Prolongements multiples de la crise

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Guerre de concurrence[modifier le wikicode]

Marx, New York Tribune, 3-11-1958.

L’excédent des importations britanniques sur les exportations, qui atteint une somme de 97 000 000 L.st. en trois ans, ne saurait en aucune façon justifier les lamentations des Britanniques, qui se plaignent maintenant de « faire des affaires au prix d’une perte annuelle de 33 000 000 L.st. », et de n’avantager par leur commerce que les pays étrangers [1]. Les masses gigantesques et croissantes de capital britannique, investies dans toutes les partie du monde, doivent rapporter des intérêts, des dividendes et des profits qui doivent tous dans une large mesure être payés par des produits étrangers, et allonger en conséquence la liste des importations britanniques. Outre les importations correspondant à leurs exportations, il doit y avoir un excédent d’importations fournies non pas en paiement de marchandises exportées, mais comme revenu du capital. En général, -la prétendue balance commerciale doit donc, dans l’ensemble, être toujours positive pour le reste du monde et négative pour l’Angleterre [2]. Le reste du monde paie annuellement à l’Angleterre non seulement les marchandises qu’il lui achète, mais encore les intérêts de la dette, qu’il lui doit.

Mais l’aspect le plus inquiétant pour l’Angleterre des constatations qui précèdent est qu’elle a manifestement, [384] le plus grand, mal à trouver chez elle un champ d’utilisation suffisant pour son énorme capital ; qu’elle doit en conséquence le prêter en masses toujours croissantes, et – semblable en cela la Hollande, Venise et Gênes, à l’époque de leur déclin – forger elle-même les armes de ses concurrents. Ainsi est-elle obligée, en accordant de larges crédits, d’entretenir la spéculation dans d’autres pays pour trouver une sphère d’utilisation pour son capital en excédent, et de mettre en péril sa richesse acquise... en vue de l’augmenter et de la conserver.

En étant obligée d’accorder de larges crédits aux pays industriels étrangers, et notamment à ceux du continents européen, elle avance elle-même à ses rivaux industriels les moyens de lui faire concurrence pour les matières premières, et contribue, en conséquence, elle-même au renchérissement des matériaux utilisés par ses propres fabriques. La faible marge de profit, ainsi laissée au fabricant britannique, est encore réduite par la nécessité constante, pour un pays dont l’existence même est liée à la situation de monopole qui en fait l’atelier du monde, de vendre constamment m oins cher que le reste du monde. Or, ce faible taux de profit ne peut être compensé que, par la réduction des salaires de la classe ouvrière et par la création, à l’intérieur, de la misère à une échelle rapidement croissante. Tel est le prix naturel payé par l’Angleterre, pour sa suprématie commerciale et industrielle [3].

La guerre cachée contre les ouvriers[modifier le wikicode]

Engels, Situation des classes laborieuses.

Chap. Concurrence.

L’industrie anglaise doit disposer d’une réserve d’ouvriers sans emploi pour être en mesure de produire les quantités de marchandises que le marché exige [385] précisément pendant les mois où il est le plus animé. Cette armée de réserve est plus ou moins nombreuse, selon que l’état du marché permet d’en occuper une partie plus ou moins grande. Et même si les districts agricoles – l’Irlande et les parties de l’économie moins dépendantes du cycle et de la phase de prospérité extrême du marché – peuvent fournir un certain nombre de bras, ceux-ci ne constituent tout de même qu’une minorité et, par ailleurs font partie eux aussi de l’armée de réserve, à cette seule différence près que ce n’est que la phase d’essor qui montre, à chaque fois qu’elle revient, s’ils en font encore partie. Lorsqu’ils passent dans les branches les plus animées de l’industrie, on s’impose des restrictions dans leur région d’origine pour moins ressentir le vide que cause leur départ : on emploie les femmes et les jeunes gens, et lorsque survient la crise ils sont licenciés et reviennent pour s’apercevoir que leur place est occupée et qu’ils sont superflus –du moins la plupart d’entre eux.

Les chômeurs ne peuvent compter que sur la sympathie des ouvriers qui savent par expérience ce qu’est la faim, et qui peuvent à tout moment tomber dans la même situation. De fait, cette prière muette, mais d’autant plus émouvante, ne se manifeste que dans les rues fréquentées par les ouvriers et aux heures où ils y passent. Mais, c’est surtout le samedi soir, que les quartiers populaires révèlent leurs « mystères » dans les rues principales, et que les bourgeois s’écartent autant que possible de ces endroits malpropres. Et si l’un de ces « hommes en surnombre » a assez de courage et de passion pour entrer en conflit ouvert avec la société, pour répondre par une guerre ouverte à la guerre cachée que lui livre la bourgeoisie, celle-ci crie au vol, au pillage et à l’assassinat [4].

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Guerre et Révolution[modifier le wikicode]

Engels, Le socialisme en Allemagne, in :

Die Neue Zeit, I, 1891-1892, n° 19.

En cas de guerre, l’Allemagne d’abord, la France ensuite en seront le théâtre principal ; ces deux pays surtout en payeront les frais sous forme de dévastations. Il y a plus. Cette guerre, dès l’abord, se distinguera par une série de trahisons entre alliés comme même les annales de la traîtresse diplomatie ne nous en ont pas fourni de pareilles jusqu’ici ; la France ou l’Allemagne, ou toutes les deux, en seront les principales victimes. Il est donc presque sûr que ni l’un ni l’autre de ces deux pays, en vue des risques à courir, ne provoquera la lutte ouverte...

Aucun socialiste, de n’importe quel pays, ne peut désirer le triomphe guerrier, soit du gouvernement allemand actuel, soit de la république bourgeoise française ; encore moins celui du tsar, qui équivaudrait à la subjugation de l’Europe. Voilà pourquoi les socialistes demandent partout que la paix soit maintenue. Mais si néanmoins la guerre doit éclater, une chose est certaine. Cette guerre, où quinze à vingt millions d’hommes armés s’entr’égorgeraient et dévasteraient l’Europe comme jamais elle n’a été dévastée, cette guerre ou bien amènerait le triomphe immédiat du socialisme, ou bien elle bouleverserait tellement l’ancien ordre des choses et laisserait partout après elle un tel monceau de ruines que la vieille société capitaliste deviendrait plus impossible que jamais, et que la révolution sociale, retardée de dix à quinze ans, n’en serait que plus radicale et plus rapidement parcourue.

Engels à Bebel, 16-XII-1879.

…L’histoire suit son cours sans se préoccuper des sermons philistins de modération et de sagesse... Ou [387] bien l’absolutisme s’écroulera en Russie, et alors, dès la chute du grand foyer de la réaction, un vent tout nouveau soufflera sur l’Europe, ou bien une guerre européenne éclatera et celle-ci enterrera le parti allemand actuel sous la fureur de la lutte inévitable de chaque nation pour son existence nationale. Une telle guerre serait pour nous le plus grand malheur ; elle nous rejetterait en arrière d’une vingtaine d’années. Cependant, le nouveau parti qui se formera inévitablement, sera dans tous les pays d’Europe libéré de cet esprit mesquin et timoré de compromis et d’hésitation qui freine partout le mouvement.

[388]

[389] à [428]

Les notes en fin de textes ont toutes été converties en notes de bas de pages afin d’en faciliter la lecture. JMT.

  1. Il faut entendre les prolongements de la crise en un double sens historique. Disons qu'une première crise économique se prolonge en (ou produit) des troubles politiques, militaires et sociaux. – Pour résoudre cette crise, l'État intervient en prenant des mesures politiques et militaires, etc. pour remettre la machine économique en marche. Désormais, les facteurs de. crises politiques, militaires, etc. avec des nationalisations, des fixations de prix autoritaires, l'armement, etc. - sont directement incorporés à l'économie et tendront à rendre la prochaine crise directement politique, etc. C'est l'étape impérialiste. Ainsi, dans ce passage, Marx explique que l’Angleterre qui a exporté ses crises politiques et militaires en 1848, a fini par, les inclure tout de même dans ses propres rapports économiques et sociaux. Voici un exemple, parmi beaucoup d'autres : l'Angleterre évitait de graves crises chez elle tant qu'elle exportait sa surproduction, son excédent de capital. Mais, ce faisant, elle a donné naissance à de redoutables concurrents là où elle investissait pour écrémer du profit – aux Etats-Unis notamment, sans parler de la France et de l'Allemagne. Or, les Etats-Unis finiront par la détrôner de son rang de première puissance mondiale. Dans cette décadence, Marx voit le signe de la chute du système capitaliste tout entier. Cf. Marx-Engels, la Critique de Malthus, p. 127. Les États-Unis assurent aujourd'hui la relève de l’Angleterre. C'est ce que Marx savait le mieux – le premier peut-être, comme en, l'a vu. Mais cela ne sauve pas le capital, car, à leur tour, les États-Unis sont en proie aujourd'hui au même déclin que l'Angleterre de la fin du siècle dernier – et le fait de tourner en rond n'avance pas.
  2. Il était normal, à l'époque où le mode de production capitaliste était révolutionnaire, que le premier pays bourgeois du monde industrialisât les autres continents, en y exportant une partie de sa production (excédentaire) – d'où sa balance des paiements toujours déficitaire. Lorsque le capital devint parasitaire et saccagea l'Europe industrialisée, l'Angleterre décadente se mit à manger parasitairement les capitaux exportés à l'étranger, en suçant les pays en voie de développement par ses intérêts usuraires. Cette pratique est cellelà même de l'Amérique qui a désormais un déficit de sa balance commerciale et de paiement, parce qu'elle vit – en tant que pays capitaliste le plus développé du monde qui a concentré chez lui les richesses accumulées sur le dos du monde entier – comme parasite des pays plus pauvres. La mauvaise copie du premier modèle témoigne toujours d'une déchéance irrémédiable.
  3. Ce prix élevé que le capital paie démontre qu'il est encore juvénile et remplit une fonction révolutionnaire et progressive – ce qui n'est plus le cas, lorsque devenu sénile, il vit comme un cancer sur les forces vives du capitalisme dernier-né des pays de couleur.
  4. La crise est, en somme, la manifestation au grand jour de cette « guerre cachée » que livrent les bourgeois aux prolétaires dans la vie économique de tous les jours. Le fait que cette guerre soit « cachée » est tout à fait dans la manière bourgeoise. Ainsi décline-t-elle toute responsabilité dans les crises catastrophiques pour les masses humaines, salariées ou en chômage, non seulement dans les pays blancs, mais encore dans les continents de couleur qui sont sous sa coupe. Les lois de l'économie ne sont-elles pas aveugles et ne s'imposent-elles pas même à leurs serviteurs bourgeois ? Néanmoins, les capitalistes ont mis en place toute une superstructure juridique, politique et idéologique de contrainte légale et illégale sur les esprits et les corps pour forcer la malheureuse humanité à se soumettre à son odieux système. C'est ce qui a fait dire à Marx : « Les terroristes par la grâce de Dieu et du Droit, s'ils sont brutaux, méprisables et vulgaires dans la pratique, sont lâches, sournois et hypocrites en théorie : bref, dans les deux cas, ils n'ont pas d'honneur » (la Nouvelle Gazette rhénane, 18-V-1849, trad. fr. in Ecrits militaires, Edit. l'Herne, p. 262-266).