frapper un grand coup, et en deux heures tout aurait été achevé. Mais toute l'affaire a été montée de manière affreusement bête[38].

Il semble que nos vieux amis de Cologne aient, en outre, agi de manière très molle, alors qu'ils avaient décidé de frapper un grand coup. Le petit d'Ester, Daniels et Bürgers ont été sur place pendant un moment, mais ils sont repartis très vite, bien que la présence du petit docteur (d'Ester) eût été absolument nécessaire à l'hôtel de ville[39].

À part cela, les nouvelles d'Allemagne sont fameuses. À Nassau, plein succès de la révolution ; à Munich, étudiants, peintres et ouvriers en pleine insurrection ; à Cassel, veillée d'armes révolutionnaire ; à Berlin, peur et tergiversations sans fin ; dans toute la Westphalie, proclamation de la liberté de la presse et création de la garde nationale. Pour le moment, c'est suffisant.

Pourvu que Frédéric-Guillaume IV fasse preuve d'entêtement. Alors la partie est gagnée, et dans quelques mois ce sera la révolution allemande. Pourvu qu'il s'accroche aux survivances féodales ! Mais, diable, qui peut prévoir ce que fera cet individu fantasque à l'esprit dérangé.

À Cologne, toute la petite bourgeoisie veut le rattachement à la République française : les souvenirs de 1797 prédominent encore pour le moment.

  1. Cf. Deutsche Brüsseler Zeitung, 9 décembre 1847. Ce journal avait déjà, la semaine précédente, rapporté un compte rendu succinct des discours de Marx et Engels à la Fête des nations organisée pour commémorer le soulèvement polonais de 1830. Nous ne reproduisons pas le discours d'Engels, tenu au même meeting. On en trouvera le texte français dans Marx-Engels, Écrits militaires, p. 148-149.
    Les textes qui suivent rendent compte des interventions de parti de Marx-Engels dans des meetings ou débats publics. Ils valent certes par leur effet de propagande à l'extérieur et leur effort d'organisation des éléments révolutionnaires, mais plus encore par leur contenu qui annonce et prépare la révolution de 1848-1849. Les Écrits militaires, qui ont recueilli les textes sur la préparation de la révolution de 1848, ont groupé, de manière logique, les écrits dans lesquels Marx-Engels ont élaboré pour l'heure de l'affrontement physique, la théorie et la stratégie de lutte du prolétariat européen. C'est, en effet, dans le domaine militaire que les analyses marxistes se font les plus concrètes et les plus tranchantes. Quoi qu'il en soit, nous ne reproduisons pas ici ce schéma d'ensemble de la prévision révolutionnaire qui rend compte pourtant de l'une des tâches fondamentales du parti — la prévision et la préparation de la révolution à venir, qui justifient le rôle dirigeant du parti dans la classe prolétarienne.
    Les quelques textes que nous avons recueillis pour cette période témoignent essentiellement des efforts d'organisation à l'échelle internationale. Dans ce recueil, nous avons encore écarté des textes, pourtant fondamentaux, notamment ceux qui ont trait à la préparation révolutionnaire dans tous les sens du terme, pour l'Allemagne. Un exemple en est l'article de Marx contre Heizen, dont le passage suivant montre comment les mots d'ordre de la future révolution sont préparés par les polémiques : « Les ouvriers savent que l'abolition des rapports de propriété bourgeois ne peut être réalisée en conservant les conditions féodales. Ils savent que, par le mouvement révolutionnaire de la bourgeoisie contre les états féodaux et la monarchie absolue, leur propre mouvement ne peut être qu'accéléré. Ils savent que la lutte pour leur propre cause contre la bourgeoisie ne peut commencer qu'à partir du jour où la bourgeoisie a triomphé. Néanmoins, ils ne partagent pas les illusions bourgeoises de Monsieur Heinzen. Ils peuvent et doivent se résigner à accepter la révolution bourgeoise comme condition de la révolution ouvrière, mais ils ne peuvent la considérer, ne fût-ce qu'un instant, comme leur but final. » (Marx, « La Critique moralisante et la morale critisante », 1847.) Ce thème sera encore au centre des débats intérieurs de la Ligue communiste tout au long de la période brûlante de 1849, et la scission finale se fera sur cette question.
    Le contenu de l'ouvrage en allemand de Herwig FÖRDER, Marx et Engels à la veille de la révolutionL'élaboration, des directives politiques pour les communistes allemands (1846-1848), Akademie-Verlag. Berlin. 1960 témoigne des activités suivantes de Marx-Engels pour la période en question.
    2. Fondation du Comité de correspondance communiste à Bruxelles et les premières controverses sur les questions de politique de la classe ouvrière (1846) : le début de la lutte contre le « socialisme vrai » ; les divergences avec le communisme utopique de Weitling ; la circulaire contre Kriege (11-5-1846) ; l'écho des séances du Comité de Bruxelles du printemps 1846 dans le Westphälischer Dampfboot ; les directives politiques aux communistes de Rhénanie (été 1846) ; les premières répercussions du Comité de correspondance sur l'évolution des communes parisiennes et londoniennes de la Ligue des justes (été 1846).
    2. Le tournant de 1846-1847transition et départ : de la Ligue des justes à la Ligue des communistes (novembre 1846 à Juin 1847) ; l'Anti-Proudhon (Misère de la philosophie) ; la mise en lumière par Engels du caractère réactionnaire du « socialisme vrai » (printemps 1847) ; la convocation de la Diète unie en Prusse et la « brochure sur la Constitution » d'Engels (février-avril 1847).
    3. Les questions politiques de la révolution allemande en marche au travers des polémiques de presse de l'été et de l'automne 1847 : la Deutsche Brüsseler Zeitung et les premières contributions du cercle du Comité de correspondance communiste (mars- Juillet 1847) ; une contribution de ce comité à la Kommunistische Zeitschrift de Londres (août 1847) ; un essai d'Engels sur la signification du protectionnisme et du libre-échange pour le développement bourgeois de l'Allemagne (juin 1847) ; un article de Marx contre la démagogie « gouvernementale socialiste » du Rheinischer Beobachter (septembre 1847) ; une déformation « socialiste vraie » de la ligne politique de Marx-Engels par Moses Hess ; le renforcement de l'influence du Comité de correspondance communiste de Bruxelles sur la ligne politique du Westphälischer Beobachter.
    4. Le Manifeste du parti communiste : contribution à l'histoire de sa genèse ; un programme pour la démocratie et le socialisme à la veille de la révolution démocratique-bourgeoise en Allemagne.
  2. Les mots d'ordre que Marx assigne dans son discours aux révolutionnaires internationalistes rassemblés à la Fête des nations impliquent une connaissance précise des mécanismes qui relient les phénomènes d'oppression des classes à ceux de l'oppression des nations, bref, une vision achevée de l'impérialisme, sans laquelle le marxisme ne serait pas une théorie générale.
    C'est à tort que l'on a attribué à Lénine, comme une nouveauté (inconnue ou méconnue du marxisme antérieur), l'élaboration de la théorie de l'impérialisme : le simple fait que Lénine l'ait exposée dans « un essai de vulgarisation » démontre qu'il n'a fait que reprendre sur ce point comme ailleurs la théorie classique du marxisme.
    Si le marxisme, comme théorie, est né en Allemagne, c'est — comme le répètent inlassablement Marx-Engels parce que ce pays, de par ses conditions économiques, politiques et sociales, ainsi que ses rapports avec le marché mondial et les autres pays, était celui qui suggérait le plus clairement et pleinement tous les éléments de la théorie générale du prolétariat. Or, l'Allemagne des années 1840 était un amas de toutes les formes de société et de productions successives de l'histoire, du fait qu'aucune révolution n'y avait balayé de la scène sociale les vestiges de classes et de modes de production du passé. À toutes les couches et classes qui se superposaient ainsi l'une à l'autre pour opprimer les masses laborieuses venaient s'ajouter les facteurs d'oppression nationaux, l'Allemagne étant soumise à l'hégémonie commerciale anglaise, à l'occupation étrangère, à la division nationale, à l'influence russe, française, tandis qu'elle-même, par l'intermédiaire de la Prusse et de l'Autriche, opprimait la Pologne.
    Le marxisme n'est que la transcription par Marx-Engels des conditions historiques et sociales réelles de la vivante lutte de classe, là où elles étaient les plus saisissables, donc à la fois les plus tranchantes et les plus universelles.
  3. Marx et Engels tinrent, le 22 février 1848, un discours en l'honneur de l'insurrection de Cracovie de février 1846 au meeting organisé par l'Association démocratique de Bruxelles.
    L'activité du parti se greffe sur des événements de portée révolutionnaire véritablement historique, et c'est à l'occasion de manifestations suscitées par eux que se nouent des rapports de solidarité entre révolutionnaires, voire que se créent les organisations ouvrières.
    Les deux discours que nous reproduisons ci-après expliquent l'intérêt — aussi bien théorique que pratique — porté par Marx et Engels aux mouvements nationaux démocratiques, même bourgeois, tant qu'ils sont progressifs et préparent les conditions de la lutte du prolétariat.
    La I° Internationale fut précisément créée dans de telles conditions. Comme on le sait, la réunion inaugurale de l'A. I. T. fut convoquée pour proclamer la solidarité des ouvriers européens avec les Polonais (à la suite d'une circulaire des ouvriers anglais aux français) et avec les Arméniens opprimés par la Russie. De fait, la révolte des Polonais en 1863-1864 fut le point de départ des luttes qui aboutirent à la systématisation des nations modernes d'Europe centrale et méridionale en 1870 et au renversement du bonapartisme, donc à la glorieuse Commune de Paris.
    La pleine solidarité ouvrière avec la revendication d'indépendance nationale de la Pologne opprimée par le tsarisme et les oligarchies autrichienne et prussienne a donc une importance primordiale : elle n'exprime pas seulement un jugement historique formulé dans des écrits théoriques, mais encore un véritable déploiement politique des forces pour la future Ire Internationale. En offrant à la Pologne l'appui total des classes ouvrières européennes, la révolte polonaise devenait le levier pour une situation révolutionnaire internationale : la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie (Commune de Paris). Cf. « Facteurs de race et de nation dans la théorie marxiste », p. 130- 139 : « La Question polonaise ; l'Internationale et la question des nationalités », Fil du temps, no 5.
    Pour relier la révolte polonaise à la création de l'Internationale ouvrière, il ne suffisait pas aux chefs du parti ouvrier d'avoir du flair. Il leur fallait aussi un sens révolutionnaire exceptionnellement aigu, puis — surtout une connaissance scientifique de l'histoire européenne, des mécanismes qui relient les bouleversements de la base économique aux phénomènes de volonté d'une classe qui doit s'organiser pour intervenir dans les rapports sociaux. Il fallait, par exemple, connaître le poids de la contre-révolution du tsarisme russe dans l'équilibre conservateur de toute l'Europe, et l'importance de toute révolte contre cet ennemi numéro un des révolutions du XIXe siècle. Cf. Marx-Engels, La Russie, 10/18, 1973.
    De nos jours, le mouvement d'émancipation des peuples coloniaux joue le même rôle de détonateur pour le mouvement ouvrier : cf. Marx-Engels, La Chine, 10/18, p. 187-188, note 19.
  4. Tant que la lutte se fait pour des objectifs « démocratiques », le parti communiste utilise une tactique « indirecte » qui s'applique aussi longtemps que les tâches bourgeoises restent progressives dans un pays. Dans tous les textes de cette période que nous reproduisons, le parti adopte cette tactique « indirecte ». Au chapitre final du Manifeste, Marx-Engels formulent de manière concise cette tactique valable pour les communistes des pays attardés, par exemple la Pologne et l'Allemagne : « Chez les Polonais, les communistes soutiennent le parti qui voit dans une révolution agraire la condition de l'émancipation nationale, c'est-à-dire le parti qui déclencha, en 1846, l'insurrection de Cracovie.
    « En Allemagne, le parti communiste lutte ensemble avec la bourgeoisie, sitôt que celle-ci agit révolutionnairement contre la monarchie absolue, la propriété féodale et la petite bourgeoisie. Mais il ne néglige à aucun moment de dégager chez les travailleurs une conscience aussi claire que possible de l'antagonisme radical de la bourgeoisie et du prolétariat, afin que, l'heure venue, les ouvriers allemands sachent tourner aussitôt, en autant d'armes contre la bourgeoisie, les conditions sociales et politiques que la bourgeoisie doit introduire en même temps que sa domination : ainsi dès la chute des classes réactionnaires en Allemagne, la lutte pourra s'engager contre la bourgeoisie elle-même.
    « C'est sur l'Allemagne que les communistes concentrent surtout leur attention. Ce pays se trouve à la veille d'une révolution bourgeoise. Cette révolution, l'Allemagne l'accomplit donc dans des conditions plus avancées de civilisation européenne en général et avec un prolétariat plus développé que l'Angleterre et la France n'en possédaient aux XVIIe et XVIIIe siècles. Par conséquent, en Allemagne, la révolution bourgeoise sera nécessairement le prélude de la révolution prolétarienne.
    « Bref, les communistes y appuient partout les mouvements révolutionnaires contre les institutions sociales et politiques existantes. »
    Ces mots d'ordre, tirés de longues études et luttes militantes dans des cercles restreints, se transformeront à l'heure de la crise révolutionnaire (de 1848-1849) : la théorie deviendra une réalité brûlante, et les discours des coups de fusil !
  5. Souligné par nous.
  6. Le stratège militaire qu'est Engels ne manque jamais de considérer les attitudes de classes les unes vis-à-vis des autres au sein d'une nation pour déterminer les chances d'un soulèvement : « Les Piémontais — après les Espagnols, les Allemands, etc. — ont commis d'emblée une grave erreur en opposant uniquement une armée régulière aux Autrichiens, c'est-à-dire dire en voulant mener contre eux une honnête et traditionnelle guerre bourgeoise. Un peuple qui veut conquérir son indépendance ne doit pas s'en tenir aux moyens de guerre conventionnels. Soulèvement en masse, guerre révolutionnaire, guérilla générale, voilà les seuls moyens dont dispose un petit peuple pour vaincre une grande nation, les seuls moyens permettant à une armée moins forte de tenir tête à une armée plus forte et mieux organisée. (« La Défaite des Piémontais ». La Nouvelle Gazette rhénane. 1-4-1849. trad. fr. : Marx-Engels, Écrits militaires, p. 243-244.)
  7. Les grandes expériences tirées d'une crise révolutionnaire ne sont jamais perdues pour les pays parvenus au même stade de leur histoire, si le parti — dont c'est l'une des fonctions premières — a su les accumuler pour en faire son programme d'action : « La guerre magyare de 1849 a beaucoup de traits communs avec la guerre polonaise de 1830-1831. Mais elle s'en distingue en ce qu'elle a maintenant pour elle toutes les chances qui manquaient alors aux Polonais. On sait qu'en 1830 Lelewel réclama avec force, mais sans succès : l. que l'on enchaînât à la révolution la grande masse de la population en émancipant les paysans et les juifs ; 2. que l'on transformât en guerre européenne [qui relancerait la révolution prolétarienne de Paris en 1850] la révolution de la vieille société polonaise, en impliquant dans une guerre les trois puissances qui se partageaient le pays. Ce qui s’imposa en 1831 aux Polonais alors qu'il était trop tard, c'est par quoi commencent aujourd'hui les Magyars. La révolution sociale à l'intérieur et la destruction du féodalisme, telle fut la première mesure en Hongrie ; l'implication de la Pologne et de l'Allemagne dans la guerre, telle fut la seconde mesure : dès lors, c'était la guerre européenne. Celle-ci est un fait accompli avec l'entrée du premier corps d'armée russe en territoire allemand. » (La Hongrie, La Nouvelle Gazette rhénane, 19-5-1849, trad. fr. : Marx-Engels, Écrits militaires, p. 261-262.)
  8. L'un des secrets de l’échec de la bourgeoisie allemande dans sa révolution nationale démocratique, c'est son incapacité de coordonner son action avec celle de la paysannerie asservie par les puissances féodales afin de la gagner à sa cause. La bourgeoisie française avait magistralement su mener à bien cette alliance politique, en engageant massivement les paysans dans les rangs de l'armée révolutionnaire.
    En politique prolétarienne, c'est Lénine qui a compris toute l'ampleur du potentiel révolutionnaire paysan, et a su l'utiliser. Il a su ainsi renouer avec Marx-Engels, qui n'ont jamais sous-estimé l'importance de la question agraire pour le mouvement révolutionnaire. Engels, auteur de La Guerre des paysans (1850), ouvrage souvent incompris des marxistes ultérieurs, analyse comme suit la défaillance politique de la bourgeoisie allemande en 1848-1850 : « En Prusse, la paysannerie avait profité de la révolution, tout comme en Autriche, bien qu'elle fît preuve d'une énergie moindre — puisqu'elle se trouvait en général un peu moins opprimée par le féodalisme—, pour se débarrasser d'un seul coup de toutes les entraves féodales. Mais la bourgeoisie se tourna aussitôt contre elle, sa plus vieille et sa plus indispensable alliée. Les démocrates — aussi épouvantés que la bourgeoisie par ce qu'on appelait des attentats contre la propriété privée — se gardèrent également de la soutenir, et c'est ainsi qu'après trois mois d'émancipation, après des luttes sanglantes et des expéditions militaires, notamment en Silésie, le féodalisme fut rétabli par les propres mains de la bourgeoisie, hier encore antiféodale. Ce faisant, elle s'est condamnée elle-même de la façon la plus définitive et la plus rigoureuse. Une trahison semblable de ses meilleurs alliés, de soi-même, jamais aucun parti dans l'histoire ne l'a commise. Quelles que soient les humiliations, quels que soient les châtiments réservés au parti bourgeois par ce seul acte, il les aura mérités tous sans exception. »
    Au cours des événements eux-mêmes, Wilhelm Wolff — à qui Marx dédia plus tard Le Capital — traita longuement de cette question dans La Nouvelle Gazette rhénane. Ces articles furent publiés sous le titre « Les Milliards silésiens », avec une introduction d'Engels.
    En général, on n'attribue pas la place qui lui revient à la paysannerie, dont dépendit le sort de la révolution de 1848 aussi bien que de la Commune de 1871 : cf. « Le Marxisme et la question agraire », in Fil du temps, no 7, p. 81. Sur les neuf numéros parus de la collection Fil du temps, trois sont consacrés à la question agraire, d'importance vitale non seulement dans l’économie et la vie sociale, mais encore dans la théorie et la politique du parti révolutionnaire.
  9. Cette phrase est une variante de celle du Manifeste qui prescrit les tâches à accomplir dans la révolution qui approche : « C'est sur l'Allemagne que les communistes concentrent surtout leur attention. Ce pays se trouve à la veille d'une révolution bourgeoise », démocratique et bourgeoise étant synonymes. Il n'est pas contradictoire pour un communiste de souhaiter une révolution bourgeoise tant qu'elle est progressive, car elle se heurte à l'ordre établi, bouleverse les conditions existantes et permet sur sa lancée de continuer la lutte pour le socialisme. C'est pourquoi d'ailleurs les bourgeoisies des pays déjà capitalistes se liguent systématiquement contre une révolution bourgeoise dans un pays nouveau, comme l'a démontré de manière classique la Révolution française de 1789 qui vit naître la Sainte-Alliance de tous les États déjà établis.
  10. L'initiative de fonder une Internationale des travailleurs devait s'appuyer sur le prolétariat le plus avancé de l'époque, celui de l’Angleterre, très préoccupé des questions impérialistes.
    En février 1846, le chartiste Harney déclara dans une réunion de l'Association de Londres des communistes allemands : J'en appelle aux classes opprimées de tous les pays pour s'unir pour la cause commune. La libération du joug russe et autrichien ne suffit pas à elle seule. Nous n'avons pas besoin d'un royaume d'Italie. Nous avons besoin de la souveraineté du peuple de ces pays. Et de préciser que cette cause du peuple, c'est « la cause du travail, du travail asservi et exploité », car les revendications et la misère ne sont-elles pas les mêmes chez les ouvriers de toutes les nations ? Par conséquent, pourquoi leur bonne cause ne le serait-elle pas ? Un coup porté à la liberté sur le Tage est un coup porté contre les amis de la liberté sur la Tamise ; un succès du républicanisme en France signifierait la fin de la tyrannie dans d'autres pays ; et la victoire des chartistes démocratiques anglais signifierait la libération de millions d'hommes dans toute l'Europe.
    C’est en se fondant sur la lutte pour la libération du joug absolutiste que fut créé un comité international, embryon de la future I° Internationale.
    En novembre 1847, Schapper, au nom de l'organisation de Bruxelles, fut mandaté pour discuter de la convocation en 1848 d’un « congrès des travailleurs de toutes les nations pour instaurer la liberté dans le monde entier ». Il proclama : « Ouvriers anglais ! Remplissez cette mission, et vous serez estimés comme émancipateurs de toute l'humanité. » Les organisateurs anglais répondirent : « La conjuration des rois, la Sainte-Alliance, doit être combattue par celle des peuples. Nous sommes persuadés que l'on doit se tourner vers le vrai peuple, les prolétaires qui, chaque jour, versent leur sang et leur sueur sous la pression du système social actuel, pour qu'il réalise la fraternité. »
  11. Cf. Engels, article écrit en français et publié dans La Réforme, 22 novembre 1847.
    Marx-Engels ne purent établir leur théorie moderne du communisme, fondée sur le matérialisme économique et historique, qu'en s'appuyant sur des développements sociaux du capitalisme. La théorie « allemande » dut pour cela s'appuyer sur les données politiques de la France et économiques de l'Angleterre, où la bourgeoisie était enfin parvenue au pouvoir en 1830. Si l'économie anglaise montre aux autres nations du continent quelle sera « l'image de leur proche avenir » (préface allemande du Capital), c'est le parti chartiste qui fournit le modèle de l'organisation du prolétariat moderne (cf. le dernier chapitre de Misère de la philosophie), où Marx expose l'évolution du parti chartiste, solidement relié à la classe ouvrière par l'intermédiaire des syndicats et des luttes revendicatives.
    C'est pourquoi, le Manifeste a pu affirmer que « les conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées ou des principes découverts ou inventés par tel ou tel réformateur du monde. Elles ne sont que l'expression théorique des conditions réelles de la lutte des classes. »
    Le socialisme scientifique ou programme communiste du prolétariat moderne n'a donc pu être élaboré qu'au contact avec la classe ouvrière allemande, française et surtout anglaise, et n'a pu surgir qu'en liaison avec la création d'une organisation internationale que Marx-Engels s'efforcèrent de fonder avec les Démocrates fraternels, c'est-à-dire les chartistes de gauche qui étaient partisans de la violence révolutionnaire. Proudhon s'est exclu lui-même de cette œuvre grandiose, en refusant les contacts avec le Comité de correspondance communiste fondé par Marx-Engels.
  12. Le parlementarisme révolutionnaire n'existe que pour autant que la domination politique de la bourgeoisie constitue encore un progrès économique et social, autrement dit que la bourgeoisie moderne n'assure pas encore exclusivement le pouvoir politique ou n'a pas encore consolidé son pouvoir face aux classes précapitalistes. En Angleterre, par exemple, la bourgeoisie partagea le pouvoir avec l'aristocratie foncière jusqu'en 1830 et mit longtemps à l'évincer ensuite. En l'absence d'une révolution prolétarienne cette conquête du pouvoir par la bourgeoisie est un fait progressif dans tous les pays précapitalistes du monde, et durant cette période, « si de temps à autre les travailleurs sont victorieux, leur triomphe est éphémère. Le vrai résultat de leurs luttes [n'est pas la conquête du pouvoir], mais l'organisation et l'union de plus en plus étendue des travailleurs. [...] Dans toutes ces luttes, la bourgeoisie se voit forcée de faire appel au prolétariat, de réclamer son aide et de l'entraîner dans le mouvement politique. Elle fournit ainsi aux prolétaires les éléments de leur formation [intellectuelle et politique] : elle met dans leurs mains des armes contre elle-même » (Manifeste, chap. l). Bref, cette tactique s'applique aussi longtemps que les conditions historiques font que le parti ouvrier n'est pas encore directement communiste, mais social-démocrate.
    Toutes les autres conditions du parlementarisme révolutionnaire découlent de la première. Il ne peut s'exercer qu'en opposition aux institutions parlementaires existantes, et non comme moyen de transformer l'État existant à partir d'elles, soit en participant au gouvernement, soit en en détenant la direction dans les conditions économiques et sociales du capitalisme.
    En général, toute activité politique doit s'exercer dans des conditions matérielles, économiques et sociales déterminées. Elle n'a de sens, aux yeux du communisme, que si elle tend à les transformer. Comme pur moyen d'agitation, le parlementarisme relève de la technique de la manipulation et de l'automystification (consciente ou inconsciente). Il fait perdre au parti son caractère d'organisation pour l'action.
    Engels a écrit cet article en français, non pour l'Allemagne (où la question parlementaire ne se posait pas encore, la révolution bourgeoise et les droits constitutionnels n'existant pas encore), mais pour la France, afin que les prolétaires français ne se contentent pas des libertés et des droits bourgeois, mais revendiquent leurs propres mots d'ordre de classe, en sortant de la sphère bourgeoise. Même le parlementarisme révolutionnaire de l'époque chartiste permet de se prémunir contre les illusions d'un changement de gouvernement dans le cadre capitaliste. En l'affirmant Engels contribue à prémunir le prolétariat français contre les pièges des libertés et institutions républicaines bourgeoises, préparant les ouvriers parisiens à ne pas se laisser arrêter à la révolution de février 1848 et à poursuivre leur lutte jusqu'au renversement de l'appareil politique bourgeois.
  13. Marx définit comme suit cette formule : « Il n’est pas d'innovation importante, de mesure décisive, qui ait jamais pu être introduite en Angleterre sans cette pression de l'extérieur, soit que l'opposition en ait eu besoin contre le gouvernement, soit que le gouvernement en ait eu besoin contre l'opposition. Par Pressions de l'extérieur, l'Anglais entend les grandes manifestations populaires extra-parlementaires, qui naturellement ne peuvent être organisées sans l'active participation de la classe ouvrière. » (« Un meeting ouvrier à Londres », Die Presse, 2-2-1862, trad. fr. : Marx-Engels, La Guerre civile aux États-Unis, 10/18, p. 209.)
  14. Engels prend bien soin de définir cette « démocratie » — ce n'est qu'une phase de la lutte : « La démocratie vers laquelle l'Angleterre s'achemine, c'est la démocratie sociale. Mais la simple démocratie est incapable de remédier aux maux sociaux. L'égalité démocratique est une chimère ; la lutte des pauvres contre les riches ne peut donc être menée jusqu'à son terme ultime sur le terrain de la démocratie ou de la politique en général. Cette phase n'est donc qu'un point de transition, c'est le dernier moyen purement politique que l'on puisse employer, car, aussitôt après, il faut que se développe un élément nouveau, un principe dépassant tout élément politique : celui du socialisme. » (Engels, « La Situation de l'Angleterre », Vorwärts, octobre 1844.)
  15. Les Fraternal Democrats rassemblaient les révolutionnaires émigrés du continent et l'aile radicale du chartisme composée presque exclusivement d'ouvriers dirigés par Julian Harney, partisans de la conquête violente du pouvoir de l'État par les ouvriers en opposition aux chartistes modérés à la Lovett qui recommandaient uniquement des moyens de pression « moraux », tels que pétitions, meetings, etc. Les communes londoniennes des Justes et l'Association pour la formation des ouvriers y adhérèrent également (Schapper et Moll siégèrent au comité directeur). Marx et Engels participèrent à la préparation de la réunion du 22 septembre 1845 des démocrates de différentes nations qui créèrent la base de la Société des démocrates fraternels. Ils gardèrent toujours le contact avec cette organisation et s'efforcèrent de l'influencer dans le sens du socialisme scientifique et de l'internationalisme prolétarien, surtout au travers des membres de la Ligue des communistes, noyau véritablement prolétarien. Les Démocrates fraternels, sous la direction de Harney, organisèrent la Fête des nations, le 29 novembre 1847, à laquelle participèrent plus de mille personnes, Anglais, Français, Allemands, Polonais, Italiens, Espagnols, Suisses, etc.
    Peu avant le déclenchement de la révolution de 1848 et de la défaite décisive des chartistes face aux troupes de Wellington le 10 avril 1848, l'Association des démocrates fraternels lança un manifeste qui témoigne qu'elle fut, en 1848, le point d'arrivée des efforts de Marx-Engels pour rassembler sur leurs positions les révolutionnaires de tous les pays européens en une Internationale, et le point de départ qui anticipe la Ire Internationale de 1864.
  16. Cette association fut fondée en 1847 à Londres par des bourgeois anglais de tendance radicale et libérale. Certains émigrés italiens, hongrois et polonais y adhérèrent ainsi que des démocrates bourgeois tels que Giuseppe Mazzini, qui fut l'un des initiateurs de la Ligue. Comme Engels le prévit, la Ligue cessa toutes ses activités — au reste assez minces — en 1848.
  17. Malgré son opposition à la Ligue internationale bourgeoise et sa critique du libre-échange, Marx optera pour le libre-échange, parce que « le système de la liberté commerciale hâte la révolution sociale. Et c'est seulement dans ce sens révolutionnaire, Messieurs, que je vote en faveur du libre- échange. » (Discours sur le libre-échange du 9 janvier 1848, prononcé devant l'Association démocratique de Bruxelles.) Pour réaliser le socialisme, il faut la suprématie économique et politique préalable de la bourgeoisie (non pas dans tous les pays, mais dans le groupe le plus important d'entre eux).
    En poussant à leur comble les possibilités de la production, les antagonismes de classe et la lutte pour la vie, la libre concurrence force les travailleurs à s'unir. En ce sens, elle hâte donc leur émancipation politique et sociale. Cette accélération du développement des conditions préalables du socialisme, on l'obtient non en entrant dans le jeu des institutions bourgeoises, mais en exerçant sur elles une pression de l'extérieur, après avoir formé ses propres organisations de classe. En agissant ainsi sur les conditions bourgeoises progressives, il faut constamment mettre en évidence leur caractère transitoire et partiel, afin de ne pas compromettre ses propres buts de classe.
  18. Cet aperçu de l'activité de Marx au cours de la période charnière de février 1848 illustre les activités politiques (ou militantes) de Marx-Engels. Nous l'extrayons de Karl Marx : Chronik seines Lebens in Einzeldaten (Marx-Engels Verlag, Moskau, 1934) préparé par M. Riazanoff à partir des lettres, écrits et autres documents datés qui ont permis, parfois au jour le jour, de reconstituer l’emploi du temps de Marx.
  19. Nous mettons entre parenthèses les données ou écrits à partir desquels Riazanoff a pu établir les activités de Marx. Nous utilisons les abréviations utilisées par Chronik. MEGA est le sigle pour Marx-Engels Gesamtausgabe, œuvres complètes de Marx-Engels préparées par Riazanoff.
  20. À en croire les rapports de la police bruxelloise, sur les 6 000 francs que Marx venait de recevoir comme héritage de son père, il en aurait dépensé 5 000 pour acheter des armes destinées aux ouvriers de Bruxelles.
  21. En s'appuyant sur les Fraternal Democrats, dont une délégation était arrivée à Paris début mars, ainsi que sur le comité londonien de la Ligue, Marx pouvait maintenant, au nom de la Ligue communiste, rompre avec les organisations démocratiques d'artisans allemands qui formèrent le projet de constituer une légion allemande recrutée à Paris pour propager la révolution en Allemagne. Bornstedt, qui avait été admis à Bruxelles comme membre de la Ligue, fut radié. Marx et ses partisans démissionnèrent de la Société démocratique et créèrent une nouvelle organisation : l'Union ouvrière, composée presque exclusivement de travailleurs manuels.
  22. The Northern Star, 4 mars 1848. Lors de leur séjour à Londres, fin novembre à début décembre, en vue de participer au deuxième congrès de la Ligue des communistes, Marx et Engels prirent contact, entre autres, avec les Démocrates fraternels et décidèrent d'entrer en liaison plus étroite avec eux. Dans ces discussions, Marx intervint au nom de l'Association démocratique de Bruxelles.
  23. La Northern Star avait publié, le 8-1-1848, l' « Adresse aux ouvriers de Grande-Bretagne et d'Irlande », lancée par les Démocrates fraternels pour démasquer la manœuvre des classes dirigeantes anglaises qui prétendaient que la France voulait attaquer les côtes britanniques (elles s'efforçaient de détourner par une propagande chauviniste les masses des luttes populaires et démocratiques). L'adresse appelait les ouvriers à résister à tous « les conjurés qui suscitent la haine d'un peuple contre l'autre avec leurs mensonges, afin de faire croire que les hommes des différents pays sont tout naturellement ennemis entre eux ».
  24. Marx, in Deutsche Brüsseler Zeitung, 13 février 1848.
    En réponse à un article de l'hebdomadaire belge de tendance radicale et démocratique bourgeoise — le Débat social—, Marx précise, d'une part, le rôle des associations démocratiques en Belgique et, d'autre part, la position des communistes vis-à-vis des utopistes et des démocrates en général.
    Avec le déclenchement de la révolution de février, les événements politiques prendront bientôt un tour plus concret, la Belgique étant menacée d'une révolution analogue à celle de Paris. Le gouvernement royal, sentant le danger, finit par expulser Marx de Bruxelles, comme Engels l'a été de Paris peu auparavant.
    En ce qui concerne la situation spécifique de la Belgique dans l’Europe du XIXe siècle, cf. les numéros l et 4 de Fil du temps consacrés à « La Nation et l'État belges, produits de la contre-révolution ».
  25. Marx sait fort bien que la plupart des petits pays en Europe sont ou bien des survivances du passé, ou bien des créations réactionnaires de la Sainte-Alliance contre-révolutionnaire. De fait, Engels constatera, en pleine crise révolutionnaire, que « la guerre civile n'a pas gagné la Belgique ; la moitié de l'Europe ne se tient-elle pas à ses frontières pour conspirer, avec les rebelles, comme ce fut le cas déjà pour la France de 1793 ? », ( La Nouvelle Gazette rhénane, 3-9-1848 : « Les Condamnations à mort d'Anvers ».)
  26. Dès 1843, Engels écrivait : « L'évolution politique de la France montre donc clairement comment devra se dérouler l'histoire à venir des chartistes anglais [Napoléon ou Babeuf].
    « La Révolution française développa la démocratie en Europe. La démocratie est une contradiction dans les termes, un mensonge et, au fond, une pure hypocrisie (une théologie, comme diraient les Allemands). Et cela vaut, à mon avis, pour toutes les formes de gouvernement. La liberté politique est un simulacre et le pire esclavage possible ; cette liberté fictive est le pire asservissement. Il en va de même de l'égalité politique : c'est pourquoi, il faut réduire en pièces la démocratie aussi bien que n'importe quelle autre forme de gouvernement. » (Cf. « Progrès de la réforme sociale sur le continent », 4-11-1843, trad. fr. : Écrits militaires.) Ce long article retrace l'évolution du programme et l'historique des partis communistes en Angleterre, France et Allemagne, dont le marxisme a fait une synthèse nouvelle.
    En Angleterre, aux yeux de Marx-Engels, les revendications du chartisme ouvrier ne devaient pas aboutir au règne parlementaire bourgeois, mais à la révolution violente : « Le suffrage universel, qui fut en 1848, en France, une formule de fraternisation générale, est en Angleterre un cri de guerre. En France, le contenu immédiat de la révolution fut le suffrage universel ; en Angleterre, le contenu immédiat du suffrage universel, c'est la révolution. » (Marx, Neue Oder-Zeitung, 8-6- 1855.)
  27. Marx entend bien distinguer entre sa position vis-à-vis du libre-échange et celle des économistes bourgeois (qui, au reste, étaient bien au courant de cette différence, puisqu'ils refusèrent à Marx la parole à leur Congrès de Bruxelles de septembre 1847).
  28. Cf. MEGA, I/6, p. 653-654.
  29. On ne saurait revendiquer de façon plus nette et « plausible » l'armement du peuple au cours de la crise révolutionnaire. Pour agir de manière révolutionnaire, répétera Engels, on n'a pas besoin de brandir à tout bout de champ le mot de révolution.
  30. Souligné par nous.
  31. Engels, texte écrit en français (MEGA, I/6, p. 422), 18 mars 1848.
    En décrivant la situation belge à la suite des événements révolutionnaires de février, Engels poursuit, sur le terrain de la lutte de classe ouverte, la polémique commencée par Marx contre le Débat social qui, après avoir tenté d'écarter les communistes allemands de l'Association démocratique belge, voulait en prendre la direction.
    Cette fois, c'est la bourgeoisie belge elle-même qui, sous la pression révolutionnaire, s'apprête à faire semblant d'appliquer les revendications démocratiques, réclamées par l'Association démocratique, afin de prendre la direction du mouvement et d'étouffer ses aspirations révolutionnaires, quitte à ne réaliser aucune de ses promesses lorsque la pression des masses aura diminué.
    Ces deux exemples témoignent du prolongement de la théorie du parti dans la vie sociale réelle, au travers de la lutte des classes.
  32. Cf. La Réforme, 8 mars 1848.
    L'article de Marx est rédigé en français. Engels, de son côté, publia un article sur le même thème dans le journal chartiste The Northern Star, le 25 mars 1848, où il décrit longuement les circonstances de l'expulsion de Karl et Jenny Marx, ainsi que les buts politiques de l'Association démocratique au cours de la crise de février 1848.
  33. La police prolonge, à sa manière, la polémique engagée par le Débat social — journal prétendument opposé au gouvernement royal belge — qui s’était efforcé de séparer les communistes allemands de l’Association démocratique de Bruxelles qu’ils animaient, voire de les opposer aux éléments belges.
    Le rôle du parti est précisément de démasquer aux yeux de la masse ceux qui préparent, sur le papier et dans les esprits, les actions anticommunistes, en indiquant à l’avance sur quelles positions l’ennemi va attaquer.
  34. Marx poursuit en déclarant que ses papiers étaient tout à fait en règle, etc. Nous ne reproduisons pas la narration de faits qui se sont répétés des milliers de fois dans tous les pays du monde. Observons simplement que, dans sa hâte d'intervenir pour réprimer, la police agit neuf fois sur dix en se fondant sur des motifs purement inventés, donc arbitraires et faux, se mettant elle-même dans l'illégalité — ce qui, évidemment ne signifie pas grand-chose aux yeux de l'appareil légal du pays, mais peut être exploité pour dénoncer l'hypocrisie et la mauvaise foi de la « justice » et, mieux encore, de tout l'appareil légal et constitutionnel, qu'il soit démocratique ou non.
  35. Lettre de Marx publiée, en pleine crise révolutionnaire, dans l'Alba, le 29 juin 1848, traduite de l'italien.
    Ce texte prolonge les discours dans lesquels Marx-Engels avaient élargi la question polonaise jusqu'aux dimensions de la politique prolétarienne, en précisant le rôle du parti chartiste dans les questions démocratiques. L'intervention de Marx auprès du mouvement démocratique italien démontre que, pour lui, les promesses de lutte commune, faites à propos de la Pologne, n'étaient pas verbales et avaient bien un caractère général.
  36. Marx et Engels avaient une vision aiguë du processus qu'il fallait suivre avant de réaliser la « République allemande une et indivisible » de caractère démocratique-bourgeois :
    « Nous ne nourrissons pas l’espoir utopique que l’on proclame dès maintenant une République allemande une et indivisible, mais nous demandons au Parti démocrate radical de ne pas confondre le point de départ de la lutte et du mouvement révolutionnaires avec leur but final. Il ne s’agit pas de réaliser telle ou telle opinion, ni telle ou telle politique, il s’agit de comprendre la marche de la révolution. » (Marx, La Nouvelle Gazette rhénane, 7-6-1846.)
  37. Engels à Marx, 9 mars 1848.
    Déjà la vague révolutionnaire, qui submergera l'Europe de 1848 à 1849, a gagné l'Allemagne, et l'épisode qu'Engels relate à Marx est un signe avant-coureur du soulèvement du 18 mars 1848 en Prusse. Les critiques d'Engels vis-à-vis du comportement des membres de la Ligue de Cologne dans l'action du 3 mars 1847 révèlent la faiblesse insigne de la Ligue communiste au moment où éclate la révolution et que surgissent les tâches pratiques. C'est encore l'immaturité générale des conditions objectives aussi bien que subjectives qui explique cette faiblesse, bien que la volonté révolutionnaire des membres de la Ligue soit remarquable.
  38. Il ressort clairement de la lettre d’Engels que l'action de Cologne a été entreprise sur décision locale, sans liaison préalable avec le Conseil central, ni plan s'insérant dans un cadre d'action et de stratégie générales.
  39. Avant la révolution allemande de mars 1848, la Ligue des communistes avait une commune à Cologne. Elle était composée de Karl d'Ester, Roland Daniels, Heinrich Bürgers, Fritz Anneke, Andreas Gottschalk, August Willich, etc. Une grande partie d'entre eux appartenait à la tendance du « socialisme vrai ». Ce n'est que sous l'influence de Marx-Engels au cours des événements révolutionnaires de 1848-1849 que la commune passera de leur côté, d'ailleurs non sans luttes et frictions.
    Lors de la grande manifestation du 3 mars devant l'hôtel de ville de Cologne, Andreas Gottschalk, August Willich et Fritz Anneke seront arrêtés ; ils seront amnistiés après la révolution du 18 mars et relâchés.