La crise surmontée, mais généralisée

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La crise française[modifier le wikicode]

Marx, New York Tribune, 12-1-1858.


La baisse progressive du taux d’escompte, par la Banque de France (10%, le 12 novembre ; 9%, le 26 novembre ; 8%, le 5 décembre, et 6% le 17 décembre), est naturellement présentée par les organes de presse impériaux comme la - preuve irréfutable de ce que la secousse commerciale est en train de s’atténuer et que « la France a surmonté la pénible épreuve sans subir de catastrophe ». Le système financier de Napoléon III aurait créé « cette supériorité momentanée de la situation commerciale de la France par rapport à celle des autres nations » et donné la garantie que la France, aujourd’hui et demain aussi, « sera moins touchée en temps de crise que les pays qui sont en concurrence avec elle ». Or, 6% est un taux d’escompte bancaire que l’on n’a jamais vu en France depuis le début de ce siècle, hormis dans la période critique de 1955 et de 1856 « sous le règne de Napoléon III - si l’on fait abstraction de, février 1800, pendant quelques jours, lors de la fondation de la Banque par l’Oncle. Mais si la Banque de France continuait à baisser son taux d’intérêt, mettons jusqu’à 4%, qu’en serait-il ? Le taux d’escompte a été abaissé [182] à 4% le 27 décembre 1847 au moment même où la crise universelle battait son plein et où la crise française n’avait pas encore atteint son paroxysme. Alors comme aujourd’hui, le gouvernement français se félicitait de son privilège de s’en tirer à chaque fois dans les crises universelles avec quelques égratignures seulement qui restaient tout à fait superficielles. Deux mois plus tard, le raz-de-marée financier balayait le trône et le sage qui l’occupait.

Nous ne contestons certainement pas le fait que la crise a eu sur le commerce français un effet moindre que celui qu’on attendait. La raison en est tout à fait simple : le bilan commercial avec les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et les villes hanséatiques est positif pour la France, et ce, depuis longtemps. Si les crises surgies dans ces pays eussent dû avoir un effet direct sur la France, celle-ci aurait dû leur accorder des crédits considérables ou accumuler pour leur compte des marchandises d’exportation à une échelle spéculative. Or, il n’y a eu rien de tel. C’est pourquoi les, événements américains, anglais et hanséatiques n’ont pas provoqué en France un écoulement de son or, et si la Banque de France a relevé pendant quelques semaines le taux d’intérêt au niveau anglais, ce ne le fut que par crainte que des capitaux français eussent pu chercher à l’étranger des placements avantageux.

Mais on ne saurait nier que la crise générale ait fait sentir ses effets en France même dans sa phase présente, et pour ce qui est de ses relations commerciales avec les Etats-Unis, l’Angleterre et les villes hanséatiques, elle a pris une forme correspondante, à savoir la dépression chronique. Elle a forcé Bonaparte qui déclarait dans sa lettre du 11 novembre que « le mal n’existait que dans l’imagination », à faire sortir un communiqué officiel selon lequel « malgré la prudence du commerce français et la vigilance du gouvernement, la crise commerciale a obligé de nombreuses branchés de l’industrie, sinon à arrêter la production, [183] du moins à diminuer le temps de travail ou à baisser les salaires », de sorte que « de nombreux ouvriers sont condamnés à l’oisiveté » (le Moniteur Universel, 12-XII-1857).

En conséquence, il a ouvert un crédit d’un million de francs pour soutenir les nécessiteux et pour créer des possibilités de travail, en même temps qu’il a ordonné des mesures militaires de prévention à Lyon et en a appelé dans ses journaux à la bienfaisance privée. Les prélèvements auprès des caisses d’épargne ont commencé à dépasser de loin les dépôts. De nombreuses fabriques ont subi de lourdes pertes à la suite des banqueroutes en Amérique et en Angleterre ; la production baisse à Paris, Lyon, Mulhouse, Roubaix, Rouen, Lille, Nantes, Saint-Etienne et d’autres centres manufacturiers, et ce, dans des proportions effrayantes, tandis que de graves difficultés sont apparues à Marseille, au Havre et à Bordeaux.

La stagnation générale du commerce dans tout le pays est particulièrement mise en relief dans le dernier rapport mensuel de la Banque de France qui fait état d’une baisse de la monnaie en circulation de 7 304 000 frs en décembre par rapport à octobre, et de 48 955 900 frs par rapport à novembre, tandis que la somme totale des traites escomptées a chuté d’environ 100 millions de francs par rapport à octobre et de 77 067 059 francs par rapport à novembre. Etant donné l’état de choses actuel dans la presse française, il n’est pas possible naturellement de déterminer le nombre exact des banqueroutes dans les villes de province, mais les banqueroutes parisiennes indiquent, même si le phénomène n’est pas encore catastrophique, une tendance à l’augmentation, non Seulement quantitative, mais encore qualitative pour ce qui est de l’importance des entreprises concernées. Dans les deux semaines du 17 novembre au 1er décembre, il y a eu 24 banqueroutes à Paris, dont pas moins de 24 fripiers, laitiers, tailleurs, fabricants de fleurs artificielles, [184] ébénistes, coffretiers, doreurs, marchands de cuir, joailliers, dentelliers, vinaigriers, bonnetiers, fruitiers, etc. Du 1er au 8 décembre, il y avait déjà 31 banqueroutes, et du 9 au 15 ce chiffre atteignit 34, parmi lesquelles certaines de plus grande importance, par exemple la banqueroute de la banque Bourdon, Dubuch et Cie, la Société Générale des voitures de remise, une société de métiers à tisser Jacquard, une huilerie, etc. Par ailleurs, Bonaparte cherche à freiner la chute fatale du prix du blé et de la farine en révoquant les décrets d’interdiction. Or ces tentatives ont échoué, car les prix n’ont cessé de baisser du 26 novembre au 21 décembre, et malgré une marge de profit tout à fait restreinte sur le marché londonien, il n’y a guère plus de 3 000 sacs de 110 kg chacun qui ont été expédiés en Angleterre jusqu’au 22 décembre.

Même si la balance commerciale avec les Etats-Unis, l’Angleterre et les villes hanséatiques est positive pour la France elle est négative pour son commerce avec la Russie méridionale, l’Union douanière allemande, la Hollande, la Belgique, les pays du Levant et l’Italie. En ce qui concerne la Suisse, sa balance commerciale est depuis longtemps passive et la France est lourdement endettée vis-à-vis d’elle étant donné que la plupart des fabriques alsaciennes fonctionnent avec du capital suisse - de sorte que la Suisse peut toujours exercer une forte pression sur le marché financier français en temps de pénurie monétaire. Au cours de cette période, comme dans toutes les périodes précédentes, il n’y aura pas de crise française grave tant que les difficultés économiques n’auront pas atteint un niveau déterminé dans les pays cités ci-dessus. Le fait que la Hollande, par exemple, ne puisse surmonter la tourmente actuelle provient de ce que son commerce, pourtant déjà étendu, se limite néanmoins à des espèces d’articles dont le prix est tombé de manière fatale et continuera de tomber. Dans les centres industriels de l’Union Douanière allemande [185] apparaissent déjà les symptômes avant-coureurs de la crise. Les journaux de Trèves expriment à haute voix la crainte d’un krach dans le commerce avec la Mer Noire et les pays du Levant, et les premiers éclairs qui annoncent l’orage ont suffi à mettre en faillite plusieurs grandes firmes de Marseille. Enfin, en Italie, la panique monétaire a éclaté au moment précis où elle a commencé à s’apaiser dans le Nord de l’Europe. C’est ce qui ressort de l’extrait suivant de l’Opinione milanais du 18 décembre :

« Les difficultés actuelles sont extrêmement graves. Les banqueroutes prennent des proportions terribles, et après celles des Palleari, Ballabio et Cie, Cighera, Redaelli, Wechler et Mazzola, après le contrecoup des villes étrangères, après la suspension des paiements de la part des meilleures maisons de Vérone, Venise, Udine et Bergame, les entreprises les plus puissantes commencent elles aussi à chanceler et à déposer leur bilan. Or ces bilans sont attristants. Il suffit d’observer que, parmi nos grandes firmes de soie, il n’en est pas une qui ait moins de 50 000 livres de soie en dépôt, ce qui permet de calculer facilement qu’au niveau des prix actuels chacune doit perdre d’un demi à deux millions. Certaines n’ont-elles pas en réserve plus de 150 000 livres de soie ? La firme des frères Brambilla a été soutenue par un prêt d’un million et demi de francs ; Battista est en faillite ; d’innombrables patrimoines sont perdus, et d’autres sont réduits de moitié ; d’innombrables familles qui vivaient sous peu encore dans de bonnes conditions, sont rainées, et nombreux sont les ouvriers qui n’ont plus de travail, ni de moyens de vivre. »

Si la crise française a mûri en raison de la pression croissante de ces pays, elle se déroulera dans une nation de boursicotiers et de spéculateurs, sinon d’aventuriers commerciaux purs et simples, ainsi que sous un gouvernement qui en France a joué le même rôle que le commerce privé aux États-Unis, en Angleterre [186] et à, Hambourg. Elle touchera durement le marché des actions, et mettra en péril son pilier principal l’État lui-même.

Le résultat logique de la traditionnelle restriction du commerce et de l’industrie français est de mettre des fonds à la disposition de la bourses [1]. Ainsi la Banque de France est-elle obligée d’accorder des avances sur les valeurs d’Etat et les actions des chemins de fer. Cependant, au lieu de modérer les spéculations en bourse, la stagnation actuelle de l’industrie et du commerce français n’a fait que l’exaspérer. Le dernier rapport mensuel de la Banque de France mentionne que les avances sur les actions de chemins de fer se sont accrues à mesure que diminuaient l’escompte des traites et la circulation monétaire. De même, malgré une forte diminution de leurs recettes, la plupart des chemins de fer français voient augmenter la cotation de leurs actions ; ainsi, les recettes de la ligne d’Orléans ont baissé de 22 1/20 vers la fin novembre par rapport à la même période de l’année précédente, cependant que ses actions étaient cotées à 1 355 francs le 22 décembre contre 1 310 le 23 octobre.

Lorsque commença le marasme économique en France, certaines sociétés de chemins de fer furent aussitôt obligées de suspendre leurs activités, et ce sort les menace toutes. Pour y parer, l’Empereur imposa à la Banque de France une convention avec ces sociétés qui fit pratiquement de la Banque un véritable associé des chemins de fer. Elle doit, en effet, avancer des fonds sur les nouvelles reconnaissances de dettes que ces sociétés peuvent émettre en vertu de la convention du 30 novembre 1856 pour l’année 1858, ainsi que sur les reconnaissances de dettes qui ont déjà été émises en 1857, l’émission accordée pour 1858 se montant à 42 millions de francs. Le Crédit mobilier semblait condamné à succomber à la première secousse, et le 3 décembre à perdre une partie de son gigantesque stock de valeurs. Il circule maintenant le [187] projet de le faire fusionner avec le Crédit Foncier et le Comptoir d’Escompte, afin qu’il puisse participer au privilège accordé à ces deux institutions, dont la Banque de France escompte les traites et prend les valeurs en charge. Ce plan sert manifestement à surmonter la tempête, en rendant responsable la Banque de France de toutes ces entreprises - une manœuvre qui menace la Banque elle-même de naufrage. Mais ce à quoi Napoléon Il ne pense même pas, c’est de faire financer par la Banque de France les appels de fonds des actionnaires qui n’ont pas encore payé entièrement leurs actions. Abstraction faite de, petites entreprises les appels suivants sont arrivés, à échéance, fin décembre : la Société commerciale et industrielle de Madrid (firme Rothschild avec 30 dollars par action ; la Compagnie franco-américaine de Navigation avec 10 dollars par action ; les Chemins de fer Victor Ernmanuel avec 30 dollars par action ; les. Forges Herserange, la compagnie et Cie avec 20 dollars par action, des chemins de fer de la Méditerranée avec » dollars par action ; les Chemins de fer autrichiens avec 15 dollars ; la Compagnie de Saragosse avec 10 dollars ; les Chemins de Fer Franco-Suisse avec 10 dollars ; la Société générale, de Tanneries avec 10 dollars ; la Compagnie de la Carbonisation des Houilles avec 10 dollars, etc.

Le début de l’année coïncide avec l’échéance pour le paiement de 20 dollars par action pour le Chemin de fer de Chimay à Mariembourg, de 12 I/2 dollars pour les Sociétés de Navigation belges et sudaméricaines. En vertu de la convention du 30 novembre 1856, les appels des chemins de fer français s’élèveront à eux seuls à quelque 50 millions de dollars pour 1858. Il y a certes le grand risque que la France échoue en 1858 devant ces lourdes obligations comme l’Angleterre a échoué en 1846-47. En outre, des capitalistes allemands, suisses et hollandais possèdent d’importantes quantités de valeurs françaises, dont ils [188] lanceront une grande partie, sur le marché boursier français, en cas de prolongation de la crise, afin de se procurer de l’argent pour parer à toute éventualité.

Crise chronique en France : inflation et stagnation[modifier le wikicode]

Marx, New York Tribune, 12-111-1858.

Point n’est besoin de démontrer que le pouvoir précaire de Louis Napoléon qui s’intitule encore Empereur des Français, devra se mettre à vaciller dès lors que la crise économique, en voie de reflux dans les autres parties du monde, aura atteint son point culminant en France.

Les symptômes de cette exaspération se manifestent principalement dans la situation de la Banque de France et des marchés français pour les produits agricoles. Les rapports de la Banque signalent - dans la seconde semaine de Février par rapport à la dernière semaine de Janvier - les caractéristiques suivantes :

Diminution de la circulation monétaire 8 766 400 P
Diminution des dépôts 29 018 024 -
Diminution des traites escomptées par la Banque 47 746 640 -
Diminution des traites escomptées par les filiales 23 2642 71 -
Diminution totale des traites escomptées 71 010 911 -
Augmentation des traites échues 2 761 435 -
Augmentation des réserves de métal précieux 31 500 308 -
Augmentation de l'agio sur les achats d'or et d'argent 3 284 691 -

Pour l’ensemble du monde des affaires, les réserves métalliques des banques augmentaient tandis que l’activité [189] économique diminuait. À mesure que la vie industrielle faiblit, la situation des Banques en général se consolide, de sorte que l’augmentation des réserves de métal précieux dans les caves de la Banque de France n'est qu'un exemple de plus pour un phénomène économique, constaté à New York, aussi bien qu'à Londres et à Hambourg. Il y a cependant une caractéristique spécifique pour le mouvement des métaux précieux en France, à savoir que l'accroissement est de 3 284 691 frs pour l'agio sur l'or et l'argent achetés, alors que la somme dépensée dans ce but par la Banque de France en Février se montait à 4 438 549 frs. La gravité de cette évolution se lit dans la comparaison des chiffres suivants :

Agio payé par la Banque de France l’achat de l'or et de l'argent
Février 1858 4 438 549 F
Janvier 1858 1 153 848 -
Décembre 1857 1 117 029 -
Novembre 1857 1 327 443 -
Octobre 1857 949 656 -
Du ler janvier au 30 juin 1856 3 100 000 -
Du ler juillet au 11 décembre 1856 3 250 000 -
Du ler juillet au 31 décembre 1855 4 000 000 -

On voit que l’agio que la Banque a payé en Février en vue d’obtenir un afflux artificiel de réserve métallique, atteint une somme qui est presque égale à celle que la Banque avait dépensée dans le même but au cours des quatre mois d’Octobre 1957 à Janvier 1858, qui déjà dépassait l’agio de tout un semestre. En face de cela, l’ensemble de l’agio payé par la Banque, d’Octobre 1857 à Février 1858, atteint la somme de 9 045 535 frs et dépasse de près de la moitié l’agio payé pour l’année entière de 1856. Malgré cet excédent apparent, les réserves métalliques de la Banque [190] sont en conséquence moindres qu’au cours des trois dernières années. La Banque est loin d’être surchargée de réserves métalliques ; l’approvisionnement n’est à son niveau indispensable qu’au moyen d’artifices. Ce seul fait démontre que la crise économique n’est pas encore entrée en France dans la phase que les Etats-Unis, l’Angleterre et le Nord de l’Europe ont déjà surmontée. Il règne en France une dépression économique générale que l’on constate dans la diminution parallèle de la circulation monétaire et de l’escompte des traites. Le krach est toujours tout proche. C’est ce que démontre la baisse des dépôts tandis qu’augmentent simultanément l’agio sur les métaux précieux achetés et les traites échues.

La Banque a dû aussi rendre public la vente d’une grande partie de ses propres actions nouvelles pour lesquelles les arrérages n’avaient pas été payés à terme. La Banque de France a été contrainte par le gouvernement de devenir l’associé principal des chemins de fer français, d’accorder aux sociétés ferroviaires des avances considérables dans, des délais échelonnés préalablement. Or ces avances se montèrent à 50 millions pour les seuls mois de janvier et de février. Certes, elle a obtenu des reconnaissances de dettes des sociétés pour ces avances qu’elle pourra vendre lorsqu’elle leur trouvera acquéreur.

Mais le moment actuel est particulièrement défavorable à de telles transactions, et les rapports hebdomadaires des chemins de fer témoignent de la baisse constante de leurs recettes et sont donc loin de garantir de grandes perspectives à ce système. En janvier, par exemple, par rapport aux recettes correspondantes de 1857, celles du chemin de fer d’Orléans reculaient de 21%, celles du réseau de l’Est de 18%, celles de la ligne Paris-Lyon de 11% et celles du réseau de l’Ouest de 14%.

C’est un fait notoire que l’acheteur résiste vivement à l’élévation des prix tandis que le vendeur s’oppose [191] plus violemment encore à leur, baisse, et que l’on assiste à des périodes plus ou moins longues, où les ventes se font difficiles et les prix, deviennent simplement nominaux - jusqu’à ce que la tendance du marché décide, avec une force irrésistible, de l’évolution dans un sens ou dans un autre. Cette lutte temporaire entre ceux qui détiennent les marchandises et ceux qui les achètent n’a rien d’extraordinaire. Ce qui l’est, c’est plutôt que cet éternel conflit entre commerçants et consommateurs traîne sous cette forme de début novembre à ce jour en France. Apparemment, c’est un fait sans précédent, dans l’histoire, des prix. En effet, tandis que l’industrie française stagne et qu’un grand nombre d’ouvriers sont privés de leur travail et, de leurs moyens de subsistance matériels, les prix - restent toujours encore en France au niveau élevé de la période de spéculation qui précède la crise générale, alors qu’ailleurs ces prix ont chuté en moyenne de 30 à 40%[2]. Si l’on nous demande à quoi ce miracle économique est dû, nous répondrons simplement que la Banque de France a été contrainte par deux fois sous la pression du gouvernement à prolonger les traites et les effets échus. Cela a été obtenu, en utilisant des expédients qui ont permis de prélever sur les ressources accumulées par le peuple français dans les caves de la Banque de France, afin de maintenir à un niveau élevé les prix contre ce même peuple.

Le gouvernement semble se figurer que, par le procès extrêmement simple de distribution des billets de banque là où chaque fois ils sont nécessaires, il pourra parer définitivement à la catastrophe. Cependant le résultat pratique de ce procédé, est d’une part, d’aggraver la misère des consommateurs (et les moyens moindres de la grande masse ne peuvent être compensés même par des prix moindres à la fin) et, d’autre part, d’accumuler dans les entrepôts des douanes des masses énormes de marchandises qui se dévalorisent à [192] mesure qu’elles s’amoncellent et qui doivent tout de même à la fin être jetées sur le marché, conformément à leur destination. Nous avons extrait d’un journal officiel français le tableau suivant sur la fluctuation des masses de marchandises entreposées dans l’« entrepôts douaniers fin Décembre des années 1851, 1856 et 1855. Ces chiffres ne laissent aucun doute sur l’autorégulation catastrophique des prix qui se produit en France :

1857

quintaux métriques

1856

quintaux métriques

1855

quintaux métriques

Cacao 19 419 17 799 10 188
Café 210 741 100 758 57 644
Coton 156 006 76 322 28 766
Cuivre 15 377 1 253 3 197
Étain 4 053 1 853 1 811
Fonte 132 924 102 202 76 337
Oléagineux 253 596 198 982 74 537
Talc 25 299 15 292 11 276
Indigo 5 253 2 411 3 783
Laine 72 150 31 560 38 146
Poivre 23 448 18 442 10 682
Sucre (des colonies) 170 334 56 735 55 387
Sucre (de l'étranger) 89 607 89 807 71 913

Dans le commerce des céréales, la lutte s’est achevée avec des conséquences terribles pour les détenteurs de marchandises. Cependant, leurs pertes sont d’importance biens moindres que celles, bien plus larges, de la population rurale de France dans l’actuel moment critique. Lors d’une récente assemblée d’agriculteurs français, on a constaté que le prix moyen du blé était de 31,94 frs par hectolitre fin Janvier 1854 dans toute la France, contre 27,24 frs à la même période en 1855, de 32,46 frs en Janvier 1856, de 27,9 en Janvier 1857 et de 17,38 frs en Janvier 1858. Voici la [193] conclusion unanime de cette assemblée : « Ce niveau des prix doit se révéler, destructeur pour l’agriculture française, et l’actuel prix moyen de 17,38 frs ne laisse au producteur dans certaines parties de France qu’une marge de profit extraordinairement étroite, tandis qu’il provoque des pertes sérieuses dans d’autres parties de France. »

On pourrait penser que, dans un pays comme la France où la plus grande partie du sol appartient aux paysans eux-mêmes et où une toute petite partie seulement de la production totale prend le chemin du marché, l’excédent de blé devrait être considéré comme une bénédiction et non comme une malédiction. Il en va cependant comme Louis XVIII le déclarait dans son discours du trône le 26 novembre 1821 : « Nulle loi ne peut empêcher la misère qui résulte d’une récolte trop riche. » C’est un fait que la grande majorité de la paysannerie française n’est propriétaire que de nom, les créanciers hypothécaires et le gouvernement en étant les véritables maîtres. Ce n’est, pas la quantité, mais le prix, de ses produits qui décidera si le paysan français est en mesure de remplir les lourdes obligations pesant sur son petit lopin de terre.

La misère dans l’agriculture, combinée à la dépression économique, la stagnation de l’industrie et la catastrophe encore à venir du commerce doivent mettre le peuple français dans l’état d’esprit où il est prêt à se lancer dans de nouveaux coups d’audace politiques. Avec la fin du bien-être matériel et de son appendice habituel, l’indifférence politique, disparaît aussi tout prétexte pour laisser survivre le second Empire.

Moyens dilatoires de la crise[modifier le wikicode]

Marx, New York Tribune, 30-IV-1858.

... Les ridicules conférences de Louis Bonaparte avec les spéculateurs en bourse les plus considérables sur [194] les expédients à utiliser pour le commerce de l’industrie n’ont évidemment apporté aucun résultat. La Banque de France se trouve elle-même dans une mauvaise passe, étant donné qu’elle n’est pas en mesure de vendre les reconnaissances de dette des compagnies de chemins de fer qu’elle doit approvisionner en argent pour pouvoir exécuter leurs travaux. Nul ne veut acheter ces assignations à un moment où tous les biens des chemins de fer se dévalorisent rapidement et où les rapports hebdomadaires indiquent une baisse constante de leurs recettes.

Le correspondant parisien de l’Economist de Londres note : « La situation du commerce français reste comme elle était, c’est-à-dire montre une tendance à l’amélioration, mais ne s’améliore pas. »

Dans l’intervalle, Bonaparte continue de suivre ses vieilles méthodes : fourrer du capital dans des travaux improductifs. Comme monsieur Haussmann, le préfet du département de la Seine, l’a affirmé crûment, ceux-ci sont néanmoins importants du « point de vue stratégique », étant conçus pour prévenir « les événements imprévus qui peuvent mettre la société en péril ». En conséquence, Paris est voué à édifier de nouveaux boulevards et rues, dont le coût est estimé à 180 millions de F pour se protéger contre ses soulèvements. L’inauguration du boulevard Sébastopol prolongé était tout à fait en harmonie avec ce « point de vue stratégique ». Considérée d’abord comme cérémonie purement civile et municipale, elle fut soudain transformée en démonstration militaire sous le prétexte de la découverte d’un nouveau complot pour assassiner Bonaparte. Pour écarter ce quiproquo, le Moniteur déclare : « Il est tout à fait juste de signaler l’inauguration d’une telle artère de la capitale par une parade militaire : nos soldats doivent être les premiers, derrière l’Empereur, à fouler le sol qui porte le nom d’une victoire si glorieuse [3]. »

[195]

Crises économiques et circulation monétaire en Angleterre[modifier le wikicode]

Marx, New York Tribune, 28-VIII-1858.

Il n’y a certainement pas de point en économie politique où il règne une incompréhension aussi largement répandue que sur l’effet de la circulation monétaire, à savoir qu’au travers de l’expansion ou de la contraction du moyen de circulation, on pourrait influer sur tout le niveau des prix, cette influence étant exercée par les banques d’émission dans l’opinion courante. Penser que les banques ont étendu au-delà de toute mesure la circulation monétaire et, partant, ont engendré une poussée inflationniste des prix qui, à la fin, a eu un contrecoup violent dans le krach, n’est qu’un procédé facile pour expliquer une crise dont on n’a pas vraiment envie de connaître les causes profondes. Soit dit en passant, il ne s’agit pas de savoir si les banques peuvent contribuer à développer un système fictif de crédit, mais s’il est en leur pouvoir de déterminer le montant des moyens de circulation qui passe dans les mains de la population.

Ce qui ne sera sans doute pas contesté, c’est la thèse selon laquelle chaque banque d’émission a intérêt à maintenir en circulation le montant le plus élevé possible de ses propres billets. Si l’on peut admettre qu’il est une banque qui puisse associer la puissance à sa volonté, c’est certainement la Banque d’Angleterre. Si l’on considère, par exemple, la période de 1844 à 1857, nous trouverons qu’en dehors des périodes de panique, la Banque n’a jamais été capable d’étendre sa circulation monétaire jusqu’à la limite légalement fixée, bien qu’elle disposait du privilège de jeter ses billets sur le marché en lançant des emprunts publics ou en abaissant à plusieurs reprises le taux de l’intérêt. Mais il y a encore ici un autre phénomène, bien plus significatif. Au cours de la période de 1844 à 1857, le commerce [196] général du Royaume-Uni a pratiquement triplé. Comme on le sait, les exportations britanniques ont doublé au cours de la dernière décennie. Mais parallèlement à cet accroissement gigantesque du commerce, la circulation monétaire de la Banque d’Angleterre a effectivement, diminué, et continue de diminuer encore. Que l’on considère les données suivantes :

Exportations Billets en circulation
1845 60 110 000 1. st. 20 722 000 1. st.
1854 97 184 000 – 20 709 000 –
1856 115 826 000 – 19 648 000 –
1857 122 155 000 – 19 467 000 –

Ainsi, à un accroissement des exportations de 62 045 000 L.st., correspond une baisse de la circulation de 1 225 000 L.st., bien qu’au cours de cette même période en raison de la législation bancaire de 1844 le nombre des filiales de la Banque d’Angleterre ait augmenté et que les banques d’émission concurrentes de province aient diminué, tandis que leurs propres billets ont été convertis en moyens de paiement légaux pour les banques de province. On pourrait peut-être admettre que Les monnaies en or ont jailli de riches sources nouvelles et ont contribué à évincer une partie des billets de la Banque d’Angleterre, en remplissant les canaux de la circulation où les billets passaient auparavant. En fait, le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Monsieur Weguelin, constatait en 1857, devant la commission de la Chambre basse, que les personnalités les plus compétentes ont estimé l’accroissement de la circulation d’or de 30% au cours des six dernières années. On estime à 50 millions de L.st. l’ensemble de la circulation d’or. Cet accroissement des monnaies d’or avait cependant si peu de rapport avec la diminution de la circulation des billets de banque qu’au contraire le nombre des petites [197] coupures de 5 et 10 L.st. – les seules qui, dans le petit commerce et dans la circulation – de marchandises entre détaillants et consommateurs, puissent être remplacées par des pièces de monnaie – ont pratiquement augmenté en même temps que la circulation métallique. Le tableau suivant reproduit les proportions de cet accroissement :

Coupures de 5 et 10 1. st. Pourcentage de toute la circulation de billets
1845 9 698 000 1. st. 46,9
1854 10 565 000 – 51,0
1855 10 628 000 – 53,6
1856 10 680 000 – 54,4
1857 10 659 000 – 54,7

La diminution s’est donc limitée aux grands billets de banque, ceux de 200 à 1000 L.st. qui exercent les fonctions de la circulation intérieure, que ne peuvent exercer les pièces de monnaie proprement dites. L’économie réalisée sur ces billets était si forte qu’en dépit de l’extension du commerce, de l’augmentation générale des prix et de l’accroissement de la circulation des petites coupures, l’ensemble de la circulation des billets a continué de diminuer. La quantité des billets de banque de 200 à 1000 L.st. était de 5 856 000 L.st., soit ce qu’elle comportait en 1852, et avait diminué de 3 241000 L.st. en 1857. Alors que, par rapport à la circulation totale, elle représentait encore 26% en 1844, elle ne s’élevait plus qu’à 20,5% en 1854, à 17,5% en 1855, à 16,9% en 1856, et à 16,7% en 1857.

Ce phénomène nouveau dans la circulation de papier en Grande-Bretagne est né de la concurrence croissante des banques d’actions londoniennes avec les banques privées, ainsi que de l’accumulation de sommes [198] gigantesques dans leurs mains en raison de leur pratique qui consiste à accorder des intérêts aux dépôts. Le 8 juin 1854, les banquiers privés de Londres se sont vus contraints après une longue, mais vaine résistance – d’admettre les banques par actions au système du clearing [4], et peu après on régla le clearing final dans le cadre de la Banque d’Angleterre. Comme on renonçait désormais à régler les soldes quotidiennement en les reportant sur les comptes existants des différentes banques auprès de cette institution, les grosses coupures qui avaient été utilisées autrefois par’ les banquiers pour compenser leurs comptes réciproques et avaient un vaste champ d’application, furent en conséquence pratiquement écartés de la circulation. Dans l’intervalle, les nouvelles banques par actions de Londres avaient augmenté leurs dépôts de 9 850 774 L.st. en 1847 à 43 100 724 L.st. en 1857, comme l’indiquent les bilans d’affaires publiés par elles. Quel que soit donc l’effet exercé par ces banques sur la tendance générale des affaires et sur les prix, il doit s’opérer au moyen de l’utilisation des dépôts, c’est-à-dire d’opérations de crédit, et non pas au moyen d’émission supplémentaires de billets qui, de surcroît, n’ont même pas atteint la limite ancienne de la circulation [5]...

L’analyse des émissions des banques new-yorkaises – mettons, des six dernières années – nous amène aux mêmes résultats que celles des banques anglaises – le montant dès billets en circulation hors du contrôle des banques elles-mêmes a effectivement diminué, précisément à une époque où le commerce s’est élargi et où les prix en général ont subi un procès d’inflation qui provoqua le krach.

[199]

Marx, New York Tribune, 21-VI-1858.

... Il apparaît que les exportations britanniques au mois d’avril 1858 ont non seulement dépassé le niveau de 1856, mais se rapprochent nettement de celui de 1857, quelques mois avant qu’éclate tu crise économique aux États-Unis. On pourrait en conclure que iles dernières séquelles de la crise sont en voie de disparition rapide et que le commerce britannique entre pour le moins dans une nouvelle phase d’expansion. Une telle conclusion serait cependant totalement erronée. D’abord, il faut considérer que les statistiques officielles, puisqu’elles portent sur la valeur déclarée, n’indiquent pas les recettes réelles, mais les recettes qu’escomptent les exportateurs. Ensuite, un examen plus précis des statistiques de l’exportation révèle que l’apparente réanimation du commerce britannique est due principalement à l’exportation outrancière vers les Indes Orientales - ce qui doit provoquer une forte contraction ultérieure de ce marché...

En plus des Indes, les pays d’Europe et d’Outre-mer qui n’ont pas encore été gagnés par la crise économique, sont d’ores et déjà submerges par des marchandises britanniques – et ce, à la suite non d’une demande accrue, mais d’un procédé commercial nouveau. Les heureux bénéficiaires en étaient la Belgique, l’Espagne et ses colonies, certains États italiens – principalement le Royaume des Deux-Siciles -, l’Egypte, le Mexique, l’Amérique Centrale, le Pérou, la Chine et quelques petits marchés. Au moment même où les nouvelles les plus désastreuses arrivaient du Brésil où toutes les exportations étaient brutalement arrêtées, certaines branches de l’industrie britannique – devant la nécessité absolue de trouver un débouché à leur production excédentaire – non seulement n’ont pas restreint leurs expéditions de marchandises vers ce marché, mais encore les ont accrues. En avril, ces augmentations ont porté sur le lin, la poterie et la porcelaine [200] destinés au Brésil – tant pour la quantité que pour la valeur déclarée. On ne saurait considérer cela comme de l’exportation solide. La même chose s’applique à l’Australie qui, durant les premiers mois de la crise, a agi, comme un centre d’absorption élastique. L’Australie était, alors comme aujourd’hui encore, submergée de marchandises. Soudain, ce fut le contrecoup : toutes les exportations devaient être restreintes. Cependant, certaines branches de l’industrie britannique ont non seulement refusé de diminuer leur approvisionnement, mais l’ont encore élargi – de manière spéculative naturellement - en dépit des avertissements de tous les journaux locaux australiens. Les statistiques des exportations d’avril ne doivent donc pas être considérées comme un baromètre solide de l’animation de l’industrie britannique, mais comme de simples ballons d’essai lancés pour constater quelle pression les marchés du monde peuvent de nouveau supporter...

Marx, New York Tribune, 24-VI-1858.

Tout dépend de la France, car ici la crise dans le commerce et dans l’agriculture, le coup d’État financier et l’instauration du règne de l’armée à la place du règne au moyen de l’armée accélèrent l’explosion. Même la presse française reconnaît à la fin qu’il faut abandonner actuellement l’espoir d’un retour de la prospérité. Le Constitutionnel écrit : « Nous croyons qu’il serait insensé de tourmenter le public avec l’espoir chimérique d’une réaction immédiate. » La Patrie écrit : « La stagnation se poursuit et malgré les éléments encourageants qui existent nous ne devons attendre aucun changement dans l’immédiat. » Dans les colonnes de l’Union et de l’Univers, nous trouvons l’écho de ces lamentations. « On reconnaît en général que, depuis la révolution de 1848, on n’a pas vécu à Paris de crise économique aussi grave qu’actuellement », écrit le [201] correspondant parisien du Times de Londres. Et les actions du Crédit mobilier sont tombées à environ 550 F, c’est-à-dire au-dessous de leur prix nominal auquel elles ont été vendues au grand public. Par ailleurs, le vide des caisses impériales pousse Napoléon à exécuter son plan de confiscation. Dans ces conditions, un journal clérical, paraissant en Anjou, déclare : « La seule chose qu’il faut se demander, c’est si la Propriété sera respectée ou non ? » Il s’agit bien de propriété ! La seule chose qu’il faut se demander actuellement, répond Bonaparte, c’est comment s’assurer de l’appui de l’armée - et il répond à cette question de la manière qui lui est habituelle. Il faut de nouveau acheter l’armée et il a ordonné une hausse générale des soldes. Dans l’intervalle, l’Angleterre est alarmée, et l’Autriche apeurée. On croit partout que la guerre est imminente.

Louis-Napoléon n’a pas d’autres moyens pour échapper à une ruine prochaine. Le commencement de la fin est proche.

Crise et crédit fictif[modifier le wikicode]

Marx, New York Tribune, 4-X-1858.

Nous en arrivons à la question de savoir quelles ont été les véritables causes de la crise ? La Commission parlementaire chargée du rapport sur la crise de 1857-58 affirme qu’elle a constaté « avec satisfaction que la récente crise économique en Angleterre comme en Amérique et en Europe septentrionale est due surtout à l’excès de la spéculation et à l’abus de crédit [6]». La signification de cette constatation ne sera certainement pas diminuée du fait que le monde, pour la découvrir, n’a pas attendu la Commission parlementaire, et que toute l’utilité que la société aurait pu éventuellement tirer de cette découverte, est à présent complètement hors de propos. Si l’on admet que cette constatation est [202] exacte - et nous sommes loin de la contester -, le problème social se résout-il ou ne fait-on que changer la formulation de la question ?

Pour qu’un système de crédit fictif puisse naître, il faut toujours deux parties - débiteurs et créanciers. Que la première partie ait toujours tendance à faire des affaires avec le capital d’autrui et s’efforce de s’enrichir à ses dépens, cela semble si parfaitement clair que le contraire nous étonnerait. La question est plutôt comment il arrive que, dans toutes les nations industrielles modernes, les hommes, comme saisis par une rage périodique et sous l’influence d’illusions parfaitement transparentes, se séparent de leur fortune, et ce, malgré des avertissements pressants qui se répètent tous les dix ans ? De quelle nature sont donc les rapports sociaux qui suscitent presque régulièrement ces périodes d’automystification, de surspéculation et de crédit fictif ? Dès lors qu’on l’a découverte, on en arriverait à une alternative toute simple : Ou bien la société peut contrôler les conditions sociales de la société, ou bien celles-ci sont immanentes à l’actuel système de société. Dans le premier cas, la société peut éviter les crises, dans le second, elle doit les subir comme le changement naturel des saisons, tant que subsiste le système.

Nous considérons comme une lacune essentielle, non seulement du dernier rapport parlementaire, mais encore du « Rapport sur la crise économique de 1847 » et de tous les autres rapports qui leur ont précédé, le fait que toute crise nouvelle y est étudiée comme un phénomène isolé qui apparaît pour la première fois à l’horizon de la société et, en conséquence, doit être expliqué seulement par ces faits, mouvements et facteurs qui lui sont caractéristiques ou sont considérés tels que pour une période qui se situe uniquement entre l’avant-dernière et la dernière secousse. Si les naturalistes procédaient selon la même méthode scolaire, la réapparition d’une comète surprendrait chaque fois tout le monde. Si l’on cherche à découvrir les lois [203] qui commandent les crises du marché mondial, alors il faut expliquer non seulement leur caractère périodique, mais encore les dates exactes de leur retour périodique. En outre, les caractéristiques distinctives, propres à chaque nouvelle crise économique, ne doivent pas masquer les aspects qui leur sont communs à toutes. Nous dépasserions les limites et le but du présent article, si nous essayions d’effectuer une telle étude, ne serait-ce que dans ses contours les plus approximatifs. Toutefois il est incontestable que la Commission de la Chambre des Communes, loin de résoudre ce problème, ne l’a même pas formulé correctement.

Les faits sur lesquels s’attarde la Commission pour illustrer le système du crédit fictif manquent évidemment du charme de la nouveauté. Le système lui-même fonctionnait en Angleterre d’après un principe très simple. Le crédit fictif fut créé avec l’aide de traites de complaisance. Celles-ci furent essentiellement escomptées par le truchement des banques par actions qui, à leur tour, les faisaient réescompter par des agents escompteurs. Les escompteurs de Londres qui ne se préoccupaient que de l’endossement de la banque et non de la traite elle-même, se fiaient pour leur part, non pas à leurs propres réserves, mais aux privilèges qui leur avaient été accordés par la Banque d’Angleterre.

La Borough Bank de Liverpool, la Western Bank of Scotland de Glasgow et la Northumberland and Durham District Bank, dont les affaires ont été soumises à un examen très précis par la Commission, semblent avoir remporté la palme de la victoire dans la course à l’impéritie économique. La Western Bank de Glasgow qui avaient 101 filiales en Ecosse et de nombreuses relations en Amérique, permettait que l’on tire une traite sur un tiers simplement pour toucher une commission ; elle augmenta ses dividendes en 1854 de 7 à 8%, en 1856 de 8 à 9% et publia en juin 1857 un dividende de 9% alors qu’elle ne [204] détenait plus la majeure partie de son capital. Ses escomptes qui se montaient en 1853 à 14 987 000 L.st. étaient de 20 691000 L.st. en 1’857. Les réescomptes de la Banque de Londres qui se montaient à 407 000 L. st. en 1852 atteignaient 5 407 000 L.st. en 1856. Alors que tout le capital de la Banque n’était que de 1 500 000 L.st., lors de sa banqueroute de novembre 1857 on s’aperçut que les quatre établissements financiers MacDonald, Montheith, Wallace et Pattiton lui devaient à elles seules la somme de 1603 000 L.st. L’une des principales opérations de la banque consistait à donner des avances contre des « intérêts ». C’est-à-dire que des fabricants étaient fournis en capital, dont la garantie consistait en une éventuelle vente des marchandises produites grâce à une avance d’argent. La facilité avec laquelle on opérait lors des affaires d’escompte se voit dans le fait que des traites de MacDonald étaient acceptées par 127 parties différentes ; 37 seulement d’entre elles furent contrôlées, et le rapport indique que 21 en étaient insuffisantes, voire franchement mauvaises... Ces exemples extraits du rapport de la Commission éclairent d’un jour sombre la moralité et le comportement général des entreprises d’actions commerciales. Il est manifeste que ces institutions, dont l’influence croissante sur l’économie des peuples ne saurait être surestimée, sont encore bien loin d’avoir élaboré leur code de déontologie. Bien qu’elles soient le puissant levier de développement des forces productives de la société moderne, elles n’ont pas encore élaboré – comme les corporations du moyen âge – une conscience professionnelle – à la place de la responsabilité individuelle, dont elles cherchent à se débarrasser de par toute leur structure.

[205]

Prolongement de la crise[modifier le wikicode]

Marx, New York Tribune, 10-VI-1859.

... Considérons d’abord la base sociale sur laquelle se tiendront les princes allemands, lorsque la force des circonstances les forceront de décider à la fin d’une forme commune d’action[7]. On sait que dans la période de 1849 à 1859, l’Allemagne a connu un développement économique sans précédent. Durant cette période, elle s’est pratiquement transformée d’un pays agraire en pays industriel...

La paysannerie et la petite bourgeoisie qui constituaient encore récemment la majorité écrasante de la nation, s’en tenaient avant la révolution de 1848 à la vieille méthode asiatique de thésauriser de l’argent solide ; or, à présent, elles l’ont remplacé par toutes sorte de papiers et de valeurs portant intérêt. La crise de Hambourg de 1857 avait un peu secoué cet édifice d’une prospérité d’un genre nouveau, mais ne l’avait même pas sérieusement endommagé alors qu’au tout premier coup de canon sur le Pô et le Tessin, il s’est mis à chanceler. On se souvient sans doute encore de cet effet de la crise économique autrichienne qui avait suivi rapidement celle du reste de l’Allemagne et les banqueroutes de Leipzig, Berlin, Munich, Augsbourg, Magdebourg, Cassel, Francfort et autres centres commerciaux. Or, ces effondrements ne sont que l’expression de catastrophes périodiques dans les sphères économiques supérieures.

Pour se faire une idée de la situation réelle, il est utile de considérer la récente circulaire publiée par le gouvernement prussien. Faisant allusion aux conséquences périlleuses du licenciement d’armées industrielles entières en Silésie, à Berlin, en Saxe et en Rhénanie prussienne, il déclare qu’il ne peut pas donner suite aux pétitions des chambres de commerce de Berlin, de Breslau, de Stettin, de Dantzig et de Magdebourg qui [206] lui recommandent le douteux expédient d’émettre encore plus de monnaie de papier, et repousse encore plus énergiquement la proposition selon laquelle il devrait occuper les ouvriers à des travaux publics uniquement pour qu’ils aient du travail et touchent un salaire. Cette dernière affirmation a un son étrange à un moment où le gouvernement est contraint, faute de ressources monétaires, d’interrompre subitement les travaux publics en cours. Le simple fait que le gouvernement prussien a été obligé au commencement de la guerre de faire une telle proclamation en dit long. Si l’on ajoute à ce trouble soudain de la vie industrielle une levée générale de nouveaux impôts dans toute l’Allemagne et une désorganisation générale de toutes les entreprises économiques par la mobilisation de l’armée de réserve, on peut se faire une petite idée de l’ampleur atteinte par la misère sociale dans ces derniers mois. Le temps est cependant passé où la masse du peuple allemand considérait les catastrophes terrestres comme des fléaux inéluctables venus du Ciel. On commence à entendre dans le peuple une voix encore faible mais déjà perceptible disant : « Responsabilité ! Si la révolution de 1848 n’avait pas été battue par la force et la tromperie, la France et l’Allemagne ne se feraient pas face de nouveau en armes. Si ceux qui ont brutalement vaincu la révolution allemande n’avaient pas baissé leur tête couronnée devant un Bonaparte et un Alexandre, il n’y aurait pas de guerre aujourd’hui. » Tel est le sourd grondement de la voix du peuple qui parlera à la fin d’une voix de tonnerre.

Guerre civile américaine et crise anglaise[modifier le wikicode]

Marx, Die Presse, 6-XI-1861.

Comme il y a quinze ans, l’Angleterre se trouve devant un séisme qui menace d’attaquer à la racine [207] tout son système économique.

La pomme de terre constituait – comme on le sait – la denrée alimentaire exclusive de l’Irlande et d’une fraction non négligeable de la population ouvrière anglaise, lorsque la maladie de la pomme de terre gangrena la racine même de la vie irlandaise en 1845 et 1846. Les résultats de cette grande catastrophe sont connus. La population irlandaise diminua de deux millions, dont une partie mourut de faim, et l’autre émigra Outre-Atlantique. En même temps, ce gigantesque malheur facilita la victoire du parti libre-échangiste anglais ; l’aristocratie foncière anglaise fut contrainte de sacrifier l’un de ses monopoles le plus rentable, et l’abolition des lois céréalières assura une base plus large et plus saine pour la reproduction de la survie des millions d’ouvriers.

Or, le colon est à la prédominante industrie de la Grande-Bretagne ce que la pomme de terre a été pour l’Irlande. De sa transformation dépend la subsistance d’une masse de population supérieure à celle de l’Ecosse, soit les deux tiers de l’actuelle population de l’Irlande. D’après le recensement de 1861, la population de l’Ecosse s’élevait en effet à 3 061 117 têtes, celle de l’Irlande à seulement 5 764 543, tandis que plus de 4 millions de personnes vivent plus ou moins directement de l’industrie cotonnière en Angleterre et en Écosse. Certes, nous n’avons pas affaire à une maladie du coton, et sa production n’est pas non plus le monopole de quelques territoires. À l’inverse, il n’est pas une seule plante fournissant le tissu de l’habillement qui pousse sur des superficies aussi étendues en Amérique, en Asie et en Afrique. Le monopole cotonnier des États esclavagistes de l’Union américaine est un monopole non pas naturel, mais historique. Il naquit et se développa en même temps que le monopole de l’industrie cotonnière anglaise sur le marché mondial. En 1793, peu après l’époque des grandes découvertes mécaniques en Angleterre, un quaker du Connecticut - Ely Whitney [208] – inventa la cotton-gin, la machine à hacher le coton et d’en séparer la libre de la graine. Avant l’invention de cette machine, la journée de travail la plus fatigante d’un nègre suffisait à peine pour séparer une livre de libre de la graine du coton. Après l’invention de la cotton-gin, une vieille négresse peut aisément fournir quotidiennement 50 livres de fibre de coton, et des améliorations progressives ont encore doublé par la suite la capacité productive de cette machine. Dès lors, les entraves à la culture du coton avaient sauté aux États-Unis. Elle augmenta rapidement, main dans la main avec l’industrie cotonnière anglaise, pour devenir une grande puissance commerciale. Au cours de l’évolution, l’Angleterre fit, mine, ici et là de reculer comme effrayée par le monopole américain du coton [8], comme s’il s’agissait d’un spectre menaçant. C’est ce qui se produisit, par exemple, au moment où l’émancipation des nègres pouvait être achetée avec 20 millions de L.st. dans les colonies anglaises. On trouva scabreux que l’industrie du Lancashire et du Yorkshire reposât sur la souveraineté du fouet esclavagiste en Géorgie et en Alabama, alors que le peuple anglais s’imposait de si grands sacrifices pour éliminer l’esclavage de ses propres colonies. Mais, on sait que la philanthropie n’est pas la mère de l’histoire, et encore moins la mère de l’histoire économique.

On eut les mêmes scrupules à chaque fois qu’il y avait une mauvaise récolte de coton aux États-Unis, d’autant qu’un tel fait naturel était de surcroît exploité par les esclavagistes pour accroître encore artificiellement le prix du coton par une action concertée. Les filateurs et tisseurs de coton anglais menaçaient alors de se rebeller contre le « roi Coton ». Divers projets pour s’approvisionner en coton à des sources asiatiques et africaines virent le jour. Par exemple, en 1850. Mais dans l’intervalle, une bonne récolte aux États-Unis battait victorieusement en brèche de telles velléités d’émancipation. Qui plus est, le monopole cotonnier américain [209] atteignit dans les dernières années une ampleur pratiquement insoupçonnée auparavant, en partie à la suite de la législation sur le libre-échange qui abolit la taxe différentielle existant jusqu’alors sur le coton cultivé par les esclaves, en partie en raison des progrès de géant réalisés tout autant par l’industrie cotonnière anglaise que par la culture cotonnière américaine au cours de la dernière décennie. Dès 1857, l’Angleterre consommait presqu’un milliard et demi de livres de coton.

Or voilà que la guerre civile américaine menace subitement cet important pilier sur lequel repose l’industrie anglaise. Tandis que l’Union bloque les ports des États esclavagistes du Sud, afin d’empêcher l’exportation de la récolte de coton de l’année en cours et donc de couper la source principale des revenus des sécessionnistes, la Confédération confère à ce blocus une force de contrainte grâce à sa décision de ne pas exporter librement une seule balle de coton, ce qui revient à forcer l’Angleterre à aller chercher elle-même son coton dans les ports du Sud. De la sorte, on pousse l’Angleterre à rompre le blocus par la violence, à déclarer la guerre à l’Union, en jetant en conséquence son épée dans la balance des États esclavagistes.

Depuis le début de la guerre civile américaine, le prix du coton n’a cessé d’augmenter en Angleterre. Dans l’ensemble, le monde des affaires anglais semblait considérer avec flegme et condescendance la crise américaine. La raison de cette conception altière et de ce beau sang-froid était d’une évidence cristalline. Les navires ne transportent jamais le produit de la nouvelle récolte avant fin novembre, et ce, transport atteint rarement une grande ampleur avant fin décembre. Jusque4à il semblait donc relativement indifférent que les balles de coton restent dans les plantations ou qu’elles soient, tout de suite après leur emballage, expédiées vers les ports du Sud. Si le blocus cessait à un [210] moment quelconque avant la fin de l’année, l’Angleterre pouvait compter avec certitude sur le fait qu’en mars ou en avril elle recevrait son approvisionnement de coton habituel – comme si le blocus n’avait jamais eu lieu. Induite en erreur en grande partie par la presse anglaise, les milieux d’affaires anglais se laissèrent gagner à l’idée insensée qu’une parade militaire d’environ six mois s’achèverait par la reconnaissance de la Confédération du Sud par les États-Unis.

Cependant, vers la fin du mois d’août, des Américains du Nord firent leur apparition sur le marché de Liverpool pour y acheter du coton, soit pour des spéculations en Europe, soit pour retransport en Amérique du Nord. Cet événement inouï ouvrit les yeux aux bourgeois anglais. Ils commencèrent à se rendre compte de la gravité de la situation. Depuis lors, le marché cotonnier de Liverpool se trouve en proie à une agitation fébrile : les prix du coton dépassèrent rapidement 100% de leur prix moyen, et la spéculation sur le coton prit la même physionomie sauvage que les spéculations sur les chemins de fer en 1845. Les filatures et les tissages du Lancashire et d’autres centres de l’industrie cotonnière anglaise ramenèrent leur temps de travail à trois jours par semaine, et une partie de ces entreprises arrêtèrent même complètement de travailler. Par contrecoup, d’autres branches d’industrie furent durement frappées, et toute l’Angleterre tremble maintenant à l’idée qu’éclate la plus grande crise économique qui l’ait menacée jusqu’ici.

La consommation de coton indien croît naturellement, et les prix plus élevés assureront un approvisionnement encore plus rapide à partir de la patrie originelle du coton. Cependant, il est impossible de révolutionner pour ainsi dire par résiliation de contrat en quelques mois les conditions de production et le cours de l’économie.

En fait, l’Angleterre est en train de payer maintenant [211] sa longue impéritie dans l’administration de l’Inde. Ses présentes tentatives désespérées pour remplacer le coton américain par de l’indien se heurtent à deux obstacles importants : le manque de moyens de communication et de transport en Inde, et la condition devenue misérable du paysan indien qui l’empêche d’utiliser en ce moment l’occasion favorable qui se présente à lui. Mais, abstraction de cela et de ce que la culture du coton aurait encore à parcourir tout un procès d’amélioration en Inde pour être en mesure pour prendre la place de l’américain, il faudrait, même dans les circonstances heureuses, un an pour que l’Inde puisse produire la quantité de coton nécessaire à l’exportation. Or, les statistiques démontrent que d’ici quatre mois les réserves de coton seront épuisées à Liverpool. Et cela ne durera qu’aussi longtemps que le temps de travail restera limité à trois jours par semaine et que la paralysie totale d’une, partie des machines continuera à prendre une extension encore plus grande qu’aujourd’hui chez les filateurs et tisseurs britanniques. Ce processus soumet d’ores et déjà les districts manufacturiers à de grandes souffrances sociales [9].

  1. Ces « espiègleries » ne doivent pas cacher l'utilisation d’un autre remède à la crise et à la révolution qui peut s'ensuivre : la préparation de la guerre. Sans déborder du thème de la « crise économique », signalons ici que la révolution qui menaçait sérieusement en 1858, comme Marx-Engels l'avaient prévu, fut déviée par la canalisation des « forces révolutionnaires » vers des « tâches nationales 9 bourgeoises. Comme la guerre de Crimée avait bien arrangé les affaires de la bourgeoisie européenne en proie à des difficultés économique en 1853, la guerre d’Italie de 1859 sortit Napoléon III d'un bien mauvais pas.
  2. Ce phénomène d'augmentation des prix – inflation - qui est « normal » en période de grande prospérité, peut donc se poursuivre sans se transformer en déflation au moment de la crise aiguë qui prélude à un assainissement de l'économie, si la crise se prolonge, devient chronique ou si l'économie dégénère. Ce qui est nouveau pour Marx, ce n'est pas le phénomène de la « stagflation », mais le fait que le système capitaliste ne présente pas seulement des points de dégénérescence particuliers, mais universels. Si tous les économistes français qui ont déclaré que la « stagflation » est un phénomène nouveau, étaient renvoyés pour incompétence, le chiffre des chômeurs grossirait considérablement. À cette occasion, on pourrait aussi donner ce bon conseil à ceux qui prétendent parler au nom de Marx (pour ruiner son autorité) : il ne faut pas dire que Marx ignorait tel ou tel phénomène, ou qu'il faut le « compléter » et le « réviser », avant d'avoir lu ce qu'il a écrit.
  3. Ces « espiègleries » ne doivent pas cacher l'utilisation d’un autre remède à la crise et à la révolution qui peut s'ensuivre : la préparation de la guerre. Sans déborder du thème de la « crise économique », signalons ici que la révolution qui menaçait sérieusement en 1858, comme Marx-Engels l'avaient prévu, fut déviée par la canalisation des « forces révolutionnaires » vers des « tâches nationales » bourgeoises. Comme la guerre de Crimée avait bien arrangé les affaires de la bourgeoisie européenne en proie à des difficultés économique en 1853, la guerre d’Italie de 1859 sortit Napoléon III d'un bien mauvais pas.
  4. Clearing est une expression bancaire pour la comptabilisation centrale des obligations réciproques entre les diverses banques au cours de laquelle on calcule le solde au-delà de ce qui se compense afin de le mettre en paiement. Avant l'introduction de ce système, les obligations se réglaient en solide de jour en jour d'une banque à l'autre.
  5. En d'autres termes, il ne s'agit pas de manipulations relevant purement et simplement de la technique monétaire ou financière. Marx explique tous ces trucs par un fait tout à fait simple : l'extension de la production à une échelle toujours plus insensée va de pair avec la création d'assignations futures sur le produit du travail humain ; le capital qui anticipe et spécule sur une production future, dont il s'appropriera lorsqu'elle sera prête. C'est un moyen de développer aussi bien que de droguer la production. Tout est une question de quantité, car à un certain point le crédit se mue en inflation.
  6. Cf. Report from the Select Committee on the Bank Acts, together with the Proceedings of the Committee, Minutes of Evidence, Appendix and Index, Londres, 1858. Dans le livre III du Capital, Marx a largement utilisé ce document pour ses démonstrations théoriques, notamment au chapitre xxiii sur les moyens de circulation dans le système du crédit, où il analyse longuement la crise de 1858, p 181-206 (Edit. Sociales, t. VII).
  7. Dans cet article intitulé une Opinion prussienne sur la guerre, Marx explique que la guerre voulue et déchaînée par Napoléon III en Italie en 1859 (pour dévier l'attention de l'intérieur vers l'extérieur et pour compenser les difficultés économiques par des succès militaires suivis d'annexions) risquait fort de s'étendre à l'Allemagne – ce que nul ne put empêcher dix ans plus tard. Comme toujours, Marx déchiffre exactement le tracé de l'histoire, qui peut suivre un rythme plus ou moins lent.
  8. Tandis que la crise économique poussait Napoléon III dans des aventures impérialistes, les contradictions de l'industrie cotonnière anglaise qui avaient développé l'esclavagisme dans le Sud de sa colonie nord-américaine, ont fini par susciter une révolution qui détacha les États-Unis de l'influence de la métropole anglaise en une guerre commerciale indirecte. La crise, loin de s'apaiser, se prolonge dans des conflits militaires, des guerres, dont la portée économique est évidente. Marx le dévoile dans ses textes sur la Guerre civile aux États-Unis (Éditions 10/18, 318 p.).
  9. C'est à ce moment-là que Marx cesse de décrire en détail les crises économiques auxquelles il assiste ; il est lancé maintenant à fond dans la rédaction du Capital et sera absorbé ensuite par les luttes politiques. Comme la plupart des textes que nous avons reproduits jusqu'ici dans ce recueil étaient inédits, nous les avons donnés dans toute leur longueur. Les crises postérieures à 1858 n'ont pas fait l'objet d'études particulières, contrairement aux précédentes. Le lecteur trouvera éparses dans l'œuvre de Marx-Engels les allusions et les évaluations théoriques de ces crises. Pour lui faciliter la tâche, nous avons établi la liste des passages sur la crise dans les textes traduits en français et parfois non traduits. Nous la publions en annexe de ce recueil.