Socialisme d'État

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Ferdinand Lassalle est le premier théoricien d'un « socialisme d'État »

Le terme de socialisme d’État désigne la mise en œuvre par un État, ou plus précisément par son gouvernement, d'une politique « socialiste ».

L'expression est utilisée de façon positive ou négative selon les courants, évidemment en fonction des différents sens qu'ils donnent au socialisme.

Selon une première acception, le socialisme d'État est un socialisme réformiste repris à son compte par l'État bourgeois, qui permet de corriger les injustices du capitalisme tout en assurant une transformation graduelle et non violente de la société ; cette acception est reprise dans des discours critiques pour qualifier négativement la social-démocratie réformiste, pour désigner un socialisme qui serait mis en œuvre par la classe dirigeante et non par le prolétariat, interdisant l'évolution vers une société sans classes.

Le sens de l'expression évolue ensuite et désigne occasionnellement, au 20e siècle deux réalités politiques opposées : d'une part, le communisme au sens de régime politique, de l'autre, l'ensemble des socialismes de gouvernement non marxistes.

1 Définitions[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Socialisme de Lassalle[modifier | modifier le wikicode]

Dans les années 1860, l'expression socialisme d’État est utilisée par Ferdinand Lassalle, fondateur de l'Association générale des travailleurs allemands : le socialisme de Lassalle se veut éclectique et s'inscrit non seulement dans le cadre d'une lutte pour la justice sociale, mais également dans celui de la lutte pour l'unité nationale allemande. L'instauration d'un État allemand unique est considérée par Lassalle comme un prérequis indispensable à l'édification d'une société émancipée. L'État ainsi bâti se poserait en garant d'une économie socialisée, gérée par de multiples coopératives décentralisée où le travailleur percevrait l'intégralité de la valeur de sa production. Dans la définition donnée par Lassalle du socialisme d'État, l'État est non un instrument de la domination de classe, mais un outil de justice sociale : ainsi, le renversement de la société bourgeoise ne dépend pas, dans les conceptions de Lassalle, d'une révolution violente mais d'une succession de réformes graduelles qui impliquent de s'intégrer au jeu politique institutionnel. Ces vues incitent Lassalle à se rapprocher du chancelier Bismarck, alors que ce dernier ne fera que réprimer le mouvement socialiste.

Selon cette définition, le socialisme d’État est en contradiction avec les idées de Marx et d'Engels, pour qui la socialisation des moyens de production ne saurait être l'œuvre que d'un État de forme démocratique dominé par le prolétariat. Et de fait, Marx et Engels ont vivement critiqué Lassalle sur son rapport à l'État prussien[1],[2].

1.2 « Socialisme allemand »[modifier | modifier le wikicode]

En 1897, le socialiste français Charles Andler soutient une thèse intitulée Les origines du socialisme d'état en Allemagne.[3] Il y englobe la pensée de Lassalle, de Thünen et surtout de Rodbertus.

Jaurès avait lu Andler, et repris en 1898 sa critique. Pour Jaurès, le socialisme d’État correspond à une vision pessimiste du socialisme, qui use de la contrainte pour arbitrer les conflits de classe, ce qui le situe à l'opposé des « collectivistes » et des « communistes », qui jugent au contraire possible un régime de propriété collective[4][5]. Certains voient donc dans Jaurès une opposition à un régime de capitalisme d'État[6].

Mais plus généralement, hors d'Allemagne, il y a une tendance chez beaucoup d'auteurs à la fin du 19e siècle à assimiler le socialisme allemand en général à un socialisme d'État.

1.3 Débats dans l'Internationale socialiste[modifier | modifier le wikicode]

En 1892, Karl Kautsky critique les socialistes d'État qu'il définit comme ceux qui pensent que la société socialiste pourrait être « le résultat de la mise en régie générale de toute l’organisation économique sans qu’il soit nécessaire de modifier l’essence de l’État ».[7]

Kautsky, considéré alors comme le principal théoricien marxiste allemand et de l'Internationale socialiste, reprend ici la critique de Marx contre Lassalle.

1.4 Socialisme britannique[modifier | modifier le wikicode]

Au Royaume-Uni, dans la première moitié du 19e siècle, le courant oweniste considère que l'État doit mettre en œuvre des réformes sociales en faveur des ouvrier·ères. Cependant Owen a cherché à favoriser l'organisation syndicale (à une époque où elle était balbutiante), et avait plutôt une vision du socialisme reposant sur la généralisation progressive des coopératives que le prise en main soudaine de l'économie par l'État.

La Fabian Society (fondée en 1884), groupe d'intellectuels disposant d'une forte influence sur le Parti travailliste, se revendique explicitement d'un socialisme d’État. Dans la conception fabienne, l'État intervient pour développer une politique protectrice des travailleurs, garantissant l'égalité et la sécurité. Pour la Fabian Society, le socialisme d’État implique, sans être pour autant marxiste, la socialisation progressive des moyens de production. Pour les Fabiens, le système politique britannique est démocratique, et il n'est donc pas nécessaire de renverser l'État comme le souhaiteraient les marxistes et les anarchistes d'Europe continentale.[8],[9].

Le socialisme britannique a donc parfois été qualifié de socialisme d'État, dans le sens où il n'était pas opposé à l'État en place, ou pas opposé de façon radicale, contrairement aux socialistes du reste de l'Europe, faisant face à bien plus de répression.

Mais il existe aussi, dans le mouvement ouvrier britannique, une recherche d'autonomie associative et syndicale, et une méfiance vis-à-vis des partis socialistes (très faibles au Royaume-Uni). Ceux-ci sont parfois perçus à tort ou à raison comme opposant la socialisation par l'État plutôt que par le mouvement syndical et coopératif. Dans ce sens, certains ont pu parler à l'inverse d'une opposition au socialisme d'État.

En 1897, le socialiste allemand Edouard Bernstein tente de s'adresser de façon rassurante au public ouvrier britannique :

« Pour l'Anglais ordinaire, Karl Marx est, en matière de politique sociale, un socialiste d'État ultra-révolutionnaire, le défenseur du renversement violent de tout ordre constitué au sein du gouvernement. (...) Marx a été décrit alternativement comme un socialiste d’État pur et dur et comme un anarchiste opposé au socialisme d’État ; comme un centraliste rigide et comme un ultra-fédéraliste. En fait, il n’était ni l’un ni l’autre. Il ne partageait ni ce qu’il appelait moqueusement la croyance aux miracles de l’État, ni la peur superstitieuse de l’État. »[10]

1.5 Distinctions d'Élie Halévy[modifier | modifier le wikicode]

En 1927, l'historien Élie Halévy écrit dans sa contribution au Vocabulaire technique et critique de la philosophie, que le socialisme d’État a « deux formes très distinctes » :

  • Premièrement, une forme « démocratique » : « chartisme ; socialisme de Louis Blanc en 1848 ; marxisme aujourd'hui ». Ce socialisme viserait la « démocratisation intégrale de l'État », qui serait alors conçu comme le serviteur de l'intérêt public. a critique de l'État est cependant bien plus forte chez les marxistes, comme en témoigne la critique qu'a faite Marx des illusions de Louis Blanc dans la république bourgeoise de 1848.
  • Deuxièmement, une forme « aristocratique », influencée par Hegel et Carlyle et que l'on retrouve dans le « socialisme conservateur » d'Adolph Wagner (cette dernière définition renvoyant au « socialisme de la chaire » allemand de l'époque de Bismarck). Selon la définition critique d'Halévy, cette forme conservatrice de socialisme considère l'individu comme existant avant tout pour « la réalisation de fins impersonnelles (art, science, religion), dont l'État est l'incarnation » ; cette forme de socialisme d’État se définirait alors comme un « paternalisme bureaucratique » où l'individu serait censé trouver son bonheur au prix de l'aliénation de son libre-arbitre[11].

1.6 « État communiste »[modifier | modifier le wikicode]

Au 20e siècle, l'expression socialisme d’État a parfois été utilisée pour désigner les « États communistes » (ou « États socialistes »)[12][13], censés être l'expression de la dictature du prolétariat, étape vers le communisme. Cette vision vient du « marxisme-léninisme », grossière simplification de la pensée de Lénine, qui elle-même peut comporter des nuances par rapport à celle de Marx.

Chez Lénine ou Trotski, pendant les années suivant la révolution bolchévique, la dictature du prolétariat a parfois été réduite à une définition économique, basée sur la suppression de la propriété privée des moyens de production. La condition pour eux était bien entendu que l'État doit dirigé par un parti se revendiquant des intérêts de la classe ouvrière, un parti communiste, ce qui en ferait un État ouvrier. Cependant, selon d'autres marxistes, cette vision a pu les conduire à ne pas suffisamment se méfier des mécanismes de bureaucratisation antidémocratique de l'État, qui de fait a rapidement cessé d'être contrôlé par les ouvriers et les paysans.

1.7 État providence[modifier | modifier le wikicode]

Dans la deuxième moitié du 20e siècle, alors que le sens fort de socialisme (socialisation de l'économie) reculait, le terme de socialisme d'État a pu être utilisé de plus en plus vaguement, pour désigner tout courant politique utilisant l'État pour mener des réformes sociales tout en maintenant les fondements du capitalisme.

Cela a pu être appliqué aux États providence mis en place par des partis se revendiquant historiquement du marxisme, comme en Scandinavie, ou par des partis qui ne s'en sont jamais revendiqués, comme les travaillistes britanniques, ou encore les socialistes arabes[14].

2 Notes et références[modifier | modifier le wikicode]

  1. Michel Winock, Le Socialisme en France et en Europe, Seuil, 1992, page 108
  2. Jean Touchard, Histoire des idées politiques, tome 2, Presses universitaires de France, 1958, pages 105-106
  3. Charles Andler, Les origines du socialisme d'état en Allemagne, 1897
  4. Jean Jaurès, Socialisme et liberté, La Revue de Paris, 1er décembre 1898
  5. Serge Audier, Le Socialisme libéral, La Découverte, 2006, pages 38-39
  6. Bruno Antonini et André Tosel, État et socialisme chez Jean Jaurès, L'Harmattan, page 2004, page 88
  7. Karl Kautsky, Le programme socialiste, 1892
  8. Dmitri Georges Lavroff, Les Grandes étapes de la pensée politique, Dalloz, coll. « Droit public, science politique », 1999, page 581
  9. Donald F. Busk, Democratic Socialism: A Global Survey, Greenwood Press, 2000, page 93
  10. Eduard Bernstein, Karl Marx and Social Reform, 7 April 1897
  11. Élie Halévy, in André Lalande (dir), Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Presses Universitaires de France, édition de 1992, page 1000
  12. Adrian Neculau, La vie quotidienne en Roumanie sous le communisme, L'Harmattan, 2008, page 159
  13. André Piettre, Marx et marxisme, Presses universitaires de France, 1966, pages 79-91
  14. Mokhtar Lakehal, Dictionnaire de science politique. Les 1500 termes politiques et diplomatiques pour rédiger, comprendre et répondre au discours politique, L'Harmattan, 2007, page 362