Mouvement social
La notion de mouvement social est assez large, et elle a des sens différents selon qui l'utilise.
Dans un sens assez courant, c'est un synonyme de mouvement politique, mais avec une connotation plutôt progressiste (de gauche). Les mouvements d'opprimé·es et d'exploité·es, comme le mouvement ouvrier et le mouvement féministe, sont parmi les principaux exemples.
Les historiens et les sociologues étudient les mouvements sociaux, avec des angles un peu différents, même si cela converge dans la socio-histoire.
1 Sociologie[modifier | modifier le wikicode]
L'expression mouvement social en sociologie fut inventée en Angleterre et aux États-Unis durant les premières décennies du 19e siècle.
Le sociologue Erik Neveu, définit en 1996 un mouvement social comme « un agir-ensemble intentionnel, marqué par le projet explicite des protagonistes de se mobiliser de concert. Cet agir-ensemble se développe dans une logique de revendication, de défense d'un intérêt matériel ou d'une "cause" »[1].
En 1998, Donatella Della Porta et Mario Diani le définissent comme un ensemble de réseaux informels d'organisations et d'acteurs isolés, construit sur des valeurs partagées et de la solidarité[2].
Le mouvement social est parfois très « spontané », parfois porté par des organisations (la sociologie des organisations est alors utile). Néanmoins, pour que l'on puisse parler d'un mouvement social existe il faut de la continuité entre les moments forts.
Les formes de protestation des mouvements sociaux sont extrêmement variées : pétition, grève, grève du zèle, blocage des routes, occupations (de bâtiments, de places...), manifestations, fêtes de rue, désobéissance civile...
Pour Olivier Fillieule, donner une définition des mouvements sociaux est vain car cela fige la perception de ces derniers.
Les sciences politiques et la sociologie ont développé des théories et des recherches empiriques sur les mouvements sociaux, par exemple certaines recherches étudient ou mettent en évidence l'engagement des militants, la relation entre les mouvements populaires et la formation de groupes politiques, l'institutionnalisation des mouvements sociaux, l'influence des mouvements sociaux dans la mise sur pied de réglementations politiques, la mise à l'agenda politique des questions soulevées.
Certains sociologues tentent également d'étudier la dynamique des mouvements sociaux, comme avec le schéma suivant.
2 Histoire[modifier | modifier le wikicode]
L'expression est moderne, mais a posteriori les théoriciens du mouvement social revendiquent l'héritage de nombreux événements historiques : révoltes d'esclaves, révoltes paysannes, révoltes urbaines, révolutions sociales...
Le 19e et le 20e siècles sont surtout marqués dans les pays industrialisés par le mouvement ouvrier. Avec l'avènement des sociétés libérales, les mouvements sociaux ont pris au cours du 20e siècle des formes de moins en moins violentes et de plus en plus institutionnalisées, en particulier avec la création d'associations et de syndicats.
Voici quelques événements qui sont généralement considérés comme des mouvements sociaux.
Durant l'Antiquité :
- La première grève d'ouvriers actuellement connue se situe dans l'Égypte pharaonique [3]
- La révolte des esclaves de Sicile
- Spartacus
Jusqu'à la Révolution française :
Après la Révolution française :
- Révolution française (1789-1799)
- Commune de Paris (1792)
- Trois Glorieuses (1830)
- Révolution de 1848
- Commune de Paris (1871)
Durant le 20e siècle :
- Révolution mexicaine (1900-1917)
- Révolution russe de 1905
- Révolution russe (1917-1921)
- Spartakisme
- Front populaire
- Guerre d'Espagne (1936-1939)
- Les diverses révolutions chinoises entre 1911 et 1949
- Grèves de 1947 en France
- Révolution hongroise (1956)
- Révolution tranquille
- Mouvements sociaux de 1968 dans le monde - Mai 1968
- Présidence de Salvador Allende au Chili (1970-1973)
- Mouvement alternatif (années 1970-2000)
- Grèves de 1995 en France
- Révolte au Chiapas
- Guerre d'Algérie (1954-1962)
Durant le 21e siècle :
- Révolution orange en Ukraine, 2004-2005
- Mouvement contre le contrat première embauche en France, 2006
- Révolte de Oaxaca, Mexique, depuis 2006
- Mouvement anti-LRU en France, de jusqu'en
- Grève générale aux Antilles françaises en 2009
- Mouvement social contre la réforme des retraites en France de 2010
- Mouvement Occupy
- Mouvement des Indignados
- Grève étudiante québécoise de 2012
- La Manif pour tous, 2013.
- Mouvement Euromaïdan, Ukraine, 2013
- Mouvement pour la liberté d'expression "Je suis Charlie" de 2015
- Nuit debout
- Mouvement des Gilets jaunes
3 Socio-histoire[modifier | modifier le wikicode]
Dans The Contentious French, publié en 1989, Charles Tilly retrace le parcours de la transformation des répertoires d'action collective, c'est-à-dire les moyens et modalités à disposition des citoyens pour protester et faire valoir leurs revendications en dehors du vote[4]. Selon Tilly, les mouvements sociaux sont une forme particulière d'action collective qui a émergé comme résultat de ce processus et qui est historiquement et spatialement localisé. Tilly affirme que le « mouvement social » n'existe pas avant la fin du 18e siècle car selon lui l'émergence des mouvements sociaux était connectée aux profonds changements économiques et politiques de ces périodes, en incluant la parlementarisation, l'expansion du capitalisme et la prolétarisation.
et les premiers mouvements seraient la Révolution française, la Révolution haïtienne (1804), le mouvement pour la Constitution polonaise (1791), le mouvement abolitionniste (entre 1791 et 1806). Ces grandes révolutions structurelles ont bousculé la France, l'Angleterre et bien d'autres pays, dans les intérêts et les identités de tout un chacun. L'émergence du capitalisme a créé de nouveaux intérêts et de nouvelles identités collectives comme avec le prolétariat ou encore la bourgeoisie. Ces deux grands processus et en particulier le processus de formation de l'État-Nation a créé de nouvelles opportunités pour mobiliser et de cibles de la mobilisation. Finalement, ces deux grands processus ont aussi transformés l'organisation de la société en créant par exemple les classes sociales telles qu'on les connaît aujourd'hui. Ces grandes transformations ont ensuite produits des transformations des répertoires de l'action collective. Pour Tilly, l'action collective est passée d'un répertoire « réactif » à un répertoire « proactif » ; c'est-à-dire que les mouvements ou les citoyens ne réagissent pas simplement à des décisions qui sont prises par des autorités locales ou autres mais s'organisent en vue de prendre des initiatives. Le répertoire passe de la « compétition » au « conflit ». Ce n'est plus simplement une compétition locale entre différents groupes mais c'est une action collective qui s'inscrit dans un véritable conflit social où il y a des intérêts collectifs qui s'opposent et où le succès d'un intérêt collectif ou de la mobilisation autour d'un succès collectif implique des pertes de l'intérêt ou des intérêts collectifs qui y sont opposés. On passe d'une contestation d'un répertoire spontané à une contestation d'un répertoire organisé. Les citoyens commencent à s'organiser, à former des organisations sociales mais aussi des partis politiques, et on passe d'une contestation locale à une contestation nationale. Tilly parle d'une nationalisation de l'action collective[4].
Plusieurs processus clés sont à l'origine de l'histoire des mouvements sociaux. L'urbanisation a conduit à des villes plus grandes, où les gens de buts similaires pourraient se trouver les uns les autres, se regrouper et s'organiser. Cela a facilité l'interaction sociale entre des dizaines de personnes, et c'est dans les zones urbaines que ses premiers mouvements sociaux sont apparus. De même, le processus d'industrialisation qui a réuni de grandes masses de travailleurs dans la même région explique pourquoi beaucoup de ces mouvements sociaux au début ont abordé des questions comme le bien-être économique, important pour la classe des travailleurs. Plusieurs autres mouvements sociaux ont été créés dans les universités, où le processus d'éducation de masse réunit de nombreuses personnes. Avec le développement des technologies de communication, la création et les activités des mouvements sociaux sont devenues plus faciles. Des brochures imprimées circulant dans les cafés du 18e siècle aux journaux et Internet. Tous ces outils sont devenus des facteurs importants dans la croissance des mouvements sociaux. Enfin, la propagation de la démocratie et des droits politiques comme la liberté d'expression a rendu la création et le fonctionnement des mouvements sociaux beaucoup plus faciles.
4 « Nouveaux mouvements sociaux »[modifier | modifier le wikicode]
L'expression nouveaux mouvements sociaux (NMS) fait référence aux nouvelles modalités d'action politique apparues dans les années 1960-70 (en France, pendant et après Mai 68) et qui rompaient avec le militantisme dans sa forme traditionnelle (syndicat ou parti ouvrier). On inclut en général dans cette nouvelle catégorie politique et sociale le féminisme, l'environnementalisme et les mouvements LGBT.
Ils sont souvent décrits comme ayant en commun de ne plus se focaliser uniquement sur la prise de contrôle de l'appareil d'État.
4.1 Impact du numérique[modifier | modifier le wikicode]
L'étude sociologique des mouvements sociaux est un sujet assez nouveau. Selon la vision traditionnelle, les mouvements sont perçus comme intrinsèquement chaotiques et désorganisés, ce qui nourrit le préjugé de l'activisme comme une sorte de menace pour l'ordre social. Dans les années 1960 et 1970, une opinion plus diversifiée sur le sujet autour de l'activisme commence à s'établir. Des modèles ont été introduits pour comprendre les pouvoirs organisationnels et structurels incorporés dans les mouvements sociaux dans le contexte de la société actuelle. Les transformations numériques qui importent notre société influent alors sur cette organisation des mouvements sociaux.
Depuis plus de dix ans, Internet a beaucoup contribué à l'évolution des actions de mobilisation. En effet, les outils de communication tels que Twitter, Facebook, Telegram ou Tor ont modifié la vitesse, la portée et l'efficacité de la communication au sein des mouvements. L'utilisation de ces moyens de communication a accompagné des révolutions et des transitions démocratiques si bien que l'on utilise souvent depuis le Printemps arabes les termes de révolution Twitter, révolution Facebook ou encore révolution 2.0, sans réelle preuve scientifique du rôle de ces outils par rapport à des mouvements sociaux sans ces technologies.
En 2004, pour la première fois, lors de la Révolution orange en Ukraine, les téléphones portables et Internet jouent un rôle déterminant dans la coordination des révolutionnaires[5]. C'est ainsi par exemple que le collectif civique Pora! tenta de mobiliser et d'informer la jeunesse en utilisant Internet pour contrer la censure du gouvernement et les SMS[6] pour coordonner des mobilisations et disséminer des informations relatives aux élections.
En 2009, la révolte en Moldavie après la victoire du parti communiste aux élections législatives en avril[5], et le Soulèvement postélectoral en Iran[7] sont considérés comme les deux premiers mouvements sociaux d'ampleur dans lesquels les réseaux sociaux sur Internet jouent un rôle de relai d'information et de coordination. Dans les deux cas présents Twitter représentait la seule plateforme d'expression libre et intensément propagatrice sur laquelle les utilisateurs s'échangeaient des liens et des médias témoignant des manifestations[7].
En 2011, le Mouvement des Indignados et Occupy Wall Street deviennent les premiers mouvements à tenter d'atteindre la « démocratie réelle » par l'action collective et la « construction d'une forme d'intelligence collective »[8]. L'utilisation d'Internet a permis de répandre massivement et rapidement ce mouvement dans le monde entier et d'organiser une « journée planétaire des Indignés » le dans 1 051 villes de 90 pays du monde.
En 2016, la très grande horizontalité de Nuit debout - permise entre autres par la communication via internet mais également par son organisation en Démocratie liquide[9] - ainsi que l'hétérogénéité des revendications, font dire au politologue Gaël Brustier que : « on peut sans doute dire que Nuit Debout est le premier mouvement social post-marxiste »[9]. Il nuancera toutefois plus tard, en précisant que cela ne marquerait vraiment une évolution importante que si cela pousse les partis politiques européens de gauche à devenir eux-mêmes écologistes et post-marxistes[10].
5 Notes et références[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ Eric Neveux, Sociologie des mouvements sociaux, La découverte, 2019 (1ère ed. en 1996), 116 p. (ISBN 978-2-348-05462-4, lire en ligne), p. 9
- ↑ (en) Donatella Della Porta et Mario Diani, Social movements: an introduction, Wiley-Blackwell, 2020 (1ère éd. en 1998) (ISBN 978-1-119-16767-9 et 978-1-119-16768-6, lire en ligne)
- ↑ « La première grève connue de l'Histoire à Deir el Medineh, Égypte », sur Egyptos (consulté le 24 août 2020).
- ↑ 4,0 et 4,1 (en) Charles Tilly, The Contentious French : Four Centuries of Popular Struggle, Cambridge, Mass., Harvard University Press, , 472 p. (ISBN 978-0674166950)
- ↑ 5,0 et 5,1 « La «Révolution Twitter» des Moldaves », sur slate.fr, (consulté le 8 mai 2016)
- ↑ (en) « The Role of Digital Networked Technologies in the Ukrainian Orange Revolution », sur harvard.edu, (consulté le 8 mai 2016)
- ↑ 7,0 et 7,1 « Iran, la révolution Twitter ? », sur liberation.fr, (consulté le 8 mai 2016)
- ↑ « Indignés : les nouvelles formes de protestation », sur scienceshumaines.com, (consulté le 8 mai 2016)
- ↑ 9,0 et 9,1 « “Nuit Debout est le premier mouvement social post-marxiste” », sur lesinrocks.com, (consulté le 8 mai 2016)
- ↑ « Pour renaître, la gauche doit devenir post-marxiste et écologique », sur reporterre.net, (consulté le 13 octobre 2016)
6 Voir aussi[modifier | modifier le wikicode]
6.1 Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]
- Susan Eckstein, Power and Popular Protest: Latin American Social Movements, édition mise à jour, University of California Press, 2001. (ISBN 0520227050)
- Laurent Frajerman, « L'engagement des enseignants • Figures et modalités, 1918-1968 », Histoire de l'éducation, n° 117, , p. 57-95.
- Jérôme Lafargue, La Protestation collective.
- Pénélope Larzillière, Sociologie de l'engagement à partir du Proche-Orient, in J. Husseini et A. Signoles, Les Palestiniens entre État et diaspora : le temps des incertitudes, Paris, Karthala / IISMM - EHESS, 2012, p. 179-188 et p. 299-301.
- Frédéric Sawicki et Johanna Siméant, « Décloisonner la sociologie de l'engagement militant • Note critique sur quelques tendances récentes des travaux français ». Sociologie du travail, n° 51, 2009, p. 97-125.