Luttes de tendances et dissolution de l'Internationale

De Marxists-fr
Aller à la navigation Aller à la recherche

Art. 7 a : Dans sa lutte contre le pouvoir collectif des classes possédantes, le prolétariat ne peut agir comme classe qu'en se constituant lui-même en parti politique distinct et opposé à tous les anciens partis formés par les classes possédantes.

Cette constitution du prolétariat en parti politique est indispensable pour assurer le triomphe de la révolution sociale et de son but suprême : l'abolition des classes.

La coalition des forces ouvrières, déjà obtenue par la lutte économique, doit aussi servir de levier aux mains de cette classe, dans sa lutte contre le pouvoir politique de ses exploiteurs.

Les seigneurs de la terre et du capital se servant toujours de leurs privilèges politiques pour défendre et perpétuer leurs monopoles économiques et asservir le travail, la conquête du pouvoir politique devient le grand devoir du prolétariat[1].

La Conférence de Londres de l'A.I.T. (17 au 23-9-1871)[modifier le wikicode]

· Propositions à soumettre à la conférence par le Conseil général

I. Après la clôture de la conférence[2], aucune section ne sera reconnue comme appartenant à l'Association par le Conseil général et les conseils centraux des différents pays, tant qu'elles n'auront pas versé au Conseil général leur contribution annuelle de 1 penny par tête pour l'année en cours.

II. a) Les délégués des pays où l'organisation régulière de l'Association est pour le moment impossible, en raison des empiètements du gouvernement, sont invités à proposer des plans d'organisation correspondant aux conditions particulières du pays en question; b) L'Association peut se reconstituer sous d'autres noms; c) Mais toutes les sociétés secrètes seront catégoriquement exclues.

III. Le Conseil général soumettra à la conférence un rapport sur sa gestion des affaires de l'Internationale depuis le dernier congrès.

IV. Le Conseil général proposera à la conférence de discuter de l'opportunité d'adresser une réponse aux différents gouvernements qui ont persécuté l'Internationale, et continuent de le faire; la conférence doit nommer une commission qui sera chargée de préparer cette réponse après la conférence.

Tenir compte des résolutions du Congrès de Bâle[3].

V. Pour éviter des confusions, les conseils centraux des différents pays sont priés de s'appeler désormais conseils fédéraux en ajoutant le nom du pays qu'ils représentent; les sections locales et leurs comités doivent s'appeler sections ou comités de leurs localités respectives.

VI. Tous les délégués du Conseil général chargés de fonctions précises doivent avoir le droit d'assister à toutes les réunions des conseils fédéraux et des comités locaux ou sections, et d'y être entendus, sans cependant avoir droit de vote.

Le Conseil général doit être chargé de sortir une nouvelle édition des statuts incluant les résolutions des congrès qui y ont trait; comme en France on ne connaît jusqu'ici qu'une traduction française mutilée, qui a été retraduite en espagnol et en italien, le Conseil général devra pourvoir à une traduction française authentique et l'envoyer également en Espagne, en Italie. Allemand pour la Hollande.

Imprimer simultanément en trois langues[4].

· Intervention de Marx au début de la conférence

MARX : Le Conseil général a convoqué une conférence :

· d'abord, pour se concerter avec les délégués des divers pays sur les mesures à prendre pour parer aux dangers que court l'Association dans un grand nombre de pays, et pour mettre sur pied une organisation nouvelle, répondant aux besoins de la situation. De leur côté, les délégués devront faire des propositions[5];

· en second lieu, pour élaborer une réponse aux divers gouvernements qui ne cessent de travailler à la destruction de l'Association par tous les moyens dont ils disposent;

· et, enfin, pour régler définitivement le conflit suisse, selon la demande de Guillaume.

D'autres questions secondaires seront certainement soulevées dans le cours de la conférence, et devront trouver leur solution.

Le citoyen Marx ajoute qu'il sera nécessaire de faire une déclaration publique vis-à-vis du gouvernement russe qui essaie d'impliquer l'Association dans une certaine affaire de société secrète, dont les principaux meneurs sont complètement étrangers ou hostiles à l'Association[6].

Cette conférence est privée, mais lorsque tous les délégués seront retournés dans leur pays, le Conseil général publiera telle résolution que la conférence aura jugé nécessaire de publier.

· Résolutions de la Conférence des délégués, réunie à Londres, du 17 au 23 septembre 1871

I. Composition du Conseil général

La conférence recommande au Conseil général de limiter le nombre des membres qu'il s'adjoint, et d'éviter que ces adjonctions ne se fassent trop exclusivement parmi des citoyens appartenant à une seule nationalité[7].

II. Dénominations des conseils nationaux ou régionaux, des branches, sections, groupes locaux et de leurs comités respectifs[8]

1. Conformément à la résolution prise par le Congrès de Bâle (1869), les conseils centraux des divers pays où l'Association internationale des travailleurs est régulièrement organisée se désigneront à l'avenir sous le nom de conseils fédéraux, ou comités fédéraux, en y ajoutant les noms de leurs pays respectifs, la désignation de Conseil général étant réservée au Conseil central de l'Internationale.[modifier le wikicode]
2. Les branches, sections ou groupes locaux et leurs comités se désigneront et se constitueront à l'avenir simplement et exclusivement comme branches, sections, groupes et comités de l'Association internationale des travailleurs en ajoutant les noms de leurs localités respectives.[modifier le wikicode]
3. Il sera donc désormais défendu aux branches, sections et groupes de se désigner par des noms de secte, comme par exemple les noms de branches positivistes, mutualistes, collectivistes, communistes, etc., ou de former des groupes séparatistes, sous le nom de « section de propagande », etc., en se donnant des missions spéciales, en dehors du but commun poursuivi par tous les groupes de l'Internationale.[modifier le wikicode]
4. Toutefois, il est bien entendu que la résolution n° 2 ne s'applique pas aux syndicats affiliés à l'Internationale.[modifier le wikicode]

III. Délégués au Conseil général

Tous les délégués du Conseil général chargés de missions spéciales auront le droit d'assister et de se faire entendre à toutes les réunions des conseils ou comités fédéraux, des comités de districts ou locaux, et des branches locales, sans cependant avoir le droit de vote.

IV. Cotisation de 10 centimes par membre à payer au Conseil général[9]

1. Le Conseil général fera imprimer des timbres uniformes, représentant la valeur de 10 centimes chacun, dont il enverra annuellement le nombre demandé aux conseils ou comités fédéraux.

2. Les conseils ou comités fédéraux feront parvenir aux comités locaux ou, à défaut, aux sections de leur ressort le nombre de timbres correspondant au nombre des membres qui les composent.

3. Ces timbres seront alors appliqués sur une feuille du livret disposée à cet effet ou sur l'exemplaire des statuts dont tout membre de l'Association doit être muni.

4. À la date du 1° mars, les conseils fédéraux des divers pays ou régions seront tenus d'envoyer au Conseil général le montant des timbres employés et le solde des timbres leur restant en caisse.

5. Ces timbres représentant la valeur des cotisations individuelles porteront le chiffre de l'année courante.

V. Formation de sections de femmes

La conférence recommande la formation de sections de femmes au sein de la classe ouvrière. Il est bien entendu que cette résolution ne porte nullement atteinte à l'existence ou à la formation de sections composées de travailleurs des deux sexes[10].

VI. Statistique générale de la classe ouvrière

1. La Conférence invite le Conseil général à mettre à exécution l'article 5 des statuts originaux relatifs à la statistique générale de la classe ouvrière et à appliquer les résolutions prises par le Congrès de Genève (1866) à ce même effet.

2. Chaque section locale est tenue d'avoir dans son sein un comité spécial de statistique qui sera toujours prêt dans la mesure de ses moyens à répondre aux questions susceptibles de lui être adressées par le conseil ou le comité fédéral du pays, ou par le Conseil général de l'Internationale. Il est recommandé à toutes les sections de rétribuer les secrétaires des comités de statistique, vu l'importance et l'utilité générale de leur travail pour la classe ouvrière.

3. Au 1er août de chaque année, les conseils ou comités fédéraux enverront les documents recueillis au Conseil général qui en fera un résumé à soumettre aux congrès ou conférences tenus au mois de septembre.

4. Le refus par une société de résistance ou une branche internationale de donner les renseignements demandés sera porté à la connaissance du Conseil général qui aura à statuer à ce sujet[11].

VII. Liaisons internationales des sociétés de résistance

Le Conseil général est invité à appuyer, comme par le passé, la tendance croissante des sociétés de résistance (syndicats) d'un pays à se mettre en rapport avec les sociétés de résistance du même métier dans tous les autres pays[12]. L'efficacité de sa fonction comme intermédiaire international entre les sociétés de résistance nationales dépendra essentiellement du concours que ces sociétés elles-mêmes prêteront à la statistique générale du travail poursuivie par l'Internationale.

VIII. Les producteurs agricoles

Les bureaux des syndicats de tous les pays sont invités à envoyer au Conseil général leur adresse.

1. La conférence invite le Conseil général et les conseils ou comités fédéraux à préparer, pour le prochain congrès, des rapports sur les moyens d'assurer l'adhésion des producteurs agricoles au mouvement du prolétariat industriel.

2. En attendant, les conseils ou comités fédéraux sont invités à envoyer des délégués dans les campagnes pour y organiser des réunions publiques, faire de la propagande pour l'Internationale et fonder des sections agricoles[13].

IX. L'action politique de la classe ouvrière

Vu les considérants des statuts originaux où il est dit : « L'émancipation économique de la classe ouvrière est le grand but auquel tout mouvement politique doit être subordonné comme moyen[14] »;

Vu l'Adresse inaugurale de l'Association internationale des travailleurs (1864), qui dit : « Les seigneurs de la terre et les seigneurs du capital se serviront toujours de leurs privilèges politiques pour défendre et perpétuer leurs monopoles économiques. Bien loin de pousser à l'émancipation des travailleurs, ils continueront à y opposer le plus d'obstacles possibles... La conquête du pouvoir politique est donc devenue le premier devoir de la classe ouvrière »;

Vu la résolution du Congrès de Lausanne (1867) à cet effet : « L'émancipation sociale des travailleurs est inséparable de leur émancipation politique »;

Vu la déclaration du Conseil général sur le prétendu complot des Internationaux français à la veille du plébiscite (1870), où il est dit : « D'après la teneur de nos statuts, toutes nos sections en Angleterre, sur le continent et en Amérique ont la mission spéciale non seulement de servir de centres d'organisation militante de la classe ouvrière, mais aussi de soutenir dans leurs pays respectifs tout mouvement politique tendant à l'accomplissement de notre but final : l'émancipation de la classe ouvrière;

Attendu que des traductions infidèles des statuts originaux ont donné lieu à des interprétations fausses qui ont été nuisibles au développement et à l'action de l'Association internationale des travailleurs;

En présence d'une réaction sans frein qui étouffe par la violence tout effort d'émancipation de la part des travailleurs, et prétend maintenir par la force brutale les différences de classe et la domination politique des classes possédantes qui en résulte;

Considérant en outre :

· Que, contre ce pouvoir collectif des classes possédantes, le prolétariat ne peut agir comme classe qu'en se constituant lui-même en parti politique distinct, opposé à tous les anciens partis formés par les classes possédantes;

· Que cette constitution de la classe ouvrière en parti politique est indispensable pour assurer le triomphe de la révolution sociale et de son but suprême : l'abolition des classes;

· Que la coalition des forces ouvrières déjà obtenue par les luttes économiques doit aussi servir de levier aux mains de cette classe dans sa lutte contre le pouvoir politique de ses exploiteurs,

la conférence rappelle aux membres de l'Internationale que, dans l'état militant de la classe ouvrière, son mouvement économique et son action politique sont indissolublement unis.

X. Résolution générale relative aux pays où l'organisation régulière de l'Internationale est entravée par les gouvernements

Dans les pays où l'organisation régulière de l'Association internationale des travailleurs est momentanément devenue impraticable par suite de l'intervention gouvernementale, l'Association et ses groupes locaux pourront se constituer sous diverses dénominations, mais toute constitution de section internationale sous forme de société secrète est et reste formellement interdite[15].

XI. Résolutions relatives à la France

1. La conférence exprime sa ferme conviction que toutes les poursuites ne feront que doubler l'énergie des adhérents de l'Internationale, et que les branches continueront à s'organiser, sinon par grands centres, du moins par ateliers et fédérations d'ateliers correspondant par le truchement de leurs délégués.

2. En conséquence, la conférence invite toutes les branches à continuer sans relâche la propagande des principes de notre association en France et à y importer le plus grand nombre possible d'exemplaires de toutes les publications et des statuts de l'Internationale[16].

XII. Résolution relative à l'Angleterre

La conférence invite le Conseil fédéral à aviser les branches anglaises de Londres de former un comité fédéral pour Londres, lequel, après s'être mis en rapport avec les branches provinciales et les sociétés de résistance (syndicats) affiliées, et après avoir reçu leur adhésion, sera reconnu par le Conseil général comme conseil fédéral anglais[17].

XIII. Résolutions particulières de la conférence

1. La conférence approuve l'adjonction des réfugiés de la Commune de Paris que le Conseil général a admis dans son sein.

2. La conférence déclare que les ouvriers allemands ont rempli leur devoir pendant la guerre franco-allemande.

3. La conférence remercie fraternellement les membres de la fédération espagnole pour leur travail sur l'organisation de l'Internationale qui prouve une fois de plus leur dévouement à l'œuvre commune.

4. Le Conseil général fera immédiatement la déclaration formelle que l'Association internationale des travailleurs est absolument étrangère à la prétendue conspiration Netchaïev, lequel a frauduleusement usurpé et exploité le nom de l'Internationale.

XIV. Instructions pour le délégué Outine

Le citoyen Outine est invité à publier dans le journal L’Égalité (Genève) un résumé du procès Netchaïev d'après les journaux russes et d'en communiquer le manuscrit avant la publication au Conseil général.

XV. Convocation du prochain congrès

La conférence laisse à l'appréciation du Conseil général le soin de fixer, selon les événements, la date et le siège du prochain congrès ou de la conférence qui le remplacerait.

XVI. Alliance de la démocratie socialiste

Considérant

· Que l'Alliance de la démocratie socialiste s'est déclarée dissoute (voir la lettre au Conseil général, Genève, 10 août 1871, signée Joukovsky, secrétaire de l'Alliance);

· Que dans sa séance du 18 septembre (voir n° II de cette circulaire) la conférence a décidé que toutes les organisations de l'Association internationale des travailleurs seront, conformément à la lettre et à l'esprit des statuts généraux, désormais obligées à s'appeler et à se constituer simplement et exclusivement comme branches, sections, etc., de l'Association internationale des travailleurs avec les noms de leurs localités respectives attachés; qu'il sera donc défendu aux branches et sociétés existantes de continuer à se désigner par des noms de secte, c'est-à-dire comme groupes mutualistes, positivistes, collectivistes, communistes, etc.;

· Qu'il ne sera plus non plus permis à aucune branche ou société déjà admise de continuer à former un groupe séparatiste sous la désignation de « section de propagande », « Alliance de la démocratie socialiste », etc., se donnant des missions spéciales en dehors du but commun poursuivi par la masse du prolétariat militant, réunie dans l'Association internationale des travailleurs;

· Qu'à l'avenir le Conseil général de l'Association internationale des travailleurs devra interpréter et appliquer dans ce sens l'article 5 de la résolution administrative du Congrès de Bâle : « Le Conseil général a le droit d'admettre ou de refuser l'affiliation de toute nouvelle société ou groupe sauf appel du congrès suivant »,

la conférence déclare vidé l'incident de l'Alliance de la démocratie socialiste.

XVII. Différend entre les deux fédérations de la Suisse romande

1. Cet article rejette les fins de non-recevoir que le comité fédéral des sections jurassiennes a fait valoir contre la compétence de la conférence. (La résolution sera publiée in extenso dans L'Égalité de Genève[18].

2. La conférence approuve la décision du Conseil général du 29 juin 1870.

Néanmoins, considérant les poursuites auxquelles se trouve en butte l'Internationale, la conférence fait appel à l'esprit de solidarité et d'union qui plus que jamais doit animer les travailleurs. Elle conseille aux ouvriers des sections jurassiennes de se rallier aux sections de la fédération romande. Dans le cas où cette union ne pourrait se faire, elle décide que la fédération des sections dissidentes se nommera à l'avenir Fédération jurassienne. Elle donne avis que désormais le Conseil général sera tenu à dénoncer et désavouer publiquement tous les journaux se disant organes de l'Internationale, lesquels, suivant l'exemple donné par Le Progrès et La Solidarité, discuteraient dans leurs colonnes, devant le public bourgeois, des questions qu'on ne doit discuter que dans le sein des comités locaux, des comités fédéraux et du Conseil général, ou dans les séances privées et administratives des congrès, soit fédéraux, soit généraux.

Note : les résolutions de la conférence qui ne sont pas destinées à la publicité seront communiquées aux conseils fédéraux des divers pays par les secrétaires correspondants du Conseil général.

Par ordre et au nom de la conférence.

Signatures

Londres, 17 octobre 1871

Résolution de la Conférence de Londres sur le différend entre les deux fédérations de la Suisse romande[modifier le wikicode]

En ce qui concerne ce différend :

1. La conférence doit, de prime abord, considérer les fins de non-recevoir mises en avant par le comité fédéral des sections jurassiennes qui n'appartiennent pas à la fédération romande (voir la lettre du 4 septembre adressée à la conférence par le comité fédéral de ces sections[19]).

Première objection :

« Le Congrès général ‑ est-il dit dans cette lettre ‑ convoqué régulièrement peut seul être compétent pour juger une affaire aussi grave que celle de la scission dans la fédération romande. »

Considérant

· Que lorsque des démêlés s'élèveront entre les sociétés ou branches d'un groupe national, ou entre des groupes de différentes nationalités, le Conseil général aura le droit de décider sur le différend, sauf appel au congrès prochain, qui décidera définitivement (cf. point 7 des résolutions du Congrès de Bâle);

· Que, d'après le point 6 des résolutions du Congrès de Bâle, le Conseil général a également le droit de suspendre jusqu'au prochain congrès une section de l'Internationale[20];

· Que ces droits du Conseil général ont été reconnus, quoique seulement en théorie, par le comité fédéral des branches dissidentes du Jura : parce que le citoyen Robin a sollicité à plusieurs reprises le Conseil général, au nom de ce comité, de prendre une résolution définitive sur cette question (voir les procès-verbaux du Conseil général);

· Que les droits de la conférence, s'ils ne sont pas égaux à ceux d'un congrès général, sont en tout cas supérieurs à ceux du Conseil général;

· Qu'en effet ce n'est pas le comité fédéral de la fédération romande, mais bien le comité fédéral des branches dissidentes du Jura qui, par l'intermédiaire du citoyen Robin, a demandé la convocation d'une conférence pour juger définitivement ce différend (cf. le procès-verbal du Conseil général du 25-7-1871);

Par ces raisons :

La Conférence considère la première objection soulevée par la section du Jura comme nulle et non avenue.

Deuxième objection :

« Il serait, dit encore cette section, contraire à l'équité la plus élémentaire de se prononcer contre une fédération à laquelle on n'a pas procuré les moyens de défense... Nous apprenons aujourd'hui, indirectement, qu'une conférence extraordinaire est convoquée à Londres pour le 17 septembre... Il était du devoir du Conseil général d'en aviser tous les groupes régionaux; nous ignorons pourquoi il a gardé le silence à notre égard. »

Considérant

· Que le Conseil général avait instruit tous ses secrétaires de donner avis de la convocation d'une conférence aux sections des pays respectifs qu'ils représentent;

· Que le citoyen Jung, secrétaire correspondant pour la Suisse, n'a pas avisé le comité des branches jurassiennes pour les raisons suivantes :

En violation flagrante de la décision du Conseil général du 28 juin 1870, ce comité, comme il le fait encore dans sa dernière lettre adressée à la conférence, continue à se désigner comme comité de la Fédération romande.

Ce comité avait le droit de faire appel de la décision du Conseil général à un congrès futur, mais il n'avait pas le droit de traiter la décision du Conseil général comme non avenue.

Par conséquent, il n'existait pas légalement vis-à-vis du Conseil général, et le citoyen Jung n'avait pas le droit de le reconnaître en l'invitant directement à envoyer des délégués à la conférence.

Le citoyen Jung n'a pas reçu de la part de ce comité les réponses aux questions faites au nom du Conseil général; depuis l'admission du citoyen Robin au Conseil général, les demandes du comité susdit ont toujours été communiquées au Conseil général par l'intermédiaire du citoyen Robin, et jamais par le secrétaire correspondant pour la Suisse.

Considérant encore :

· Qu'au nom du comité susdit, le citoyen Robin avait demandé de référer le différend d'abord au Conseil général, et puis, sur le refus du Conseil général, à une conférence; que le Conseil général et son secrétaire correspondant pour la Suisse étaient donc bien fondés à supposer que le citoyen Robin informerait ses correspondants de la réunion d'une conférence, demandée par eux-mêmes;

· Que la commission d'enquête nommée par la conférence pour étudier le différend suisse a entendu le citoyen Robin comme témoin; que tous les documents communiqués au Conseil général par les deux parties ont été soumis à cette commission d'enquête; qu'il est impossible d'admettre que le comité susdit ait seulement été informé le 4 septembre de la convocation de la conférence, attendu que déjà au mois d'août il avait offert au citoyen Malon de l'envoyer comme délégué à la conférence, par ces raisons, la conférence considère que la seconde objection soulevée par la branche du Jura n'a aucun fondement.

Troisième objection :

« Une décision, dit-elle enfin, annulant les droits de notre fédération aurait été des plus funestes quant à l'existence de l'Internationale dans notre contrée. »

Considérant que personne n'a demandé d'annuler les droits de la fédération susdite, la conférence passe outre.

2. La conférence approuve la décision du Conseil général du 28 juin 1870.

Considérant en même temps les poursuites auxquelles se trouve en butte l'Internationale, la conférence fait appel à l'esprit de solidarité et d'union, qui plus que jamais doit animer les travailleurs.

Elle conseille aux ouvriers des sections jurassiennes de se rallier aux sections de la fédération romande. Dans le cas où cette union ne pourrait se faire, elle décrète que la fédération des sections du Jura se nommera : fédération jurassienne.

Elle donne avis que désormais le Conseil général sera tenu à dénoncer et à désavouer tous les journaux, se disant organes de l'Internationale, qui, en suivant l'exemple donné par Le Progrès et La Solidarité, discuteraient dans leurs colonnes, devant le public bourgeois, des questions à traiter exclusivement dans le sein des comités locaux, des comités fédéraux et du Conseil général, ou dans les séances privées et administratives des congrès, soit fédéraux, soit généraux.

Sur l'action politique de la classe ouvrière[modifier le wikicode]

Il est absolument impossible de s'abstenir des affaires politiques[21]. Même les journaux qui ne font pas de politique ne manquent pas, à l'occasion, d'attaquer le gouvernement, et se mêlent donc de politique. La seule chose dont il s'agit, c'est de savoir quelle politique on pratique et avec quels moyens ? Au demeurant, pour nous, l'abstention est impossible. Le parti ouvrier existe déjà comme parti politique dans la plupart des pays. Ce n'est certes pas à nous de le ruiner en prêchant l'abstention. La pratique de la vie réelle et l'oppression politique que les gouvernements en glace font subir aux ouvriers ‑ à des fins politiques, aussi bien que sociales ‑ contraignent les ouvriers à faire de la politique, qu'ils le veuillent ou non. Leur prêcher l'abstention en matière politique reviendrait à les pousser dans les bras de la politique bourgeoise. Plus que jamais après la Commune de Paris, qui a mis à l'ordre du jour l'action politique du prolétariat, l'abstention politique est tout à fait impossible.

Nous voulons abolir les classes. Par quel moyen y parviendrons-nous ? Par la domination politique du prolétariat. Or, maintenant que tout le monde est d'accord sur ce point, on nous demande de ne pas nous mêler de politique ! Tous les abstentionnistes se nomment des révolutionnaires, et même des révolutionnaires par excellence. Mais la révolution n'est-elle pas l'acte suprême en matière politique ? Or, qui veut la fin doit vouloir aussi les moyens ‑ l'action politique qui prépare la révolution, éduque l'ouvrier et, sans elle, le prolétariat sera toujours frustré et dupé le lendemain de la bataille par les Favre et Pyat.

Cependant, la politique qu'il faut faire doit être celle du prolétariat : le parti ouvrier ne doit pas être la queue de quelque parti bourgeois que ce soit, mais doit toujours se constituer en parti autonome, ayant sa propre politique et poursuivant son propre but.

Les libertés politiques, le droit de réunion et d'association, la liberté de la presse ‑ telles sont nos armes. Et nous devrions accepter de limiter cet armement en faisant de l'abstention, au moment même où on essaie de nous en priver ?

On prétend que toute action politique signifie reconnaître l'ordre existant. Or, si ce qui existe nous donne les moyens pour protester contre l'état existant, dès lors l'utilisation de ces moyens n'est pas une reconnaissance de l'ordre établi.

Dans la plupart des pays, certains membres de l'Internationale, en invoquant la déclaration tronquée des statuts votés au Congrès de Genève, ont fait de la propagande en faveur de l'abstention dans les affaires politiques, propagande que les gouvernements se sont bien gardés d'enrayer[22].

En Allemagne, von Schweitzer et consorts, à la solde de Bismarck, ont essayé de raccrocher l'activité de nos sections au char de la politique gouvernementale.

En France, cette abstention coupable a permis aux Favre, Trochu, Picard et autres de s'emparer du pouvoir le 4 septembre. Le 18 mars, cette même abstention permit à un comité dictatorial ‑ le Comité central ‑, composé en majeure partie de bonapartistes et d'intrigants, de s'établir à Paris et de perdre sciemment, dans l'inaction, les premiers jours de la révolution, alors qu'il aurait dû les consacrer à son affermissement. En France le mouvement [de la Commune] a échoué, parce qu'il n'avait pas été assez préparé.

En Amérique, un congrès, tenu récemment et composé d'ouvriers, a décidé de s'engager dans les affaires politiques et de substituer aux politiciens de métier des ouvriers comme eux, chargés de défendre les intérêts de leur classe.

Certes, il faut faire de la politique en tenant compte des conditions de chaque pays. En Angleterre, par exemple, il n'est pas facile à un ouvrier d'entrer au Parlement. Les parlementaires ne recevant aucun subside et l'ouvrier n'ayant que les ressources de son travail pour vivre, le Parlement lui est inaccessible. Or, la bourgeoisie qui refuse obstinément une indemnité aux membres du Parlement sait parfaitement que c'est le moyen d'empêcher la classe ouvrière d'y être représentée.

Il ne faut pas croire que ce soit d'une mince importance d'avoir des ouvriers dans les parlements. Si l'on étouffe leur voix, comme c'est le cas pour De Potter et Castiau, ou si on les expulse comme Manuel, l'effet de ces rigueurs et de cette intolérance est profond sur les masses. Si, au contraire, comme Bebel et Liebknecht, ils peuvent parler de cette tribune, c'est le monde entier qui les entend. D'une manière comme d'une autre, c'est une grande publicité pour nos principes.

Lorsque Bebel et Liebknecht ont entrepris de s'opposer à la guerre qui se livrait contre la France, leur lutte pour dégager toute responsabilité de la classe ouvrière dans tout ce qui se passait a secoué toute l'Allemagne; Munich même, cette ville où l'on n'a jamais fait de révolution que pour des questions de prix de la bière, se livra à de grandes manifestations pour réclamer la fin de la guerre.

Les gouvernements nous sont hostiles. Il faut leur répondre avec tous les moyens que nous avons à notre disposition. Envoyer des ouvriers dans les parlements équivaut à une victoire sur les gouvernements, mais il faut choisir les hommes, et ne pas prendre un Tolain.

Les gens qui propageaient dans le temps la doctrine de l'abstention étaient de bonne foi, mais ceux qui reprennent le même chemin aujourd'hui ne le sont pas[23]. Ils rejettent la politique après qu'a eu lieu une lutte violente (Commune de Paris), et poussent le peuple à une opposition bourgeoise toute formelle, ce contre quoi nous devons lutter en même temps que contre les gouvernements. Nous devons démasquer Gambetta, afin que le peuple ne soit pas, une fois de plus, abusé. Nous devons mener une action non seulement contre les gouvernements, mais encore contre l'opposition bourgeoise qui n'est pas encore arrivée au gouvernement.

Comme le propose Vaillant, il faut que nous jetions un défi à tous les gouvernements, partout, même en Suisse, en réponse aux persécutions contre l'Internationale. La réaction existe sur tout le continent; elle est générale et permanente, même aux États-Unis, voire en Angleterre, sous une autre forme.

Nous devons déclarer aux gouvernements : nous savons que vous êtes la force armée contre les prolétaires. Nous agirons pacifiquement contre vous là où cela nous sera possible, et par les armes quand cela sera nécessaire.

De l'indifférence en matière politique[modifier le wikicode]

La classe ouvrière ne doit pas se constituer en parti politique; elle ne doit, sous aucun prétexte, avoir une action politique, car combattre l'État c'est reconnaître l'État ‑ ce qui est contraire aux principes éternels[24].

Les travailleurs ne doivent pas faire grève, car dépenser ses forces pour obtenir une augmentation de salaire ou en empêcher l'abaissement, c'est reconnaître le salariat ‑ ce qui est en contradiction avec les principes éternels de l'émancipation de la classe ouvrière.

Lorsque, dans la lutte politique contre l'État bourgeois, les ouvriers ne parviennent qu'à arracher des concessions, ils signent des compromis ‑ ce qui est contraire aux principes éternels. Il faut donc condamner tout mouvement pacifique tel que les ouvriers anglais et américains ont la méchante habitude de le faire.

Les ouvriers ne doivent pas dépenser leur énergie pour obtenir une limitation légale de la journée de travail, car ce serait signer un compromis avec les patrons qui, à partir de ce moment, ne les exploiteraient plus que dix ou douze heures, au lieu de quatorze ou seize ! Ils ne doivent pas non plus se donner le mal d'interdire légalement l'emploi de fillettes de moins de dix ans dans les fabriques, car cela n'abolit pas encore l'exploitation des garçonnets de moins de dix ans ‑ et ce serait donc un nouveau compromis qui porterait atteinte à la pureté des principes éternels.

Les ouvriers doivent encore moins demander ‑ comme cela arrive aux États-Unis ‑ que l'État, dont le budget s'établit aux frais de la classe ouvrière, assure l'instruction élémentaire des enfants des travailleurs, car l'enseignement élémentaire n'est pas l'enseignement universel. Il est préférable que les ouvriers et les ouvrières ne sachent ni lire, ni écrire, ni compter, plutôt que de recevoir l'enseignement d'un maître d'école de l'État. II vaut mieux que l'ignorance et un travail quotidien de seize heures abrutissent la classe ouvrière, plutôt que les principes éternels soient violés !

Si la lutte politique assume des formes violentes, et si les ouvriers substituent leur dictature révolutionnaire à la dictature de la bourgeoisie, ils commettent le terrible délit de lèse-principe, car, pour satisfaire leurs misérables besoins profanes de tous les jours, pour briser la résistance des classes bourgeoises, ne donnent-ils pas à l'État une forme révolutionnaire et transitoire, au lieu de rendre les armes et d'abolir l'État.

Les ouvriers ne doivent pas former des syndicats de tous les métiers, car ce serait perpétuer la division du travail telle qu'elle existe dans la société bourgeoise, cette division du travail qui morcelle la classe ouvrière ne constitue-t-elle pas le véritable fondement de leur esclavage ?

En un mot, les ouvriers doivent croiser les bras et ne pas dépenser leur temps en agitations politiques et économiques, car elles ne peuvent leur apporter que des résultats immédiats.

À l'instar des bigots des diverses religions, ils doivent, au mépris des besoins quotidiens, s'écrier avec une foi profonde : « Que notre classe soit crucifiée, que notre race périsse, mais que les principes éternels restent immaculés ! » Comme de pieux chrétiens, ils doivent croire en la parole du curé et mépriser les biens de ce monde pour ne penser qu'à gagner le paradis (lisez, au lieu de paradis, la liquidation sociale qui, un beau jour, doit avoir lieu dans un coin du monde ‑ personne ne sachant qui la réalisera, ni comme elle se réalisera ‑, et la mystification est en tout et pour tout identique).

Dans l'attente de la fameuse liquidation sociale, la classe ouvrière doit se comporter avec décence, comme un troupeau de moutons gras et bien nourris; elle doit laisser le gouvernement en paix, craindre la police, respecter les lois et servir de chair à canon sans se plaindre.

Dans la vie pratique de tous les jours, les ouvriers doivent être les serviteurs les plus obéissants de l'État. Néanmoins, dans leur for intérieur, ils doivent protester avec la dernière énergie contre son existence et lui attester le profond mépris qu'ils ressentent pour lui en achetant et en lisant des brochures qui traitent de l'abolition de l'État. Ils doivent se garder d'opposer à l'ordre capitaliste d'autre résistance que leurs déclamations sur la société future dans laquelle cet ordre maudit aura cessé d'exister.

Nul ne contestera que si les apôtres de l'indifférence politique s'étaient exprimés de manière aussi claire, la classe ouvrière ne les eût envoyés aussitôt à tous les diables. En effet, elle se serait sentie insultée par des bourgeois doctrinaires et des aristocrates déchus, assez sots et ingénus pour lui interdire tout moyen réel de lutte, alors qu'elle doit prendre dans l'actuelle société même toutes les armes pour son combat, les conditions fatales de lutte ayant le malheur de ne pas cadrer avec les rêveries d'idéologues que nos docteurs en science sociale ont exaltées, jusqu'au séjour des béatitudes, sous le nom de Liberté, Autonomie et Anarchie.

D'ores et déjà, le mouvement de la classe ouvrière est si puissant que ces sectaires philanthropes n'ont plus le courage de répéter pour la lutte économique les grandes vérités qu'ils ne cessent de proclamer sur le plan politique. Ils sont trop pusillanimes pour les appliquer aux grèves, aux coalitions, aux syndicats, aux lois réglementant le travail des femmes et des enfants ou limitant la journée de travail, etc.

Voyons maintenant dans quelle mesure ils peuvent en appeler aux vieilles traditions, à l'honneur, à la probité et aux principes éternels.

À une époque où les rapports sociaux n'étaient pas encore assez développés pour permettre à la classe ouvrière de se constituer en parti politique, les premiers socialistes (Fourier, Owen, Saint-Simon, etc.) ont dû fatalement se borner, à imaginer une société modèle de l'avenir, et condamner toutes les tentatives entreprises par les ouvriers en vue améliorer leur situation actuelle : grèves, coalitions, actions politiques[25]. Même s'il ne nous est pas permis de renier ces patriarches du socialisme, comme il n'est pas permis aux chimistes de renier leurs pères, les alchimistes, nous devons nous garder de retomber dans les erreurs qu'ils ont commises et que nous serions impardonnables de renouveler.

Toutefois, très vite ‑ en 1839 ‑, lorsque la lutte politique et économique de la classe ouvrière prit un caractère déjà tranché en Angleterre, Bray ‑ l'un des disciples d'Owen et l'un de ceux qui, bien avant Proudhon, avaient découvert le mutualisme ‑ publia un livre : Labour's Wrongs and Labour's Remedy (« Les Maux du travail et les remèdes du travail »).

Dans l'un des chapitres sur l'inefficacité de tous les remèdes que l'on veut obtenir par la lutte actuelle, il fit une amère critique de toutes les agitations économiques aussi bien que politiques de la classe ouvrière anglaise. Il condamna l'agitation politique, les grèves, la limitation des heures de travail, la réglementation du travail des femmes et des enfants dans les fabriques, parce que tout cela ‑ à ses yeux ‑, au lieu de faire sortir des conditions actuelles de la société, nous y entraîne et en rend les antagonismes encore plus intenses.

Et maintenant, venons-en à, l'oracle de nos docteurs en science sociale, à Proudhon. Alors que le maître avait le courage de se prononcer avec énergie contre tous les mouvements économiques (grèves, coalitions, etc.) qui étaient contraires aux théories rédemptrices de son mutualisme, il encourageait par ses écrits et son action personnelle la lutte politique de la classe ouvrière[26]. En revanche, ses disciples n'osèrent pas se prononcer ouvertement contre le mouvement. Dès 1847, lorsque apparut la grande œuvre du maître, Système des contradictions économiques ou philosophie de la misère, j'ai réfuté ses sophismes contre le mouvement ouvrier. Toutefois, en 1864, après la loi Ollivier qui accordait aux ouvriers français si chichement le droit de coalition, Proudhon revint à la charge dans son livre De la capacité politique des classes ouvrières, qui fut publié quelques jours après sa mort.

Les attaques du maître plurent tellement à la bourgeoisie que le Times, lors de la grande grève des tailleurs de Londres en 1866, fit à Proudhon l'honneur de le traduire afin de condamner les grévistes par les propres paroles de Proudhon. En voici quelques exemples. Les mineurs de Rives-de-Gier s'étant mis en grève, on fit appel à la troupe pour leur faire entendre raison, et Proudhon de s'écrier : « L'autorité qui fit fusiller les mineurs de Rives-de-Gier se trouvait dans une situation malheureuse. Mais elle agit comme le vieux Brutus qui, partagé entre ses sentiments de père et son devoir de consul, dut sacrifier ses enfants pour sauver la République. Brutus n'hésita pas et la société n'a pas osé le condamner[27]. »

De mémoire de prolétaire on ne se souvient pas qu'un bourgeois ait hésité à sacrifier ses ouvriers pour sauver ses intérêts. Quels Brutus que ces bourgeois !

« Non, il n'existe pas plus un droit de coalition qu'il n'y a un droit d'exaction, de brigandage, de rapine, un droit d'inceste, d'adultère[28]. »

Mais quels sont les principes éternels au nom desquels le maître lance ses abracadabrants anathèmes ?

Premier principe éternel : « Le taux de salaire détermine le prix des marchandises. »

Même ceux qui n'ont aucune notion d'économie politique et ne savent pas que le grand économiste bourgeois Ricardo, dans son livre, Principes d'économie politique, paru en 1817, a réfuté une fois pour toutes cette erreur commune, même ceux-là sont au courant du fait que l'industrie anglaise peut donner à ses produits un prix plus bas que n'importe quel autre pays, bien que les salaire soient relativement plus élevés en Angleterre que dans aucun autre pays d'Europe.

Deuxième principe éternel : « La loi qui autorise les coalitions est tout à fait illégale, anti-économique et est en contradiction avec tout ordre et toute société. » En un mot, « elle s'oppose au droit économique de la libre concurrence ».

Si le maître avait été moins chauvin, il se serait demandé comment il se fait qu'il y a quarante ans déjà on ait promulgué en Angleterre une loi sur les fabriques si contraire aux droits économiques de la libre concurrence, et qu'à mesure que se développe l'industrie, et avec elle la libre concurrence, cette loi destructrice de tout ordre et de toute société s'impose à tous les États bourgeois comme une nécessité inéluctable. Il aurait peut-être découvert que le Droit (avec un grand D) n'existe que dans les manuels d'économie rédigés par ses frères ignorantins de l'économie politique, manuels qui contiennent des perles comme celle-ci : « La propriété est le fruit du travail »... des autres, oublient-ils d'ajouter.

Troisième principe éternel : Sous prétexte d'élever la classe ouvrière au-dessus de sa prétendue infériorité sociale, on va diffamer en bloc toute une classe de citoyens : la classe des patrons, des entrepreneurs, des usiniers et des bourgeois. On portera aux nues la démocratie des travailleurs manuels et on lui demandera sa mésestime et sa haine pour ces alliés indignes de la classe moyenne. À la contrainte légale, on préférera la guerre dans le commerce et l'industrie; à la police d'État, on préférera l'antagonisme des classes[29].

Pour empêcher la classe ouvrière de sortir de la prétendue humiliation sociale, le maître condamne les coalitions qui constituent la classe ouvrière en classe antagoniste face à la respectable catégorie des patrons, des entrepreneurs et des bourgeois qui certes préfèrent, comme Proudhon, la police d'État à l'antagonisme des classes. Pour éviter tout ennui à cette respectable classe, notre bon Proudhon conseille aux ouvriers, en attendant l'avènement de la société mutualiste, le régime de « la liberté ou de la concurrence » qui, malgré « ses graves inconvénients », demeure pourtant e notre unique garantie[30] ».

Le maître prêchait l'indifférence en matière économique pour sauvegarder la liberté ou la concurrence bourgeoise, « notre unique garantie »; les disciples prêchent l'indifférence en matière politique pour sauvegarder la liberté bourgeoise, leur unique garantie. Les premiers chrétiens, qui prêchaient aussi l'indifférence politique, n'en eurent pas moins besoin du bras puissant de l'empereur pour se transformer de persécutés en persécuteurs. Quant aux apôtres modernes de l'indifférence politique, ils ne croient pas que leurs principes éternels leur imposent aussi de renoncer aux biens de ce monde et aux privilèges temporels de la société bourgeoise. Quoi qu'il en soit, il faut bien reconnaître qu'ils supportent, avec un stoïcisme digne des martyrs chrétiens, que les ouvriers endurent des journées de travail de quatorze à seize heures dans les fabriques.

De l'autorité[modifier le wikicode]

Ces derniers temps, certains socialistes ont entrepris une véritable croisade contre ce qu'ils appellent le principe d'autorité[31]. Il leur suffit de dire que tel ou tel acte est autoritaire pour le condamner. On abuse de ce procédé tout à fait sommaire au point qu'il est devenu nécessaire de s'en préoccuper. Autorité, dans le sens où l'on emploie ce terme, signifie soumission de la volonté d'autrui à la nôtre. Mais autorité implique, d'autre part, subordination[32]. Or, comme ces deux termes sonnent mal et que le rapport qu'ils expriment est désagréable pour celui qui est subordonné à l'autre, on s'est demandé s'il n'était pas possible de s'en passer et ‑ dans le cadre des rapports sociaux actuels ‑ de créer un autre état social dans quel l'autorité n'aurait plus d'objet, et disparaîtrait donc.

Voyons ce qu'il en est dans la réalité. Si nous considérons les conditions économiques ‑ industrielles et agraires ‑ qui forment la base de l'actuelle société bourgeoise, nous trouvons qu'elles tendent à substituer l'action combinée des individus à leur action isolée. L'industrie moderne a pris la place des petits ateliers de producteurs isolés, et développe les grandes fabriques et entreprises, dans lesquelles des centaines d'ouvriers surveillent des machines compliquées, mues par la vapeur. Les coches et autres voitures circulant sur les grandes routes ont fait place aux chemins de fer, comme les vaisseaux à rames ou à voiles ont été remplacés par les navires à vapeur. L'agriculture elle-même tombe progressivement sous la domination de la machine et de la vapeur, tandis que lentement, mais inexorablement, les petits paysans cèdent la place aux gros capitalistes qui font cultiver de grandes surfaces par des ouvriers salariés.

Partout, l'action combinée et l'enchaînement d'activités et de procédés dépendant les uns des autres se substituent à l'action indépendante des individus isolés. Mais qui dit action combinée dit aussi organisation. Or, est-il possible d'avoir une organisation sans autorité ?

Supposons qu'une révolution sociale ait détrôné les capitalistes, dont l'autorité préside aujourd'hui à la production et à la circulation des richesses. Supposons, pour nous placer entièrement au point de vue des anti-autoritaires, que la terre et les instruments de travail soient devenus propriété collective des travailleurs qui les emploient. L'autorité aura-t-elle disparu, ou bien n'aura-t-elle fait que changer de forme ? C'est ce que nous allons voir.

Prenons comme exemple une filature de coton. Pour que le coton se transforme en fil, il doit subir au moins six opérations successives et différentes qui, la plupart du temps, s'effectuent dans des locaux différents. En outre, il faut un ingénieur pour tenir les machines en marche et les surveiller, des mécaniciens, chargés des réparations courantes, et un grand nombre d'ouvriers pour le transport des produits d'un atelier à l'autre, etc. Tous ces travailleurs ‑ hommes, femmes et enfants ‑ sont obligés de commencer et de finir leur travail à des heures déterminées par l'autorité de la vapeur qui n'a cure de l'autonomie des individus.

Il est donc indispensable, dès le principe, que les ouvriers s'entendent sur les heures de travail et, celles-ci étant fixées, s'y conforment tous sans exception. Ensuite, à tout moment et partout, se posent des questions de détail sur les procédés de fabrication, la répartition du matériel, etc., qu'il faut résoudre sur l'heure sous peine de voir s'arrêter aussitôt toute la production. Qu'elles soient réglées par un délégué qui est à la tête de chaque secteur d'activité ou par une décision de la majorité, si c'est possible, il n'en demeure pas moins que la volonté de chacun devra s'y soumettre. Autrement dit, les questions seront résolues par voie autoritaire.

Le machinisme automatisé d'une grande fabrique est beaucoup plus tyrannique que ne l'ont été les petits capitalistes qui emploient les ouvriers[33]. Du moins en ce qui concerne les heures de travail, on peut écrire sur la porte de ces fabriques : Lasciate ogni autonomia, voi ch'entrate ! (« Renoncez à toute autonomie, vous qui entrez[34] ! ») Si l'homme, avec la science et son génie inventif, s'est soumis les forces de la nature, celles-ci se sont vengées en le soumettant à son tour, lui qui les exploite, à un véritable despotisme, absolument indépendant de tout état social. Vouloir abolir l'autorité dans la grande industrie, c'est vouloir supprimer l'industrie elle-même. C'est détruire la filature à vapeur pour en revenir à la quenouille.

Prenons un autre exemple, celui du chemin de fer. Ici, la coopération d'un grand nombre d'individus est absolument indispensable, coopération qui doit avoir lieu à des heures précises pour qu'il n'y ait pas d'accidents. Ici encore, la première condition de toute l'entreprise est une volonté supérieure qui commande toute question subordonnée, et cela est vrai dans l'hypothèse où elle est représentée par un délégué aussi bien que dans celle où un comité est élu pour exécuter les décisions de la majorité des intéressés. En effet, dans un cas comme dans l'autre, on a affaire à une autorité bien tranchée. Bien plus, qu'adviendrait-il du premier train si l'on abolissait l'autorité des employés de chemin de fer sur messieurs les voyageurs ?

Nulle part la nécessité de l'autorité et d'une autorité absolue n'est plus impérieuse que sur un navire en pleine mer. Là, à l'heure du péril, la vie de tous dépend de l'obéissance instantanée et fidèle de tous à la volonté d'un seul.

À chaque fois que je présente ces arguments aux anti-autoritaires les plus enragés, ils ne savent faire qu'une seule réponse : « Bah ! c'est exact, mais il ne s'agit pas là d'une autorité que nous conférons à un délégué, mais d'une fonction ! » Ces messieurs croient avoir changé les choses quand ils en ont changé le nom. C'est se moquer tout simplement du monde.

Quoi qu'il en soit, nous avons vu que, d'une part, une certaine autorité (peu importe comment elle est déléguée) et, d'autre part, une certaine subordination s'imposent à nous, indépendamment de toute organisation sociale, de par les conditions matérielles dans lesquelles nous produisons et faisons circuler les produits.

Nous avons vu, en outre, que les conditions matérielles de la production et de la circulation s'entrelacent fatalement toujours davantage avec la grande industrie et l'agriculture moderne, de sorte que le champ d'action de cette autorité s'étend chaque jour un peu plus. Il est donc absurde de parler de l'autorité comme d'un principe absolument mauvais, et de l'autonomie comme d'un principe parfaitement bon.

L'autorité et l'autonomie sont des notions relatives, et leur importance varie selon les diverses phases de l'évolution sociale.

Si les autonomistes se contentaient de dire que l'organisation sociale de l'avenir ne tolérera l'autorité que dans les limites qui lui sont tracées par les conditions mêmes de la production, nous pourrions nous entendre avec eux.

Cependant, ils sont aveugles pour tous les faits qui rendent l'autorité nécessaire, et ils partent en guerre contre cette notion.

Pourquoi les anti-autoritaires ne se bornent-ils pas à crier contre l'autorité politique, l'État ? Tous les socialistes sont d'accord sur le fait que l'État politique et, avec lui, l'autorité politique disparaîtront à la suite de la révolution sociale future, autrement dit que les fonctions publiques perdront leur caractère politique et se transformeront en simples administrations veillant aux véritables intérêts sociaux. Mais les anti-autoritaires demandent que l'État politique autoritaire soit aboli d'un seul coup, avant même que ne soient supprimées les conditions sociales qui l'ont fait naître. Ils réclament que le premier acte de la révolution sociale soit l'abolition de l'autorité.

Ont-ils jamais vu une révolution, ces messieurs ?

Une révolution est certainement la chose la plus autoritaire qui soit, c'est l'acte par lequel une fraction de la population impose sa volonté à l'autre au moyen de fusils, de baïonnettes et de canons, moyens autoritaires s'il en est; et le parti victorieux, s'il ne veut pas avoir combattu en vain, doit continuer à dominer avec la terreur que ses armes inspirent aux réactionnaires. La Commune de Paris eût-elle pu se maintenir un seul jour si elle n'avait pas usé de l'autorité d'un peuple en armes contre la bourgeoisie ? Ne faut-il pas, au contraire, la critiquer de ce qu'elle ait fait trop peu usage de son autorité ?

Donc, de deux choses l'une : ou bien les anti-autoritaires ne savent pas ce qu'ils disent et, dans ce cas, ils ne font que semer la confusion, ou bien ils le savent et, dans ce cas, ils trahissent la cause du prolétariat. De toute façon, ils servent la réaction.

Le Congrès de Sonvilier et l'Internationale[modifier le wikicode]

Point n'est besoin d'épiloguer sur la situation présente de l'Association des travailleurs[35]. D'une part, les grandioses événements de Paris lui ont donné une puissance et une extension qu'elle n'avait jamais eu auparavant; de l'autre, nous trouvons coalisés contre elle à peu près tous les gouvernements européens. Thiers et Gortchakoff, Bismarck et Benst, Victor-Emmanuel et le pape, l'Espagne et la Belgique. Toute la meute est lâchée sur l'Internationale. Toutes les puissances du vieux monde, cours martiales et cours d'assises, bourgeois et hobereaux, rivalisent d'ardeur à la curée et, sur l'ensemble du continent, on ne trouvera guère de lieu où l'on n'ait pas tout tenté pour mettre hors la loi la grande fraternité ouvrière, cause de toutes les terreurs.

Au moment où les puissances de l'ancienne société provoquent une fatale désorganisation générale, où l'unité et la cohésion sont plus nécessaires que jamais, c'est précisément ce moment que choisit, pour jeter un brandon de discorde sous forme d'une circulaire publique, un petit groupe d'Internationaux, dont le nombre, dans un coin perdu de Suisse, rétrécit de leur propre aveu tous les jours. Ces gens ‑ s'intitulant Fédération du Jura ‑ sont pour la plupart ceux-là mêmes qui, sous la conduite de Bakounine, se sont depuis plus de deux ans appliqués sans relâche à saper l'unité en Suisse romande et à compromettre la coopération au sein de l'Internationale par le moyen d'une intense correspondance privée avec quelques illustres de leurs affidés dans divers pays. Tant que ces intrigues se limitaient à la Suisse, ou se tramaient en silence, nous n'avons pas voulu lui accorder davantage de publicité. Mais cette circulaire nous force à parler.

Le 12 novembre, lors de son Congrès de Sonvilier, la fédération du Jura, s'appuyant sur le fait que le Conseil général n'avait pas convoqué cette année de congrès, mais seulement une conférence, a décidé d'adresser une circulaire à toutes les sections adhérentes à l'Internationale. Imprimée à grand tirage, elle fut lancée aux quatre coins du monde, afin d'inviter les autres sections à réclamer la convocation immédiate d'un congrès. Pour nous, du moins en Allemagne et en Autriche, les raisons sont évidentes pour lesquelles le congrès devait être remplacé par une conférence. Nous ne pouvions pas nous réunir en congrès sans qu'au retour nos délégués ne fussent immédiatement appréhendés et mis à l'ombre. Les délégués d'Espagne, d'Italie et de France se seraient trouvés dans le même cas. En revanche, une conférence, dont les débats ne sont pas publics et se limitent à des questions administratives, était parfaitement possible, le nom des participants n'étant pas divulgué. Une telle conférence présentait, certes, l'inconvénient de ne pouvoir ni trancher la question de principe, ni modifier les statuts, ni, plus généralement, décider d'actes relatifs à la juridiction. Elle devait se borner à des décisions administratives en vue d'un meilleur fonctionnement de l'organisation telle qu'elle avait été établie par les statuts et les résolutions des congrès. Toutefois, la situation exigeait des mesures d'urgence; il s'agissait de faire face à une crise momentanée, et une conférence y suffisait.

Les attaques contre la conférence n'étaient cependant qu'un prétexte. La circulaire n'en parle d'ailleurs qu'incidemment. Au contraire, elle assure même que le mal est plus profond. Elle affirme que, selon les statuts et les premières résolutions des congrès, l'Internationale n'est rien d'autre qu'une « libre fédération de sections autonomes », dont le but est l'émancipation des travailleurs par les travailleurs eux-mêmes, « en dehors de toute autorité dirigeante même si elle émane du libre consentement de tous ». En conséquence, le Conseil général ne devrait être qu'un « simple bureau de statistique et de correspondance ». Cette base initiale aurait été aussitôt faussée, d'abord par le droit accordé au Conseil général de décider lui-même de l'admission de nouveaux membres, et plus encore par les résolutions du Congrès de Bâle, accordant au Conseil général le droit de suspendre toute section jusqu'au prochain congrès et de régler provisoirement les différends jusqu'à ce que ce congrès se soit prononcé. Le Conseil général se trouverait ainsi investi d'une dangereuse puissance. La libre association de sections autonomes serait transformée en une organisation hiérarchique et autoritaire de « sections disciplinées », les sections étant « placées entièrement sous la main du Conseil général qui peut, à son gré, refuser leur admission ou bien suspendre leurs activités ».

Nos lecteurs allemands savent trop bien la valeur d'une organisation capable de se défendre pour ne pas trouver tout cela fort surprenant. D'autant que les théories pleinement épanouies de Monsieur Bakounine n'ont pas encore pénétré en Allemagne. Une société ouvrière qui a inscrit sur ses drapeaux et pris pour devise la lutte pour l'émancipation de la classe des travailleurs devrait avoir à sa tête non pas un comité exécutif, mais un simple bureau de statistique et de correspondance ! En fait, la lutte pour l'émancipation de la classe ouvrière n'est qu'un simple prétexte pour Bakounine et ses compagnons; le but véritable est tout autre.

« La société future ne doit être rien d'autre que l'universalisation de l'organisation que l'Internationale se sera donnée. Nous devons avoir soin de rapprocher le plus possible cette organisation de notre idéal... L'Internationale, embryon de la société future de l'humanité, est tenue d'être, dès maintenant, l'image fidèle de nos principes de liberté et de fédération, et de rejeter de son sein tout principe tendant à l'autorité et à la dictature. »

À nous autres Allemands, on nous reproche notre mysticisme; mais nous n'atteignons pas, et de loin, à celui qu'on vient de voir. L'Internationale, embryon d'une société future, dont seraient exclus les fusillades de Versailles, les cours martiales, les armées permanentes, la censure du courrier, le procès criminel de Brunswick ! Nous défendons aujourd'hui notre peau par tous les moyens; le prolétariat, lui, devrait s'organiser non pas d'après les nécessités de la lutte qui lui est imposée chaque jour, à chaque heure, mais d'après la vague représentation que certains esprits chimériques se font d'une société de l'avenir ! Voyons donc ce qu'il en serait de notre propre organisation allemande si elle était taillée sur ce patron. Loin de combattre les gouvernements et la bourgeoisie, nous spéculerions tant et plus afin de savoir si chaque article de nos statuts, chaque résolution de nos congrès, est ou non un fidèle reflet de la société future.

Aux lieu et place de notre comité exécutif, nous aurions un simple bureau de statistique et de correspondance, qui ne saurait comment venir à bout des sections autonomes, autonomes au point qu'elles n'auraient jamais à reconnaître l'autorité dirigeante, née de leur propre consentement ! Car elles manqueraient, ce faisant, à leur premier devoir : être avant tout un embryon de la société future. Pas question de rassembler des forces, pas question d'action en commun ! Si, dans une section quelconque, la minorité s'adaptait à la majorité, elle commettrait là un crime contre les principes de la liberté et endosserait un principe conduisant à l'autorité et à la dictature ! Si Stieber et tous les siens, si tout le Cabinet noir, si l'ensemble des officiers prussiens entraient sur ordre dans l'organisation social-démocrate afin de la ruiner, le comité ‑ ou mieux le bureau de statistique et de correspondance ‑ ne devrait surtout pas défendre son existence, car ce serait instituer un type d'organisation hiérarchique et autoritaire! Et surtout pas de sections disciplinées ! Surtout pas de discipline de parti, pas de concentration des forces sur un objectif, surtout pas d'armes de combat ! Qu'en serait-il autrement de l'embryon de société future ? Bref, où en arriverions-nous avec cette organisation nouvelle ? À l'organisation lâche et soumise des premiers chrétiens, celle des esclaves qui acceptaient et remerciaient pour chaque coup de pied reçu, et n'obtinrent la victoire de leur religion qu'après trois siècles de bassesses ‑ une méthode révolutionnaire qu'en vérité le prolétariat n'imitera pas ! Les premiers chrétiens tiraient de leur représentation du ciel le modèle de leur organisation; nous devrions à l'instar prendre pour modèle le ciel social de l'avenir dont Monsieur Bakounine nous propose l'image; au lieu de combattre, prier et espérer. Et les gens qui nous prêchent ces folies se donnent pour les seuls révolutionnaires véritables.

Pour en revenir maintenant à l'Internationale, il n'y a rien qui presse. Le Conseil général a le devoir d'exécuter les résolutions du Congrès de Bâle jusqu'à ce qu'un nouveau congrès en adopte d'autres; ce devoir, il l'accomplira ! Le Conseil général n'a pas craint d'expulser les Tolain et les Durand, il saura faire en sorte que tout accès à l'Internationale demeure interdit aux Stieber et consorts, même si Monsieur Bakounine devait trouver cette mesure dictatoriale.

Mais comment en est-on venu à prendre ces fâcheuses résolutions de Bâle ? Très simplement. Elles furent proposées par les délégués belges et n'eurent pas d'avocat plus chaleureux que Bakounine et ses amis, et notamment Schwitzguebel et Guillaume ‑ les signataires de la présente circulaire. Les choses étaient alors différentes, certes. Ces messieurs espéraient alors obtenir la majorité et voir passer entre leurs mains le Conseil général ! Dès lors, ils ont tout fait pour renforcer ses pouvoirs. Et à présent ? Eh bien, tout est changé, et voilà que les raisins sont amers. Le Conseil général doit être réduit aux dimensions d'un simple bureau de statistique et de correspondance, afin de ne pas avoir à blesser la pudeur de la société future de Bakounine !

Ces gens, qui sont des sectaires professionnels, ne forment, avec leur doctrine de christianisme primitif et mystique, qu'une minorité insignifiante dans l'Internationale. Ils ont le front de reprocher aux membres du Conseil général de vouloir « faire prédominer dans l'Internationale leur programme particulier, leur doctrine personnelle; ils tiennent leurs idées particulières pour la théorie officielle qui, seule, a droit de cité dans l'Internationale ». C'est tout de même un peu fort ! Quiconque a eu l'occasion de suivre l'histoire interne de l'Internationale sait que ces mêmes gens se sont, depuis près de trois ans, essentiellement préoccupés de faire reconnaître leur doctrine sectaire comme le programme de l'Association; comme ils n'y sont pas arrivés, ils se sont efforcés de faire passer subrepticement les phrases bakouninistes pour le programme de l'Internationale. Le Conseil général s'est contenté de protester contre ses efforts de substitution, mais il n'a pas contesté jusqu'à présent à leurs auteurs le droit d'appartenir à l'Internationale, non plus celui de diffuser à loisir, telles quelles, leurs calembredaines sectaires. Nous attendons de savoir comment le Conseil général prendra cette nouvelle circulaire.

Ces gens se sont prouvé brillamment à eux-mêmes ce qu'ils étaient capables de faire avec leur nouvelle organisation. Partout où l'Internationale n'a pas rencontré la résistance violente des gouvernements réactionnaires, elle a, depuis la Commune de Paris, progressé à pas de géant. Dans le Jura suisse où ces messieurs ont toutes facilités pour agir depuis un an et demi, que voyons-nous ? Leurs propres rapports au Congrès de Sonvilier vont nous l'apprendre : « Ces événements terribles, qui nous ont en partie démoralisés, devaient exercer en partie également une influence bienfaisante sur nos sections [...]; puis il y a le début du gigantesque combat que le prolétariat doit livrer à la bourgeoisie et, en conséquence, le moment de la réflexion [...]; les uns s'en vont et dissimulent leur lâcheté, les autres n'en adhèrent que plus fermement aux principes rénovateurs de l'Internationale. Tel est le fait dominant dans l'histoire actuelle de l'Internationale en général, et de notre fédération en particulier. » (La Révolution sociale de Genève, 23 novembre.)

Voilà bien une nouvelle version de ce qui s'est passé dans l'ensemble de l'Internationale ! En réalité, cela ne concerne que la fédération du Jura. Écoutons un peu ces messieurs. La section de Moutiers a le moins souffert, mais n'en a pas pour autant réalisé quelque chose

« Bien qu'aucune action nouvelle n'ait été fondée, nous dit-on, il faut espérer cependant », etc.; et pourtant cette section était « tout particulièrement favorisée par l'excellent esprit de la population ». La section de Grange est réduite à un petit noyau d'ouvriers ! Deux sections de Brienne n'ont jamais répondu aux lettres du comité; tout aussi peu les sections de Neuchâtel et l'une des sections de Locle. La troisième section de Brienne est « momentanément morte »... bien que « tout espoir de voir revivre l'Internationale à Brienne ne soit pas perdu ». La section de Saint-Blaise est morte, et celle du Val de Raz a disparu, nul ne sait trop comment. La section centrale de Locle, qui s'est désagrégée au cours de longues luttes fratricides, a cependant été remise sur pied non sans mal, dans le but déclaré de participer aux élections du congrès; celle de La Chaux-de-Fonds est dans une situation critique. La section des horlogers de Courtelary est en train de se transformer en coopérative après avoir adopté les statuts de la coopérative suisse des horlogers, c'est-à-dire le statut d'une société non affiliée à l'Internationale. La section centrale du même district a suspendu ses activités, parce que ses membres de Saint-Imier et de Sonvilier s'étaient constitués en sections distinctes (ce qui n'a nullement empêché cette section centrale de se faire représenter au congrès par deux délégués aux côtés de ceux de Saint-Imier et de Sonvilier). La section de Cortébert, après une brillante existence, a dû se dissoudre à la suite des intrigues de la bourgeoisie locale. Il en est de même à Corgémont. À Genève enfin, il ne subsiste plus qu'une section.

Voilà l'œuvre des représentants de la libre fédération des sections autonomes, avec un bureau de statistique et de correspondance à leur tête ! Voilà ce qu'en un an et demi ils ont fait d'une fédération ni étendue ni nombreuse certes, mais encore florissante. Et cela dans un pays où ils ont toute liberté d'action, alors que, partout ailleurs, l'Internationale faisait des progrès de géant. Au moment même où ils nous présentent le lamentable tableau de leur échec et où ils lancent ce cri d'angoisse provoqué par leur situation désespérée et ruineuse, ils se présentent devant nous avec la prétention d'arracher l'Internationale à la voie qu'elle a suivie jusqu'ici et qui l'a fait devenir ce qu'elle est, pour l'engager dans la voie qui a fait dégringoler la fédération du Jura de son état de relative prospérité à sa dissolution complète.

Résolutions du Conseil général sur la scission dans la fédération des États-Unis adoptées les 5 et 12 mars 1872[modifier le wikicode]

I. Les deux conseils fédéraux[modifier le wikicode]

Article 1. Considérant

Que les conseils centraux ne sont instaurés que dans le but d'assurer dans tous les pays la puissance de l'union et de la combinaison au mouvement ouvrier (art. 7 des statuts);

Qu'en conséquence l'existence de deux conseils centraux rivaux pour une même fédération est une infraction caractérisée des statuts généraux[36], le Conseil général invite les deux conseils fédéraux provisoires de New York à s'unir de nouveau et à agir comme un seul et même conseil fédéral provisoire jusqu'à la réunion d'un congrès général.

Art. 2. ‑ Considérant que l'efficacité du conseil fédéral provisoire serait grandement diminuée s'il contenait trop de membres qui viennent à peine d'adhérer à l'Association internationale des travailleurs,

le Conseil général recommande que les sections nouvellement créées et numériquement faibles se combinent entre elles afin de nommer quelques délégués communs, peu nombreux.

II. Congrès général de la fédération des États-Unis[modifier le wikicode]

Article 1. ‑ Le Conseil général recommande la convocation pour le 1° juillet 1872 d'un congrès général des délégués de sections et des sociétés affiliées des États-Unis.

Art. 2. ‑ Il appartiendra à ce congrès de nommer un conseil fédéral pour les États-Unis. Il peut, s'il le juge opportun, charger le conseil fédéral ainsi nommé de s'adjoindre un nombre limité de membres.

Art. 3. ‑ Ce congrès a seul pouvoir de déterminer les statuts et règlements locaux pour l'organisation de l'Association internationale des travailleurs, mais ceux-ci ne doivent rien contenir qui soit contraire aux statuts et règlements de l'Association (cf. règlement administratif V, 1).

III. Sections[modifier le wikicode]

Article 1. ‑ Considérant

Que la section no 12 de New York a non seulement pris une résolution formelle par laquelle « chaque section possède un droit indépendant » d'interpréter à son gré « les résolutions des divers congrès ainsi que les statuts et règlements », mais a encore agi en conformité totale avec ce principe qui, s'il était adopté par tous, ne laisserait plus subsister de l'Internationale que le nom;

Que cette même section n'a cessé de faire de l'Internationale des travailleurs son instrument pour réaliser ses propres fins, qui ou bien sont étrangères aux buts et devoirs de l'Association internationale des travailleurs, ou bien lui sont opposées,

pour ces raisons :

le Conseil général considère qu'il est de son devoir d'appliquer la résolution administrative VI du Congrès de Bâle, et de suspendre la section no 12 jusqu'à la réunion du prochain congrès général de l'A.I.T. qui se tiendra en septembre 1872.

Art. 2. ‑ Considérant

Que l'Association internationale des travailleurs, d'après ses statuts, se compose exclusivement de « sociétés ouvrières » (cf. art. 1, 7 et 11 des statuts);

Qu'en conséquence de l'article 9 des statuts, selon lequel « quiconque adopte et défend les principes de l'Association internationale des travailleurs peut en être reçu membre », s'il est possible à des adhérents actifs de l'Internationale qui ne sont pas des travailleurs d'en être membres à titre individuel ou à titre de sections ouvrières, il n'en résulte en aucun cas qu'il soit légitime de fonder des sections qui soient composées exclusivement ou principalement de membres n'appartenant pas à la classe ouvrière;

Que cette même raison a empêché il y a quelques mois de reconnaître une section slave composée exclusivement d'étudiants[37];

Qu'en accord avec les statuts V, 1, les statuts et les règlements doivent être adaptés « aux circonstances locales de chaque pays »;

Que les conditions sociales des États-Unis, si elles sont en de nombreux points extrêmement favorables au mouvement ouvrier, facilitent particulièrement l'intrusion dans l'Internationale de pseudo-réformateurs, de charlatans bourgeois et de trafiquants politiques,

pour ces raisons :

le Conseil général recommande qu'à l'avenir on n'admette pas de nouvelles sections qui ne regroupent au moins pour les deux tiers des travailleurs salariés.

Art. 3. ‑ Le Conseil général attire l'attention de la fédération américaine sur la résolution II, 3 de la Conférence de Londres ayant trait aux « sections sectaires » ou « corps séparatistes », qui prétendent « accomplir des missions et tâches particulières », distinctes de celles du but commun de l'Association, qui est de « libérer le travailleur de l'assujettissement économique des détenteurs des moyens du travail », assujettissement « qui est la cause première de la servitude sous toutes ses formes la misère sociale, l'avilissement intellectuel et la dépendance politique » (cf. le préambule des statuts).

Rapport fait au Congrès de La Haye au nom du Conseil général sur l'Alliance de la démocratie socialiste[modifier le wikicode]

L'Alliance de la démocratie socialiste fut fondée par M. Bakounine vers la fin de l'année 1868. C'était une société internationale prétendant fonctionner, en même temps, en dehors et en dedans de l'Association internationale des travailleurs[38]. Se composant de membres de cette dernière qui réclamaient le droit de participer à toutes les réunions internationales, elle voulait cependant se réserver d'avoir ses groupes locaux, ses fédérations nationales, ses congrès particuliers à côté de ceux de l'Internationale. En d'autres termes, l'Alliance prétendait dès le début former une sorte d'aristocratie au sein de notre association, un corps d'élite avec un programme à elle et avec ses privilèges particuliers.

Notre circulaire sur Les Prétendues scissions dans l'Internationale (pages 7 à 9, pièces justificatives n° 1) reproduit la correspondance qui eut lieu à ce moment entre le comité central de l'Alliance et notre Conseil général. Celui-ci refusa d'admettre l'Alliance tant qu'elle conserverait son caractère international distinct; il ne promit de l'admettre qu'à la condition qu'elle dissoudrait son organisation internationale particulière, que ses sections se convertiraient en simples sections de notre association, et que le Conseil serait informé du lieu et des effectifs numériques de chaque section nouvelle.

Voici ce que répondit, à ces demandes, le 22 juin 1869, le comité central de l'Alliance qui, à cette occasion, changeait de nom et prit celui de section de l'Alliance de la démocratie socialiste de Genève :

« Conformément à ce qui a été convenu entre votre Conseil et le comité central de l'Alliance de la démocratie socialiste, nous avons soumis aux différents groupes de l'Alliance la question de sa dissolution comme organisation distincte de celle de l'Association internationale des travailleurs... Nous avons le plaisir de vous annoncer que la grande majorité des groupes a partagé l'avis du comité central tendant à prononcer la dissolution de l'Alliance internationale de la démocratie socialiste. Aujourd'hui, cette dissolution est prononcée. En notifiant cette décision aux différents groupes de l'Alliance, nous les avons invités à se constituer, à notre exemple, en sections de l'A.I.T., et à se faire reconnaître comme telles par vous ou par le conseil fédéral de cette association dans leurs pays respectifs. Comme confirmation de la lettre que vous avez adressée à l'ex-comité de l'Alliance, nous venons aujourd'hui, en vous soumettant les statuts de notre section, vous prier de la reconnaître officiellement comme branche de l'Association internationale des travailleurs. » (Signé : le secrétaire provisoire C. Perron; pièces justificatives no 2.)

L'exemplaire des statuts de l'Alliance se trouve aux pièces justificatives no 3.

La section de Genève resta la seule qui demandait son affiliation. On n'entendit plus parler des autres prétendues sections de l'Alliance. Cependant, en dépit des intrigues continuelles des alliancistes tendant à imposer leur programme spécial à toute l'Internationale, et à s'assurer la direction de notre association, on devait croire qu'elle avait tenu sa parole, et qu'elle s'était dissoute. Mais, au mois de mai dernier, le Conseil général reçut des indications assez précises, dont il dut conclure que l'Alliance ne s'était jamais dissoute; qu'en dépit de la parole solennellement donnée elle avait existé et existait toujours sous forme de société secrète, et qu'elle usait de cette organisation clandestine pour poursuivre toujours son but original de domination. C'est surtout en Espagne que son existence devint de plus en plus manifeste, par suite des divisions au sein même de l'Alliance, dont nous tracerons plus loin l'historique.

Il suffit ici de dire que d'abord une circulaire des membres de l'ancien conseil fédéral de ce pays, membres en même temps du comité central de l'Alliance en Espagne (voir le n° 61, p. 3, col. 2 de l'Émancipation; pièces justificatives n° 4), en dévoila l'existence[39]. Cette circulaire est datée du 2 juin 1872, et annonce à toutes les sections de l'Alliance en Espagne que les signataires venaient de se dissoudre comme section de l'Alliance et invitèrent les autres à suivre leur exemple. Elle fut publiée dans l'Émancipation (n° 59, pièce justificative n° 5).

Cette publication força le journal de l'Alliance, la Federacion de Barcelone (n° 155, 4 août 1872), à publier lui-même les statuts de l'Alliance (pièces justificatives n° 6).

En comparant les statuts de la société secrète avec les statuts soumis par l'Alliance de Genève au Conseil général, nous trouvons d'abord que le programme en tête de la première est identique à celui en tête de l'autre. Il n'y a que de légers changements de rédaction, de sorte que le programme particulier de Bakounine apparaît clairement dans les statuts secrets.

En voici le tableau exact :

L'article 1 de Genève est littéralement identique à l'article 5 secret.

L'article 2 de Genève est généralement identique à l'article 1 secret.

L'article 3 de Genève est littéralement identique à l'article 2 secret.

Les articles 4 et 5 de Genève sont généralement identiques à l'article 3 secret.

L'article 6 de Genève est généralement identique à l'article 4 secret.

Les statuts secrets eux-mêmes sont basés sur ceux de Genève. Ainsi l'article 4 secret correspond littéralement à l'article 3 de Genève; les articles 8 et 9 de Genève se trouvent, en bref, dans l'article 10 secret, comme les articles 15-20 de Genève dans l'article 3 secret.

L'article 7 de Genève, contrairement à la pratique actuelle des alliancistes, prêche « la forte organisation » de l'Internationale, et oblige tous les membres de l'Alliance à « soutenir... les résolutions des congrès et le pouvoir du Conseil général ». Cet article ne se trouve pas dans les statuts secrets, mais la preuve qu'il y a figuré, au commencement, c'est qu'il se retrouve presque littéralement dans l'article 15 du règlement de la section madrilène qui combine diverses professions (pièces justificatives n° 7).

Il est donc manifeste que nous avons affaire non à deux sociétés différentes, mais à une seule et même société. Alors que le comité central de Genève donna au Conseil général l'assurance que l'Alliance était dissoute; et que, sur la foi de cette déclaration, il fut reçu comme section de l'Internationale, les meneurs de ce comité central, Monsieur Bakounine à leur tête, renforcèrent l'organisation de cette Alliance en la transformant en société secrète, et en lui conservant le caractère international qu'on avait promis d'abandonner. La bonne foi du Conseil général et de toute l'Internationale, à laquelle la correspondance avait été soumise, fut indignement trompée. Après avoir débuté par un mensonge pareil, ces hommes n'avaient plus de raison de se gêner dans leurs machinations pour se soumettre l'Internationale ou, en cas d'échec, pour la désorganiser.

Voici maintenant les articles principaux des statuts secrets :

1. L'Alliance de la démocratie socialiste se composera de membres de l'Association internationale des travailleurs, et aura pour but la propagande et le développement des principes de son programme, et l'étude de tous les moyens propres à avancer l'émancipation directe et immédiate de la classe ouvrière.

2. Pour obtenir les meilleurs résultats possibles et pour ne pas compromettre la marche de l'organisation sociale, l'Alliance sera éminemment secrète.

4. Personne ne pourra être admis comme membre sans avoir auparavant accepté complètement et sincèrement les principes du programme, etc.

5. L'Alliance influera tant qu'elle pourra au sein de la fédération ouvrière locale, de sorte qu'elle ne prenne pas une marche réactionnaire ou antirévolutionnaire.

6. La majorité des associés pourra exclure de l'Alliance chacun de ses membres sans indication de cause.

L'Alliance est donc une société secrète, formée au sein même de l'Internationale avec un programme spécial qui n'est pas du tout celui de l'Internationale, et ayant pour but la propagande de ce programme qu'elle considère comme seul révolutionnaire. Elle impose à ses membres le devoir d'agir au sein de leur fédération locale internationale de manière que cette dernière ne prenne pas une marche réactionnaire ou antirévolutionnaire, c'est-à-dire qu'elle ne s'éloigne aucunement du programme de l'Alliance. En d'autres termes, l'Alliance a pour but d'imposer, au moyen de son organisation secrète, son programme sectaire à toute l'Internationale. Le moyen le plus efficace d'y arriver, c'est de s'emparer des conseils locaux et fédéraux et du Conseil général, en y faisant élire, usant de la puissance donnée par l'organisation clandestine, des membres de l'Alliance. C'est précisément ce qu'a fait l'Alliance là où elle a cru avoir des chances de succès : nous verrons cela plus tard.

Il est clair que personne ne saurait en vouloir aux alliancistes de faire de la propagande pour leur programme. L'Internationale se compose de socialistes des nuances les plus variées, et son programme est assez ample pour les comprendre toutes. La secte bakouniniste y a été reçue aux mêmes conditions que les autres. Ce qu'on lui reproche, c'est précisément d'avoir violé ces conditions.

Quant au caractère secret de l'Alliance, c'est déjà autre chose. L'Internationale ne peut ignorer que les sociétés secrètes sont en beaucoup de pays, en Pologne, en France, en Irlande, un moyen légitime de défense contre le terrorisme gouvernemental. Mais elle a déclaré, à la Conférence de Londres, qu'elle veut rester complètement étrangère à ces sociétés, et que, par conséquent, elle ne les reconnaîtra pas comme sections. Et, ce qui est le point capital, nous nous trouvons ici en face d'une société créée pour combattre non les gouvernements, mais l'Internationale elle-même.

L'organisation d'une pareille société est une violation flagrante non seulement de l'engagement contracté envers l'Internationale, mais aussi de la lettre et de l'esprit de nos statuts et règlements généraux. Nos statuts ne connaissent qu'une seule espèce de membres de l'Internationale avec droits et devoirs égaux; l'Alliance les divise en deux castes, initiés et profanes, aristocrates et plébéiens, ces derniers étant destinés à être menés par les premiers, au moyen d'une organisation dont ils ignorent jusqu'à l'existence.

L'Internationale demande à ses adhérents de reconnaître pour base de leur conduite la vérité, la justice et la morale; l'Alliance impose à ses adeptes comme premier devoir le mensonge, la dissimulation et l'imposture, en leur prescrivant de tromper les Internationaux profanes sur l'existence de l'organisation clandestine, sur les motifs et sur le but même de leurs paroles et de leurs actions. Les fondateurs de l'Alliance savaient parfaitement que la grande masse des Internationaux profanes ne se soumettrait jamais sciemment à une organisation comme la leur, sitôt qu'ils en auraient connu l'existence. C'est pourquoi ils la firent « éminemment secrète ». Car il faut bien observer que le caractère secret de cette Alliance n'a pas pour objet de tromper la vigilance des gouvernements, car autrement on n'aurait pas débuté par sa constitution comme société publique; ce caractère secret était uniquement destiné à tromper l'Internationale profane, comme le prouve la manœuvre indigne dont l'Alliance a fait usage vis-à-vis du Conseil général. Il s'agit donc d'une véritable conspiration contre l'Internationale.

Pour la première fois dans l'histoire des luttes de la classe ouvrière, nous rencontrons une conspiration secrète ourdie au sein même de cette classe et destinée à miner non pas le régime exploiteur existant, mais l'Association même qui le combat le plus énergiquement.

Du reste, il serait ridicule de prétendre qu'une société se soit faite secrète pour se sauvegarder contre les poursuites des gouvernements actuels, étant donné que cette société prêche partout la doctrine dévirilisante de l'abstention absolue en matière politique, et déclare dans son programme (art. 3, préambule aux statuts secrets) qu'elle « repousse toute action révolutionnaire qui n'aurait pas pour objet immédiat et direct le triomphe de la cause des ouvriers contre le capital ».

Considérons maintenant quelle a été l'action de cette société secrète dans l'Internationale.

La réponse à cette question se trouve déjà, en partie, dans la circulaire privée du Conseil général sur Les Prétendues Scissions. Mais comme le Conseil général ne connaissait pas encore à ce moment-là l'étendue de l'organisation secrète, et comme, depuis, il s'est passé bien des faits importants, cette réponse ne pouvait être que fort incomplète.

Constatons d'abord qu'il y a eu deux phases bien distinctes dans l'action de l'Alliance. Dans la première, elle croyait pouvoir s'emparer du Conseil général et, ce faisant, de la direction suprême de notre association. C'était alors qu'elle demanda à ses adhérents de soutenir la « forte organisation » de l'Internationale et « le pouvoir du Conseil général d'abord, aussi bien que celui du conseil fédéral et du comité central ». C'est dans ces conditions que les alliancistes ont demandé au Congrès de Bâle tous ces pouvoirs étendus pour le Conseil général, pouvoirs qu'ils ont plus tard repoussés avec tant d'horreur parce que autoritaires.

Le Congrès de Bâle réduisit à néant les espérances de l'Alliance, du moins pour quelque temps, en la laissant à des intrigues locales. Elle se tint assez tranquille jusqu'à ce que la Conférence de Londres rétablît, par ses résolutions sur la politique de la classe ouvrière et sur les sections sectaires, le programme original de l'Internationale vis-à-vis du programme de l'Alliance, et mît fin à ce quiproquo international. Depuis, elle ourdit des menées dont il est question clans Les Prétendues Scissions.

Dans le Jura, en Italie et en Espagne, elle ne cessa de substituer son programme spécial à celui de l'Internationale.

La fédération jurassienne, qui constitue le centre de l'Alliance en Suisse, lança sa circulaire de Sonvilier contre le Conseil général. La forte organisation, le pouvoir du Conseil général, les résolutions de Bâle proposées et votées par les signataires de cette même circulaire y furent qualifiés d'autoritaires, désignation suffisante à ce qu'il paraît pour les faire condamner sans autre forme de procès; on y parla de « la guerre, la guerre ouverte éclatée dans nos rangs », on y demandait pour l'Internationale une organisation adaptée non aux besoins de la lutte actuelle, mais à on ne sait quel idéal de la société future, etc. À partir de là, on changea de tactique. La consigne était donnée. Les résolutions autoritaires de Bâle et de la Conférence de Londres ainsi que l'autoritarisme du Conseil général furent attaqués violemment partout où L'Alliance avait des ramifications, en Italie et en Espagne surtout.

On ne parlait plus que de l'autonomie des sections, de groupes librement fédérés, d'anarchie, etc. Tout cela se comprend facilement. La puissance de la société secrète au sein de l'Internationale devait naturellement s'accroître à mesure que l'organisation publique de l'Internationale se relâchait et s'affaiblissait. Le grand obstacle que l'on rencontra, c'est le Conseil général, et c'est lui qu'on attaqua en première ligne. Mais nous verrons tout à l'heure qu'on traita de la même manière les conseils fédéraux dès que l'on crut l'occasion opportune.

La circulaire du Jura n'eut aucun effet, excepté dans les pays où l'Internationale était plus ou moins sous l'influence de l'Alliance, en Italie et en Espagne. Dans ce dernier pays, l'Alliance et l'Internationale avaient été fondées en même temps, immédiatement après le Congrès de Bâle. Les Internationaux les plus dévoués de l'Espagne furent amenés à croire que le programme de l'Alliance était identique à celui de l'Internationale, que l'organisation secrète existait partout, et que c'était presque un devoir d'y entrer. Cette illusion fut détruite par la Conférence de Londres, où le délégué espagnol, Anselmo Lorenzo ‑ lui-même membre du comité central de l'Alliance de son pays ‑, put se convaincre du contraire, ainsi que par la circulaire du Jura lui-même, dont les attaques violentes et les calomnies contre cette conférence et contre le Conseil général avaient été immédiatement reproduites par tous les organes de l'Alliance.

La première conséquence de la circulaire jurassienne fut donc en Espagne de créer une scission, au sein même de l'Alliance espagnole, entre ceux qui étaient avant tout des Internationaux et ceux qui ne voulaient de l'Internationale que pour autant qu'elle était dominée par l'Alliance. La lutte, sourde d'abord, éclata bientôt dans les réunions de l'Internationale. Le conseil fédéral, élu par la Conférence de Valence (septembre 1871), ayant prouvé par ses actes qu'il préférait l'Internationale à l'Alliance, la majorité de ses membres furent expulsés de la fédération locale de Madrid, dominée par l'Alliance. Ils furent réhabilités par le Congrès de Saragosse, et deux de ses membres les plus actifs ‑ Mora et Lorenzo ‑ furent réélus au nouveau conseil fédéral, bien que tous les membres de l'ancien conseil aient d'avance déclaré ne pas vouloir les accepter.

Le Congrès de Saragosse fit craindre aux meneurs de l'Alliance que l'Espagne ne s'échappe de leurs mains. Elle dirigea donc immédiatement contre le pouvoir du conseil fédéral espagnol les mêmes attaques que la circulaire du Jura avait dirigées contre les attributions prétendument autoritaires du Conseil général. En Espagne, une organisation parfaitement démocratique et en même temps très complète avait été élaborée par le Congrès de Barcelone et par la Conférence de Valence. Elle avait eu, grâce aussi à l'activité du conseil fédéral élu à Valence (activité reconnue par un vote exprès du congrès), les résultats brillants dont il a été question dans le rapport général.

À Saragosse, Morago, l'âme de l'Alliance en Espagne, déclara que les attributions du conseil fédéral dans cette organisation étant autoritaires, il fallait les restreindre, lui ôter le droit d'admettre ou de refuser de nouvelles sections, le droit de constater si leurs statuts sont conformes à ceux de la fédération, le réduire enfin au rôle d'un simple bureau de correspondance et de statistique. En rejetant les propositions de Morago, le congrès résolut de maintenir l'organisation autoritaire existante. (Cf. Estracto de las actas del segundo congresso obrero, p. 109 et 110; pièces justificatives n° 8. Sur ce point, le témoignage du citoyen Lafargue, délégué au Congrès de Saragosse, sera important.)

Pour écarter le nouveau conseil fédéral des dissensions surgies à Madrid, le congrès le transféra à Valence. Mais la cause de ces dissensions ‑ l'antagonisme qui commençait à se développer entre l'Alliance et l'Internationale ‑ n'avait pas un caractère local. Le congrès, ignorant jusqu'à l'existence de l'Alliance, avait composé le nouveau conseil exclusivement de membres de cette société. Deux d'entre eux ‑ Mora et Lorenzo ‑ en étaient devenus les antagonistes, et Mora n'avait pas accepté son élection. La circulaire du Conseil général sur Les Prétendues Scissions, réponse à celle du Jura, mit en demeure tous les Internationaux de se déclarer ou pour l'Internationale, ou pour l'Alliance. La polémique s'envenima de plus en plus entre La Emancipacion, d'une part, et La Federacion de Barcelone et la Razon de Séville, journaux alliancistes, de l'autre. Enfin, le 2 juin, les membres de l'ancien conseil fédéral, rédacteurs de La Emancipacion et membres du comité central espagnol de l'Alliance, résolurent d'adresser à toutes les sections espagnoles de l'Alliance la circulaire où ils déclarèrent se dissoudre comme section de la société secrète, et invitèrent les autres sections à suivre leur exemple. La vengeance ne se fit pas attendre. Ils furent immédiatement, et en violation flagrante des règlements en vigueur, expulsés de nouveau de la fédération locale de Madrid. Ils se constituèrent alors en nouvelle fédération de Madrid, et demandèrent que le conseil fédéral la reconnaisse.

Mais, en attendant, l'élément allianciste du conseil, renforcé par des cooptations de nouveaux membres, était parvenu à le dominer complètement, de sorte que Lorenzo s'en retira. La demande de la nouvelle fédération de Madrid eut pour réponse un refus net de la part du conseil fédéral qui, alors, s'occupait déjà d'assurer l'élection de candidats alliancistes au Congrès de La Haye. À cet effet, il adressa aux fédérations locales une circulaire privée en date du 7 juillet, dans laquelle, après avoir répété les calomnies de La Federacion contre le Conseil général, il proposa aux fédérations d'envoyer au congrès une délégation commune à toute l'Espagne, élue à la majorité de la totalité des voix, dont le scrutin serait fait par le conseil lui-même (pièces justificatives n° 9). Pour tous ceux qui connaissent l'organisation secrète au sein de l'Internationale espagnole, il est évident que c'était faire élire des hommes de l'Alliance pour les envoyer au congrès avec l'argent des Internationaux. Dès que le Conseil général, auquel cette circulaire n'avait pas été envoyée, eut connaissance de ces faits[40], il adressa au conseil fédéral espagnol, le 24 juillet, la lettre jointe aux pièces justificatives[41] (n° 10). Le conseil fédéral répondit le 1er août qu'il lui fallait du temps[42] pour traduire notre lettre écrite en français, et le 3 août il écrivit au Conseil général la réponse évasive publiée dans La Federacion (pièce justificative n° 11). Dans cette réponse, il prit le parti de l'Alliance. Le Conseil général, après avoir reçu la lettre du 1er août, avait déjà fait publier cette correspondance dans La Emancipacion.

Ajoutons que, dès que l'organisation secrète avait été révélée, on prétendit que l'Alliance avait déjà été dissoute au Congrès de Saragosse. Le comité central, cependant, n'en fut pas prévenu[43] (pièces justificatives n° 4).

La nouvelle fédération de Madrid nie le fait qu'elle connaît sans doute. Du reste, il est ridicule de prétendre que la branche espagnole d'une société internationale, comme l'Alliance, puisse se dissoudre sans consulter les autres branches nationales.

Immédiatement après, l'Alliance tenta son coup d'État. Voyant qu'au Congrès de La Haye il lui serait impossible de s'assurer, en renouvelant les manœuvres de Bâle et de La Chaux-de-Fonds, une majorité factice, elle profita de la conférence tenue à Rimini par la soi-disant fédération italienne pour faire acte de scission ouverte. Les délégués ci-réunis le résolurent à l'unanimité (voir pièces justificatives n° 12). Voilà donc le congrès de l'Alliance opposé à celui de l'Internationale. Cependant, on s'aperçut bientôt que ce projet ne promettait pas de succès. On le retira, et on résolut d'aller à La Haye. Or, voilà que ces mêmes sections italiennes, sections dont une seule sur vingt et une appartient à notre association, après avoir répudié le Congrès de La Haye, ont le front d'envoyer à La Haye leurs délégués[44] !

Considérant

1. Que l'Alliance fondée et dirigée par M. Bakounine (et qui a pour organe principal le comité central de la fédération jurassienne) est une société hostile à l'Internationale, parce qu'elle s'efforce ou de dominer l'Internationale, ou de la désorganiser;

2. Que, par conséquent, l'Internationale et l'Alliance sont incompatibles,

le Congrès décrète :

1. M. Bakounine et tous les membres actuels de l'Alliance de la démocratie socialiste sont exclus de l'Association internationale des travailleurs. Ils ne pourront y rentrer qu'après avoir publiquement répudié toute communauté avec cette société secrète;

2. La fédération jurassienne, comme telle, est exclue de l'Internationale.

Congrès de l'A.I.T. tenu à La Haye (2 au 7-9-1872)[modifier le wikicode]

Discussions préparatoires à propos du congrès et des pleins pouvoirs du Conseil général[modifier le wikicode]

Le citoyen Marx dit alors qu'il ne fait pas de doute que la question d'organisation serait le principal sujet à soumettre aux débats du congrès. Les luttes qui avaient eu lieu ont suffisamment mis cela en évidence[45].

Dans la discussion de celle-ci, il serait bon de diviser le sujet en sections concernant ou bien le Conseil général, ou bien les conseils fédéraux. La proposition de Bakounine transformerait purement et simplement le Conseil général en un bureau de statistique. Or, pour cela, il n'est pas nécessaire d'avoir un Conseil général. Les journaux pourraient donner toutes les informations qu'ils sont susceptibles de rassembler, et il faut rappeler que l'on n'avait pas encore collecté de statistiques, bien que le Conseil général ait attiré régulièrement l'attention des diverses sections sur la nécessité d'entreprendre des mesures à cet effet.

La proposition du conseil fédéral belge est logique : il faut supprimer le Conseil général, dès lors qu'on lui a déjà enlevé toute utilité. On a affirmé que les conseils fédéraux pouvaient accomplir toutes les tâches indispensables et qu'ils avaient été et seraient établis dans tous les pays, afin de prendre en main toute l'administration. En Espagne, La Emancipacion disait dans sa critique de ce projet que cela signifierait la mort de l'Association : s'ils étaient conséquents, il faudrait supprimer les conseils fédéraux eux-mêmes. Malgré cela, il ne s'opposerait pas à la proposition, comme autre solution ou expérience[46]. Quoi qu'il en soit, il est assuré que cela ne ferait que démontrer l'absolue nécessité du rétablissement du Conseil général dans ses fonctions. Si la politique du renforcement des pouvoirs du Conseil général devait être rejetée, il serait disposé à s'incliner, mais il n'accepterait en aucun cas la proposition de Bakounine, à savoir maintenir le Conseil général tout en le réduisant à néant.

Vérifications des mandats de délégués[modifier le wikicode]

Marx répond que cela ne regarde personne de savoir qui les sections choisissent [comme délégué au Congrès][47]. D'ailleurs, il est tout à l'honneur de Barry de ne pas être un des prétendus chefs des travailleurs anglais, car tous sont plus ou moins vendus à la bourgeoisie et au gouvernement. On a attaqué Barry uniquement parce qu'il ne voulait pas se faire l'instrument de Hales.

À propos des sociétés persécutées par les gouvernements[modifier le wikicode]

Marx fait valoir que si l'Alliance a été admise, c'est parce qu'on ignorait au début son caractère secret[48]. L'on savait, évidemment, qu'elle s'était reconstituée, mais en face de la déclaration officielle de dissolution du 6 août 1871, la conférence ne pouvait qu'adopter la résolution quel l'on sait. Lui-même ne s'oppose pas aux sociétés secrètes en tant que telles, car il a appartenu à des sociétés de ce genre, mais il en a aux sociétés secrètes qui sont hostiles et nuisibles à l'A.I.T. Le conseil fédéral romand protesta vivement contre l'admission de la section en question, et c'est la raison pour laquelle le Conseil général la rejeta, conformément aux statuts. À Bruxelles, la situation était différente : la section française avait écrit au Conseil général que des membres du conseil fédéral belge lui avaient fait savoir que son admission à la fédération belge l'exposerait à la police belge. Le Conseil général n'avait donc pu faire autrement que de reconnaître et d'admettre séparément la section française de Bruxelles, et il a fallu agir de la même façon pour la deuxième section française qui s'y est formée.

Discussion sur la section double des États-Unis[modifier le wikicode]

Marx déclare que la section 2 n'a pas d'existence aux yeux du congrès, puisque, en sa qualité de section indépendante, elle n'est pas entrée en contact avec le Conseil général[49].

Sorge déclare qu'il n'aurait posé la question de confiance soulevée par Dereure que pour la section 2, car on montrera alors les immenses torts que ces éléments causent à la classe ouvrière et au mouvement des travailleurs en Amérique.

Frankel est tout à fait opposé à l'admission de la section 2 et rappelle les précédents de la Commune, où des sections particulières ont aussi mené une campagne contre le Conseil fédéral par des affiches et divers autres moyens. Il est favorable à la centralisation, contre la prétendue autonomie et l'anarchie. On ne peut plus tolérer la rébellion contre toutes les résolutions; la discipline doit être maintenue.

Marx fait savoir que West (le délégué mandaté par la section 2) désire voir renvoyer au lendemain la question concernant la section 2, et que le comité accepte cette proposition. Il rappelle l'affaire de l'Alliance et déclare qu'il avait proposé l'exclusion de l'Alliance et non pas des délégués espagnols.

Marx propose, au nom du comité de vérification des pouvoirs, l'annulation du mandat de W. West, parce que, d'une part, il est membre d'une section suspendue, que, d'autre part, il a été membre du Congrès de Philadelphie, et que, enfin, il est membre du conseil de Prince Street. Le mandat de W. West est signé par Victoria Woodhull qui, depuis des années, intrigue pour la présidence (elle est présidente des spirites, prêche l'amour libre, a une activité bancaire, etc.). La section 2, créée par V. Woodhull, était formée, au début, presque exclusivement de bourgeois, menait surtout des campagnes pour le suffrage féminin et publia le fameux appel aux citoyens américains de langue anglaise, dans lequel elle accusait l'A.I.T. de nombreux crimes, et qui provoqua la formation de nombreuses sections dans le pays. Il y était question entre autres, de liberté individuelle, de liberté sociale (amour libre), de règles d'habillement, de suffrage féminin, de langue universelle et de bien d'autres choses. Le 28 octobre, ils ont déclaré que l'émancipation de la classe ouvrière par elle-même signifiait que l'émancipation de la classe ouvrière ne peut s'accomplir contre la volonté des travailleurs. Ils estiment que la question du suffrage féminin doit avoir priorité sur la question du travail, et ne veulent pas reconnaître à l'A.I.T. son caractère d'organisation ouvrière.

La section 1 protesta contre cette manière d'agir de la section 2, et exigea qu'au moins les deux tiers des membres des sections fussent des travailleurs salariés, car, aux États-Unis, tout mouvement ouvrier est exploité et perverti par la bourgeoisie[50]. La section 2 protesta contre l'exigence des deux tiers de travailleurs salariés en demandant dédaigneusement si c'était un crime de n'être pas un esclave salarié, mais un homme libre. Les deux parties en appelèrent à la décision du Conseil général. Les 5 et 12 mars, le Conseil fit connaître sa décision de suspendre la section 2. C'est pourquoi le mandat de West ne peut pas être reconnu. Quoiqu'elle ait fait appel au Conseil général, la section 2 et ses adhérents refusèrent la décision. West était aussi membre du Congrès de Philadelphie et du conseil de Prince Street, qui refusèrent de reconnaître le Conseil général et restèrent en contact avec la fédération jurassienne qui, à en croire les journaux, leur conseillait de ne pas payer leur cotisation pour mettre le Conseil général à sec.

Sorge répond à West qu'il a la tâche facile, et raconte ensuite comment la section 2 a été admise à la suite de fausses indications (West avait notamment déclaré que la section 2 se composait surtout de travailleurs salariés, comme lui-même). Il ajoute que, d'autre part, on connaissait suffisamment les exigences des ennemis de la section 2, que le Conseil général avait simplement recommandé et non décrété la régie des deux tiers, que Mme Woodhull poursuit des intérêts personnels dans l'Association, ce que West lui-même lui avait dit. Personne n'a jamais mis en question leur droit d'avoir toutes sortes d'opinions sur des questions telles que, par exemple, le féminisme, la religion, ou n'importe quoi, mais seulement le droit de les faire endosser à l'Association internationale des travailleurs.

La section 2 et ses membres ont impudemment exposé toutes leurs dissensions devant le grand public; ils n'ont pas payé leur cotisation pour cette année, ils ont été heureux de recevoir la communication de la fédération jurassienne et du conseil fédéraliste universel de Londres.

Ils se sont livrés à des intrigues et à des manœuvres déloyales, et ont réclamé au Conseil général la direction suprême de l'A.I.T. en Amérique, et ont encore le front d'interpréter comme leur étant favorables les décisions contraires du Conseil général.

Interventions sur les pouvoirs du Conseil général[modifier le wikicode]

Sauva dit que Sorge a soutenu faussement que les Français aux États-Unis veulent un accroissement des pouvoirs du Conseil général, alors qu'ils sont favorables au maintien du Conseil[51]. Son mandat veut que le Conseil général n'ait le droit de suspendre des sections ou des fédérations que dans les cas déterminés par le congrès, à l'exclusion de tout autre.

Marx déclare : « Nous ne demandons pas ces pouvoirs pour nous, mais pour le nouveau Conseil général; nous préférons abolir le Conseil général plutôt que de le voir réduit au rôle de boîte à lettres, comme le désire Brismée. Dans ce cas, la direction de l'Association tomberait entre les mains des journalistes, c'est-à-dire de gens qui ne sont pas des ouvriers. Je m'étonne que la fédération jurassienne, ces amateurs d'abstractions, ait pu appuyer la section 2 qui voulait faire de l'Association un instrument pour soutenir une politique de bourgeois. Il est incroyable que la mention de sections policières fasse sourire : on devrait savoir que de telles sections ont été créées en France, en Autriche et dans d'autres pays[52]. C'est l'Autriche qui a amené le Conseil général à ne pas reconnaître toute section qui n'aurait pas été fondée par des délégués du Conseil général ou par des organisations locales. Vésinier et ses camarades, récemment expulsés du groupe des réfugiés français, sont évidemment partisans de la fédération jurassienne. Le conseil fédéral belge a été accusé devant le Conseil général tout aussi vivement que n'importe quel autre de despotisme et d'abus divers, et cela par des ouvriers belges; il y a des lettres à ce propos. Des gaillards tels que Vésinier, Landeck et consorts peuvent, par exemple, former tout d'abord un conseil fédéral, et ensuite une fédération; des agents de Bismarck peuvent en faire autant. C'est pourquoi le Conseil général doit avoir le droit de dissoudre ou de suspendre un conseil fédéral ou une fédération[53].

« Vient ensuite l'appel aux sections, qui peut souvent constituer le bon moyen de décider, par la voix populaire, si un conseil fédéral exprime encore la volonté du peuple. En Autriche, des braillards, des ultra-radicaux et des provocateurs formèrent des sections destinées à compromettre l'A.I.T. En France, le chef de la police forma une section. Pourtant, l'Association se porte mieux là où elle est interdite, car les persécutions ont toujours cet effet-là.

« Le Conseil général pourrait certes suspendre toute une fédération, en suspendant ses sections l'une après l'autre. Mais en cas de suspension d'une fédération ou d'un conseil fédéral, le Conseil général s'expose immédiatement à une motion de censure ou à un blâme, de sorte qu'il n'exercera son droit de suspension qu'en cas de nécessité absolue. Même si nous reconnaissons et accordons au Conseil général les droits d'un roi nègre ou du tsar de Russie, sa puissance devient nulle dès qu'il cesse de représenter la majorité de l'A.I.T. Le Conseil général n'a ni armée ni budget, il ne dispose que d'une autorité morale, et il sera toujours impuissant s'il ne s'appuie pas sur l'adhésion de toute l'Association. »

Intervention de F. Engels sur le transfert du siège du Conseil général à New York[modifier le wikicode]

Engels, Marx et d'autres membres du Conseil général sortant proposent que le siège du Conseil soit transféré à New York pour l'année 1872-1873[54], et qu'il soit formé par les membres du conseil fédéral américain, dont les noms suivent : Kavanagh, Saint-Clair, Cetti, Levièle, Bolte et Carl, qui auront le droit d'élever le nombre des membres du Conseil jusqu'à quinze.

Engels prend la parole pour défendre la motion demandant le transfert du Conseil général à New York. Le Conseil a toujours eu son siège à Londres, parce que c'était le seul endroit où il pouvait vraiment être international et où les papiers et documents se trouvaient en parfaite sécurité. Leur sécurité sera au moins aussi grande à New York qu'à Londres; en aucun autre lieu d'Europe ils n'auront une telle sécurité, pas même à Genève ou à Bruxelles, comme certains événements l'ont prouvé. À Londres, les querelles de clans ont atteint une telle acuité que le siège devra être transféré ailleurs.

En outre, les accusations et les attaques contre le Conseil général sont devenues si violentes et si continuelles que la plupart des membres actuels en sont fatigués et sont décidés à ne plus siéger au Conseil. C'est, par exemple, certain dans le cas de Karl Marx et dans son propre cas. Du reste, l'ancien Conseil général n'était pas toujours unanime, tous ses membres peuvent en témoigner. Depuis huit ans, le Conseil général siège au même endroit, il serait bon de le transférer ailleurs pour remédier à une certaine ankylose. Pour des raisons analogues, Marx avait demandé en 1870 déjà le transfert du Conseil général à Bruxelles, mais toutes les fédérations s'étaient prononcées pour le maintien du Conseil à Londres.

Où faut-il transférer le Conseil général ? À Bruxelles ? Les Belges eux-mêmes affirment que c'est impossible, car il n'y aurait pas de sécurité pour eux. À Genève ? Les Genevois s'y opposent énergiquement, en partie pour les mêmes raisons que les Bruxellois, et ils rappellent l'affaire de la saisie des documents d'Outine.

Il ne reste que New York. Là-bas, les papiers seront en sûreté, et il y aura une organisation puissante et fidèle. Le parti y est plus véritablement international que partout ailleurs. Que l'on regarde, par exemple, le conseil fédéral de New York, composé d'Irlandais, de Français, d'Allemands, d'Italiens, de Suédois, et qui comptera bientôt aussi des Américains de naissance. L'objection selon laquelle New York est trop éloignée est sans valeur, car ce sera un avantage certain pour les fédérations européennes qui se défendent jalousement contre toute ingérence du Conseil général dans les affaires intérieures; la distance rendra ces ingérences plus difficiles et l'on évitera que des fédérations particulières acquièrent une trop grande influence au sein du Conseil général. Le Conseil général a d'ailleurs le droit, peut-être même le devoir, de déléguer des pouvoirs en Europe, pour des affaires et des régions déterminées, ce qu'il a toujours fait jusqu'à présent[55].

Discussion sur l'Alliance[modifier le wikicode]

Splingard demande des détails et désire savoir comment Marx s'est procuré les documents, car cela n'a pu se faire par des moyens honnêtes. Engels avait apporté des preuves, mais Marx s'est contenté de formuler des assertions[56]. Si Bakounine a failli à sa promesse de traduire l'œuvre de Marx, c'est parce qu'on lui a conseillé d'agir ainsi. L'Alliance existait à Genève et en Espagne avant l'A.I.T. : « À Genève, vous l'avez reconnue. Prouvez donc qu'elle existe encore, non par des statuts, des lettres ou d'autres choses semblables, mais par des procès-verbaux et des comptes rendus de séances. »

Marx (grossièrement interrompu par Splingard) déclare que Splingard s'est comporté en avocat, mais non en juge. Il affirme faussement, ou plutôt de façon incorrecte, que Marx n'a pas présenté de preuves, tout en sachant très bien qu'il avait remis presque toutes ses preuves à Engels. Le conseil fédéral espagnol a également fourni des preuves. Lui, Marx, en a apporté d'autres de Russie, mais il ne peut évidemment pas révéler le nom de l'expéditeur. D'ailleurs, les autres membres de la commission lui ont donné leur parole d'honneur de ne rien divulguer sur ces délibérations. Lui a son opinion sur la question. Splingard peut bien en avoir une autre. Les documents n'ont pas été obtenus par des moyens malhonnêtes, ils ont été envoyés spontanément...

Le congrès passe ensuite au vote par appel nominal sur les propositions de la commission d'enquête. L'expulsion de Michel Bakounine est décidée par 29 voix contre 7 et avec 8 abstentions. Par 25 voix contre 16 et avec 10 abstentions, le congrès décide d'expulser James Guillaume de l'A.I.T. Par 16 voix contre 10 abstentions, le congrès refuse l'expulsion d'Adhemar Schwitzguebel[57].

À la demande d'Engels, le congrès décide, à une grande, majorité, de renvoyer le vote sur le troisième point des propositions de la commission, concernant les autres expulsions (Malon, Bousquet et Louis Marchand pour manœuvres visant à la désorganisation de l'A.I.T.), mais d'adopter les autres propositions de la commission : entre autres, le quatrième point (que les citoyens Morago, Farga Pellicer, Marselau, Joukovsky et Alerini n'appartiennent plus à l'Alliance, le congrès étant donc prié de retirer les accusations pesant sur eux)...

À la demande du président, le congrès décide de charger le nouveau Conseil général de terminer tous les travaux inachevés. Le président affirme avoir perdu la voix (il parle d'une voix rauque), mais non sa confiance en la cause : « J'ai perdu ma voix, mais non pas ma foi », et à minuit et demie, il déclare clos le V° Congrès général de l'Association internationale des travailleurs en s'écriant : « Vive le travail ! »

Pleins pouvoirs du Conseil général de New York pour Karl Marx[58][modifier le wikicode]

Karl Marx, habitant le n° 1, Maitland Park Road, N. W., Londres, Angleterre, reçoit pouvoir par la présente, et est chargé de rassembler tout bien quel qu'il soit de l'ancien Conseil général de l'A.I.T., et de le tenir à la disposition du Conseil général.

Tous les anciens membres et employés de l'ancien Conseil général de l'A.I.T. de Londres ou d'ailleurs sont priés et chargés de respecter cette demande et de remettre audit Karl Marx tous les livres, papiers, etc., bref tout ce qui a appartenu et appartient à l'ancien Conseil général de Londres.

New York, 30-12-1872

Par ordre et au nom du Conseil général

Le secrétaire général :

F. A. SORGE

Mandat du Conseil général de New York pour Friedrich Engels[modifier le wikicode]

Conseil général de l'Association internationale des travailleurs

Mandat

Friedrich Engels, habitant 122, Regent's Park Road, Londres, est nommé provisoirement représentant du Conseil général de l'A.I.T. pour l'Italie. Il a le pouvoir et est chargé d'agir au nom du Conseil général et conformément aux instructions qu'il recevra de temps à autre.

New York, 5-1-1873

Par ordre et au nom du Conseil général

Instructions pour le représentant du Conseil général pour l'Italie, Friedrich Engels, Londres[modifier le wikicode]

1. Le représentant du Conseil général pour l'Italie aide de toutes ses forces l'organisation de l'Internationale dans ce pays conformément aux statuts généraux et règlements administratifs et aux instructions du Conseil général;

2. Il veille au maintien du caractère ouvrier du mouvement en Italie;

3. Dans les cas d'urgence, il décide provisoirement dans les questions litigieuses sur le plan de l'organisation et de l'administration de notre association en Italie sous réserve d'un appel au Conseil général, auquel il doit immédiatement faire son compte rendu;

4. De même, il peut suspendre un membre ou une quelconque organisation en Italie jusqu'à l'arrivée de la décision du Conseil général qu'il informe aussitôt des mesures prises en y ajoutant les pièces justificatives. Cependant, il ne saurait suspendre un plénipotentiaire directement nommé par le Conseil général, sans avoir demandé et reçu au préalable des instructions spéciales à ce sujet de la part du Conseil général;

5. Il a le droit de donner des mandats provisoires à court terme à des personnes en Italie, dont les pouvoirs ne peuvent jamais excéder ceux des plénipotentiaires nommés directement par le Conseil général, et il va de soi que tous les mandats et pouvoirs doivent être soumis pour ratification définitive au Conseil général, celui-ci pouvant à tout moment les annuler ou les révoquer;

6. Il veille à l'encaissement régulier des cotisations et à leur transfert au Conseil général;

7. Il tient au courant le Conseil général en l'informant régulièrement des faits, et lui envoie un rapport détaillé tous les mois.

New York, le 5-1-1873

Sur ordre et au nom du Conseil général

Dernière période de la Ire Internationale[modifier le wikicode]

Ceux qui ont fait sécession de l'Internationale en Angleterre ‑ Mottershead, Roach, Alonzo, Jung, Eccarius et Cie ‑ viennent de renouveler avec leur soi-disant congrès de la fédération anglaise la farce du conseil fédéral universel de Londres (de l'époque de Pyat qui voulait créer à coups de trompette une contre-Internationale)[59]. Ces messieurs ne représentaient qu'eux-mêmes. Deux d'entre eux, Jung et Paepe, avaient déjà été révoqués par leurs sections de Middlesbrough et Nottingham, et ne représentaient donc plus qui que ce soit. Le total des simulacres de sections des quatre coins du pays que ces gens ont pu mettre debout ne compte certainement pas cinquante unités. Sans la petite note qu'Eccarius a, comme valet aux gages du Times, faufilée en contrebande dans ce journal, le congrès serait complètement passé inaperçu; il pourra cependant être exploité par les autres sécessionnistes du continent.

Le discours de Jung au congrès dépasse tout en sottise et en infamie. C'est un tissu de vieux ragots fait de mensonges, de déformations et d'absurdités. Ce vaniteux semble souffrir d'un ramollissement du cerveau.

Mais il ne saurait en être autrement, et il faut s'y faire : le mouvement met les individus hors de service, et dès qu'ils sentent qu'ils sont en dehors, ils tombent dans les bassesses en cherchant à se persuader que c'est la faute de Pierre ou de Paul s'ils sont devenus des gredins[60].

À mon avis, le Conseil général de New York a commis une grande erreur en suspendant la fédération du Jura[61]. Ces gens se sont déjà RETIRÉS de l'Internationale, lorsqu'ils ont déclaré qu'ils considéraient son congrès et ses statuts comme inexistants, lorsqu'ils ont formé un centre de conjuration pour créer une contre-Internationale. À la suite de leur congrès de Saint-Imier, n'y a-t-il pas eu de semblables congrès à Cordoue, à Bruxelles, à Londres, et finalement les alliancistes d'Italie ne vont-ils pas aussi tenir le leur ?

Tout individu et tout groupe a le droit de quitter l'Internationale, et dès que cela se produit, le Conseil général n'a simplement qu'à constater officiellement ce retrait, et non pas à suspendre. La suspension n'est prévue que dans la mesure où les groupes (sections ou fédérations) contestent les pouvoirs du Conseil général, voire violent tel ou tel point des statuts ou article des règlements. En revanche, il n'y a aucun article dans les statuts qui prévoie le cas des groupes qui remettent en question l'ensemble de l'organisation, et ce pour la simple raison qu'il s'entend de soi, d'après les statuts, que de tels groupes cessent d'appartenir à l'Internationale.

Cela n'est en aucune façon une question de forme.

Les sécessionnistes ont pris à leurs divers congrès la résolution de convoquer un congrès sécessionniste général pour constituer leur nouvelle organisation indépendante de l'Internationale. Ce congrès aurait lieu au printemps ou en été[62].

Cependant, ces messieurs veulent se garder une porte ouverte en cas d'échec de leur congrès. C'est ce qui ressort d'une circulaire fleuve des alliancistes espagnols. Si leur congrès se révèle un four, ils se réservent d'aller à notre prochain congrès de Genève, intention que l'allianciste italien Gambuzzi a déjà été assez naïf de me communiquer lors de son passage à Londres.

Si donc le Conseil général de New York ne modifie pas sa façon de procéder, quel sera le résultat ?

Après le Jura, il suspendra les fédérations sécessionnistes d'Espagne, d'Italie, de Belgique et d'Angleterre. Résultat : toute la racaille resurgira à Genève et y paralysera tout travail sérieux, comme elle l'a déjà fait à La Haye, et compromettra de nouveau le congrès général au profit de la bourgeoisie.

Le grand résultat du Congrès de La Haye a été de pousser les éléments corrompus à s'exclure eux-mêmes, c'est-à-dire à se retirer. Le procédé du Conseil général menace d'annuler ce résultat.

En opposition ouverte à l'Internationale, ces gens ne nuisent pas : ils sont même utiles[63]. Cependant, comme éléments hostiles dans son sein, ils ruinent le mouvement dans tous les pays où ils ont pris pied.

Vous pouvez à peine vous imaginer à New York la besogne que ces gens et leurs émissaires nous font en Europe.

Pour fortifier l'Internationale dans les pays où le gros de la lutte est mené, il faut avant tout une action énergique du Conseil général.

À présent que l'erreur est faite pour le Jura, le mieux serait peut-être pour le moment d'ignorer complètement les autres (sauf si nos propres fédérations demandaient, par exemple, le contraire) et d'attendre le congrès général des sécessionnistes pour déclarer que tous ceux qui y ont participé ont quitté l'Internationale, s'en sont exclus eux-mêmes et doivent dorénavant être considérés comme des associations qui lui sont étrangères, voire hostiles[64].

Très naïvement, Eccarius a demandé au congrès borgne de Londres qu'il faudrait faire de la politique avec les bourgeois. Son âme a depuis longtemps soif de se vendre.

Le dernier congrès de l'A.I.T.[modifier le wikicode]

Le fiasco du Congrès de Genève était inévitable. Du moment où l'on a su ici qu'aucun délégué ne viendrait d'Amérique, l'affaire était mal partie[65]. On avait essayé de vous présenter en Europe comme de simples figurants. Si nous y étions allés, et pas vous, cela aurait passé pour la confirmation de la rumeur soigneusement répandue par nos adversaires. En outre, cela passait aussi pour la confirmation que votre fédération d'Amérique n'existait que sur le papier.

Par ailleurs, la fédération anglaise n'a pas réussi à rassembler l'argent pour un seul délégué. Les Portugais, les Espagnols et les Italiens annonçaient que, dans les circonstances données, ils ne pouvaient pas envoyer directement de délégués. Les nouvelles d'Allemagne, d'Autriche et de Hongrie étaient tout aussi mauvaises. Une participation française était exclue.

Dans ces conditions, il était certain que le congrès serait composé en majeure partie de Suisses, voire de Genevois. De Genève même, nous n'avions pas de nouvelles, le vieux Becker gardant un silence obstiné, et Monsieur Perret ayant écrit une ou deux fois, pour nous dérouter.

Enfin, au tout dernier moment, le comité romand de Genève au conseil fédéral d'Angleterre nous envoie une lettre dans laquelle les Genevois se refusent d'abord à accepter eux-mêmes les mandats anglais, et y expriment des velléités de réconciliation. Ils y joignent un manifeste (signé Perret, Duval, etc.) directement dirigé contre le Congrès de La Haye et l'ancien Conseil général de Londres. Les gaillards y vont plus loin à maints égards que les Jurassiens, réclamant, par exemple, l'exclusion des « intellectuels » (Le plus beau de l'affaire, c'est que ce factum est rédigé par le misérable aventurier militaire Cluseret, qui à Genève se prétend le fondateur de l'Internationale en Amérique. Ce monsieur voulait le Conseil général pour exercer à partir de lui une dictature secrète.)

La lettre avec son annexe arriva à temps pour détourner Serraillier d'aller à Genève et ‑ comme l'a d'ailleurs fait la fédération d'Angleterre ‑ protester contre la façon d'agir des Suisses, en leur disant d'avance que l'on traiterait leur congrès comme une simple affaire locale, genevoise. C'est une excellente chose que personne ne soit allé là-bas, qui, par sa présence, eût pu faire douter de la nature de ce congrès.

Malgré cela, les Genevois n'ont pas réussi à s'emparer du Conseil général, mais ‑ comme tu le sais sans doute déjà ‑ ils ont remis en question tout le travail fait depuis le premier Congrès de Genève, et même fait beaucoup de choses contraires aux décisions déjà prises.

Étant donné les conditions actuelles de l'Europe, il est absolument utile, à mon avis, de faire passer à l'arrière-plan pour le moment l'organisation formelle de l'Internationale, en ayant soin seulement, si c'est possible, de ne pas lâcher le point central de New York, afin d'empêcher que des imbéciles comme Perret ou des aventuriers comme Cluseret ne s'emparent de la direction et compromettent la cause.

Les événements de l'inévitable involution et évolution des choses pourvoiront d'eux-mêmes à une résurrection de l'Internationale sous une forme plus parfaite.

En attendant, il suffit de ne pas laisser glisser entièrement de nos mains la liaison avec les meilleurs éléments dans les divers pays, et pour le reste se soucier comme d'une guigne des décisions locales de Genève, bref les ignorer purement et simplement. La seule bonne résolution qui y ait été prise, c'est celle de remettre le congrès à deux ans, car elle facilite cette façon d'agir. C'est, en outre, barrer d'un trait de plume les calculs des gouvernements continentaux, car ceux-ci ne pourront pas utiliser le spectre de l'Internationale dans leur imminente croisade réactionnaire. Il est préférable, en effet, que les bourgeois tiennent partout ce spectre pour heureusement enterré.

À New York, les emmerdeurs et les mouches du coche du Conseil général ont eu la majorité, si bien que Sorge a démissionné et s'est retiré[66]. Maintenant, nous ne sommes plus responsables pour quoi que ce soit dans le bazar. Quelle chance que nous possédions les protocoles !

Quant à la grande politique, nous pouvons maintenant la laisser heureusement à elle-même; et il sera toujours temps d'en rire quand nous nous rencontrerons.

  1. Résolution présentée par Marx-Engels et adoptée par le Congrès de l'A.I.T. de La Haye, par 29 voix contre 5 et 8 abstentions.
    Cet article 7a représente la synthèse de l'expérience pratique de la I° Internationale après la Commune de Paris et c'est autour de cette question que tournera toute la lutte du Conseil général de Marx-Engels au sein de l'Internationale jusqu'à la scission de La Haye et au triomphe de la doctrine marxiste dans la classe ouvrière, triomphe confirmé par les Internationales successives.
  2. Ce projet de résolutions a été préparé par Marx et adopté par le Conseil général dans sa séance du sous-comité du 9 septembre 1871. Il s'agit en fait du schéma des thèmes à soumettre à la discussion de la Conférence de Londres de l'A.I.T.
    On peut se rendre compte de la contribution de Marx-Engels à cette conférence décisive pour le sort de l'Internationale en comparant ce projet de Marx avec les résolutions finalement adoptées par la conférence. Afin de compléter ce tableau, nous avons ajoute en note de chaque résolution adoptée les interventions correspondantes de Marx à la conférence, en nous basant sur le compte rendu de séance publié dans La I° Internationale, recueil de documents, t. II, p. 149-239.
    Nous avons adopté la même méthode, à partir des mêmes documents, pour le Congrès de La Haye.
    Des additions furent faites ultérieurement à ce projet de résolutions, notamment en ce qui concerne la création de sections féminines et la statistique générale de la classe ouvrière. Après le compte rendu d'Engels, il fut approuvé par le Conseil général, le 12 septembre.
    La Conférence de Londres marque une étape importante dans la lutte de Marx-Engels pour un parti prolétarien, dont elle définit les tâches d’organisation.
    Conformément aux décisions du Congrès de Bâle, le congrès de 1870 aurait dû avoir lieu à Paris. En raison des persécutions policières, il fut décidé de le transférer à Mayence, mais la guerre empêcha de réaliser ce projet. Il fut encore impossible de tenir un congrès l'année suivante, notamment en raison de la chasse aux Communards et aux Internationalistes après la défaite de la Commune. C'est pourquoi la plupart des fédérations se prononcèrent pour un nouveau report et chargèrent le Conseil général de faire au mieux. Mais la lutte contre le bakouninisme et les sectaires qui commençaient à s'agiter, ainsi que d'autres tâches pressantes exigèrent la tenue rapide d'une conférence, d'autant plus nécessaire qu'il fallait prendre des décisions collectives pour resserrer les liens idéologiques et organisationnels de l'Internationale. Dès le 2 août 1870, l'initiative de Marx-Engels, le Conseil général s'était préoccupé de la tenue d'une conférence. En fait, elle ne pouvait réellement avoir lieu qu'à partir de l'été 1871. Le Conseil général consacra de nombreuses séances à la préparation de cette conférence.
    Les questions d'organisation et de centralisation étaient au cœur des débats. En raison de la situation politique, le nombre de délégués à la conférence fut relativement restreint : 22 délégués avec voix délibérative, et 10 avec voix consultative. Les pays qui ne purent envoyer de délégué furent représentés par leurs secrétaires : Marx pour l'Allemagne, Engels pour l'Italie. Il y eut en tout neuf séances. Les comptes rendus ne purent être rendus publics.
  3. Cette phrase, ainsi que la précédente, a été ajoutée de la main de Marx. Elle se traduira par l'article 16 des résolutions de la Conférence de Londres pris à l'encontre de l'Alliance jurassienne.
  4. Le paragraphe suivant a été rayé dans le texte : « Les conseils fédéraux des pays où l'Association est normalement organisée doivent envoyer régulièrement des rapports sur les cotisations qu'ils touchent dans les diverses localités ou régions. » Il semble que Marx ait jugé qu'il se heurterait à trop de difficultés sur ce point tout à fait pratique.
  5. Extrait du protocole de la séance du 17 septembre 1871, op. cit., p. 152.
  6. Marx fait allusion à l'affaire Netchaïev, dont le procès s'ouvrit à Saint-Pétersbourg, le 1° juillet 1870.
  7. Au cours de la conférence, Engels remplit les fonctions de rédacteur et de traducteur. Le Conseil général fut chargé de la rédaction finale des résolutions, et en confia le soin à Marx-Engels.
    Une première résolution sur ce point avait été présentée par De Paepe et Verrycken. Ceux-ci voulaient que chaque nationalité ait un nombre fixe de délégués ‑ trois ‑ représentés au Conseil général. Marx lui répondit qu'il est impossible de trouver trois membres de chaque pays dans la pratique. Engels fit remarquer que le Conseil n'est pas seulement administratif, mais politique et socialiste, qu'il faut un public assez large pour discuter des questions et permettre d'agir sur l'élément anglais, et que les vrais révolutionnaires anglais doivent pouvoir y entrer. (La IIIe Internationale fixera le nombre des délégués en fonction de l'importance ou du poids des pays respectifs.)
    Outine avait, en outre, proposé que l'on étende le terme de probation d'un candidat au Conseil général à trois semaines pour avoir le temps d'effectuer une enquête à son sujet, que le Conseil conserve un droit d'expulsion à son égard. Une autre proposition recommandait au Conseil d'inviter les sections des différents pays à proposer des candidats pour les fonctions de correspondants ou de secrétaires, peu avant le moment des élections au Conseil général. Une dernière résolution approuvait le Conseil qui s'était adjoint des membres de la Commune, en hommage à celle-ci et comme réponse aux persécutions. Toutes ces propositions furent approuvées ensuite au Conseil général, dans sa séance du 16 octobre 1871.
  8. Ces paragraphes ont pour but : d'abord, éviter que les conseils centraux de tous les pays puissent être confondus avec le Conseil général; ensuite, les remettre à leur place dans la structure centralisée de l'Internationale; enfin, exclure les sectes ou sociétés séparatistes qui utilisent l'Internationale pour leurs buts particuliers. Dans la discussion (séance du 18 septembre), Marx rappela enfin : « Dans les statuts originaux, qu'on ne peut plus changer, il y avait le nom local ou national : on ne détruira pas les nationalités en éliminant ces mots, mais il faudra pour cela un grand mouvement historique. » (Op. cit., p. 162.)
  9. Ce paragraphe a fait l'objet des discussions de la séance du 19 septembre de la conférence. Il démontre la très nette évolution de l'Internationale vers la forme parti, avec les cartes et cotisations individuelles, avec la centralisation correspondante, la lutte contre l'affiliation de sociétés particularistes, les adhérents faisant face à la direction et au programme unitaires.
    Marx avait proposé ce paragraphe au nom du Conseil général, et Engels face aux objections de la pratique, a finalement modifié le projet initial dans le sens ci-dessus. Marx lui-même avait admis qu' « il serait peut-être difficile d'obtenir une cotisation à l'avance ».
  10. Après avoir présenté cette résolution de la part du Conseil général, Marx la justifie en ces termes : « Le citoyen Marx ajoute qu'il fait remarquer que la proposition porte ‘sans exclusion des sections mixtes’; il croit nécessaire la fondation de sections purement féminines dans les pays où l'industrie emploie des femmes en grand nombre. Les femmes jouent un très grand rôle dans la vie; elles travaillent dans les usines, elles prennent part aux grèves, à la Commune, etc. Elles ont plus d'ardeur que les hommes. » (Op. cit., p. 167-168.)
  11. Lors des débats de la séance du 19 septembre, Marx précise à ce propos : « L'article 5 des statuts prescrit une pareille mesure de statistique générale, mais elle n'a jamais trouvé d'application, malgré les efforts et les sollicitations du Conseil général auprès des conseils fédéraux et sections diverses. Le Conseil général a envoyé partout des questionnaires parfaitement combinés et qui demandaient peu d'embarras pour y répondre, mais ce sont seulement quelques petites sociétés isolées qui en ont tenu compte. La grande majorité a été muette. Ces renseignements sont pourtant d'une très grande importance et de la plus absolue nécessité pour le développement de l'Association.
    « Il n'a pas été édicté, comme vous l'avez vu, une sanction déterminée contre ceux qui refuseront la communication de renseignements statistiques, parce que cette résolution vise surtout les syndicats dont une partie seulement est affiliée à l'Association, mais sur lesquels l'Association a une grande influence et qui ne manquent pas de s'adresser au Conseil général chaque fois que leurs intérêts sont en péril.
    « Il cite l'exemple de la grève des Lyonnais : lorsque ces derniers ont sollicité l'appui des syndicats, avant que ceux-ci n'envoient aucun fonds pour les aider dans leur grève, les bureaux des syndicats ont fait demander au Conseil général des renseignements statistiques sur les salaires, les heures de travail, etc., des Lyonnais. C'est, du reste, une chose de solidarité qu'il faut connaître absolument. » (Op. cit., p. 169.)
  12. La discussion relative aux syndicats est reproduite dans MARX-ENGELS, Le Syndicalisme, vol. I, p. 193 et 195.
  13. Dans le débat, Marx précisa qu'il fallait « d'abord discuter sur les moyens de faire fusionner les travailleurs des villes avec ceux des campagnes, et ensuite discuter de la propagande immédiate et du moyen de fonder des sections agricoles ».
  14. Nous reproduisons ci-après les interventions de Marx-Engels à ce sujet, lors des séances du 26 et 21 septembre 1871. Extrait de Werke, 17, p. 421-422.
  15. Lors de la séance du 22 septembre, Marx fait la distinction essentielle qui suit, après avoir lu le texte de cette proposition : « Par organisation secrète, il ne faut pas entendre des sociétés secrètes au véritable sens du terme, celles-ci devant au contraire être combattues. En France et en Italie où existe une situation politique qui fait que le droit d'association est passible de punition, on a une forte tendance à se laisser séduire par les sociétés secrètes dont le résultat est toujours négatif. En effet, ce type d'organisation est en contradiction avec le niveau atteint par le mouvement prolétarien, parce que ces sociétés, au lieu de former les ouvriers, les soumettent à des lois mystiques et despotiques qui leur interdisent toute indépendance et orientent leur conscience dans une fausse direction. » (Cf. Werke, 17, p. 654-655.)
    Les résolutions IX et X formeront la base des principes de la lutte contre l'anarchisme dans l'Internationale, qui trouve son dénouement au congrès suivant de La Haye.
  16. Deux autres résolutions avaient été adoptées lors des débats sur la situation de l'Internationale en France, le 22 septembre :
    1. Le comité fédéral belge, le comité fédéral romand, le comité fédéral espagnol sont autorisés à servir d'intermédiaires aux sections françaises vis-à-vis du Conseil général et à recevoir leurs adhésions.
    2. Le Conseil général est invité à publier une adresse appelant les travailleurs français à lutter ouvertement contre le gouvernement au nom du développement de notre œuvre émancipatrice et à s'organiser d'après nos statuts, malgré toutes les persécutions et les lois prohibitives. (Souligné par nous. Outine, de la section russe, eut une part prépondérante dans cette discussion.)
    Marx soutint à fond que la meilleure réponse aux persécutions et à la répression était une attitude de combat. Voici son commentaire aux propositions ci-dessus : « Marx demande si le moment n'est pas encore venu de déclarer la guerre ouverte au gouvernement et de braver la loi Dufaure et les persécutions. Sous Bonaparte, jamais l'Internationale n'a existé ouvertement en France. On a donné mandat aux blanquistes qui étaient dans nos principes d'organiser des sections, alors que Tolain n'y était plus. Ils continueront dans cette voie. Nous avons reçu du Havre et d'autres lieux des demandes de formation de sections. Comme nous ne connaissons pas ces hommes, nous avons agi avec prudence. Il est difficile à la police de sévir contre les sections locales. »
    Marx observe enfin que Serraillier a dit que les propositions étaient faites en son nom; en fait, c'est au nom du Conseil général. Mais il parle en son nom, car il n'est pas bon de conseiller aux ouvriers de s'organiser ouvertement, ou bien d'attendre. Vaillant estime que le moment est opportun.
    Dans sa séance du 16 octobre, le Conseil général estimait, à la demande de Marx et de Frankel, qu'il fallait imprimer l'appel aux ouvriers de France, leur demandant de résister aux despotiques empiètements de leurs droits d'association et d'expression, et les informer comment ils devaient procéder pour s'organiser.
    Cependant, le 24 octobre, « le citoyen Serraillier déclara qu'il était du même avis que Vaillant, à savoir qu 'il vaudrait mieux retarder la proclamation aux ouvriers de France, étant donné qu'elle pourrait être utilisée contre les prisonniers communards » (op. cit., p. 220).
  17. Dans les premières années de l'Internationale, Marx avait défendu au contraire l'idée de réunir en un seul organisme le Conseil central de l'Internationale et le conseil fédéral anglais, afin d'imprégner les dirigeants anglais de l'esprit et des méthodes d'action révolutionnaires. Cette tâche étant à présent réalisée, Marx explique comme suit sa proposition : « Le travail du Conseil est devenu immense. Il est obligé de faire face aux questions générales et aux questions nationales. Il s'était opposé jusqu'ici à cette formation, parce qu'il fallait obliger les Anglais à venir s'inspirer de l'esprit socialiste international. Au Conseil général, actuellement, leur éducation est faite. » Au reste, Marx estime que « le Conseil aura toujours le pouvoir de dominer la situation ».
    « D'après les statuts, c'est le droit des Anglais que de créer une fédération, mais les principaux représentants anglais sont dans le Conseil. Elle ne se fera pas, si nous ne voulons pas. Cependant, ils en sentent le besoin, et depuis la Commune, beaucoup de sections ont été constituées, qui désirent un lien entre elles. Il ne craint pas qu'elles tombent dans les mains des agitateurs qui attaquent l’Internationale.
    « Beaucoup de membres anglais du Conseil général ont peu d'utilité pratique. Ils seront plus utiles en agissant dans les quartiers respectifs. Le Congrès pourrait toujours arrêter leurs débordements. Les ouvriers ont confiance dans le comité central Ils se sont adressés à lui pour les élections. Cette proposition est adoptée à l’unanimité. » (Op. cit., p. 217-218.)
  18. Nous reproduisons cet article ci-après.
  19. Cf. L'Égalité, 21 octobre 1871, in Werke, 17, p. 427-430.
  20. Marx lui-même fera remarquer que c'est à l'insistance de Bakounine et des Jurassiens eux-mêmes que les points 6 et 7 des résolutions du Congrès de Bâle ont été adoptés. À la Conférence de Londres, séance du 21 septembre, il disait lui-même à ce propos : « On a fait appel aux sections pour trancher cette question, et demandé au Conseil général de prendre (à propos de la fédération jurassienne) une sanction fondée sur son droit de suspendre ‑ par les statuts. Le Conseil évite toujours toute mesure autoritaire quand elle peut être évitée, et il résolut afin d'éviter tout conflit, que la fédération garderait son titre, et que l'on invite l'Alliance à prendre un titre local, ce qu'elle n'a pas fait. »
  21. Cf. Engels, compte rendu, rédigé par l'auteur lui-même, de son intervention à la séance du 21 septembre 1871 à la Conférence de Londres de l'A.I.T. Extrait de Werke, 17, p. 416-417.
  22. Cf. Marx, notes pour l'intervention à la séance du 20 septembre 1871 de la Conférence de Londres de l'A.I.T. Voir Werke, 17, p. 650-651.
  23. Cf. Marx, compte rendu de l'intervention à la séance du 21 septembre 1871 de la Conférence de Londres de l'A.I. T. Voir Werke, 17, p. 652.
  24. Cf. Marx, Almanacco republicano per l'anno 1874. Traduit de l'italien. Ce texte, ainsi que le suivant, est extrait de MARX-ENGELS, Scritti italiani, Edizioni Avanti, 1955, p. 98-104, p. 93-97. Toute une série d'articles de Marx-Engels furent publiés par le groupe de socialistes réunis autour de La Plebe pour contrecarrer l'influence des anarchistes et pour affirmer les positions marxistes sur l'activité politique et l’autorité dans la révolution et le parti politique.
    Le texte d'Engels plus général est complété par celui de Marx sur l'autorité. Tous deux parlent pour ainsi dire au bon sens, en puisant des exemples dans la vie quotidienne. La démonstration n'en demeure pas moins, dans les deux cas, historique, utilisant la dialectique pour montrer l'évolution des notions justifiées à tel moment, dépassées ensuite, et carrément réactionnaires enfin.
  25. Marx aborde maintenant le problème sous l'angle de son évolution historique, en comparant les diverses questions non seulement dans leur ordre chronologique successif, mais encore logique, avec la position des classes opprimées dans une forme sociale antérieure. En utilisant cette méthode, il répond d'avance à nos syndicalistes révolutionnaires modernes qui rejettent l'action politique proprement dite, et n'admettent que l'action économique « révolutionnaire », c'est-à-dire l'action politique subversive dans la sphère économique.
  26. En renversant la position, c'est-à-dire en rejetant la politique dans son domaine spécifique, pour n'admettre qu'une action économique « révolutionnaire », les modernes syndicalistes révolutionnaires ou partisans d'une pure action de conseils ouvriers sont tout aussi éloignés de la position marxiste que Proudhon qui rejetait les grèves et syndicats, mais prônait l'action politique.
  27. Cf. P.-J. Proudhon, De la capacité politique des classes ouvrières, Paris, 1868, p 327. (Note de Marx.)
  28. Op. cit., p. 333. (Note de Marx.)
  29. Op. cit., p. 337-338. (Note de Marx.)
  30. Op. cit., p. 334.
  31. Cf. Engels, in Almanacco republicano, décembre 1873. Engels avait envoyé cet article à Bignami dès novembre 1872, mais celui-ci ayant été arrêté, l'article fut sans doute confisqué, et Engels dut réécrire son article.
  32. En distinguant entre l'autorité d'une volonté qui impose une décision à une autre, ce qui est inévitable dès lors que l'on vit en société et que l'on collabore à une même œuvre, et l'autorité qui entraîne subordination et assujettissement, c'est-à-dire structure sociale (politique) de contrainte, Engels distingue entre les sociétés de l'exploitation de l'homme par l'homme et celles où cette exploitation a cessé.
  33. Dans les Fondements de la critique de l'économie politique, t. I, p. 93-102, Marx démontre que l'individu perd de plus en plus son autonomie et son indépendance, tandis que les liens sociaux et l'organisation économique et sociale s'imbriquent et s'intègrent à mesure que les forces productives et l'humanité s'accroissent et se multiplient. Il explique, en outre, que les rapports sociaux étant aliénés et extérieurs à l'homme, c'est-à-dire réifiés, face à la masse humaine vidée de ses réalisations dans la société capitaliste, il peut sembler que les individus forment une entité à part : « La dépendance mutuelle et universelle des individus, alors qu 'ils restent indifférents les uns aux autres ‑ telles est actuellement la caractéristique de leurs liens sociaux. Ces liens sociaux s'expriment dans la valeur d'échange… » (p. 93-94.)
  34. Paraphrase de l'inscription apposée à la porte de l'Enfer de Dante (cf. La Divine Comédie : « L'Enfer », chant III, vers 9) : Lasciate ogni speranza, voi ch'entrate !
  35. Cf. Engels, Der Volksstaat, 10 janvier 1872, Cet article d’Engels répond à la Circulaire de toutes les fédérations de l'Association internationale des travailleurs adoptée par le Congrès de Sonvilier (novembre 1871) de la fédération jurassienne et dirigée contre les résolutions de la Conférence de Londres (septembre 1871).
  36. Cf. Marx, Der Volksstaat, 8 mai 1872.
    Le 27 septembre 1871, la section no 12 américaine, sans en informer le conseil central de New York, s'adressa au Conseil général, afin de lui demander d'être reconnue comme la section dirigeante des États-Unis. En même temps, elle commença à mener une campagne de presse contre les sections de l'Association qui avaient un caractère prolétarien.
    Dans sa résolution du 5 novembre 1871, le Conseil général confirma les pouvoirs du comité central new-yorkais.
    À la Conférence de Londres de septembre 1871, les débats avaient déjà porté sur une menace de scission au sein des sections américaines, et Marx l'expliquait par une opposition existant au sein même de la classe ouvrière des États-Unis, la classe ouvrière de vieille souche étant privilégiée par rapport aux ouvriers nouvellement immigrés :
    « Marx prend la parole sur l'Amérique et fait l'historique de l'Association en Amérique. Il mentionne une adresse envoyée par le secrétaire du comité central de New York. Le Conseil général a une grande influence en Amérique. Il y a deux correspondants. On leur a donné des mandats. Il y a dissension entre le comité central et les groupes. Le Conseil a cherché à amener une conciliation, sans vouloir rompre avec nos mandataires. Ils ont de l'influence. À La Nouvelle-Orléans, une nouvelle section a reconnu le comité de New-York. San Francisco demande à n'être en relation directe qu'avec le Conseil général...
    « Eccarius seconde Marx : en Amérique l'élément étranger est forcé de travailler à meilleur marché que l'élément de souche. Les deux sections américaines qui se sont réunies (no 9 et 12) n'ont pas d'influence sur les travailleurs. Il est impossible de leur donner la direction centrale de l'Amérique. » (Séance du 22-9-1871.)
    Les sections 9 et 12 qui avaient fusionné en juillet 1871 étaient dirigées par Victoria Woodhull et Tennessee Claflin qui défendaient surtout les droits des femmes et ne recherchaient que des réformes bourgeoises. Le Conseil général soutint, en revanche, le comité fédéral provisoire de New York qui, sous la direction de Sorge, Bolte, etc., s'était constitué face au second comité dirigé par la section no 2 en décembre 1871. Il exclut ce dernier en mars 1872, jusqu'à décision définitive du Congrès. Seul était donc reconnu le comité fédéral provisoire de New York qui fut élu, en gros, par le congrès de juillet 1872 de la fédération nord-américaine.
  37. Allusion à un groupe d'étudiants serbes et bulgares de Zurich, influencés par l'anarchisme (cf. séance du Conseil général, 17-10-1871). Ce groupe s'affilia en juin-juillet 1872 à la fédération jurassienne. Il se désagrégea un an plus tard.
  38. Engels a rédigé ce rapport fin août à l'instigation du Conseil général. Après qu'il eut été approuvé par le Conseil général, il fut soumis le 5 septembre à la commission spéciale du Congrès de La Haye qui eut à examiner l'activité de l’Alliance.
    Engels avait joint à ce rapport tous les documents mentionnés par lui.
  39. Marx et Engels avaient contribué à dénoncer les activités des alliancistes, tant au Conseil général qu'en Espagne même. Engels, en tant que secrétaire correspondant pour l'Espagne, dénonça ces agissements dans une circulaire : « À toutes les sections espagnoles de l'Association internationale des travailleurs », publiée dans La Emancipacion, n° 62, du 7 août 1872. Dans le numéro suivant de ce journal, il reconnut, au nom du Conseil général, la nouvelle fédération de Madrid, en la félicitant de ce que « ses fondateurs étaient ceux-là mêmes qui, les premiers en Espagne, ont eu le courage de se séparer de cette société secrète appelée Alliance de la démocratie socialiste, de dénoncer ses intrigues et d'y faire obstacle ».
  40. Dans le texte manuscrit, le passage suivant est barré : « Ce qui était au temps où il acquit les premières preuves irrécusables de l'existence de l'organisation secrète. »
  41. Engels fait allusion aux lettres du Conseil général de Londres : « À toutes les sections espagnoles de l'Association internationale des travailleurs », publiée le 17-8-1872 dans La Emancipacion, et « À la nouvelle fédération de Madrid », ibid., 24-8-1872.
  42. Dans le texte manuscrit, le passage suivant est barré : « [...] chercha à gagner du temps d’abord, prétendant […] ».
  43. Dans le texte manuscrit, le passage suivant est barré : « Et quelle confiance peut-on accorder à une telle affirmation, après l'expérience faite en 1869 ? Elle ne serait confirmée par aucune preuve. Au contraire, les faits montrent plutôt que l'organisation subsiste toujours. »
  44. Dans le texte manuscrit, le passage suivant est ajouté de la main d'Engels en allemand : « Ensuite la lettre de Bakounine, et les statuts, si nécessaire. »
  45. Cf. le protocole de séance du Conseil général du 11-6-1872, Werke, 18, p. 684-685.
    Dans la séance du 28 août 1872 du sous-comité du Conseil général, on relève : « Marx [pour assurer l'unité du Conseil général] fait la proposition qu'aucun membre du Conseil général n'ait le droit d'accuser un autre au Congrès international des travailleurs, jusqu'à la discussion sur l'élection des membres du [nouveau] Conseil général. Accepté à l'unanimité. » (Cf. Documents of the First International, V, p. 319.)
    L'acte le plus important du Congrès de La Haye fut la ratification de l’article 7a élaboré par Marx-Engels et adopté par la conférence de septembre 1871 tenue à Londres. La modification ou plutôt la précision apportée par cet article aux statuts primitifs porte sur la nécessité du parti politique de classe, ainsi que sur la conquête du pouvoir politique.
    Cette question fait la liaison entre la Conférence de Londres et le Congrès de La Haye, dont elle domina tous les débats, comme en témoigne le compte rendu des séances (6 septembre) où s'opposent alliancistes et « marxistes » . Ainsi, au nom des premiers, Guillaume y affirmait que les manifestes du Conseil général ne représentaient que « les points de vue particuliers du parti social-démocrate allemand, mais non pas ceux d'autres pays », et que ceux qui veulent la conquête du pouvoir politique de l'État veulent « devenir des bourgeois à leur tour » « Nous refusons la prise du pouvoir politique de l'État, nous exigeons, au contraire, la destruction totale de l'État en tant qu'expression du pouvoir politique. » À quoi Longuet, défendant le point de vue du Conseil général, répondit : « La Commune est tombée, faute d'organisation, d'organisation politique. Que deviendrait le collectivisme de Guillaume sans une certaine organisation des forces ? Pour la lutte économique, les travailleurs doivent s'organiser en un parti politique, sinon il ne restera plus rien de l'Internationale, et Guillaume, dont le maître est Bakounine, ne peut appartenir à l'A.I.T. s'il a de telles conceptions. » (Ibid., p. 360-361.)
  46. À ce propos, Marx écrivit (en français) à De Paepe le 29 mai 1872 : « J'ai lu le compte rendu sur le congrès belge dans L'Internationale. Comment se fait-il que, parmi les délégués, les Flamands font défaut ? Généralement parlant, d'après les renseignements reçus ici par les Français de la part de leurs compatriotes, il ne paraît pas que l'Internationale ait fait beaucoup de chemin en Belgique depuis les événements de la Commune. Pour ma part, je serais prêt à accepter (avec des modifications de détail) le plan de Hins (sur la suppression du Conseil général), non parce que je le crois bon, mais parce qu'il vaut toujours mieux faire certaines expériences que se bercer d'illusions.
    « C'est très caractéristique de la tactique de l'Alliance : en Espagne, où elle est fortement organisée, quoiqu'elle ait perdu l'appui du conseil fédéral espagnol, elle a attaqué au conseil de Barcelone tout élément d'organisation, conseil fédéral, etc., aussi bien que Conseil général. En Belgique, où il faut compter avec les ‘préjuges’, on a proposé la suppression du Conseil général tout en transférant aux conseils fédéraux ses attributions (qu'on combattait à Barcelone et en les exagérant même).
    « J'attends avec impatience le prochain congrès. Ce sera le terme de mon esclavage. Après cela, je redeviendrai homme libre; je n'accepterai plus de fonction administrative, soit pour le Conseil général, soit pour le conseil fédéral anglais. » (Cf. L'Actualité de l’histoire, n° 25 Paris, 1958, p 13.)
    Dans sa lettre à Liebknecht du 27 août 1872, Engels précise les raisons pour lesquelles il estime qu'il a mieux à faire que d'être à la tête de l'Internationale, étant donné que le travail théorique est prioritaire, ce qui n'est pas une attitude de circonstance, mais bien une position fondamentale du marxisme, pour lequel la théorie, les principes ont la primauté sur 1 organisation et l'action, lorsque le choix se pose en ces termes. Certes, Marx-Engels resteront encore quelque temps à la direction de l'International, afin de la préserver des mains adverses et d’organiser le repli pour sauver tout ce qui peut l'être pour la prochaine Internationale : « Les Belges ont préparé une révision des statuts. Hins a déposé un projet tendant à l'abolition du Conseil général. En ce qui me concerne, cela m'irait parfaitement. Dans l'état de choses actuel, Marx et moi nous n'y retournerons certainement pas. C'est à peine s'il nous reste maintenant du temps pour travailler, et cela doit cesser. »
  47. Cf. séance du 3 septembre 1872 du Congrès de La Haye (cf. La I° Internationale, recueil de documents, I. U. E. I., t. II, p. 336; et Werke, 18, p. 685).
    Marx défendit Maltman Barry, membre de la fédération britannique, dont les délégués réformistes anglais avaient contesté la régularité du mandat parce que Barry, disaient-ils, n'était pas le chef reconnu des ouvriers anglais. Ce différend reflète l’opposition entre la direction anglaise des syndicats d'aristocrates ouvriers et les représentants ouvriers anglais qui tendaient à rendre le mouvement indépendant des influences bourgeoises.
    Le Congrès de La Haye adopta la décision suivante à propos des syndicats :
    « III. Résolutions relatives aux rapports internationaux des sociétés de résistance
    « Le nouveau Conseil général est chargé de la mission spéciale de constituer les unions internationales de métiers. Dans ce but, il doit, dans le courant du mois qui suivra ce congrès, rédiger une circulaire qu'il fera traduire et imprimer dans toutes les langues, et qu'il enverra à toutes les sociétés ouvrières, affiliées ou non à l'Internationale, dont il aura les adresses. Dans cette circulaire, il invitera chaque société ouvrière à faire l'union internationale de son métier respectif.
    « Chaque société ouvrière sera invitée à fixer elle-même ses conditions pour faire partie de l'union internationale de son métier.
    « Le Conseil général est chargé de réunir les conditions fixées par les sociétés qui auraient accepté l'idée de l'union internationale, et de rédiger un projet général qui sera soumis à l'acceptation provisoire de toutes les sociétés qui voudront faire partie des unions internationales de métiers. Le prochain congrès consacrera le pacte définitif des unions internationales. » (Ibid., p. 375.)
    Dans sa lettre à Paul Lafargue du 21 mars 1872, Marx avait noté l'importance du Conseil général dans le mouvement syndical : « Le seul syndicat véritablement international en Europe est celui des cigariers. Mais celui-ci reste tout à fait extérieur au mouvement prolétarien et fait appel au Conseil général uniquement pour ses intérêts professionnels. »
  48. Cf. séance du 3 septembre 1872, ibid.
    Marx répète une fois de plus qu'il n'est pas opposé par principe aux organisations secrètes. D'ailleurs, il ressort de toute la conception marxiste du parti que le caractère public et légal du mouvement ne constitue pas une règle préjudicielle à l'organisation. En l'occurrence, Marx répond au délégué belge Brismée qui s'opposait à la formation de branches particulières d'émigrés français, notamment à Bruxelles, branches ne faisant pas partie de la fédération locale. À la Conférence de Londres, cette question avait été déjà réglée (cf. les résolutions X et XI relatives à la France et aux pays où l'organisation régulière de l'Internationale est entravée par les gouvernements).
    Du point de vue des principes, rien ne s'oppose à ce que de nos jours, les partis prolétariens se constituent, d'une part, en formation publique, d’autre part, en formation paramilitaire secrète pour défendre le prolétariat contre les agressions légales et illégales des organisations adverses, et pour se préparer concrètement à la conquête du pouvoir.
  49. Cf. séance du 4 septembre 1872, ibid., p. 342.
    Le lecteur se reportera utilement au compte rendu (en allemand et en anglais) des débats du Congrès de La Haye : The First International, Minutes of the Hague Congress of 1872 with related documents, Edited and translated by Hans Gerth, The University of Wisconsin Press, Madison, 1958.
    Les éditions du Progrès de Moscou viennent de publier sur le même congrès les procès-verbaux de Le Moussu suivis de textes en annexe : Le Congrès de La Haye de la Ire Internationale, 2-7 septembre 1872, procès-verbaux et documents, 1972.
  50. Sorge, l'ancien membre de la Ligue des communistes et correspondant de Marx-Engels, intervint ensuite pour préciser certains points de la position à adopter aux États-Unis étant donné la situation sociale de ce pays : « On a besoin des Irlandais en Amérique, mais on ne peut pas les gagner avant d'avoir complètement rompu avec la section 2 et les free lovers [partisans de l'amour libre].
    « En Amérique, la classe ouvrière se compose d'abord d'Irlandais, puis d'Allemands, ensuite de nègres, les Américains ne viennent qu'en quatrième lieu : jouez franc jeu, laissez-nous le champ libre pour que nous puissions faire quelque chose de bien de l'Internationale en Amérique ! » (Ibid., p. 344.)
    À propos de F. A. Sorge, cf. Correspondance Engels-Marx et divers, publiée par F. A. Sorge, éd. Costes, et notamment la préface de Bracke (A. M. Desrousseaux), vol. I, p. 5-16.
    Sorge, assurant la direction du Conseil général après son transfert à New York, resta en correspondance étroite avec Marx-Engels. On peut se reporter à la Correspondance mentionnée ci-dessus pour toutes les interventions de Marx-Engels auprès du Conseil général new-yorkais par le truchement de Sorge et Bolte.
  51. Cf. séance du 6 septembre 1872, ibid., p. 354.
  52. Avant l’intervention de Marx, Lafargue avait expliqué : « Dans les pays où l'A.I.T. est interdite, les sections sont souvent formée d'espions et d'agents au service de la police. »
  53. Dans sa lettre à Lafargue du 21 mars 1872, Marx affirmait « Le zèle brûlant des agents provocateurs se manifeste dans la création de sections, dont le radicalisme est sans pareil. »
    Le Conseil général s'efforçait de démasquer les agents et mouchards, et de les dénoncer publiquement, comme en témoigne la résolution suivante :
    Attendu que le Conseil général possède la preuve irréfutable que Gustave Durand de Paris ‑ ouvrier orfèvre, ex-délégué des ouvriers orfèvres au comité de la Chambre fédérale des sociétés ouvrières de Paris, ex-chef de bataillon de la Garde nationale, ex-caissier-chef du ministère des Finances sous la Commune, actuellement réfugié à Londres ‑ s'est mis au service de la police française pour moucharder le Conseil général de l'Association internationale des travailleurs, de même qu'il a servi et sert encore d'indicateur de police contre les anciens Communards réfugiés à Londres, et qu’il a touché la somme de 725 francs pour ses basses besognes;
    Gustave Durand est stigmatisé comme traître et exclu de l'Association internationale des travailleurs.
    Toutes les sections de l'Association internationale des travailleurs doivent être informées de cette décision.
    Londres, le 9 octobre 1871.
    Au nom du Conseil général :
    Karl Marx
    secrétaire pour l'Allemagne
  54. Le congrès prit les résolutions suivantes en ce qui concerne les pouvoirs du Conseil général : « Les articles 2 et 6 ont été remplacés par les articles suivants :
    « Art. 2. Le Conseil général est tenu d'exécuter les résolutions des congrès et de veiller dans chaque pays à la stricte observation des principes, des statuts et règlements généraux de l'Internationale.
    Art. 6. Le Conseil général a également le droit de suspendre des branches sections, conseils ou comités fédéraux et fédérations de l'Internationale, jusqu'au prochain congrès.
    « Cependant, vis-à-vis des sections appartenant à une fédération, il n'exercera ce droit qu'après avoir consulté préalablement le conseil fédéral respectif.
    « Dans le cas de dissolution d'un conseil fédéral, le Conseil général devra demander en même temps aux sections de la fédération d'élire un nouveau conseil fédéral dans les trente jours au plus.
    « Dans le cas de suspension de toute une fédération, le Conseil général devra immédiatement en aviser toutes les fédérations. Si la majorité des fédérations le demande, le Conseil général devra convoquer une conférence extraordinaire composée d'un délégué par nationalité, qui se réunira un mois après, et qui statuera définitivement sur le différend. Néanmoins, il est bien entendu que les pays où l'Internationale est prohibée exerceront les mêmes droits que les fédérations régulières. » (Cf. I° Internationale, recueil de documents, t. II, p 374.) Suivent, article par article, les votes pour, contre, et les abstentions, ainsi que les noms de ceux qui se sont prononcés à chaque fois, ce qui dénote la division et la fracture du congrès.
    Dans le passage suivant, extrait de l'article d'Engels intitulé « Les Mandats impératifs au Congrès de La Haye », La Emancipacion, 13-10-1872, Engels relève une contradiction du mécanisme démocratique celui des votes liés aux mandats impératifs, qui se répand à la suite de la trahison des électeurs par leurs délégués. Ce mécanisme exprime directement la fraction au sein du parti :
    « Des députés ont si souvent trahi la confiance de leurs électeurs ces derniers temps au Parlement que les vieux mandats impératifs du Moyen Âge, abolis par la révolution de 1789, reviennent à la mode. Nous ne voulons pas engager ici une discussion de principe sur ces mandats. Nous nous contenterons purement et simplement de faire remarquer que si tous les organismes électoraux donnaient à leurs délégués des mandats impératifs sur tous les points de l'ordre du jour, l'assemblée des délégués et leurs débats deviendraient superflus. Il suffirait d'envoyer les mandats à un quelconque bureau central qui soumettrait le tout au décompte des voix et proclamerait le résultat du vote. Cela reviendrait beaucoup moins cher.
    « Ce qui nous semble important, c'est le processus par lequel les mandats impératifs ont joué un rôle exceptionnel au Congrès de La Haye par les entraves qu'ils ont fait subir même à leurs détenteurs... » (Cf. séance du 6-9-1872, ibid., p. 355-356.)
  55. Les débats et les résultats de cette proposition furent les suivants : « Serraillier demande que la motion d'Engels et de Marx soit divisée en trois questions : Premièrement : le Conseil doit-il être transféré ? Deuxièmement : où ? Troisièmement : élection de ses membres.
    « Vilmot désire voir la motion divisée seulement en deux parties, mais la motion Serraillier est adoptée.
    « La première question ‑ le siège du Conseil général doit-il être transféré ? ‑ est tranchée par l’affirmative avec 26 voix contre 23. Le vote sur la question de savoir où transférer le Conseil donne 31 voix pour New York, 14 pour Londres, 1 pour Barcelone et 11 abstentions...
    « La proposition initiale d'élire Kavanagh, Saint-Clair, Cetti, Laurrell, Levièle, Bertrand, Bolte et Carl au Conseil général, avec mission de porter le nombre des membres du Conseil à quinze est adoptée par 19 voix contre 4 et 19 abstentions. La validité de ce vote est violemment contestée, parce que cette motion n'a pas réuni la majorité des votants; des motions de tous ordres sont déposées (Dupont et Serraillier demandent l'insertion du nom de Pillon) jusqu'à ce que Marx suggère une nouvelle délibération sur le dernier vote. La proposition est acceptée. Selon une suggestion de Lafargue, le congrès décide alors délire douze membres du nouveau Conseil général, qui pourront porter leur nombre à quinze, et de suspendre la séance pendant quinze minutes pour passer ensuite au vote...
    « Par le vote qui intervient alors sont élus au Conseil général pour l'année 1872-1873, avec les pleins pouvoirs pour porter leur nombre à quinze : S. Kavanagh, E. P. Saint-Clair, Fornaccieri Laurrell, Levièle, David, Dereure, Carl, Bolte, Bertrand, Ward et Speyer. » (Ibid., p. 357, 361-362.)
  56. Cf. la séance du 7 septembre 1872, ibid., p. 366-367.
  57. Plus tard, Marx apportera une précision intéressante sur ce point. Au Congrès de La Haye, il n'a pas demandé l'expulsion de Guillaume et Schwitzguebel. C'est la commission d’enquête qui l'a demandée. « Ce que j'ai demandé au congrès, c'est l'exclusion de l'Alliance et la désignation d'une commission d'enquête à cet effet.» (Volksstaat, 26-10-1872.)
  58. Nous reproduisons ci-dessus les mandats et instructions pour Marx-Engels relatifs aux charges qu'ils eurent à remplir après le transfert du Conseil général à New York. Cf. Werke, 18, p. 689-691.
  59. Cf. Marx à Friedrich Bolte, 12 février 1873.
    Ce texte montre la décomposition de l'Internationale qui ne date pas du Congrès de La Haye, mais ‑ comme Marx-Engels le répéteront à plusieurs reprises ‑ de la défaite physique de la Commune. L'acte de dissolution de l'Internationale ne sera donc pas une mesure délibérée. Ce qui importe bien plutôt que l'analyse de décisions formelles, c'est la politique choisie par Marx pour organiser la retraite et sauver d'abord les principes et l'honneur de l'Internationale, afin de resurgir avec l’acquis historique lorsque les conditions matérielles redeviendront favorables.
  60. Ce serait sans doute forcer la pensée de Marx que de conclure qu'en dehors du parti tout individu devient impuissant et est condamné à faire et dire des bêtises. Le parti n'est pas une chose en soi, ni une garantie révolutionnaire absolue. L’expérience historique a, hélas, trop souvent montré qu'il était capable de dégénérer lui aussi.
    Le stalinisme a une conception hégélienne, absolue, avec son monolithisme du parti. Cette idée du parti qui a toujours raison lui a permis d'entraîner avec lui la masse des militants dans tous ses tournants et reniements.
    Il est curieux, au reste, de constater que la conception monolithique du parti permet aujourd'hui aux soi-disant communistes français d'envisager de partager le pouvoir avec un soi-disant parti ouvrier socialiste, car cela implique qu'il puisse y avoir plusieurs partis de la classe ouvrière, ce qui est une absurdité aux yeux du marxisme, puisque le parti constitue le prolétariat en classe, parti et classe n'étant pas au pluriel.
  61. Le Conseil général de New York avait pris la résolution, le 5 janvier 1873, de suspendre la fédération jurassienne jusqu'au prochain congrès général de l'Internationale.
  62. À l'initiative de la fédération jurassienne, les anarchistes et réformistes qui avaient rejeté les résolutions de La Haye réunirent un congrès à Genève du 1er au 6 septembre 1873. Le Conseil général de New York lui appliquera à l’avance le conseil de Marx, en déclarant dans sa résolution du 30 mai 1873 qu'ils « se sont placés eux-mêmes en dehors de l'Association internationale des travailleurs et ont cessé d'en être membres ».
  63. La juste et ferme politique du prolétariat contribue ainsi à clarifier le jeu des forces politiques, non seulement au sein du prolétariat, mais encore de la société entière. Elle prépare ainsi un alignement net et clair des forces sociales pour l'heure décisive de l'affrontement, seuls les éléments modérés et hybrides tirant leur force de la confusion et des manœuvres obscures.
    En 1885 encore, Engels défendra cette conception dans sa lutte contre les éléments petits-bourgeois qui s'étaient infiltrés dans le parti social-démocrate allemand : « Dès que nous aurons les coudées franches [après l'abrogation de la loi contre les socialistes], il y aura sans doute la scission, et c'est alors qu'elle sera utile. Dans un pays comme l'Allemagne où la petite bourgeoisie a plus qu'un droit historique de subsister, la création d'une fraction socialiste petite-bourgeoise est inévitable. Elle est même utile sitôt qu'elle s'est constituée indépendamment du parti prolétarien. » (Engels à Sorge, 3 juin 1885.)
  64. La coupure qui s'est finalement opérée lors de la dissolution de la I° Internationale se retrouvera lors de la reconstitution de la IIe Internationale, avec les marxistes, d'une part, les anarchistes et les possibilistes, d'autre part. En défendant donc une politique de clarté et de délimitation vis-à-vis des anarchistes et des réformistes dès les batailles au sein de la I° Internationale, Marx-Engels ont tendu un fil par-delà la période contre-révolutionnaire entre les deux Internationales, en sauvant non seulement le patrimoine théorique du socialisme moderne, mais en fournissant un diagnostic rigoureux sur la gangrène opportuniste qui ronge le mouvement ouvrier tout autant que la société moderne tout entière. Le diagnostic de la maladie est donné en même temps que ses remèdes, permettant au véritable et seul mouvement de classe d'éviter les formes insidieuses qui, à leur début, peuvent paraître bénignes.
  65. Cf. Marx à F. A. Sorge, 27 septembre 1873.
    Le VI° Congrès de l'Internationale avait été fixé à Genève et se tint du 8 au 13 septembre 1873. Sur 41 délégués 39 étaient suisses, réunis sous la présidence de J. P. Becker. On y lut le bref rapport rédigé pour le Conseil général par Engels sur la situation de l'Internationale dans les différents pays : cf. Werke, 18, p: 694-695. Le congrès discuta des statuts, confirma les pouvoirs du Conseil général et les décisions du Congrès de La Haye sur le transfert du Conseil général à New York, ainsi que la nécessité de l'action politique, et prit des mesures complémentaires pour la formation d’une union internationale des syndicats. Ce fut, pratiquement, le dernier congrès de l'A.I.T.
  66. Cf. Engels à Marx, 21 septembre 1874.
    Tous les événements ‑ et même la mort ‑ qui obéissent à une nécessité de la nature portent en eux leur consolation, si terribles soient-ils, aimait à répéter Engels. Et il en est également ainsi du parti, lorsqu'il disparaît (pour un temps).