Catégorie | Modèle | Formulaire |
---|---|---|
Text | Text | Text |
Author | Author | Author |
Collection | Collection | Collection |
Keywords | Keywords | Keywords |
Subpage | Subpage | Subpage |
Modèle | Formulaire |
---|---|
BrowseTexts | BrowseTexts |
BrowseAuthors | BrowseAuthors |
BrowseLetters | BrowseLetters |
Template:GalleryAuthorsPreviewSmall
Special pages :
Explication des crises à partir des diverses formes qui constituent la base économique du système capitaliste
- Préface
- 1. Partie descriptive
- La crise générale de 1848
- Le cycle de la crise de 1857
- La crise surmontée, mais généralisée
- 2. Partie explicative
- Préliminaire
- Explication des crises à partir des diverses formes qui constituent la base économique du système capitaliste
- Baisse tendancielle du taux de profit et crises
- Points mercantiles et monétaires de crise
- Prolongements multiples de la crise
- Annexe
Le problème des crises : remarques d’ordre général. Destruction de capital par les crises[modifier le wikicode]
Marx, Théories sur la plus-value
(Werke 26.2, p. 492-535)
Tout le procès de l’accumulation se résout avant tout en une surproduction qui, d’une part, répond à la croissance naturelle de la population et, d’autre part, constitue la base immanente des phénomènes qui apparaissent dans les crises [1]. La mesure de cette surproduction est le capital lui-même, le niveau atteint par les conditions de production et le penchant démesuré des bourgeois à s’enrichir et à capitaliser. Ce n’est en aucune façon la consommation qui, d’emblée, est mise à mal, puisque la majeure partie de la population – la population ouvrière – ne peut accroître sa consommation que dans les limites très étroites et qu’en outre la demande de travail diminue relativement, même si elle croit de façon absolue, à mesure que le capital se développe. À cela s’ajoute que tous les réajustements ou péréquations sont fortuits. Bien que la proportion de capital à appliquer à telles sphères particulières s’équilibre en un procès constant, la continuité de ce [289] procès implique une perpétuelle disproportion qui est constamment – souvent de façon brutale – réajustée.
Nous n’avons à considérer ici que les formes par lesquelles le capital passe au cours de ses évolutions successives. Nous laisserons donc de côté les conditions réelles dans lesquelles se déroule le procès de production effectif. Nous supposerons toujours que la marchandise est vendue à sa valeur. Nous ne tiendrons compte ni de la concurrence entre capitaux, ni du crédit, ni de la structure réelle de la société qui n’est pas constituée uniquement d’ouvriers et de capitalistes industriels, puisque consommateurs et producteurs ne se recouvrent pas. La première catégorie, celle des consommateurs (dont les revenus ne sont pas primaires, mais en partie secondaires, dérivés du profit et du salaire) est bien plus étendue que la seconde, celle des producteurs, de sorte que la manière dont elle dépense son revenu et le volume de ce dernier déterminent des modifications considérables dans la structure de l’économie et particulièrement dans le procès de circulation et de reproduction du capital. Cependant, l’analyse de la monnaie [2] nous a montré qu’elle implique déjà la possibilité de crises pour autant qu’elle se distingue de la forme naturelle de la marchandise, ou qu’elle revêt la forme du moyen de paiement. C’est encore plus le cas du capital en général, et de ses structures internes réelles qui constituent toutes des conditions préalables du procès de production effectif.
D’après l’opinion du fade Say, reprise par Ricardo, mais appartenant en fait à James Mill, il ne peut y avoir de surproduction ou du moins saturation générale du marché, en raison de l’idée que les produits s’échangent contre les produits [3] ou – comme l’énonçait James Mill – qu’il y a « équilibre métaphysique entre vendeurs et acheteurs », ce qui conduit finalement à la formule que la demande est déterminée par la production et que la demande est identique à [290] l’offre. Ce principe, Ricardo l’énonçait comme suit : n’importe quelle quantité de capital peut être productivement utilisée n’importe où...
Comme Ricardo se réfère à Say, nous ferons plus tard aussi la critique des inepties de Say.
Observons simplement en passant le fait suivant : Dans la reproduction du capital tout comme dans son accumulation, il ne s’agit pas seulement de reconstituer sur une échelle égale ou supérieure la même masse de valeurs d’usage dont se compose le capital, mais encore de remplacer la valeur du capital anticipé au taux habituel de profit (plus-value). Ainsi donc, si par suite d’une circonstance ou d’un concours de circonstances quelconques, les prix courants des marchandises (de toutes ou de la majeure partie d’entre elles, peu importe) tombent très au-dessous de leurs prix de production, la reproduction du capital se contracte d’autant, tandis que l’accumulation se bloque encore davantage. La plus-value accumulée sous forme d’argent (or ou billets) ne pouvant être convertie en capital qu’avec perte, elle reste en friche dans – les coffres des banques, voire sous forme de monnaie de crédit – ce qui, au fond, revient au même. La même chose pourrait se produire pour, des raisons inverses, si les conditions réelles de la reproduction venaient à manquer (par exemple, lorsque le blé renchérit ou que l’on n’a pas accumulé suffisamment de capital constant en nature).
Il s’ensuit un blocage dans la reproduction, et donc dans le flux de la circulation. Achat et vente se figent l’un en face de l’autre, et du capital inemployé apparait sous forme d’argent en friche. Le même phénomène (et il précède le plus souvent les crises) peut encore se vérifier, lorsque la production d’excédent de capital, s’effectue trop rapidement et que sa reconversion en capital productif fait monter la demande de tous les éléments qui le composent au point que la production réelle ne peut plus tenir le pas, d’où hausse du prix de toutes les marchandises qui entrent dans la [291] formation du capital. Dans ce cas le taux de l’intérêt baisse considérablement même si le profit peut croître – et cette baisse du taux d’intérêt porte alors aux plus aventureuses spéculations. Le blocage de la reproduction entraîne une diminution du capital variable, une baisse des salaires et de la masse de travail employé. D’où une nouvelle chute des prix.
Il ne faut pas perdre de vue que le capital ne produit plus directement de la valeur d’usage, mais de la valeur d’échange, et plus précisément accroit sa plus-value. Telle est la cause motrice de la production capitaliste – et c’est une idée saugrenue que d’en faire abstraction pour escamoter les contradictions de la production capitaliste convertie en une économie réglée par la consommation immédiate des producteurs.
En outre, le procès de circulation ne s’accomplit pas en un jour, mais s’étend bien plutôt sur une longue période avant que le capital effectue son retour. À l’époque de ce retour, ses prix de production doivent s'ajuster aux prix de marché. Or, comme dans ce laps de temps, le marché a subi de grands bouleversements et des modifications, que la productivité du travail a varié, et donc aussi la valeur réelle des marchandises, il est clair qu'entre le point de départ – l'investissement du capital – et le moment du retour, a survient maintes catastrophes où s'amassent et se développent des éléments de crise que l'on ne saurait éliminer avec la piètre formule selon laquelle des produits s’échangent contre des produits. La confrontation de la valeur d'une même marchandise à deux époques successives, que Mr. Bailey [4] tient pour un préjugé scholastique, constitue plutôt le principe fondamental du procès de circulation du capital.
doivent s’ajuster aux prix de marché. Or, comme dans ce laps de temps, le marché a subi de grands bouleversements et des modifications, que la productivité du travail a varié, et donc aussi la valeur réelle des marchandises, il est clair qu’entre le point de départ – l’investissement du capital – et le moment du retour, a survient maintes catastrophes où s’amassent et se développent des éléments de crise que l’on ne saurait éliminer avec la piètre formule selon laquelle des produits s’échangent contre des produits. La confrontation de la valeur d’une même marchandise à deux époques successives, que Mr. Bai[5] 152 tient pour un préjugé scholastique, constitue plutôt le principe fondamental du procès de circulation du capital.
Quand nous parlons de destruction de capital par les crises, il importe de distinguer deux choses.
Dans la mesure où le procès de reproduction se bloque et que le procès de travail est réduit, voire totalement arrêté en certains points, il y a destruction de [292] capital réel. Les machines, inutilisées ne sont pas du capital. Le travail inexploité équivaut à une perte de production. Les matières premières en friche ne sont pas. du capital. Les installations (tout comme des machines nouvellement construites) qui restent ou bien inutilisées ou bien inachevées, les marchandises qui pourrissent dans les magasins, tout cela constitue une destruction de capital. C’est à quoi se résout un blocage du procès de reproduction : les moyens de production, existants n’agissent pas effectivement, ne remplissent pas leur rôle de moyens de production. Leur valeur d’usage et leur valeur d’échange sen vont à vau-l’eau
Deuxièmement, cette destruction de capital par les crises signifie dépréciation de masses de valeurs. Cette dépréciation empêche de renouveler ensuite le procès de reproduction du capital à la même échelle, C’est l’effet ruineux de la chute du prix des marchandises. Il n’y a pas pour autant destruction de valeurs d’usage. Ce que l’un perd, l’autre le gagne [6]. Mais des masses de valeurs opérant comme capital sont empêchées de se renouveler comme capital entre les mêmes mains. Certains des capitalistes en place font faillite.
Supposons, que la valeur de us marchandises, dont la vente lui permet de reproduire son capital, soit égale à 12 000 L.st., y inclus 2 000 de profit, et qu’elle tombe à 6 000, le capitaliste ne pourra plus faire face aux obligations qu’il a contractées ou, s’il n’avait pas, il ne pourra plus reprendre ses affaires à la même échelle, dès lors que le prix des marchandises égale de nouveau leur prix de production. Il y a donc destruction d’un capital de 6 000 L.st., bien que l’acheteur de ces marchandises, pour les avoir acquis à la moitié de leur prix de production, s’en tire avantageusement et puisse même en tirer profit quand les affaires reprendront. Une large part du capital nominal de la société, c’est-à-dire de la valeur d’échange du capital existant, est à tout jamais anéantie, bien que cette destruction [293] qui n’affecte pas la valeur d’usage, puisse favoriser considérablement la nouvelle reproduction. C’est l’époque où le capitaliste financier s’enrichit aux dépens du capitaliste industriel.
En ce qui concerne la chute du capital purement fictif, les bons d’État, actions, etc. – dans la mesure où elle ne provoque pas la banqueroute de l’État, des sociétés par actions, etc. ou l’arrêt complet de la reproduction en ébranlant le crédit des capitalistes industriels qui détiennent ces valeurs – elle ne fait que transférer la richesse d’une main à une autre et, en somme, aura un effet bénéfique sur la reproduction, du fait que les parvenus aux mains desquelles, tombent ces actions ou bons au moment où leur cours est le plus bas, sont généralement plus entreprenants que les détenteurs précédents...
Surproduction de marchandises et surabondance de capitaux[modifier le wikicode]
Qu’aurait dit Ricardo de l’absurdité de ses successeurs qui nient la surproduction sous une forme (engorgement du marché par les marchandises) pour l’admettre – et c’est même le point essentiel de leur doctrine – sous forme de surproduction, pléthore, surabondance de capital ?
Il n’est pas d’économiste sérieux de l’époque postricardienne qui nie la pléthore de capital. Tous y trouvent, au contraire, l’explication des crises, à moins qu’ils n’en voient l’origine dans le crédit. Tous admettent donc la surproduction sous une forme, mais la nient sous une autre. Il faut donc se demander quel est le rapport entre ces deux formes de surproduction – l’une sous laquelle elle est née, et l’autre sous laquelle elle est admise ?
Ricardo n’a pas connu lui-même de crises, du moins des crises générales, mondiales, dues au procès de la [294] production elle-même. Il pouvait expliquer les crises de 1800 à 1815 par la hausse des prix du blé à la suite de mauvaises récoltes, par la dépréciation du papier monnaie et des produits coloniaux, etc., parce que le blocus continental avait contracté violemment le marché, pour des raisons non pas économiques, mais politiques. Les crises qui survinrent après 1815, il pouvait encore les expliquer soit par la disette et la pénurie de blé, soit par la chute des prix du blé, quand bien même les causes qui - selon sa propre théorie – avaient fait hausser le prix du blé durant la guerre (l’Angleterre étant coupée du continent) avaient cessé d’agir, car la transition de la guerre à la paix avait suscité « de soudains changements dans les canaux du commerce » (cf. dans ses Principes le chapitre XIX qui porte ce titre).
Les phénomènes historiques ultérieurs – et en particulier la périodicité quasi régulière des crises du marché mondial – ne permirent plus aux successeurs de Ricardo de nier les faits ou de les interpréter comme de simples accidents. Nous faisons abstraction ici de ceux qui expliquent tout par le crédit... puisqu’ils doivent admettre pour cela
qu’il y a surabondance de capital. Nous ne considérerons que ceux qui inventèrent la jolie distinction entre surabondance de capital et surproduction. Pour nier cette dernière, ils continuèrent d’utiliser les formules et les bonnes raisons de Ricardo et de Smith, tandis qu’ils s’efforçaient de tirer de la première des phénomènes qui autrement leur resteraient inexplicables. Wilson, par exemple, explique certaines crises par la surabondance de capital fixe, d’autres par la surabondance de capital circulant. Les meilleurs économistes, tels que Fullarton, admettent la surabondance de capital – et ce préjugé est déjà tellement répandu qu’on en retrouve l’affirmation comme allant de soi jusque dans le compendium du docte M. Roscher. Pour être juste notons que d’autres économistes – tels que Ure, Corbet, etc. – expliquent que la
[295] surproduction est l’état normal de la grande industrie vis-à-vis du marché intérieur. Elle n’amène donc à des crises que dans certaines conditions – si le marché extérieur se contracte lui
Il faut donc se demander ce qu’est la surabondance de capital, et en quoi elle se distingue de la surproduction ? Selon ces mêmes économistes, le capital est identique à l’argent ou aux marchandises. La surproduction de capital est donc surproduction d’argent ou de marchandises. Or, ils nous disent que ces deux phénomènes n’ont rien de commun. Il n’y aurait même pas de surproduction d’argent, puisqu’il n’est pas, à leurs yeux, de la marchandise. En somme, tout le phénomène se résout en une surproduction de marchandises qu’ils admettent sous un nom et rejettent sous un autre. En outre, quand on dit qu’il y a surproduction de capital fixe ou circulant, on sous-entend l’existence des marchandises non plus comme telles, mais comme capital. C’est par conséquent admettre que, dans la production capitaliste et dans ses manifestations – la surproduction, par exemple – il ne s’agit pas du simple rapport où le produit se présente comme marchandise, mais encore du rapport social où le produit est quelque chose de plus et de différent de la marchandise.
En passant de l’expression « surproduction de marchandises » à celle de « surproduction de capital », on réalise un progrès, car les producteurs ne se font plus face comme simples possesseurs de marchandises, mais comme capitalistes. Mais ce que les économistes veulent dire par là, c’est simplement qu’ils distinguent le nom, mais non la chose, C’est faire preuve d’une curieuse déficience intellectuelle que d’admettre le phénomène comme existant et nécessaire, s’il est appelé
a, mais de le nier dès lors qu’il est appelé b. C’est esquiver la difficulté de la crise, en rejetant la dénomination sous laquelle elle heurte les préjugés pour adopter seulement celle où elle ne pose pas de problèmes...
[296]
Possibilité des crises à partir des contradictions de la marchandise et de l’argent[modifier le wikicode]
C’est dans les crises du marché mondial qu’éclatent les contradictions et les antagonismes de la production bourgeoise. Or, au lieu de rechercher en quoi consistent les éléments opposés qui finissent par exploser dans la catastrophe, les apologistes se contentent de nier la catastrophe elle-même : même face au renouvellement périodique et déterminé des crises, ils s’obstinent à répéter que si la production se conformait aux règles de leurs manuels, elle n’arriverait jamais à la crise. Pour cela, ils tronquent les rapports économiques les plus simples, et ne voient qu’unité là où il y a contraste.
Ainsi, par exemple, si l’achat et la vente – c’est-à-dire le mouvement de métamorphose de la marchandise – représentent l’unité de deux procès, ou mieux le passage d’un seul procès par deux phases opposées, l’unité de ces deux phases est donc aussi essentielle que leur séparation et leur autonomisation l’une en face de l’autre. Or, comme elles vont tout de même ensemble, le fait qu’elles soient séparées et autonomes ne peut que témoigner d’une violence, d’un procès de désagrégation. Or, c’est précisément dans les crises que doit se réaliser leur unité, une unité de ce qui est divers. Il s’agit alors de détruire par la force l’indépendance d’éléments qui vont ensemble et doivent se compléter. La crise met ainsi en évidence l’unité d’éléments qui sont devenus indépendants l’un de l’autre. Il n’y aurait pas de crise, s’il ne fallait pas réaliser l’unité foncière de ce qui apparaît comme réciproquement indifférent. Notre apologiste dit au contraire : puisque l’unité se réalise, il n’y a pas de crise – ce qui revient à dire que l’unité de moments opposés exclut l’opposition.
Pour démontrer que la production capitaliste ne peut conduire à des crises générales, on en nie toutes les conditions et toutes les déterminations, tous les principes et les différences spécifiques – en un mot, la [297] production capitaliste elle-même. On démontre pratiquement que si le mode de production capitaliste, au lieu d’être une forme spécifique et développée de la production sociale, était un mode de production aussi rudimentaire qu’à ses débuts, ses contrastes typiques et ses contradictions ne pourraient pas éclater en crises.
« Les produits – écrit Ricardo à la suite de Say – sont toujours achetés par des produits pu des services ; l’argent n’est qu’un moyen grâce auquel s’effectue l’échange.[7] »
C’est transformer en simple produit (valeur d’usage) une marchandise qui implique l’opposition entre valeur d’échange et valeur d’usage, et l’échange de marchandises devient simple troc de produits, de valeurs d’usage. C’est retomber non seulement au début de la production capitaliste, mais même en deçà de la simple production marchande. Et le phénomène le plus complexe de la production capitaliste – la crise du marché mondial – est escamoté par le procédé qui consiste à nier la première condition de la production capitaliste, à savoir que le produit est marchandise, et doit donc prendre la forme de l’argent et parcourir tout un procès de métamorphoses. Au lieu de parler de salariat, on parle de « services », terme qui efface la caractéristique essentielle du travail salarié et de son utilisation – à savoir : augmenter la valeur des marchandises contre lesquelles il s’échange, en produisant de la plus-value ; du même coup on biffe le rapport spécifique par lequel l’argent et la marchandise se transforment en capital. « Service » est le travail conçu uniquement comme valeur d’usage – chose secondaire dans la production capitaliste ; de la même façon, le terme de « produit » élimine l’essence même de la marchandise et la contradiction qu’elle implique. Dès lors, il devient logique de concevoir l’argent comme simple intermédiaire de l’échange des produits, et non comme une forme d’existence essentielle et nécessaire de la marchandise, [298] qui doit prendre la forme de la valeur d’échange – du travail social général. Dès lors que l’on transforme la marchandise en simple valeur d’usage (produit), on efface son caractère de valeur d’échange, et rien n’est plus facile ensuite que de nier que l’argent soit une forme essentielle et, dans le procès des métamorphoses, autonome vis-à-vis de la forme primitive de la marchandise.
On élimine donc ici les crises par un raisonnement qui oublie ou nie les conditions premières de la production capitaliste l’existence du produit comme marchandise, le dédoublement de la marchandise en marchandise et argent, les éléments opposés qui en résultent dans l’échange de marchandises, et enfin le rapport entre l’argent ou la marchandise et le travail salarié.
Soit dit en passant, des économistes – John Stuart Mill, par exemple – ne font pas mieux lorsqu’ils cherchent à expliquer les crises par ces simples possibilités de crise contenues dans la métamorphose des marchandises, la séparation de l’achat et de la vente. Ces déterminations expliquent bien la possibilité des crises, mais pas encore leur réalité. Elles ne nous apprennent pas pour quelles raisons les phases du procès de circulation du mode de production capitaliste doivent entrer dans un conflit tel qu’une crise seule, en un procès violent, puisse appliquer son unité intérieure. Cette séparation devient visible dans les crises, et en constitue la forme élémentaire. Vouloir expliquer la crise par sa forme élémentaire, c’est l’expliquer par sa forme la plus abstraite. Cela revient à expliquer la crise par la crise...
Aux époques où les hommes produisaient pour eux-mêmes, il n’y avait pas de crises, mais il n’y avait pas non plus de production capitaliste. Les Anciens – pour autant que nous le sachions – n’ont jamais connu de crises dans leur production esclavagiste, bien que certains producteurs dans l’Antiquité aient fait banqueroute. [299] Aujourd’hui l’alternative est absurde quiconque produit n’a pas le choix entre vendre ou non – il doit vendre. Or c’est précisément lors des crises qu’il arrive qu’on ne puisse pas vendre, ou qu’on doive vendre au-dessous du prix de production, voire avec une perte pure et simple. A quoi nous sert-il – à lui et à nous – de savoir qu’il a produit pour vendre ? Il importe plutôt de savoir ce qui empêche de réaliser sa louable intention.
En outre, Ricardo affirme : « Personne ne vend sinon dans le but d’acheter une autre marchandise qui puisse lui être « une utilité immédiate ou contribuer à la production future » Quelle sympathique annonce des rapports bourgeois ! Ricardo en oublie même que l’on puisse aussi vendre pour payer, et que ces ventes forcées prennent une place notable dans – les crises. Dans la vente, le but le plus immédiat du capitaliste est de convertir sa marchandise, ou mieux son capital-marchandise, en capital-argent afin de réaliser son profit. La consommation – le revenu – n’est donc pas le point central de ce procès. Au contraire, elle l’est indubitablement pour celui qui ne vend des marchandises que pour le transformer en moyens de subsistance, Mais cela ne correspond pas à la production capitaliste, où le revenu apparaît comme résultat, et non comme cause déterminante. Chacun y vend d’abord pour vendre, c’est-à-dire pour convertir sa marchandise en argent.
Durant la crise, un tel peut s’estimer heureux de vendre sans penser aussitôt à acheter. Certes, si la valeur réalisée doit agir de nouveau comme capital, il lui faut parcourir le procès de la reproduction, donc s’échanger de nouveau contre du travail et des marchandises. Mais la crise est justement le moment où le procès de reproduction est troublé et interrompu. Et on ne peut expliquer cette perturbation par le fait qu’elle ne se vérifie pas dans les périodes où il n’y a pas de crise. Sans aucun doute, personne « ne continue [300] de produire des marchandises pour lesquelles il n’y a pas de demande » - mais qui parle donc d’une hypothèse aussi absurde ? Du reste, elle n’a rien à voir avec -la question. L’objectif premier de la production capitaliste n’est pas d’ « acquérir d’autres biens », mais de s’approprier de la valeur, de l’argent, de la richesse abstraite.
Même Ricardo reprend, au fond, da formule de James Mill sur « l’équilibre métaphysique entre achats et ventes » équilibre qui ne porte que sur l’unité, et non la séparation dans le procès de l’achat et de la vente. D’où l’affirmation de Ricardo : « On peut produire une trop grande quantité d’une marchandise déterminée, dont il peut y avoir ensuite une telle pléthore d’offre sur Île marché que le capital dépensé dans sa production ne peut être remboursé. Mais ce ne peut être le cas pour toutes les marchandises » (p. 341-342).
L’argent n’est pas seulement « le moyen d’effectuer l’échange », mais il est aussi le moyen par lequel l’échange d’un produit contre un autre se divise en deux actes qui sont autonomes et séparés dans le temps et l’espace. Chez Ricardo, cette idée fausse de l’argent provient de ce qu’il ne considère, en général, que le côté quantitatif de la valeur d’échange - le fait qu’elle correspond à un quantum déterminé de temps de travail - en oubliant, en revanche, le côté qualitatif, à savoir que le travail individuel, en s’aliénant, doit prendre la forme du travail social, abstraitement général[8].
C’est un piètre expédient que d’affirmer que seules certaines marchandises et pas toutes peuvent engorger le marché et que, par conséquent, la surproduction ne peut jamais être que partielle. D’abord, pour ce qui est de leur caractère marchand, rien ne s’oppose à ce que toutes les marchandises – à l’exception de l’argent – soient en excédent sur le marché si bien qu’elles tombent au-dessous de leur prix. Cela ne se [301] produit évidemment qu’au moment spécifique de la crise quand toutes les marchandises sont en excédent sauf l’argent, Que la marchandise doive se transformer en argent, cela signifie simplement que cette nécessité s’applique à toutes les marchandises. Et comme cette difficulté existe pour une marchandise particulière, en existe aussi pour toutes. La nature générale de la métamorphose des marchandises – qui implique aussi bien la séparation de l’achat et de la vente que leur unité – loin d’exclure la possibilité d’un engorgement général, en contient bien plutôt les germes.
À l’arrière-plan des raisonnements de Ricardo et d’autres économistes, il n’y a pas seulement le rapport entre l’achat et la vente, mais aussi entre l’offre et la demande que nous aurons à considérer dans l’analyse de la concurrence entre les capitaux. Comme achat signifie vente pour Mill, offre signifie demande, mais ils peuvent tout aussi bien se rendre autonomes les uns par rapport aux autres. A un moment donné, l’offre de toutes les marchandises peut dépasser la demande de toutes les autres, parce que la demande de la marchandise générale, l’argent, la valeur d’échange, est supérieure à celle de toutes les marchandises particulières, ou parce que l’acte de la conversion de la marchandise en argent, c’est-à-dire de la réalisation de sa valeur d’échange, l’emporte sur l’acte de sa reconversion en valeur d’usage.
Si l’on approfondit et l’on détermine plus concrètement le rapport entre l’offre et la demande, on en arrive au rapport entre production et consommation. Il faudrait souligner dors l’unité fondamentale de ces deux actes qui se manifeste avec violence dans les crises face à leur séparation et à leur opposition non moins réelles qui sont spécifiques de la production bourgeoise.
En ce qui concerne la distinction entre la surproduction partielle et la surproduction universelle, les économistes n’admettent la première que pour mieux [302] échapper à la seconde. Nous ferons les remarques suivantes à ce propos :
1. Les crises sont généralement précédées d’une inflation générale des prix de tous les articles de la production capitaliste. Tous participent donc au krach subséquent, et au prix qu’ils avaient auparavant, ils sont tous en excédent sur le marché. Celui-ci ne peut absorber qu’à des prix moindres, des prix inférieurs à leur prix de production, une quantité de marchandises qu’il ne peut absorber à leurs anciens prix de marché. L’excès de marchandises est toujours relatif ; en d’autres termes, il y a masse exagérée à tel prix déterminé. Mais les prix auxquels les marchandises sont alors absorbées sont ruineux pour le producteur ou pour le marchand.
2. Pour qu’une crise – et donc aussi la surproduction – soient générale, il suffit qu’elle porte sur les articles de commerce décisifs.
Surproduction partielle et universelle, relative et absolue. Demande solvable et besoins absolus[modifier le wikicode]
Peut-il y avoir un raisonnement plus puéril que celui de Ricardo pour démontrer qu’on peut produire une marchandise particulière en quantité plus grande que celle qu’on peut en consommer, étant entendu que cela ne peut s’appliquer à toutes les marchandises en même temps, parce que les besoins à satisfaire n’ont pas de limite et ne sont pas tous satisfaits en même temps ? Au contraire, la satisfaction d’un besoin en rend pour ainsi dire un autre latent. Il ne faut donc rien d’autre que les moyens de satisfaire ces besoins, et ces moyens ne peuvent être obtenus qu’en augmentant la production. En conséquence, une surproduction universelle est impossible.
À quoi cela rime-t-il ? Aux époques de surproduction, une grande partie, de la nation (spécialement la classe [303] ouvrière) dispose moins que jamais, de blé, de chaussures, etc. – pour ne pas parler du vin et du mobilier. S’il ne pouvait y avoir surproduction qu’après que tous les habitants d’une nation aient satisfaits simplement leurs besoins les plus urgents, une surproduction partielle et à plus forte raison générale eût été impossible jusqu’ici dans l’histoire de la société bourgeoise. Même si le marché est saturé de chaussures, de calicot, de vins ou de produits coloniaux, est-ce à dire que les deux tiers de la nation auront satisfait leurs besoins de ces articles ? En quoi la surproduction en général a-t-elle quelque chose à voir avec les besoins absolus ? Elle n’est liée qu’aux besoins solvables. Il ne s’agit donc pas de surproduction absolue, en soi, par rapport à une indigence absolue ou à un désir de posséder des marchandises. Dans ce sens, il n’y a surproduction ni partielle ni générale, non plus que d’opposition entre l’une et l’autre.
Mais, dira Ricardo, s’il y a tant de gens qui manquent de chaussures et de calicot, pourquoi ne se procurent-ils pas les moyens pour les obtenir en produisant quelque chose qui leur permettrait de les acheter ? Ne serait-il pas encore plus simple de dire : pourquoi ne produisent-ils pas eux-mêmes leurs chaussures et leur calicot ? Or, ce qui est encore plus curieux dans la surproduction, c’est que les vrais producteurs qui saturent le marché – les ouvriers – soient précisément ceux qui en manquent. On ne peut pas leur opposer qu’ils devraient produire pour obtenir puisqu’ils ont produit et n’ont cependant rien. On ne peut pas dire non plus que telle marchandise engorge le marché, parce qu’elle ne répond pas à un besoin. Si la surproduction partielle ne peut s’expliquer par le fait que les marchandises qui engorgent le marché sursaturent le besoin qu’on en a, alors la surproduction universelle ne peut être niée, en soutenant qu’il existe de grands besoins insatisfaits pour les nombreuses marchandises qui encombrent le marché.
[304]
Restons-en à l’exemple du calicot. Tant que la reproduction continuait sans encombre – c’est-à-dire dans la phase de cette reproduction où le produit existant comme marchandise vendable, le calicot, se retransformait en argent à sa valeur –la consommation durât aussi, nous voulons dire celle des ouvriers produisant le calicot. Ils en consommaient une partie – et avec l’élargissement de la reproduction – c’està-dire avec l’accumulation – ils en consommaient un peu plus, ou bien dans la production de calicot on occupait des ouvriers plus nombreux qui en même temps en étaient pour partie des consommateurs.
Transformation de la possibilité de la crise en sa réalité. La crise comme manifestation de toutes les contradictions de l’économie bourgeoise[modifier le wikicode]
Avant de poursuivre, notons ceci :
La possibilité de la crise qui apparaît dans la simple métamorphose de la marchandise [9], ne fait que se renforcer encore lorsque le procès de production immédiat se sépare du procès de circulation : la crise éclate dès que cesse le flux continu entre eux et que chacun d’eux devient autonome en face de l’autre.
Lors de la métamorphose des marchandises, la possibilité de la crise se présente comme suit :
Premièrement, la marchandise qui existe réellement comme valeur d’usage et idéalement dans le prix, comme valeur d’échange, doit être convertie en argent : M-A. Cette difficulté étant surmontée par la vente, il n’y a plus de difficulté pour l’achat, A-M, puisque l’argent peut s’échanger contre n’importe quoi. D’emblée, on implique la voleur d’usage de la marchandise, l’utilité du travail contenu en elle – 156 Le lecteur peut se reporter aux explications de. Marx sur les métamorphoses du capital, de marchandise en argent et de celui-ci en marchandise (force de travail, matières premières, etc.) dans la Contribution ou le Capital 1. 288 autrement ce ne serait pas une marchandise. Il est, en outre, supposé que la valeur individuelle de la marchandise est égale à sa valeur sociale, autrement dit, [305] que le temps de travail matérialisé en elle est égal au temps de travail socialement nécessaire à sa production.
La possibilité de la crise – telle qu’elle apparaît dans la forme simple de la métamorphose – dérive donc uniquement du fait que les différentes formes ou phases décrites par la marchandise dans son mouvement 1. se complètent nécessairement, et 2. malgré leur connexion interne nécessaire, sont des parties du procès ou des formes existant indifféremment l’une par rapport à l’autre, étant distinctes dans le temps et l’espace en tant que phases séparées et séparables l’une de l’autre. Cette possibilité de crise résulte donc déjà de la séparation entre la vente et l’achat. Ce n’est que son caractère de marchandise qui fait que la marchandise se heurte à cette difficulté. Dès qu’elle a pris la forme de l’argent, elle l’a surmontée. Tout cela se ramène bel et bien à la séparation entre la vente et l’achat. Si la marchandise ne pouvait – sous la forme de l’argent – se retirer de la circulation ou différer sa reconversion en marchandise, si – comme dans le troc immédiat – l’achat et la vente coïncidaient directement, la possibilité de crises disparaîtrait. En effet, on suppose dans tous ces cas que la marchandise a une valeur d’usage pour d’autres possesseurs de marchandises.
Pour que la marchandise ne soit pas échangeable dans les conditions du troc, il faudrait qu’elle n’ait pas de valeur d’usage ou qu’il n’y ait pas d’autres valeurs d’usage en face d’elle qui puissent s’échanger avec elle ; autrement dit, il n’y a que deux conditions : que d’un côté on ait produit quelque chose d’inutile, ou que de l’autre côté on n’ait rien d’utile à échanger contre la première valeur d’usage. Or, dans les deux cas, l’échange n’aurait même pas lieu. Mais dès lors qu’il y a échange, il ne pourrait y avoir disjonction des deux phases, ni autonomisation des deux actes : l’acheteur serait vendeur, et le vendeur acheteur. En conséquence, le moment critique résultant de la forme de l’échange (en tant que circulation) disparaîtrait. Or, lorsque nous [306] disons que la forme simple de la métamorphose implique la possibilité de crises, nous disons simplement que cette forme suppose la possibilité de la dissociation et de la décomposition des éléments qui, par essence, se complètent l’un l’autre. Mais tout cela s’applique aussi au contenu.
Dans le troc, l’essentiel de la production tend, pour le producteur, à la satisfaction de ses propres besoins et, lorsque la division du travail est un peu plus avancée, à la satisfaction de besoins qu’il connaît chez ceux qui produisent comme lui. Ce qui peut s’échanger comme marchandise est du superflu – et peu importe au fond que cet échange se fasse ou non.
Dans la production marchande, en revanche, la conversion du produit en argent, la vente, est une condition sine qua non. La production immédiate pour ses propres besoins disparaît. Lorsque la vente s’avère impossible, il y a crise. La difficulté de transformer la marchandise -produit particulier d’un travail individuel – en son opposé, en argent, en travail social abstraitement général, provient de ce que l’argent n’est pas un produit particulier d’un travail individuel et que le vendeur qui possède la marchandise sous forme d’argent n’est pas forcé de racheter immédiatement, de reconvertir aussitôt l’argent en un produit particulier du travail individuel. Cette contradiction n’existe pas dans le troc où personne ne peut être vendeur sans être en même temps acheteur, et vice versa. La difficulté pour le vendeur – même si sa marchandise a une valeur d’usage – dérive simplement de la faculté qu’à l’acheteur de différer la reconversion de l’argent en marchandise.
En somme, la difficulté de convertir la marchandise en argent, de vendre, provient simplement de ce que la marchandise doit être convertie en argent, tandis que l’argent n’a pas besoin d’être converti aussitôt en marchandise, autrement dit, de ce que la vente et l’achat peuvent être dissociés. Nous avons dit que cette forme renferme la possibilité de la crise, [307] c’est-à-dire la possibilité que des moments qui vont ensemble et sont inséparables, se dissocient, et doivent être réunis par la force : il faut la violence pour ajuster en une unité leur autonomie réciproque. La crise n’est rien d’autre que la réalisation violente de l’unité des phases du procès de production qui se sont rendus autonomes l’une vis-à-vis de l’autre.
La possibilité générale, abstraite de la crise n’est rien d’autre que sa forme la plus abstraite, sans le contenu ni le mobile concret qui la déterminent. La vente et rachat peuvent se dissocier ; ils contiennent la crise en puissance, et leur coïncidence reste toujours un moment critique pour la marchandise. Mais ils peuvent parfaitement bien se convertir l’un dans l’autre en un flux continu.
Il reste donc que la forme la plus abstraite de la crise (et donc sa possibilité formelle) est la métamorphose de la marchandise proprement dite qui, à l’apogée de son développement, révèle la contradiction, inhérente à l’unité de la marchandise, entre valeur d’échange et valeur d’usage, entre argent et marchandise. Mais ce qui fait que cette possibilité de la crise se réalise n’est pas contenu dans cette forme elle-même ; ce qu’elle contient, c’est seulement la forme pour une crise.
C’est là l’important lorsqu’on examine l’économie bourgeoise. Il faut voir dans les crises du marché mondial, la concentration réelle et rajustement violent de toutes les contradictions de l’économie bourgeoise. Les différents éléments qui éclatent dans ces crises doivent donc naître et se développer à partir de chacune des sphères de l’économie bourgeoise – et plus nous avançons dans son analyse, plus nous voyons de nouveaux aspects, de ce conflit se développer et les formes les plus abstraites revenir sans cesse, et dans les formes les plus concrètes qu’elles impliquent.
On peut donc affirmer que la crise, dans sa première forme, est la métamorphose même de la marchandise, la dissociation entre la vente et l’achat. La crise, dans [308] sa seconde forme, dérive de la fonction de L’argent comme moyen de paiement, où l’argent figure à deux moments différents, séparés dans le temps. L’une et l’autre de ces formes sont encore tout à fait abstraites, bien que la seconde soit plus concrète que la première. Lorsqu’on examine le procès de reproduction du capital qui coïncide avec sa circulation, il faut donc démontrer d’abord que les formes mentionnées ne font que s’y répéter ou plutôt obtiennent ici un contenu, une base sur laquelle elles peuvent se manifester concrètement.
Considérons le mouvement que parcourt le capital depuis le moment où il sort du procès de production sous forme de marchandise. Si nous faisons abstraction de tous les autres facteurs déterminants de son contenu, le capital-marchandise total et chaque marchandise particulière qui le compose, doit parcourir le procès M-A-M, la métamorphose de la marchandise. La possibilité générale de la crise qui est contenue dans cette forme la séparation entre l’achat et la vente – se retrouve donc dans de mouvement du capital, dans la mesure où celuici est également marchandise et rien d’autre que marchandise. Il résulte de cette connexion réciproque des métamorphoses des marchandises que l’une des marchandises se convertit en argent parce que l’autre s’est reconvertie, de la forme argent en marchandise. En conséquence, la séparation entre achat et vente entraîne ici en outre, le fait qu’à la conversion d’un capital de la forme marchandise en celle de l’argent doit correspondre la reconversion de l’autre capital de sa forme argent en forme marchandise ; la première métamorphose doit correspondre à la second : un capital soit du procès de production tandis qu’un autre retourne dans le procès de production. Cet intercroissance et cet entrelacement des procès de reproduction ou de circulation des différents capitaux est, d’une part, la conséquence nécessaire de la division du travail, mais elle est, d’autre part, fortuite [309] – et c’est ainsi que s’élargit le contenu déterminé de la crise.
Mais 2. en ce qui concerne la possibilité de la crise résultant de la forme de l’argent comme moyen de paiement, on voit que le capital fournit une base beaucoup plus effective pour réaliser cette possibilité. Par exemple, le tisserand doit payer tout le capital constant, dont les éléments ont été fournis par le fileur, le cultivateur de lin, le constructeur de machines, le producteur de fer, de bois et de charbon, etc. Ces derniers éléments constitutifs du capital constant, qui n’entrent pas dans la marchandise finie – le tissu –, représentent les moyens de production dans l’échange de capital. Le tisserand vend son tissu pour 1000 1.st. au marchand, mais touche une traite où l’argent figure comme moyen de paiement. Le tisserand, lui, vend sa traite au banquier, en lui payant, mettons, ses dettes ou en se faisant escompter sa traite. Le cultivateur de lin a payé le filateur au moyen d’une traite – de même que tous les autres producteurs qui ont fourni le capital constant ont utilisé entre eux ce mode de paiement. Il suffit que le marchand ne paie pas pour que le tisserand ne puisse se faire payer par le banquier, et c’est le défaut de paiement en chaîne, et à tour de rôle tous ces producteurs sont hors d’état de réaliser la valeur de leur marchandise, et donc de remplacer la partie correspondante de leur capital constant. C’est ainsi qu’éclate la crise générale. Ce n’est rien d’autre que la possibilité de la crise suscitée par l’argent en tant que moyen de paiement : dans la production capitaliste, nous voyons ici déjà s’établir une connexion entre les créances et des obligations réciproques, les achats et les ventes – et la possibilité de la crise peut se développer en réalité.
En tout cas, si l’achat et la vente ne se figent pas l’un en face de l’autre, et n’ont donc pas besoin d’être ajustés par la force – si, d’autre part, l’argent, comme moyen de paiement, fonctionne de façon que les [310] créances se compensent, donc que la contradiction renfermée dans l’argent, moyen de paiement, ne se réalise pas, si donc ces deux formes abstraites ne se concrétisent pas, il ne se produira pas de crise. Il ne peut y avoir de crise sans que l’achat et la vente se dissocient et se contredisent ou que se manifestent les contradictions renfermées dans l’argent, moyen de paiement. En somme, la crise se manifeste en même temps dans la forme simple de la contradiction entre achat et vente, et de la contradiction de l’argent, moyen de paiement Mais ce ne sont là que de simples formes, des possibilités générales de crise, donc des formes abstraites de la crise véritable. L’existence de la crise y apparaît dans ses formes et dans son contenu les plus simples, pour autant que cette forme même est son contenu le plus simple. Mais son contenu n’est pas encore fondé. La circulation simple de l’argent et même la circulation de l’argent comme moyen de paiement – et tous deux existent bien avant la production capitaliste, sans qu’il y ait de crises – sont possibles et réelles sans crises. A elles seules, ces seules formes ne suffisent donc pas à expliquer pourquoi elles font apparaître leur côté critique, ni pourquoi la contradiction renfermée en elle potentiellement se réalise effectivement.
On voit l’énorme ineptie des économistes qui, ne pouvant plus nier, avec des mots creux, le phénomène de la surproduction et des crises se rassurent, en disant que ces formes ne donnent que la possibilité des crises, que leur absence n’est que fortuite et que la venue des crises elle-même n’est qu’un pur hasard.
Les contradictions nées dans la circulation des marchandises et développées dans la circulation de l’argent – et donc la possibilité des crises – se reproduisent d’elles-mêmes dans le capital, parce qu’en réalité ce n’est que sur la base du capital qu’il y a une circulation développée de marchandises et d’argent.
Il s’agit maintenant d’analyser le développement ultérieur des crises potentielles pour autant qu’elles [311] résultent des déterminations de forme qui sont spécifiques au capital et ne sont pas impliquées dans son existence comme marchandise et argent. Notons en passant que la crise réelle ne peut être considérée qu’à partir du mouvement réel de la production capitaliste, la concurrence et le crédit.
Le simple procès de production immédiat du capital ne peut en soi rien ajouter de nouveau ici. Pour qu’il puisse exister, il faut en supposer les conditions. C’est pourquoi, aucun élément nouveau concernant la crise n’entre dans la première section du capital – son procès da production immédiat [10]. Il contient en soi cet élément, parce que le procès de production est appropriation, et donc production de plus-value. Mais cela ne peut apparaître dans le procès de production lui-même, parce qu’il n’est pas le lieu où se réalise la valeur reproduite, mais où se crée la plus-value.
Cela ne peut apparaître que dans le procès de circulation qui est en même temps – en soi et pour soi – le procès de reproduction.
Il convient, en outre, de noter ici que nous devons décrire le procès de circulation ou procès de reproduction avant de traiter du capital achevé – capital et profit – puisque nous avons à montrer non seulement Comment le capital produit, mais aussi comment il est produit. Or, le mouvement réel part du capital existant, de la base déjà développée de la production capitaliste qui est son propre commencement et sa propre présupposition. Le procès de reproduction et ses potentialités de crise ne peuvent donc être traités qu’incomplètement ici ; nous ne complèterons le thème que dans le Chapitre sur le Capital et le Profit [11].
Le procès d’ensemble de la circulation ou de la reproduction du capital constitue l’unité de ses phases de production et de circulation, le mouvement qui parcourt les deux procès comme autant de phases. Et nous avons là une possibilité plus développée, ou une [312] forme abstraite, de la crise. Les économistes qui nient les crises, ne s’en tiennent donc qu’à l’unité de ces deux phases. Si elles étaient simplement séparées, sans constituer une unité, il n’y aurait pas lieu de rétablir par la violence leur unité – il n’y aurait pas de crise. Si elles formaient un tout, leur séparation violente serait impossible – ce qui signifie crise. Celle-ci est le rétablissement violent de l’unité entre des éléments devenus autonomes et la séparation violente d’éléments qui sont essentiellement unis.
Sur les formes de la crise[modifier le wikicode]
Ainsi donc :
1. La possibilité générale des crises en est donnée lors du procès même de métamorphose du capital, et ce doublement : en premier lieu, au moment où l’argent fonctionne comme moyen de circulation, du fait de la dissociation entre achat et vente ; en second lieu, au moment où il fonctionne comme moyen de paiement, du fait qu’il agit à deux titres différents – comme mesure des valeurs et comme réalisation de la valeur. Or, ces deux moments sont dissociés. Si la valeur a changé dans l’intervalle, la marchandise, au moment de sa vente ne vaut pas autant qu’elle valait au moment où l’argent fonctionnait comme mesure des valeurs, donc des obligations réciproques, si bien que la somme touchée ne suffit pas à faire face aux obligations contractées, ni à solder toute la série de transactions liées les unes aux autres. Même si la marchandise ne change pas de valeur, il suffit qu’elle ne puisse être vendue dans les délais déterminés pour que l’argent ne fonctionne plus comme moyen de paiement, car il ne peut exercer cette fonction que dans un délai fixe et déterminé. Or, comme cette même somme d’argent doit servir pour toute une série de transactions et d’obligations réciproques, il se produit une insolvabilité, [313] non seulement en un point mais en de nombreux autres – d’où crise.
Ce sont, là des possibilités formelles de crise. La première peut s’appliquer sans la dernière, C’est dire qu’il y a des crises sans crédit, sans que l’argent fonctionne comme moyen de paiement. La seconde ne se réalise pas sans la première – qu’achat et vente soient dissociés. Mais dans ce dernier cas, il y a crise non seulement parce que les marchandises sont invendables, mais encore parce qu’elles ne sont pas vendables en un délai déterminé – et ici la crise surgit en raison de l’impossibilité, non seulement de vendre les marchandises, niais encore de réaliser toute une série de paiements fondés sur la vente de ces marchandises détermùi6es dans un délai précis. C’est la forme propre aux crises financières ou monétaires.
Ainsi donc, s’il y a crise parce que l’achat et la vente ne coïncide pas, elle se développe comme crise monétaire dès que l’argent est devenu moyen de paiement – et il va de soi que cette seconde forme de crise éclate avec la première. Quand nous recherchons pourquoi la possibilité générale de, la, crise devient une réalité et quand, nous examinons les conditions qui y conduisent il est donc absolument inutile de se préoccuper de la forme des, crises qui résultent du développement de l’argent comme moyen de paiement. C’est précisément la raison pour laquelle les économistes se plaisent à faire passer cette forme évidente pour la cause des crises. (Comme le développement de l’argent comme moyen de paiement est lié à celui du crédit et du surcrédit, il faut expliquer les, causes de ces derniers, mais nous n’en sommes pas encore, arrivés à ce point.)
2. Lorsque les crises résultent de changements ou de révolutions dans les prix qui ne correspondent pas à des bouleversements de la valeur des marchandises, elles ne peuvent naturellement être expliquées à partir du capital en général, qui implique que la valeur des marchandises coïncide avec son prix.
[314]
3. La possibilité générale des crises dérive de la métamorphose formelle du capital – la séparation dans le temps et l’espace de l’achat et de la vente. Mais ce n’est jamais la cause de la crise. Car ce n’est que la forme la plus générale de la crise, l’expression la plus générale de celle-ci. Mais on ne peut pas dire que la forme abstraite de la crise en soit la cause. Si l’on s’interroge sur ses causes, c’est précisément pour savoir pourquoi sa forme abstraite, sa forme de possibilité, devient réalité.
4. Les conditions générales des crises, pour autant qu’elles sont indépendantes des fluctuations des prix (liées ou non au crédit et distinctes des fluctuations de la valeur) doivent être expliquées à partir des conditions générales de la production capitaliste.
La crise peut se produire : 1. lors de la reconversion de l’argent en capital productif ; 2. lors de changements dans la valeur des éléments constitutifs du capital productif, notamment des matières premières – par exemple, lorsque la masse de coton récoltée ayant diminué, sa valeur monte en conséquence. Ce n’est pas encore avec des prix, mais avec des valeurs, que nous avons affaire ici.
Première phase : Considérons le premier de ces deux cas : la reconversion de l’argent en capital en supposant un degré déterminé de la production ou de la reproduction. On peut admettre que le capital fixe donné reste inchangé et n’entre pas dans le procès de valorisation. Comme la reproduction de la matière première ne dépend pas seulement du travail employé à la produire, mais de la productivité de ce travail liée à des conditions naturelles, il peut arriver même si le mode de production reste inchangé que le volume du produit diminue, pour une même quantité de travail (en raison d’une mauvaise récolte, par exemple). La valeur de la matière première augmente alors, tandis que diminue son volume : on a une perturbation dans le rapport selon lequel l’argent devrait se [315] reconvertir en les divers éléments constitutifs du capital pour continuer la production à l’ancienne échelle. Il faut dépenser davantage pour la matière première, et il reste moins pour le travail vivant, dont le capital ne peut plus absorber la même masse qu’auparavant – pour une raison physique d’abord : la pénurie de matière première. Ensuite, une partie plus grande de la valeur du produit doit être convertie en matières premières, si bien qu’à en reste moins pour le capital variable. La reproduction ne peut donc se faire à la même échelle. Une partie du capital fixe se trouve immobilisée, et une partie des ouvriers est jetée sur le pavé, Le taux de profit baisse, parce que la valeur du capital constant a augmenté par rapport au capital variable, dont la masse employée est moindre. Les charges fixes courantes – intérêt, rente – prélevées sur un même taux de profit et d’exploitation du travail restent les mêmes et ne peuvent être payées en totalité. D’où crise – crise de travail et crise du capital. Nous avons affaire ici à une perturbation du procès de reproduction par suite de l’accroissement de la valeur d’une partie du capital constant qu’à faut remplacer par celle du produit.
Qui plus est, bien que le taux de profit baisse, le produit renchérit.
Si ce produit entre, comme moyen de production, dans d’autres sphères de production, son renchérissement y provoque le même trouble que dans la reproduction. S’il entre comme moyen de subsistance dans la consommation générale, il entre en partie dans celle des ouvriers, et il suscite alors les mêmes effets qu’une perturbation dm le capital variable, dont il sera question plus loin. Mais dans la mesure où il entre dans la consommation générale, il peut faire diminuer – si ce n’est la consommation elle-même, du moins – la demande d’autres produits – ce qui empêchera leur reconversion en argent dans des quantités correspondant à leur valeur. Cela perturbera l’autre côté de leur reproduction – non pas [316] la reconversion de l’argent en capital productif, mais celle des marchandises en argent. Dans tous les cas, la masse du profit et du salaire diminuent dans cette branche de la production et, par suite aussi les recettes nécessaires à la vente des marchandises d’autres branches de la production.
Mais cette pénurie de matière première peut également survenir sans qu’il y ait influence des récoltes, ni de la productivité - liée aux conditions naturelles - du travail qui fournit la matière première. Par exemple, si une partie excessive de la plus-value, de capital additionnel a été reconvertie (investie) en machines, etc. dans une branche particulière de la production, alors que la matière première, suffisante pour l’ancienne échelle de la production, ne l’est plus pour la nouvelle. Cela découle d’une transformation disproportionnée de capital additionnel en ses divers éléments. C’est un cas de suproduction de capital fixe qui suscite les mêmes phénomènes que dans le premier cas – celui du renchérissement de la matière première.
[Dans le manuscrit, une partie de la page a été arrachée ici : des neuf premières lignes du texte il ne reste plus que le côté droit de six lignes. Le texte est donc difficile à reconstituer. Mais en peut savoir que Marx parle de crises qui naissent « de révolutions dans la valeur du capital variable » : le renchérissement des moyens de subsistance nécessaires à la suite d’une mauvaise récolte entraîne une hausse des coûts de la main-d’œuvre, du capital variable mis en mouvement. En même temps cette élévation fait diminuer la demande « de toutes les autres marchandises, même de celles qui n’entrent pas dans la consommation de l’ouvrier ». Comme il n’est plus possible de les vendre à leur valeur antérieure, la première phase de la reproduction – la conversion de marchandise en argent – se trouve perturbée ». En somme, le renchérissement des moyens de subsistance provoque « des crises dans d’autres branches de la production. [317] Dans les deux dernières lignes, on, trouve le résumé de ce qui précède, à savoir, que les crises, peuvent surgir comme résultat de l’augmentation de prix des matières premières « parce qu’elles entrent comme éléments constitutifs dans le capital constant ou le capital variable (moyens de subsistance)].
En d’autres termes, la crise dérive de la surproduction de capital fixe, d’où sous-production relative du capital circulant.
Puisque le capital fixe aussi bien que de capital circulant consistent en marchandises, il est ridicule pour un économiste d’admettre la surproduction de capital fixe et de nier la surproduction de marchandises.
5. Des crises découlent de perturbations dans la première phase de la, reproduction, soit d’un trouble dans la conversion de marchandises en argent c’est-à-dire dans la vente. Dans le cas résultant de l’augmentation du prix des matières premières, la crise dérive de troubles dans le retour des éléments du capital productif.
Surproduction et production « proportionnée ». Contradictions entre production et consommation dans les conditions capitalistes. Transformation de la surproduction d’articles décisifs de la consommation en surproduction générale[modifier le wikicode]
Avant d’analyser directement les nouvelles formes de la crise, il faut reprendre la citation de Ricardo avec l’exemple qui l’illustre.
« On peut produire une trop grande quantité d’une marchandise déterminée dont il peut y avoir une telle, pléthore d’offre sur le marché que le capital dépensé dans sa production ne, peut être remboursé. Mais ce ne peut être le cas pour toutes les marchandises ».
Tant que le tisseur reproduit et accumule, ses ouvriers achètent une partie de, son produit, dépensent une partie [318] de leur salaire en calicot : parce qu’il produit, ils ont des moyens d’acheter une partie de son produit, en lui donnant aussi dans une certaine mesure les moyens de vendre. Faute de valoriser son labeur pour lui-même, l’ouvrier ne peut acheter, constituer une demande que pour les marchandises entrant dans la consommation individuelle, car il ne valorise pas son travail et ne possède ni les conditions de sa réalisation, ni les moyens et matière de son travail. C’est pourquoi la plupart des producteurs (les ouvriers eux-mêmes, là où la production s’est développée sur des bases capitalistes sont exclus de la demande en tant que consommateurs, acheteurs. Ils n’achètent ni matières premières, ni moyens de travail ; ils n’achètent que des moyens de subsistances (marchandises entrant directement dans la consommation individuelle).
Il est donc parfaitement absurde de parler d’une coïncidence entre production et consommation, étant donné que, dans un nombre extraordinaire de branches d’industrie – toutes celles qui n’approvisionnent pas la consommation immédiate –, la masse de ceux qui participent à la production sont absolument exclus de l’achat de leurs propres produits. Ils ne sont jamais les consommateurs ou acheteurs directs de leurs propres produits, bien qu’ils paient une partie de la valeur de ceux-ci dans les moyens de subsistance qu’ils achètent. On constate dès lors que le terme de consommateur est ambigu, et qu’il est faux de l’identifier avec celui d’acheteur, Et pourtant, ce sont précisément les ouvriers, dans le procès du travail qui utilisent et consomment la machinerie et les matières premières pour produire les marchandises – mais ils ne les utilisent pas pour eux et n’en sont donc pas les acheteurs. Pour eux, ce ne sont pas des valeurs d’usage, ni même des marchandises, mais des conditions objectives d’un procès dont ils ne sont eux-mêmes que les conditions subjectives.
Mais, pourrait-on dire, l’employeur les représente [319] dans l’achat des moyens de travail et des matières premières. Cependant il les représente autrement qu’ils ne se représenteraient eux-mêmes, puisqu’il passe sur le marché. En effet, il est tenu de vendre une masse de marchandises dans le but d’avoir une plus-value, une partie de ces marchandises devant donc représenter du travail non payé. Quant aux ouvriers ils produiraient une masse de marchandises qui ne renfermerait que la valeur avancée pour leur production, la valeur des moyens et matières du travail et de leur rémunération. Le capitaliste a donc besoin d’un débouché plus étendu que celui dont ils auraient besoin.
De plus, c’est à lui, et non à eux, d’évaluer quand et si les conditions du marché sont assez favorables pour commencer la reproduction [12].
Producteurs sans être consommateurs – même si le procès de reproduction n’en est pas perturbé – les ouvriers n’ont aucune prise sur les articles consommés industriellement, et non individuellement. Aussi rien n’est-il plus absurde que de prétendre, en vue de nier les crises, que le consommateur « acheteur) s’identifie au producteur (au vendeur) dans l’économie capitaliste : ils sont totalement distincts. Eu égard au procès de reproduction, cette identité ne peut s’appliquer qu’au seul capitaliste, c’est-à-dire à un individu sur trois mille. Il est tout aussi faux d’affirmer que les consommateurs sont des producteurs. Le propriétaire qui jouit de la rente foncière ne produit rien, et consomme néanmoins. Il en est de même de ceux qui vivent de l’intérêt de leur argent.
Le fait que les apologistes nient la crise avec des mots nous intéresse pour autant qu’ils démontrent le contraire de ce qu’elles veulent prouver. Pour nier la crise, ils parlent de l’unité là où il y a antagonisme et contradiction. Ce qui nous importe, c’est qu’ils démontrent ceci ; si les contradictions – éliminées par leur ratiocination – n’existaient pas effectivement, il n’y aurait pas non plus de crise. Mais, en fait, il y a des [320] crises, parce que ces contradictions existent. Chaque argument qu’ils opposent à la crise n’est en somme, qu’une contradiction résolue par leurs élucubrations, donc une contradiction réelle qui produit une crise non moins réelle. Le désir de se convaincre soi-même de l’inexistence de contradictions est du même coup le vœu pieux qu’elles ne devraient pas exister ; c’est-à-dire que des contradictions existent réellement
Ce qu’en fait les ouvriers produisent, c’est la plus-value. Tant qu’ils la produisent, ils peuvent consommer. Dès qu’ils cessent de travailler, ils cessent de consommer, parce que la production s’arrête. Mais ils n’ont en aucune façon à consommer parce qu’ils produisent l’équivalent de leur consommation [mais parce qu’ils créent de la plus-value]. S’ils n’en ‘produisaient que le simple équivalent, ils cesseraient de consommer – et ils n’auraient plus d’équivalent du tout. Ou bien leur travail serait stoppé, ou bien serait-il réduit – et, en tout cas, leur salaire serait abaissé. Dans ce dernier cas – même si l’échelle de la production reste identique –ils n’en consomment pas l’équivalent. Dans ces conditions, s’ils manquent de moyens de subsistance, ce n’est nullement parce qu’ils ne produisent pas assez, mais parce qu’ils reçoivent une trop faible partie de leur produit.
En somme, si l’on réduit tout au simple rapport du consommateur au producteur, on oublie que le salarié et le capitaliste sont deux types de producteurs tout à fait différents, sans parler des consommateurs qui ne produisent rien du tout. On se débarrasse de nouveau de la contradiction en niant les conditions antagoniques qui existent réellement dans la production. Le simple rapport entre salarié et capitaliste implique :
1. que la majeure partie des producteurs (les ouvriers) ne participent pas à la consommation (l’achat) d’une fraction considérable de leurs propres produits, à savoir les moyens du travail et les matières premières ; et 2. que la majeure partie des producteurs (les ouvriers) [321] ne peuvent consommer l’équivalent de ce qu’ils produisent tant qu’ils sont obligés de produire au-delà de cet équivalent – la plus-value ou le surproduit. Ils doivent toujours surproduire ou produire au-delà de leurs besoins pour pouvoir consommer ou acheter dans les limites de leurs besoins.
Pour cette classe de producteurs, il apparaît donc, de prime abord, qu’il ne saurait être question d’identité entre production et consommation.
Quand Ricardo dit que l’unique limite à la demande est la production elle-même, et que celle-ci est limitée par le capital, cela signifie si l’on laisse de côté les présuppositions erronées que la production capitaliste trouve sa mesure au seul capital, ce terme incluant ici la force de travail incorporée (achetée) par le capital en tant que condition de la production. Or en peut se demander si le capital, en tant que tel, est également la limite de la consommation. Il l’est, en tout cas, au sens négatif, puisqu’il ne peut consommer plus qu’il ne produit. Or cette limite devient positive si l’on doit et peut consommer – sur la base de la production capitaliste – ce que l’on produit ! En fait, à le considérer de près, le principe de Ricardo dit exactement le contraire de ce qu’il veut dire – à savoir que la production s’effectue sans égard aux limites existantes de la consommation et n’est limitée que par le capital luimême. Et c’est ce qui est justement caractéristique de ce mode de production.
Ainsi, dans notre hypothèse, le marché est saturé, par exemple, de cotonnades, dont une grande partie ne peut se vendre que très au-dessous de son prix (nous disons valeur parce que, dans l’examen de la circulation ou du procès de reproduction, nous avons affaire à la valeur, et pas encore au prix de revient et encore moins au prix de marché).
Tout montre qu’il peut y avoir surproduction dans certaines sphères particulières et en conséquence sous-production dans d’autres ; des crises partielles peuvent [322] donc découler d’une production disproportionnée, (mais la production proportionnée n’est jamais que le résultat de la production disproportionnée sur la base de la concurrence), dont une forme générale pourra être ta surproduction de capital fixe, d’un côté, et de capital circulant, de l’autre. Par exemple : lorsque les métiers à filer furent inventés, il y eut surproduction de filés par rapport au temps du tissage à main. Cette disproportion disparut, lorsque l’on introduisit les métiers à tisser mécaniques [13].
C’est une condition pour les marchandises d’être vendues à leur valeur et de ne contenir que du temps de travail socialement nécessaire.
De même c’est une condition pour toute sphère de production du capital que seule la partie nécessaire du temps de travail total de la société lui soit consacrée, à savoir le temps de travail exigé pour satisfaire le besoin social, la demande. Si l’on y consacre plus de temps, bien que chaque marchandise particulière ne contienne que le temps de travail nécessaire, au total elles contiennent plus que le temps de travail socialement nécessaire – tout comme la marchandise particulière a certes une valeur d’usage, même si la somme totale en perd une partie dans les conditions données.
Cependant nous ne parlons pas ici de la crise qui dérive de la production disproportionnée, c’est-à-dire d’une disproportion dans la répartition du travail social entre les diverses sphères de production. Nous ne pouvons en traiter qu’à propos de la concurrence entre les capitaux. Nous avons déjà dit que la hausse ou la baisse de la valeur marchande, par suite de cette disproportion entraîne le retrait du capital d’une sphère de production et son transfert dans l’autre, la migration du capital d’une branche d’affaires à l’autre. Or, cette compensation implique déjà son contraire, la crise qui peut servir de moyen de compensation. Mais cette sorte de crise, Ricardo l’admet lui aussi.
L’analyse du procès de production [14] nous a montré [323] que la production capitaliste tend à accaparer le plus possible de surtravail, d’objectiver par conséquent avec un capital donné le maximum de temps de travail immédiat, soit en prolongeant le temps de travail, soit en réduisant le temps de travail nécessaire grâce au développement des forces productives du travail en leur appliquant la coopération, la division du travail, les machines, etc., bref, en produisant à une grande échelle, en masse. Par définition, la production capitaliste produit donc sans tenir compte des limites du marché.
La reproduction suppose d’abord que le mode de production reste le même un certain temps – ce qui est le cas d’ailleurs lorsque la production s’accroît. La masse des marchandises produites augmente alors parce qu’on emploie plus de capital, et non parce qu’il devient plus productif. Mais la simple augmentation quantitative du capital implique en même temps une augmentation de sa force productive. Si l’augmentation quantitative est la conséquence du développement de la force productive, celle-ci se développe, à son tour, à partir de la base plus large et plus étendue du capital. L’action est réciproque, la reproduction à une échelle plus large, l’accumulation – même si elle apparaît à l’origine comme une simple extension quantitative de la production au moyen d’un capital plus considérable à partir des mêmes conditions de production – se présente donc toujours à un certain point comme qualitative, comme fécondité plus grande des conditions de la reproduction. C’est pourquoi, l’accroissement de la masse des produits n’est pas seulement proportionnel dans la reproduction élargie, l’accumulation.
Revenons à notre exemple.
La stagnation du marché encombré de calicot perturbe la reproduction du tisserand – ce qui affecte d’abord ses ouvriers. Ceux-ci consomment donc en moins grande quantité, voire ne consomment plus du [324] tout, sa marchandise – le calicot – et les autres qui entraient jusque-là dans leur consommation. Ils ont, certes encore besoin de calicot, mais ils ne peuvent l’acheter parce qu’ils n’en ont pas les moyens – et ils n’en ont pas les moyens faute de pouvoir continuer à produire... parce qu’ils ont trop produit et encombré le marché. Il ne leur sert de rien de suivre le conseil de Ricardo d’« élargir leur production » ou de « produire autre chose ». Ils entrent dans la surpopulation temporaire, la surproduction en ouvriers, en l’occurrence des producteurs de calicot, puisqu’il y a surproduction de calicot sur le marché.
Mais en dehors des ouvriers directement employés par le capital investi dans le tissage de coton, toute une masse de producteurs est encore touchée par ce blocage. dans la reproduction du coton : fileurs, planteurs et marchands de coton, producteurs de broches et de métiers à tisser, fournisseurs de fer, de charbon, etc. La reproduction dans toutes ces sphères serait entravée, puisque la reproduction du coton est la condition de leur propre reproduction. Elle subirait ce contrecoup quand bien même elle n’aurait pas surproduit dans leurs propres sphères, c’est-à-dire ne produirait pas au-delà de ce qu’exigeait et justifiait une industrie cotonnière prospère. Toutes ces industries ont en commun quelles ne consomment pas leur revenu (salaire et profit, dans la mesure où ce dernier n’est pas accumulé, mais consommé comme revenu) dans leur propre produit, mais dans le produit des sphères qui produisent les moyens de subsistance – parmi lesquels le calicot. En conséquence, la consommation et la demande de calicot diminuent précisément, parce qu’il y a trop de calicot sur le marché.
Mais il en va de même de toutes les autres marchandises dans lesquelles le revenu de ces producteurs indirects de calicot est dépensé. Leur capacité d’acheter du calicot et d’autres articles de consommation se restreint, se contracte parce qu’il y [325] a trop de calicot sur le marché. Cela touche également d’autres marchandises (moyens de consommation). Il se vérifie, pour elles aussi, subitement une surproduction relative, parce que les moyens pour les acheter et donc leur demande se sont contractés. Combien même on n’a pas surproduit dans ces sphères, elles connaissent maintenant la surproduction.
Si la surproduction de calicot a frappé aussi le lin, la soie et la laine, on peut penser que la surproduction de ces quelques articles décisifs provoque ; à son tour, sur tout le marché une surproduction plus ou moins générale (relative) : d’un côté, pléthore de toutes les conditions de reproduction et de toutes sortes de marchandises invendues, de l’autre côté, capitalistes en faillites et masses ouvrières dans le plus complet dénuement.
Toutefois, cet argument n’est pas péremptoire. S’il est facile de comprendre que la surproduction de quelques articles décisifs de la consommation puisse entraîner le phénomène d’une surproduction, plus ou moins générale, il reste encore à expliquer comment la surproduction affecte ces produits. En effet, le phénomène de la surproduction est lié à l’interdépendance non seulement des ouvriers occupés dans ces industries, mais encore dans toutes les branches « industrie qui produisent les conditions préalables – le capital constant – du produit des premières. Pour ces industries-ci, la surproduction n’est qu’un effet. Mais d’où provient-elle pour les premières ? En effet, les secondes continuent de produire tant que les premières ne s’arrêtent pas – et cette poursuite de la production semble assurer un accroissement général des revenus, et donc aussi de leur propre consommation.
[326]
L’expansion du marché ne suit pas celle de la production. La conception ricardienne de l’expansion illimitée de la demande et de la consommation[modifier le wikicode]
On nous objectera peut-être que la production s’accroît chaque année davantage pour deux raisons : premièrement, le capital placé dans la production augmente sans cesse ; deuxièmement, il est employé de plus en plus productivement. Au cours de la reproduction et de l’accumulation, il se produit continuellement de petites améliorations qui finissent par modifier toute l’échelle de la production – ce qui a pour effet cumulatif le développement des forces productives. Dire que cette production sans cesse croissante a besoin d’un marché de plus en plus étendu, mais qu’elle s’élargit plus rapidement que celui-ci, c’est exprimé sous une forme réelle et non plus abstraite – le phénomène à expliquer.
Le marché s’élargit moins vite que la production, cela signifie qu’il arrive un moment où le marché apparaît trop étroit pour la production dans le cycle que le capital parcourt durant sa reproduction, car dans ce cycle il ne se reproduit pas simplement, mais à une échelle élargie, il n’y décrit pas un cercle, mais une spirale. C’est ce qui apparaît à la fin du cycle, et cela signifie simplement que le marché est saturé, et que la surproduction est manifeste. Si l’expansion du marché allait du même pas que l’expansion de la production, il n’y aurait ni encombrement du marché, ni surproduction.
Il suffit d’admettre simplement que le marché doit s’élargir avec la production, pour admettre la possibilité d’une surproduction, puisque le marché est géographiquement limité, que le marché intérieur est plus restreint que le marché intérieur et extérieur à la fois, et ce dernier, à son tour, est plus restreint que le marché mondial qui, tout en ayant toujours des [327] limites, peut néanmoins s’étendre. En admettant donc que le marché doive s’étendre pour éviter la surproduction, on admet qu’à peut y avoir surproduction, car il peut arriver – étant donné que le marché et la production sont deux moments distincts l’un de l’autre, – que l’expansion de l’un ne corresponde pas avec celle de l’autre, que les limites du marché ne s’élargissent pas aussi vite que l’exige la production, ou que de nouveaux débouchés – nouvelles extensions du marché – peuvent être rapidement comblés par la production, de sorte que le marché élargi apparaisse limité et trop étroit – comme auparavant le marché moins développé.
Ricardo nie donc logiquement la nécessité d’une expansion du marché simultanément à l’expansion de la production et à la croissance du capital. Tout le capital existant dans un pays peut être avantageusement employé sur le marché intérieur. Ainsi polémique-t-il contre A. Smith qui, d’une part, a soutenu la même idée que Ricardo, mais l’a contredit en même temps avec son habituel instinct intelligent Smith n’a pas ou l’occasion de connaître les phénomènes de la surproduction ni les crises qui en découlent. Ce qu’il connaissait, ce sont les simples crises de crédit ou d’argent qui surviennent inévitablement avec le système des banques et du crédit. En fait, il voit dans l’accumulation du capital l’accroissement absolu de la richesse générale et du bien-être de la nation. Par ailleurs, il considère le simple fait que le marché intérieur se dilate dans le ni marché extérieur, colonial et mondial comme la preuve d’une sorte de surproduction relative (potentielle) sur le marché intérieur...
[328]
La contradiction entre l’essor irrésistible des forces productives et la limitation de la consommation entraîne la surproduction. La théorie apologétique de l’impossibilité d’une surproduction générale[modifier le wikicode]
Le terme même de surproduction peut induire en erreur. Aussi longtemps que les besoins les plus urgents d’une grande partie de la société ne sont pas satisfaits ou que seuls le sont les besoins les plus immédiats, il ne saurait naturellement être question de surproduction de produits – au sens où la masse des produits serait excessive par rapport aux besoins que l’on en a. Il faudrait dire au contraire, que sur la base de la production capitaliste il y a toujours, en ce sens, sous-production, car la production y est limitée par le profit des capitalistes, et non par le besoin des producteurs. Mais surproduction de produits et surproduction de marchandises sont deux choses absolument différentes. Lorsque Ricardo affirme que la forme marchandise n’a pas de répercussion sur le produit, que la circulation de marchandises ne se distingue que formellement du troc, que la valeur d’échange n’est qu’un moment éphémère dans le métabolisme des échanges et que la monnaie est donc simplement un moyen formel de circulation – il ne fait qu’exprimer la thèse selon laquelle – le mode de production bourgeois est le mode absolu, dépourvu de toute détermination spécifique plus précise et que son caractère est donc purement formel. Aussi ne saurait-il admettre que le mode de production bourgeois renferme une limite quelconque au libre développement des forces productives, limite qui se manifeste dans les crises et, entre autres, dans la surproduction – le phénomène qui est à la base des crises.
Dans les citations de Smith qu’il reproduit, approuve et reprend lui-même à son compte, Ricardo est amené à conclure que le « désir » sans limites des valeurs [329] d’usage les plus, diverses peut toujours être satisfait, dès lorsque la masse des producteurs reste plus ou moins limitée à la portion congrue et plus ou, moins exclue de la consommation de richesse, dans la mesure où elle ne dépasse pas la sphère des moyens de subsistance.
Certes, il en était ainsi – et même dans une plus large mesure – dans la production antique, basée sur l’esclavagisme. Mais les Anciens ne songeaient même pas à convertir le surproduit en capital, ou du moins ne le faisaient-ils que dans une mesure fort limitée. (La grande extension prise chez eux par la thésaurisation montre combien de surproduit demeurait alors en friche.) Ils transformaient une grande partie du surproduit en dépenses improductives pour des œuvres d’art, des édifices religieux, des travaux publics. Leur production tendait encore moins à développer et à déchaîner les forces productives matérielles au moyen de la division du travail, du machinisme, de l’application de forces naturelles et de la science à la production privée. En somme, ils ne dépassèrent jamais vraiment les limites du travail manuel de l’artisan. La richesse qu’ils créèrent pour la consommation privée était donc relativement restreinte et ne paraît considérable que parce qu’elle se trouvait concentrée en quelques mains qui ne savaient d’ailleurs qu’en faire, En conséquence s’il n’y avait pas surproduction, il y avait surconsommation par les riches chez les Anciens, et dans les derniers temps de Rome et de la Grèce, elle s’étalait en une folle dissipation. Les rares peuples marchands qui se trouvaient dans leur sein, vivaient en partie aux dépens de toutes ces nations fondamentalement pauvres. La base de la surproduction moderne est le développement absolu des forces productives, donc la production effectuée en grande série par la masse des producteurs confinés au cercle étroit des moyens de subsistance, par les entraves et barrières posées par le profit des capitalistes.
[330]
Toutes les objections élevées par Ricardo, etc. contre la surproduction viennent, ou bien de ce que ces économistes voient dans la production bourgeoise un mode de production où l’achat ne se distingue pas de la vente, où l’échange est immédiat ; ou bien de ce qu’ils le considèrent comme une production sociale, comme si la société distribuait d’après un plan ses moyens de production et ses forces productives dans le degré et dans la mesure nécessaires à la satisfaction des besoins existants, chaque sphère de production recevant le quantum de capital social correspondant au besoin à satisfaire. Cette fiction a sa source dans l’incapacité de comprendre ce qui distingue de manière spécifique la production bourgeoise, et cette incapacité provient à son tour de ce que la production bourgeoise est considérée comme la production en général. C’est ainsi que l’adepte d’une religion donnée la tient pour la religion en soi, et ne voit en dehors d’elle que de fausses religions.
À l’inverse, étant donné la base de la production capitaliste où chacun travaille pour soi, où le travail particulier est en même temps son contraire puisqu’il doit se présenter sous la forme abstraitement générale du travail social, on peut se demander comment la compensation et l’interdépendance indispensables des diverses sphères de la production ainsi que leur mesure et leur proportion réciproque sont possibles, si ce n’est par la suppression perpétuelle d’une désharmonie incessante ? C’est ce que l’on admet d’ailleurs quand on traite des compensations par la concurrence, car ces ajustements impliquent toujours qu’il y a quelque chose à compenser, et que l’harmonie n’est donc que le résultat du mouvement de l’abolition des désharmonies existantes.
C’est pourquoi Ricardo admet aussi que la saturation est possible pour quelques marchandises, mais ce qu’il tient pour impossible c’est la saturation générale et simultanée du marché. Il ne nie pas la possibilité de la surproduction dans quelque [331] sphère particulière de la production. C’est la simultanéité de ce phénomène pour toutes les sphères de, la production qu’il tient pour impossible, et donc il ne peut y avoir pour lui saturation générale du marché (Cette expression doit toujours être prise cum grano salis, aux périodes de surproduction générale, la surproduction dans certaines sphères n’est jamais que le résultat, la conséquence de celle qui se passe dans la sphère des articles de commerce décisifs ; il n’y a de surproduction que relative, due à l’existence de la surproduction dans d’autres sphères.)
Les apologistes renversent ces données en leur contraire. Il y aurait surproduction dans les articles de commerce décisifs, les seuls où se manifeste la surproduction active. Il s’agit là en général d’articles qui – même dans l’agriculture – ne peuvent être produits que massivement et industriellement, si bien que la surproduction n’est que relative ou passive. En somme, il n’y a surproduction que parce qu’elle n’est pas universelle.
La relativité de la surproduction – le fait qu’elle n’est réelle que dans quelques sphères qui la reportent sur d’autres – est énoncée comme suit : il n’existe pas, de surproduction universelle, parce qu’elle impliquerait que toutes les sphères de la production resteraient dans le même rapport réciproque – et la surproduction universelle ne serait donc qu’une production proportionnée – qui exclut celle-là. On liquide ainsi la surproduction universelle. Etant donné qu’une surproduction universelle au sens absolu n’en serait pas une, qu’elle serait simplement due à un développement de la force productive plus important ici que dans toutes les autres sphères de la production, la véritable surproduction – celle qui n’est pas cette surproduction non existante, et négatrice d’elle-même – n’existe pas. En fait, elle n’existe que parce que celle-là n’existe pas.
Si l’on y regarde de plus près, cette misérable sophistique se ramène à ceci : s’il y a, par exemple, [332] surproduction de fer, de cotonnades, de lin, de soie et de laine, on ne peut pas dire qu’elle soit due à une production insuffisante de charbon ; car cette surproduction de fer, etc., implique une surproduction de charbon, comme, par exemple, la surproduction de tissu implique celle de filés. (Ce qui serait possible, ce serait une surproduction de filés par rapport au tissu, du fer par rapport aux machines, etc. Ce serait toujours une surproduction relative de capital constant.) On ne saurait donc parler de sous-production des articles dont la surproduction est implicite, parce qu’ils entrent comme éléments, matières premières, matières instrumentales ou moyens de production dans les articles (la « marchandise déterminée dont en a trop produit, dont le marché connaît ensuite une sur-offre telle que le capital ne puisse en retirer ce qu’elle lui a coûté »), dont la surproduction positive est précisément ce qu’il s’agit d’expliquer. Mais on parle d’autres articles qui n’appartiennent pas directement à la sphère de production et ne peuvent être rangés dans les articles de commerce décisifs, dont, par hypothèse, il y a eu surproduction ; ils ne rentrent pas non plus dans les sphères préliminaires où la production doit avoir atteint au moins le degré des phases de finition du produit – encore que rien ne s’oppose à ce qu’elle puisse l’avoir dépassé – une surproduction ayant alors eu lieu dans la surproduction.
Par exemple, bien qu’on ait produit assez de charbon pour faire marcher toutes les industries où il entre comme condition nécessaire de la production, si bien qu’il y a eu surproduction de charbon au sein de la surproduction de fer, de filés, etc. (autrement dit, que l’on a produit du charbon en quantité proportionnée à celle de la production de fer et de filés), il est possible également qu’on ait produit plus de charbon que n’en exigeait la surproduction du fer, des filés, etc. Ce n’est pas seulement possible, mais encore fort probable. En effet, la production de charbon et [333] de filés et de tous les autres produits qui ne sont que la condition ou le préliminaire d’un article à. achever dans une autre sphère, ne se règle pas d’après la demande, la production ou la reproduction immédiates, mais d’après le degré, la mesure, le rapport (proportion) dans lesquels celles-ci continuent, de se développer. Et il est pour ainsi dire évident que, dans ce calcul, on dépasse le but. Mais on nous dit que cette sur production provient du fait que l’on n’a pas produit assez de pianos, de pierres précieuses, etc., par exemple. (Quoi qu’il en soit, à est des cas où la surproduction d’articles non décisifs n’est pas le résultat de la surproduction, mais où, au contraire, la sous-production est la cause de la surproduction – par exemple, la disette de blé ou de coton à la suite d’une mauvaise récolte, etc.)
L’absurdité de cette affirmation devient évidente lorsqu’elle se donne un vernis d’internationalisme – comme c’est le cas chez Say [15] et d’autres économistes après lui. Ainsi, l’Angleterre n’a pas surproduit, mais l’Italie a sous-produit. Si l’Italie avait en premier lieu, assez de capital pour reconstituer le capital anglais qui a été exporté en Italie sous forme de marchandises, et, en second lieu, si elle avait placé ce capital de façon à produire les articles particuliers dont le capital anglais avait besoin, soit pour se reconstituer lui-même, soit pour reconstituer le revenu auquel il donne naissance – il n’y aurait pas eu de surproduction. Ainsi n’y aurait-il pas en Angleterre cette surproduction réelle en relation avec une production tout aussi réelle en Italie, mais seulement une sous-production imaginaire en Italie – et nous disons imaginaire pour deux raisons : parce que 1˚ on suppose en Italie un capital et un développement des forces productives qui n’y existent pas, et 2˚ en suppose de manière tout aussi fantaisiste que ce capital qui n’existe pas en Italie y est justement employé de façon que l’offre de l’Angleterre et la demande de l’Italie, la production anglaise [334] et la production italienne se complètent. En d’autres termes, il n’y aurait pas de surproduction, si l’offre et la demande correspondaient l’une à l’autre, si le capital était réparti entre toutes les sphères de production de façon si proportionnée que la production d’un article impliquât la consommation d’un autre, donc la sienne propre. Il n’y aurait pas de surproduction, s’il n’y avait pas de surproduction. Or, comme la production capitaliste ne peut se donner libre cours que dans certaines sphères et dans des conditions déterminées, aucune production capitaliste ne serait en somme possible, si elle devait se développer simultanément et également dans toutes les sphères. Dès lors qu’il y a surproduction absolue dans une sphère, il y a surproduction relative dans d’autres, même si l’on n’y a pas surproduit.
Expliquer la surproduction dans un domaine par la sous-production dans un autre, revient donc à dire qu’il n’y aurait pas surproduction, s’il y avait production proportionnée. Il en serait de même si l’offre correspondait à la demande, et si toutes les sphères de la production offraient les mêmes possibilités d’expansion à la production capitaliste – division du travail, machinisme, exportation vers des marchés lointains, etc., production en grande série – ; ou encore si tous les pays commerçaient entre eux et disposaient de la même capacité de production, en fabriquant, des articles différents et complémentaires. Or s’il y a tout de même surproduction, c’est que tous ces vœux pieux ne se réalisent pas. Ou enfin – et de façon plus abstraite – il n’y aurait pas de surproduction d’un côté, si la surproduction se faisait uniformément de tous les côtés. Mais le capital n’est pas assez grand pour surproduire aussi universellement – et c’est pourquoi il y a surproduction partielle.
Considérons cette élucubration de plus près.
On admet que l’on puisse surproduire dans chaque branche particulière. La seule circonstance qui, d’après [335] l’hypothèse, pourrait empêcher la surproduction simultanée dans toutes les branches, c’est que la marchandise s’échange contre de la marchandise – ce qui suppose le recours au troc. Mais cet expédient échoue précisément parce que, dans les conditions capitalistes où le commerce n’est pas du troc, le vendeur d’une marchandise n’est pas nécessairement en même temps l’acheteur d’une autre. Tout cela revient donc à faire abstraction de l’argent et du fait qu’il ne s’agit pas d’un échange direct de produits, mais de la circulation des marchandises dans laquelle la dissociation de l’achat et de la vente est essentielle.
La circulation du capital renferme ces possibilités de perturbation.
Par exemple, lors de la reconversion de l’argent en ses conditions de production, il ne s’agit pas seulement de transformer l’argent en la même espèce de valeurs d’usage, mais il est essentiel, pour la répétition du procès de reproduction, que ces valeurs d’usage puissent être achetées à leur ancienne valeur (ou mieux, au-dessous). Mais une partie très importante de ces éléments de la reproduction – celle qui consiste en matières premières – peut augmenter pour deux raisons : 1. parce qu’on peut accroitre : les instruments de production dans une proportion si forte que les matières premières ne peuvent pas suivre en temps voulu ; 2. à cause du caractère variable des saisons. Comme le note fort justement Tooke, le climat (le temps) joue un rôle essentiel dans l’industrie moderne. (Cela vaut également pour les salaires qui sont liés aux moyens de subsistance.) La reconversion de l’argent en marchandises peut donc se heurter à des difficultés et créer des possibilités de crise, tout autant que la conversion de marchandises en argent. Ces difficultés n’apparaissent pas tant qu’il ne s’agit que de la circulation simple, et non de la circulation, du capital.
Il existe, en outre, toute une série de facteurs, de conditions, de possibilités de crise, dont nous ne pourrons [336] nous occuper qu’en examinant les conditions concrètes – notamment la concurrence des capitaux et le crédit.
Enfin, on nie la surproduction de marchandises mais on admet celle du capital. Or, le capital lui-même consiste en marchandises ou, s’il se compose d’argent celui-ci doit d’une manière ou d’une autre être reconverti en marchandises pour qu’à puisse fonctionner comme capital. Que signifie donc surproduction de capital ? Surproduction de masses de valeur destinées à produire de la plus-value ou, si l’on ne considère que le contenu matériel, surproduction de marchandises destinées à la reproduction, donc reproduction à une trop grande échelle – ce qui est la même chose que surproduction tout court.
À y regarder de plus près, cela signifie simplement : produire trop afin de s’enrichir, ou encore, une partie trop grande du produit est retirée du revenu destiné à la consommation pour faire plus d’argent (pour l’accumulation) ; ne pas satisfaire les besoins personnels du possesseur, mais créer de la richesse sociale abstraite, de l’argent, qui accroit la puissance sur le travail d’autrui, en accroissant le capital et la puissance de celui-ci. C’est ce que l’on dit d’un côté. (Ricardo le nie.) Et de l’autre côté, comment explique-t-on la surproduction de marchandises ? En disant que la production n’est pas assez diversifiée, que certains objets de consommation ne sont pas produits en quantités assez massives. Il saute aux yeux que l’on n’a pas en vue ici la consommation de produits industriels : on pense que le fabricant qui surproduit de la toile augmente nécessairement du même coup sa demande en filés, machines, travail, etc. Il s’agit donc de consommation privée : on a produit trop de toile, mais peut-être pas assez de mandarines. Jusque-là on avait nié l’argent pour ne pas voir la dissociation entre l’achat et la vente. Maintenant, en nie le capital pour faire des capitalistes de braves gens qui accomplissent la [337] simple opération MA-M en vue de la consommation individuelle, sans produire, en tant que capitalistes, dans le but de s’enrichir, en reconvertissant une partie de la plus-value en capital. Dire qu’il y a trop de capital ne signifie au fond rien d’autre que trop peu de capital est – et peut être – consommé comme revenu dans les conditions données (Sismondi[16]). Comme si la surproduction ne provenait pas de la reproduction élargie dans l’appareil de production capitaliste ! Mais pourquoi donc vient-il à l’idée du producteur de toile de demander au producteur de blé de consommer plus de toile ? Et à celui-ci de demander à celui-là de consommer plus de blé ? Pourquoi le producteur de toile ne réalise-t-il pas une plus grande partie de son revenu (plus-value) en toile, et le fermier en blé ? Chacun d’eux rétorquera qu’il lui faut accroître la part de ce qu’il investit ou capitalise (sans se préoccuper des limites de la demande et des besoins). Notons-le, on l’admet pour chacun d’eux, mais pas pour tous pris ensemble.
Nous ne traitons pas ici de l’élément des crises qui dérive de ce que les marchandises sont reproduites meilleur marché qu’elles ont été produites, c’est-à-dire de la dévalorisation des marchandises qui se trouvent sur le marché.
En somme, toutes les contradictions de la production bourgeoise éclatent ensemble dans les crises mondiales, et de façon isolée, dispersée, unilatérale dans les crises particulières (pour ce qui est de leur contenu et de leur extension).
La surproduction est spécifiquement conditionnée par la loi générale de la production du capital : produire en proportion des forces productives (c’est-à-dire de la possibilité d’exploiter la masse de travail la plus grande possible avec la masse donnée de capital), sans tenir compte des limites existantes du marché ni des besoins solvables. Tout cela s’effectue moyennant une expansion continuelle de la reproduction et de [338] l’accumulation, c’est-à-dire d’une constante reconversion du revenu en capital, alors que de l’autre côté la masse des producteurs reste limitée et doit - conformément à la nature et aux tendances de la production capitaliste – rester limitée à la quantité moyenne des besoins
- ↑ Dans ce texte ardu, Marx part des rouages essentiels de la base économique du capital pour expliquer la genèse des foyers de crise avec – pour ainsi dire – leur jaillissement, leur gonflement et leur conjugaison avec les autres points de crise qui sont partiels ou potentiels, latents ou explosifs. Il fait la part belle au capital, puisqu'il ne considère que le système théorique pur, sans nulle intervention perturbatrice de la politique et du militaire pour remédier aux déséquilibres, on les aggravant encore. Il fait une distinction fondamentale entre crise potentielle et réelle (ou effective) Le point de crise potentiel dérive, par exemple, de la séparation entre l'acte de vente et celui d'achat. Leur unité peut s'effectuer – et s’effectue – journellement, sans qu'il y ait crise. Mais elle peut fort bien se dissocier au moindre accroc dans les échanges – et c'est la crise. Pour la résoudre, il faudra réunir de force les deux actes dissociés. En somme, la crise est solution de violence, intervention despotique dans les rapports économiques, expropriation des petits et des moyens, raison du plus fort. Cette première partie met en relief le caractère éminemment mercantile du mode de production capitaliste, et c'est sans ironie que Marx souligne que ce n'est finalement que dans l'acte productif, le procès de production, .où le travail est associé, que tout tourne rond, puisque la production est déjà pratiquement socialisée. En somme, la crise éclate quand la marchandise-capital doit effectuer une métamorphose que lui impose son caractère mercantile. La crise exprime la contradiction entre le caractère mercantile et privé de la distribution, et le caractère social de la production. C'est dire que la surproduction qui engendre les crises modernes, provient des limitations que l’appropriation privée, le marché solvable et la valeur d'échange imposent à la production associée. Après cette première partie théorique sur les causes mercantiles générales des crises, nous avons repris Ica explications de Marx sur la baisse tendancielle du taux de profit qui régit de manière fondamentale, la mécanique capitaliste, et nous trouvons les causes fatales à la production capitaliste dans la composition organique qui gonfle de plus en plus monstrueusement à mesure que le taux de profit diminue.
- ↑ Marx fait allusion à son ouvrage de 1859 sur, la Contribution à la critique de l'économie politique (Éditions sociales, 1957, p. 65-66, 105, 108-109).
- ↑ Cf. Say, Traité d’économie politique, 2 e édition, vol. 2, Paris, 1814, p. 382 : « Les produits s'échangent contre les produits. » Ricardo reprend littéralement cette formule. Marx critique par ailleurs, cette conception dans le chapitre sur les Possibilités des crises à partir des Contradictions entre marchandise et argent, in Werke 26/3, p. 116 dans le chapitre intitulé incompréhension des contradictions qui suscitent les crises dam la production capitaliste (trad. fr. Histoire des Doctrines Economiques, Ed. Costes, VI, p. 178- 189).
- ↑ Bailey avait critiqué les idées de James Mill sur l'équilibre « nécessaire et constant » entre production et demande, entre offre et demande, ainsi qu’entre somme des ventes et somme des achats (cf. Elements of Political Economy, London, 1821, p. 186-195). Marx lui-même s’en était pris à Mill sur ce point dans la Contribution à la critique de l'économie politique, 1.c., p. 66. Marx développe à présent le fait, imposé par la baisse du taux de profit au capital, d'accroître toujours plus sa masse, en faisant des rotations rapides – d'où sa frénésie de la production qui s'aggrave à son âge sénile où il exerce ses plus grands ravages contre l'humanité et la nature. A ce point, Marx aborde la question de la destruction et la dévalorisation du capital à une échelle toujours plus grande.
- ↑ Bailey avait critiqué les idées de James Mill sur l'équilibre « nécessaire et constant » entre production et demande, entre offre et demande, ainsi qu’entre somme des ventes et somme des achats (cf. Elements of Political Economy, London, 1821, p. 186-195). Marx lui-même s’en était pris à Mill sur ce point dans la Contribution à la critique de l'économie politique, 1.c., p. 66. Marx développe à présent le fait, imposé par la baisse du taux de profit au capital, d'accroître toujours plus sa masse, en faisant des rotations rapides – d'où sa frénésie de la production qui s'aggrave à son âge sénile où il exerce ses plus grands ravages contre l'humanité et la nature. A ce point, Marx aborde la question de la destruction et la dévalorisation du capital à une échelle toujours plus grande.
- ↑ Ce simple fait explique que la crise peut accroître le pouvoir d'achat de l'argent (et de ceux qui le détiennent, voire des ouvriers qui continuent de toucher leur salaire), puisque la chute des prix accroît la valeur de la monnaie (déflation). C’est ainsi qu’en 1929-1932, la classe ouvrière américaine a vu augmenter sa capacité d'achat si elle est appliquée aux moyens de subsistance fondamentaux.
- ↑ Cf. Ricardo, On the Principles of Political Economy, London, 1818, p. 341
- ↑ Ricardo efface tout caractère historique, donc transitoire et éphémère, de la production capitaliste dès lors qu'il considère l'argent, le moyen de circulation et la valeur d'échange comme de simples instruments utiles, et non comme des déterminations spécifiques qui conditionnent tout le mode de production dans sa forme nécessaire et particulière de capital
- ↑ Le lecteur peut se reporter aux explications de. Marx sur les métamorphoses du capital, de marchandise en argent et de celui-ci en marchandise (force de travail, matières premières, etc.) dans la Contribution ou le Capital 1.
- ↑ Marx analyse cette partie de la circulation bourgeoise – le procès de production capitaliste – dans le premier livre du Capital et le VIe Chapitre du Capital. On notera qu'aucune crise ne se produit dans cette « métamorphose » qui crée la plus-value, et les... surproductions. Elle éclate dans la sphère des métamorphoses mercantiles de la circulation, en raison des limitations de la demande solvable et des spécificités qu'imprime cette demande à la production capitaliste – le fait, par exemple, que l'on fabrique l’armement et le luxe avant de satisfaire les besoins élémentaires de l'humanité ou, en termes plus techniques le fait que la valeur d'échange – et non la valeur d'usage – détermine la qualité et la quantité des produits à créer. En effet, surproduction est synonyme de production de choses inutilisables, gaspillage, dilapidation, une destruction et dévalorisation des forces productives.
- ↑ Marx fait allusion ici au IIIe livre du Capital tout entier. Cf. sa lettre à Engels du 31-VII-1865.
- ↑ En opposant une société a rationnelle », communautaire, à la société capitaliste, Marx définit par opposition l'origine de la surproduction, des crises et des déséquilibres de l’économie actuelle. Mais il ne faut pas entendre cela au mm le plus banal – à savoir que la société future augmentera le pouvoir d'achat et les capacités de production et de consommation des pays développés, par exemple, en donnant « tout le produit de son travail à l'ouvrier », formule lassalléenne, critiquée par Marx dans le Programme de Gotha. Certes, la production de moyens utiles augmentera encore globalement, mais la plus grande partie de l'inutile et nocive production (surproduction) d'aujourd'hui sera éliminée, par sa propre dialectique de destruction.
- ↑ Marx donne raison ici à Boukharine qui pensait que le capital pouvait créer ses propres débouchés (dans la mesure évidemment de la demande solvable) – ce qui complète les affirmations de Rosa Luxemburg. Dans les pays coloniaux, les débouchés sont nés spontanément, et créés artificiellement par le capital. Celui-ci continue donc de naître, et de gonfler – de lui-même et des conditions précapitalistes qui se haussent au niveau bourgeois. En ce double sens, le capital est création à une échelle élargie de plus-value.
- ↑ Marx renvoie aux passages du Livre I du Capital sur la production de plus-value absolue et relative (Éditions Sociales, t. II, p. 183-192).
- ↑ Marx fait allusion aux considérations de Say (cf. Lettres à M. Malthus, Paris, Londres, 1820, p. 15), selon lequel la cause de l'engorgement du marché italien provenait de ce que l’Italie ne produisait pas assez de marchandises susceptibles d'être échangées contre des marchandises anglaises. Cf. également le volume I des Editions Sociales de Marx, Théories sur la plus-value, p. 304.
- ↑ Sismondi expliquait la crise par la « disproportion croissante entre la production et la consommation ». Cf. Nouveaux principes d'économie politique ou de la richesse dans ses rapports avec la population, Paris. 1827, p. 371. Dans la Misère de la Philosophie, Marx souligne que, pour Sismondi, « la diminution du revenu est proportionnelle à l'accroissement de la production » (Editions Sociales, 1972, p. 43-44. Marx revient longuement sur les idées de Sismondi qui, avec Rodbertus, fait la transition aux modernes idées de Keynes pour résorber la surproduction : cf. Marx-Engels, Critique de Malthus, Petite Collection Maspéro, p. 43-44.