Points mercantiles et monétaires de crise

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Taux de profit et valeurs des actions[modifier le wikicode]

Marx, le Capital III, chap. XIX

(Werke, 25, pp. 485-86, 556).

Dès lors qu’ils sont devenus des valeurs en soi, les titres de propriété, non seulement des papiers d’État, mais encore des actions, renforcent l’illusion qu’ils constituent du véritable capital à côté du capital ou de l’assignation qu’ils prétendent représenter sur la richesse future [1]. Es deviennent, en effet des marchandises, dont le prix est fixé et évolue de manière spécifique. Leur valeur de marché est déterminée autrement que leur valeur nominale, indépendamment d’une variation de la valeur (sinon de la valorisation) du capital réel. Leur valeur de marché fluctue selon le montant et la bonne marche, les recettes du capital qu’ils représentent. Si la valeur nominale dune action, c’est-àdire de la somme versée lors de son émission, est mettons de 100 L.st., et si, au lieu de rapporter 5%, l’affaire rapportera maintenant 10%, la valeur de marché de l’action s’élèvera, toutes choses restant égales par ailleurs. Pour un taux d’intérêt de 5% à 200 L.st., elle représentera désormais un capital fictif de 200 L.st. capitalisé à 5%. En effet, quiconque l’achète 200 L.st. touchera un revenu de 5% sur ce [366] placement de capital. Mais l’inverse se produit lorsque le rendement de l’entreprise diminue. Qui plus est, la valeur de marché de ces titres est, en partie, spéculative, puisqu’elle ne sera pas déterminée par le rendement réel de l’entreprise, mais par celui qu’on en attend et qu’on calcule à l’avance. Or donc, si l’on suppose que la valorisation du capital réel reste constante, ou encore qu’il n’existe pas du tout de capital, comme dans le cas de la dette publique où le rendement annuel du titre est fixé par la loi et suffisamment garanti, la valeur de ces titres haussera ou baissera en raison inverse du taux de l’intérêt. Si celui-ci monte de 5 à 10%, le titre qui assure un revenu de 5 L.st., ne représente plus qu’un « capital » de 50 L.st. En revanche, si le taux d7intérêt chute à 2,5%, le même titre représentera un capital de 200 Lst. Sa valeur n’est jamais que celle de son rendement capitalisé, c’està-dire un revenu sur la base du taux d’intérêt existant, rapporté à un capital illusoire.

En temps de crise du marché monétaire, ces titres subiront une double chute de prix : d’abord, parce que le taux de l’intérêt s’élève, et ensuite parce qu’ils sont jetés en masse sur le marché en vue de les convertir en argent liquide. Cette chute des prix a lieu, indépendamment du fait que le rendement assuré par ces titres à leur détenteur est constant (comme c’est le cas des bons d’État) ou que la valorisation du capital qu’ils représentent (comme dans le cas des entreprises industrielles) a été affectée par les perturbations du procès de reproduction. Mans ce cas, une nouvelle dépréciation viendrait encore s’ajouter à la précédente. Dès que l’orage est passé, ces titres remontent à leur cours antérieur, à moins qu’ils ne représentent des affaires de spéculation frauduleuse ou des entreprises balayées par la crise. Leur dévalorisation durant la crise agit comme un puissant moyen de centralisation de la richesse financière.

Si la chute ou la montée des cours de ces titres est [367] indépendante du mouvement de valeur du capital réel qu’ils représentent, la richesse d’une nation est aussi grande avant la dépréciation ou la hausse de leur valeur qu’après.

« Le 23 octobre 1847, les fonds publics et les actions des chemins de fer et des canaux avaient déjà subi une dépréciation de 114 752 225 L.st. » (Morris, gouverneur de la Banque d’Angleterre. Déposition consignée dans le rapport sur la Crise commerciale de 1847-48). Si la dévalorisation ne reflétait pas une stagnation réelle de la production et des communications dans les chemins de fer et les canaux, l’abandon d’entreprises déjà en chantier ou la dilapidation de capital dans des affaires positivement sans valeur, l’éclatement de ces bulles de savon gonflées de capital monétaire nominal n’appauvrirait pas la nation d’un centime.

En fait, toutes ces valeurs ne représentent pas autre chose que des assignations et titres juridiques accumulés sur une production à venir, dont la valeur en argent ou en capital, tantôt ne représente pas de capital du tout (comme c’est le cas de la dette publique), tantôt est régie par des lois indépendantes de la valeur du capital réel qu’elles prétendent représenter.

Dans tout les pays de production capitaliste, il y a une masse énorme de capital de cette sorte qu’on appelle moneyed capital (capital monétaire ou financier) porteur d’intérêt. Tout au plus faut-il entendre par accumulation de capital monétaire l’accumulation de ces prétentions sur la production, l’accumulation de leur prix de marché, de leur valeur fictive de capital [2].

La masse des traites en circulation est, en définitive, déterminée uniquement par les besoins du commerce, comme c’est le cas par ailleurs des billets de banque. En temps normaux, dans les années 1850 à 1860, il circulait dans le Royaume-Uni, en plus de 39 millions de billets de banque, à peu près 300 millions de traites, dont 100 à 120 millions sur la seule place de Londres. Le volume de circulation de ces traites n’influe en rien [368] sur celui de la circulation des billets de banque, cette dernière n’influe sur la première qu’en période de pénurie monétaire, lorsque augmente la quantité des traites et que se détériore leur qualité. Enfin, au moment de la crise, la circulation des traites s’effondre complètement ; personne ne se satisfait plus de promesses de paiement étant donné que tout le monde ne veut accepter que des paiements en espèces. Seul le billet de banque conserve – du moins a conservé jusqu’ici en Angleterre sa capacité de circulation, car derrière la Banque d’Angleterre se tient la nation entière avec toutes ses richesses.

Taux de l’intérêt et crise[modifier le wikicode]

Marx, le Capital III (Werke 25, p. 371-72).

Comme le taux du profit est inversement proportionnel au développement de la production capitaliste, il s’ensuit que le taux d’intérêt plus ou moins élevé dans un pays est, lui aussi, inversement proportionnel au développement industriel - pour autant, bien sûr, que la variation du taux d’intérêt exprime effectivement celle des taux de profit, ce rapport n’étant pas nécessaire, comme on le verra plus loin. En ce sens large, on peut dire que l’intérêt est réglé par le profit, ou plus exactement par le taux général de profit, cette détermination jouant en moyenne.

Quoi qu’il en soit, il faut considérer le taux moyen de profit comme la limite extrême qui détermine en fin de compte l’intérêt.

Considérons tout de suite comment l’intérêt se rapporte effectivement au profit moyen. Lorsqu’il s’agit de partager un tout donné, tel le profit, entre deux personnes, ce qui importe en tout premier, c’eu bien entendu le volume du total à partager – et ce volume du profit est déterminé par son taux moyen. Si nous [369] supposons que te taux qui donne le volume du profit pour un capital d’un volume donné est, mettons, de 100, les variations de l’intérêt sont évidemment inversement proportionnelles aux variations de la portion de profit qui reste au capitaliste travaillant avec du capital emprunté. Or les circonstances qui déterminent le volume du profit à partager – à savoir la valeur produite par le travail non payé – sont extrêmement différentes de celles qui déterminent son partage entre les deux espèces de capitalistes, et fréquemment elles opèrent en sens tout à fait opposé : « Dans la première période, immédiatement consécutive à la crise, l'argent se trouve en abondance et sans qu'il y ait spéculation ; dans la seconde, l'argent est abondant, mais la spéculation intense ; dans la troisième, la spéculation commence à fléchir et l'argent est recherché ; dans la quatrième, l'argent se fait rare – et c'est la crise. » (Cf. Gilbart, A Practical Treatise on Banking, 5 e édition, Londres, 1849, T. premier, p. 149.)

Si l’on suit les cycles économiques dans lesquels évolue l’industrie moderne : calme plat, animation croissante, prospérité, surproduction, krach, stagnation, calme plat, etc., cycle dont l’analyse n’a pas sa place ici, on s’aperçoit qu’un niveau peu élevé de l’intérêt correspond en gros aux périodes de prospérité et de surprofit, qu’une hausse de l’intérêt correspond à la transition de la prospérité à son opposé, et qu’enfin le maximum de l’intérêt, jusqu’à l’extrême limite de l’usure, à la crise.

Une prospérité certaine se fit jour à partir de l’été 1843 : le taux d’intérêt qui, au printemps 1842, avait été encore de 4 1/2%, tomba au cours du printemps, et de l’été suivants à 2%, et en septembre même à 1 1/2%, après quoi il remonta à 8% et plus au cours de la crise de 1847.

Il peut arriver, certes, que le taux de l’intérêt soit peu élevé lorsque les affaires se ralentissent, et monte un peu avec leur animation.

Le taux de l’intérêt atteint sa cote la plus élevée [370] pendant les, crises, lorsqu’il faut emprunter à n’importe quel prix pour pouvoir payer. Comme la hausse de l’intérêt coïncide avec une baisse des titres, C’est aussi une excellente occasion – pour ceux qui disposent de capital-argent – de s’emparer à vil prix de ces titres portant intérêt qui, si les, choses se passent normalement [3], remonteront au moins à leur prix moyen lorsque le taux de l’intérêt baissera de nouveau.

Crédit, levier de la surproduction et facteur de crises[modifier le wikicode]

Marx, le Capital III

(Werke 25, p. 420-421).

Déjà en 1834, Gilbart savait que « tout ce qui facilite les. activités économiques favorise aussi la spéculation, affaires et spéculation étant le plus souvent si étroitement liées qu’il est impossible de dire où cesse l’activité économique et où commence la spéculation ». Plus il est facile d’obtenir des avances sur des marchandises non vendues, plus est forte la tentation de telles avances, et plus grande est la tentation de produire des marchandises ou d’envoyer celles qui sont déjà produites en excédent sur des marchés lointains – ne serait-ce que pour obtenir des avances d’argent sur elles. L’histoire du commerce anglais de 1845 à1847 nous donne un exemple frappant de la sorte de vertige qui gagne l’ensemble du monde des affaires d’un pays, et de ce qu’il en advient à la fin [4].

Capital réel et capital monétaire[modifier le wikicode]

Marx, le Capital III (Werke 25, p. 500-10).

Tant que le procès de reproduction est fluide, si bien que le capital reflue pour assurer un nouveau procès, [371] le crédit se poursuit et s’étend. Son expansion est alors fondée sur celle du procès de reproduction lui-même. Dès que survient un blocage de la production à la suite d’un retard dans les retours, d’une saturation du marché, de la chute des prix, il y a pléthore de capital industriel, mais c’est seulement sous une forme où il ne peut pas accomplir sa fonction. Il y a une masse de capitaux sous forme de marchandises, mais elle est invendable. De même, il y a une masse de capital fixe, mais elle est en grande partie inemployée par suite du blocage du procès de reproduction. Dès lors le crédit se contracte : 1. parce que ce capital est inactif, c’est-à-dire bloqué dans l’une des phases du procès de reproduction du fait qu’il ne peut effectuer ses métamorphoses ; 2. parce que la confiance dans la continuité du procès de reproduction est brisée ; 3. parce que décroît la demande de ce crédit commercial. Le filateur qui restreint sa production et tient dans ses dépôts une masse de filés invendus n’a pas besoin d’acheter de nouvelles marchandises à crédit s’il n’a pas vendu les précédentes.

Si cette expansion est perturbée ou si simplement la tension normale du procès de reproduction se relâche, il s’ensuit une pénurie de crédit : il devient plus difficile &obtenir à crédit des marchandises.

Mais c’est surtout la demande de paiements en argent liquide et la prudence dans l’octroi du crédit qui caractérise la phase du cycle industriel consécutive au krach (celle de stagnation et de calme plat). Durant la crise où chacun a quelque chose à vendre, mais ne peut le faire tout en étant pourtant obligé de vendre pour faire face à ses engagements, ce n’est pas la masse du capital inoccupé et cherchant à se placer, mais bien plutôt la masse de capital bloqué dans son procès de reproduction, qui est la plus grande – au moment précis où la pénurie de crédit est la plus aiguë (et partant le taux d’escompte du crédit bancaire le plus élevé). Le capital investi est alors, en fait, massivement [372] inactif parce que le procès de reproduction stagne. Les usines sont arrêtées, les matières premières s’accumulent, les produits finis, sous forme de marchandises, encombrent les marchés. Il n’est donc rien de plus faux que d’attribuer cet état de choses à un manque de capital productif. C’est alors précisément qu’il y a surabondance de capital productif, tant par rapport à l’échelle normale, mais momentanément contractée, de la reproduction, que par rapport à la paralysie de la consommation.

Supposons que toute la société soit composée uniquement de capitalistes industriels et d’ouvriers salariés, et faisons abstraction, en outre, des fluctuations de prix, qui empêchent de larges fractions du capital total de se reproduire dans les conditions moyennes, et qui – du fait de la connexion générale de tout le procès de reproduction telle que la développe notamment le crédit – doivent toujours provoquer momentanément des blocages généraux. Négligeons enfin les affaires fictives et les spéculations suscitées par le système du crédit. Dès lors, la crise ne pout s’expliquer que par la disproportion entre les diverses branches de la production, d’une part, et entre la consommation des capitalistes eux-mêmes et leur accumulation, d’autre part. Mais, dans l’état de choses actuel, le remplacement des capitaux investis dam la production dépend pour la plus large part de la capacité de consommation des classes non productives, la capacité de consommation des ouvriers étant limitée en partie par les lois du salaire, en partie par le fait qu’ils ne trouvent d’emploi qu’aussi longtemps que la classe capitaliste peut utiliser le travail avec profit. La raison ultime de toutes les véritables crises demeure toujours la pauvreté et la capacité limitée de consommation des masses, face à la tendance de la production capitaliste à développer les forces productives comme si elles n’avaient pour limite que la capacité de consommation absolue de la société.

[373]

On ne peut parler de véritable pénurie de, capital productif, du moins dans les nations de capitalisme développé, qu’à l’occasion de mauvaises récoltes générales,, c’est-à-dire pour ce qui est des produits alimentaires essentiels ou des principales matières premières, nécessaires à l’industrie.

Cependant, à ce crédit commercial vient s’ajouter le crédit monétaire proprement dit. Les avances que les industriels et marchands s’accordent entre eux se combinent avec celles que leur consentent banquiers et prêteurs d’argent. Dans l’escompte des traites, l’avance est purement nominale. Un fabricant vend son produit contre une traite et la fait escompter par un courtier. Pratiquement celui-ci ne lui avance que le crédit de son banquier qui, à son tour, lui avance le capital monétaire déposé chez lui, non seulement par les industriels et les commerçants, mais encore par les ouvriers (par l’intermédiaire des caisses d’épargne), les propriétaires de la rente foncière et les autres classes improductives. De la sorte, chaque fabricant ou marchand individuel tourne la nécessité de posséder un capital de réserve important en même temps qu’il évite de dépendre des retours réels de son capital.

Au demeurant, par le simple jeu des traites de cavalerie ou par les opérations sur des marchandises qui ne visent qu’à fabriquer des traites, tout le procès se complique au point que les affaires peuvent continuer tranquillement à donner l’illusion d’une grande stabilité et d’une grande fluidité des rentrées, alors que depuis longtemps déjà ces retours ne se font plus qu’aux dépens des prêteurs floués ou des producteurs escroqués. C’est pourquoi, juste avant le krach, les affaires semblent toujours bien plus saines qu’elles ne le sont. La meilleure preuve en est fournie par les rapports sur la législation bancaire de 1857 à 1858 : à peine un mois avant que n’ait éclaté la crise d’août 1857, tous les directeurs de banque, commerçants, bref, tous les experts cités – et à leur tête lord Overstone – se [374] félicitent de la prospérité et de là santé des affaires. Chose curieuse, dans son History of Prices, Tooke cède à cette illusion à chaque crise qu’il décrit. Les affaires sont toujours parfaitement saines et elles se développent de la façon la plus prospère jusqu’à l’arrivée brutale et inopinée du krach.

Mais revenons maintenant à l’accumulation du capital monétaire.

Toute augmentation du capital de prêt n’exprime pas une accumulation réelle de capital ou une expansion du procès de reproduction. C’est ce qui apparaît le plus clairement dans la phase du cycle industriel immédiatement consécutive à la crise, où le capital de prêt est massivement en friche. Dans de tels moments où le procès de production est réduit (dans les districts industriels de l’Angleterre, la production avait diminué d’un tiers après la crise de 1847), lorsque les prix des marchandises sont à leur niveau le plus bas, que l’esprit d’entreprise est engourdi, le taux d’intérêt est très bas – ce qui indique uniquement l’accroissement du capital prêté à la suite de la contraction et de la paralysie du capital industriel. Il est évident qu’il faut moins de moyens de circulation, lorsque le prix des marchandises tombe, le nombre des transactions diminue et le capital avancé en salaires se contracte ; qu’il ne faut pas d’argent additionnel dans la fonction de monnaie universelle, lorsque les dettes à l’étranger ont été liquidées, soit par un drainage d’or, soit par des banqueroutes ; et enfin que le volume des opérations d’escompte des traites diminue à mesure que baissent le nombre et le montant de ces traites elles-mêmes. En somme la demande de capital monétaire de prêt – pour servir de moyen de circulation ou de paiement (il ne s’agit pas encore de recommencer à investir du capital nouveau) – diminue, si bien qu’il devient relativement abondant. Et, effectivement, l’offre de capital monétaire de prêt augmente aussi dans ces conditions.

[375]

C’est ainsi qu’après la crise de 1847, il y eut « une contraction des affaires et un excédent considérable d’argent » (Commercial Distress, 1847-1848, n° 1664. Le taux d’intérêt était très bas « en raison de la ruine presque totale du commerce et de l’impossibilité presque totale de placer son argent » (ibid.)...

Une expansion du capital monétaire provient également de ce qu’à la suite de l’extension du réseau bancaire, l’argent qui était naguère thésaurisé en privé ou mis de côté, se transforme pour un temps déterminé en capital de prêt. Cela n’exprime pas un accroissement de capital productif, pas plus que ne l’a traduit l’augmentation des dépôts dans les, banques par actions de Londres, à partir du moment où elles se mirent à payer un intérêt pour ces dépôts. Aussi longtemps que l’échelle de la production reste la même, cette expansion ne fait que provoquer une pléthore de capital monétaire de prêt par rapport au, capital productif. D’où un faible taux d’intérêt.

Dès lors que le procès de reproduction a de nouveau atteint la phase de la prospérité qui précède celle de la surtension, le crédit commercial connaît une très grande extension, celle-ci formant alors la base « saine » pour la fluidité des retours et un essor de la production. Dans cette phase, le taux d’intérêt reste encore bas, même s’il s’élève au-dessus de son minimum. C’est en fait le seul moment où l’on puisse dire qu’un faible taux d’intérêt – et donc une abondance relative de capital de prêt coïncide avec une expansion réelle du capital industriel. Le fait que les rentrées refluent avec régularité, en liaison avec un large crédit commercial, garantit l’offre de capital de prêt, en dépit de la demande accrue, et empêche que le taux de l’argent ne s’élève. Du reste, c’est maintenant qu’entre en scène une foule de chevaliers d’industrie qui travaillent sans capital de réserve, voire sans aucun capital, bref, qui opèrent sur la seule base du crédit monétaire.

À cela s’ajoute une expansion [376] considérable du capital fixe sous toutes ses formes, et le lancement massif de nouvelles et importantes entreprises. L’intérêt monte alors, atteignant son niveau moyen. Il atteint son maximum dès qu’éclate la nouvelle crise : le crédit se bloque brusquement, les paiements sont suspendus, le procès de reproduction se trouve paralysé et – sauf les exceptions que nous avons notées plus haut – on a une pléthore de capital industriel, à côté d’une pénurie presque totale de capital de prêt.

Dans l’ensemble, le capital de prêt – tel qu’il s’exprime dans le taux de l’intérêt – évolue en sens inverse de celui du capital industriel. Il n’y a que deux phases où l’abondance de capital de prêt coïncide avec une expansion du capital industriel : la phase où le taux d’intérêt peu élevé, mais supérieur au minimum va de pair avec l’« amélioration » et la confiance croissante qui suivent la crise, et surtout la phase où le taux d’intérêt atteint son niveau moyen, à distance égale entre le minimum et le maximum. Mais, au début du cycle industriel, le faible taux d’intérêt coïncide avec la contradiction du capital industriel, tandis qu’à la fin du cycle le taux élevé d’intérêt coïncide avec sa surabondance. Le faible taux d’intérêt qui accompagne l’« amélioration », signifie que le crédit commercial, encore solidement appuyé sur ses propres moyens, n’a besoin du crédit bancaire que dans une mesure restreinte.

Ce qui caractérise ce cycle industriel, c’est qu’une fois la première impulsion reçue, il doit se reproduire périodiquement. Dans la phase de dépression, la production descend au-dessous du niveau qu’elle avait atteint dans le cycle précédent et pour lequel la base technique est désormais posée. Durant la prospérité – la période intermédiaire – la production se développe continûment sur cette base. Dans la période de la surproduction et de la spéculation, elle tend les forces productives jusqu’à dépasser les limites capitalistes du procès de production.

[377]

Il est évident qu’en période de crise, il y a pénurie de « moyens de paiement ». La convertibilité des traites, s’est substituée à la métamorphose des marchandises – et ce, d’autant plus qu’à ces moments-là une plus grande partie des entreprises travaille uniquement à crédit. Une législation bancaire ignorante et absurde, comme celle de 1844-1845, peut aggraver cette crise monétaire, mais il n’est pas de législation bancaire qui puisse éviter la crise.

De toute évidence, la crise, avec la ruée sur les moyens de paiement, éclate nécessairement, dans un système de production où toute la continuité du procès de reproduction repose sur le crédit et dès lors qu’il vient à cesser subitement et que seuls sont valables les paiements en espèces, C’est pourquoi toute crise se présente, à première vue, comme une simple crise monétaire ; une crise de crédit. Et, de fait, il s’agit uniquement de la convertibilité des traites en argent. Certes, ces traites représentent pour la plupart de véritables achats et ventes, mais il se trouve que leur extension au-delà des besoins de la société est à la base de toute la crise. En même temps, il apparaît qu’une masse énorme de ces traits sont spéculatives et, lorsqu’elles apparaissent à1a lumière du jour, elles crèvent comme des bulles, de même pour les spéculations manquées avec le capital d’autrui et, enfin, pour les capitaux-marchandises dévalorisés ou invendables de sorte que les retours ne peuvent plus s’effectuer. Tout ce système artificiel d’extension violente du, procès de reproduction ne peut, certes, pas être amendé, parce qu’une banque – par exemple, la Banque d’Angleterre – s’avise de compenser, en papier-monnaie émis par elle, le capital qui manque à tous les spéculateurs, en achetant à leur ancienne valeur nominale la totalité des marchandises dévalorisées. Soit dit en passant, tout est sens dessus dessous dans le monde de papier, où le prix réel, et ses éléments véritables n’apparaissent jamais, puisqu’il n’y est jamais question que de lingots, [378] d’argent en espèce, de billets de banque, de traites et de valeurs. C’est ce qui est le plus sensible dans les centres comme Londres où se concentrent toutes les transactions monétaires du pays : tout ce mécanisme y devient opaque, mais il l’est moins dans les centres de production.

Notons, à propos de la pléthore de capital industriel qui se vérifie dans les crises, que le capital-marchandise est en même temps capital-argent, c’est-à-dire une somme déterminée de valeurs, exprimée par le prix des marchandises. Comme valeur d’usage, c’est une quantité déterminée de certains articles d’usage, dont il y a surabondance au moment de la crise. Or, en tant que capital-argent en soi, en puissance, il est sujet à une expansion et à une contraction continuelle. La veille de la crise et pendant celle-ci, le capital-marchandise subit une contraction sous sa forme de capital-argent potentiel : pour son possesseur et les créanciers de celui-ci (de même qu’en tant que gage et garantie des traites et des prêts), il représente moins de capital-argent qu’au temps où il a été acheté et où l’on a opéré sur lui des escomptes et des prêts sur gages. Affirmer que le capital-argent d’un pays se trouve réduit en période de crise revient à dire que les prix des marchandises ont baissé. Or, cet effondrement des prix ne fait que compenser leur gonflement antérieur.

Les revenus des classes improductives et de tous ceux qui vivent de revenus fixes, restent en général stationnaires au cours de la phase où le gonflement des prix va de pair avec la surproduction, et la spéculation effrénée. Leur capacité de consommation diminue donc relativement, en même temps que leur capacité de remplacer pour le procès de reproduction d’ensemble la part qui entre normalement dans leur consommation : même si leur demande reste nominalement la même, en réalité, elle diminue.

Les exportations et les importations font apparaître ; [379] que tous les pays sont successivement entraînés dans la crise – et l’on constate alors qu’à quelques exceptions près, ils ont tous trop exporté et importé, si bien, qu’ils ont tous une balance des paiements défavorable. On ne saurait en rechercher donc la cause dans – la balance des paiements[5]. Par exemple, l’Angleterre souffre d’hémorragies d’or, parce quelle a trop importé. Mais, en même temps, tous les autres pays sont saturés de marchandises anglaises, parce qu’ils ont également trop importé ou qu’on leur a imposé des importations trop massives. (A vrai dire, il faut distinguer entre un pays qui a exporté, en faisant crédit et ceux qui n’exportent pas ou exportent peu à crédit. Car ces derniers importent alors à crédit, et ce n’est pas seulement le cas lorsqu’ils reçoivent en consignation les marchandises qu’elles importent.) La crise peut éclater d’abord en Angleterre, parce que c’est le pays qui accorde le plus de crédit et en demande le moins – et que la balance des paiements venue à échéance et à régler immédiatement lui est défavorable, bien que la balance commerciale générale lui soit favorable. Ce fait s’explique, soit par le crédit qu’elle accorde, soit par le volume des capitaux prêtés à l’étranger, de sorte qu’une masse de marchandises revienne pour s’ajouter aux rentrées commerciales proprement dites. (Il est arrivé cependant que la crise éclate d’abord en Amérique, le pays qui absorbe le plus de crédit commercial et de capitaux anglais). Le krach en Angleterre, précédé et accompagné d’une hémorragie d’or, solde la balance des paiements de l’Angleterre, en partie par la faillite des importateurs, en partie par l’expédition, à bas prix, d’une portion de son capital-marchandise à l’étranger et aussi par la vente de valeurs étrangères, l’achat de valeurs anglaises.

C’est alors que vient le tour de l’autre pays, dont la balance des paiements était positive. Or, voici que la crise a supprimé ou du moins abrégé l’intervalle [380] existant normalement entre les échéances de la balance des paiements et celles de la balance commerciale : tous les paiements doivent être réglés en même temps. Le coup se répète maintenant dans ce pays. L’Angleterre voit son or refluer, l’autre pays en subit l’hémorragie : ce qui apparaissait dans un pays comme surimportation est, dans l’autre, surexportation – et vice versa. En réalité, il y a eu surimportation et surexportation dans tous les pays. Nous ne parlons pas ici des mauvaises récoltes, etc., mais d’une crise générale. C’est dire qu’il y a eu surproduction stimulée par le crédit et l’inflation générale des prix qui l’accompagne.

En 1857, la crise éclatait aux Etats-Unis. L’or s’écoula d’Angleterre vers l’Amérique. Mais dès que l’excès s’y fut dégonflé, la crise submergea l’Angleterre, et l’or reflua d’Amérique vers l’Angleterre. Il en fut de même entre l’Angleterre et le continent. En période de crise générale, tous les pays – du moins ceux qui sont commercialement développés – ont une balance des paiements défavorable, et cela apparaît toujours au fur et à mesure, comme dans un feu de peloton, dès que son tour vient de payer. Or, une fois qu’elle a éclaté en Angleterre, par exemple, la crise fait que ces échéances successives sont condensées sur une période extrêmement courte. Il saute alors aux yeux que tous ces pays ont, à la fois, surexporté (c’est-à-dire surproduit) et surimporté (c’est-à-dire trop commercialisé) et que, chez tous, il y a eu inflation des prix et excès de crédit et le même effondrement se produit chez tous. L’un après l’autre, ces pays subiront le phénomène de l’hémorragie d’or, et sa généralisation démontre précisément : 1. que cette hémorragie est le signe et non la cause de la crise ; 2. que l’ordre de succession dans lesquels chaque pays est frappé ne fait que montrer quand leur tour est venu de clore leurs comptes avec le ciel, lorsque arrive l’échéance fatale de la crise et que les éléments latents de celleci éclatent au grand jour.[6]

[381]

Il est significatif que les économistes anglais, en dépit du tour pris par le cours des changes, n’étudient l’exportation de métaux précieux en période de crise qu’en examinant le cas de l’Angleterre, comme s’il s’agissait d’un phénomène purement local. Ils ferment obstinément les yeux sur le fait que, si leur Banque augmente le taux d’intérêt en période de crise, toutes les autres banques d’Europe en feront autant, de sorte que le cri d’alarme, poussé aujourd’hui chez eux, à la suite de l’hémorragie d’or, retentira demain en Amérique, après-demain en Allemagne et en France.

En 1847, « l’Angleterre dut acquitter ses engagements (surtout pour le blé). Hélas, elle y fit face dans bien des cas par des faillites. (La riche Angleterre se déchargea de ses obligations, en se déclarant faillie vis-à-vis du continent et de l’Amérique.) Mais, dans la mesure où on ne les liquida pas par la banqueroute, on y satisfit en exportant du métal précieux » (Report of Committee of Bank Acts, 1857).

Pour autant que la législation bancaire aggrave la crise en Angleterre, c’est un moyen, en période de disette, de frustrer les pays exportateurs de blé – d’abord de leur blé, puis de l’argent dû pour ce blé. Un moyen très rationnel pour contrer ce plan de la Banque d’Angleterre, d’acquitter, « par la banqueroute », les obligations contractées pour l’importation de blé, c’est donc, pour les pays qui souffrent eux-mêmes plus ou moins du renchérissement des prix anglais, d’édicter une interdiction d’exporter du blé. En somme, il vaut mieux que les producteurs de blé et les spéculateurs perdent une portion de leur bénéfice au profit de leur pays, plutôt que leur capital au profit de l’Angleterre.

En conclusion, le capital-marchandise perd en grande partie sa faculté de représenter du capital-argent potentiel en temps, de crise et, en général, aux périodes de dépression. La même chose vaut pour le capital fictif, les titres portant intérêt pour autant qu’ils circulent [382] à la Bourse comme capital monétaire. Leur valeur baisse, quand l’intérêt hausse ou quand la pénurie générale de crédit contraint leurs détenteurs à les jeter massivement sur le marché pour trouver de l’argent. Enfin, le prix des actions baisse, soit parce que les recettes qu’elles procurent diminuent, soit parce que les entreprises qu’elles représentent très souvent s’avèrent frauduleuses. Les crises diminuent fortement ce capital fictif et, en conséquence, le pouvoir de ceux qui le détiennent de prélever de l’argent sur le marché. La baisse nominale subie par ces valeurs à la cotation est toutefois sans effet sur le capital réel qu’elles représentent ; en revanche, elle influe de manière décisive sur la solvabilité des détenteurs de ce genre de capital.

  1. Pour passer aux extraits sur les points et, aspects monétaires et mercantiles des crises, nous reproduisons un passage qui explique comment la bourse décuple les effets de la baisse du taux de profit – et sert ainsi de signal d'alarme de la crise
  2. Ainsi, par exemple, le fait que les Américains expédient de plus en plus de capitaux dans le bloc oriental ne signifie pas du tout que leurs affaires marchent bien, mais qu'ils sont en crise (de surproduction), n'ont pas d’emploi profitable chez eux pour leurs capitaux. Ceux-ci ne sont donc rien d'autre que du capital américain dévalorisé par la surproduction et la crise. Napoléon Ill, avec son Crédit Mobilier, faisait des constructions somptuaires ou des expéditions militaires avec un tel capital. Où est la nouveauté ?
  3. On dira que les lois financières que Marx énonce ici ne sont pas tout à fait celles qui ont régi l’économie au cours de cet après-guerre. C'est vrai en un sens. En tout cas, au plan théorique, Marx devait énoncer les normes et les lois du capital, et il est inévitable qu'au déclin du capitalisme, ces lois soient faussées et dégénèrent. Néanmoins, ce n'est que par rapport aux règles « normales » que l’on peut saisir ce qui dévie, et l'ampleur de cette déviation. En somme, pour surmonter la crise, il faudrait réintroduire dans l'économie le jeu normal (eu égard à la production bourgeoise) des lois. Au contraire, de nos jours, les remèdes appliqués sont eux-mêmes des drogues qui ne font qu’amplifier la dégénérescence, en gonflant et en anesthésiant le malade. Un exemple donné par Marx lui-même l'illustre. Il explique qu’après la crise, l'argent est facile avec tout ce que cela implique pour la relance. La base économique de cette loi est que le capital S'est assaini pour atteindre de nouveaux sommets. Or, comment ces crises sont-elles surmontées de nos jours ? Par d'énormes destructions de la guerre qui engendrent misère et pénurie de capital dans les pays vaincus par l'impérialisme dominant. En fait, l'argent demeure facile pour le vainqueur resté à l’abri des destructions – ce qui facilite la main-mise impérialiste. Et pour masquer cela, on le couvre du nom hypocrite de l'aide Marshall. Evidemment, l'économie politique officielle se tient à jour. Elle suit la réalité là où elle va : nous lui souhaitons bonne chance !
  4. C'est encore par rapport aux lois « normales » que Marx peut définir... par extension l'inflation et les manœuvres spéculatives.
  5. L'explication de cet apparent paradoxe trouve, en effet, dans l'appareil de production – dans le taux de profit tombé au-dessous de zéro, qui fait que tous les capitaux sont endettés et dévorent leur substance pour survivre : Que fait donc telle nation quand elle importe plus qu’elle n'exporte ? L’inflation opère un transfert honteux de revenus : elle dévore les salaires, puis le capital productif. M. Henry, président du Centre de développement de l’O.C.D.E., le constate lui-même : « La cause de l'inflation est évidente : c'est une dégénérescence des systèmes de production industrielle qui « s’autoconsomment » et « s'autodétruisent » (Cérès, no 41, Civilisations mortelles, p. 21).
  6. C’est ici que les sophismes des économistes ont toutes les apparences de l'évidence, la solidité de 1 et 1 font 2, mais n'en sont pas moins des sophismes. En effet, ils affirment que le passif de l'un est forcément l'actif de l'autre, si bien que tout s'annule. Ce n'est plus la dialectique du capitalisme, c'est le règne de la Raison et de l'économie du bon sens.