Préliminaire

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Les crises du capitalisme drogué[modifier le wikicode]

Alors que l’économie n’a connu de son temps que des « crisettes », Marx en a déduit une théorie de la crise qui explique jusques et y compris les guerres, les révolutions et la mort même du capitalisme.

S’il a pu le faire, c’est qu’un organisme jeune, mieux qu’un vieux, laisse prévoir le cours de sa vie. Sa vive croissance est d’emblée en forte baisse et ne cesse de diminuer vers le point zéro en une évolution régressive : Plus un organisme croit vite et fort, moins sa vie est longue. Ainsi, le capitalisme n’est qu’un bref intermède parmi les formes de production de l’humanité ; avec lui, l’histoire s’accélère au maximum.

Au siècle dernier, la production mondiale a crû fortement et sans oscillations notables ; l’indice de 7 en 1859 devenait 100 en 1913, année qui précède le séisme de sa phase sénile, pathologique et dégénérative que Marx a pu aisément prévoir –comme le montrent clairement les textes de cette anthologie. Sous le souffle haletant des moteurs à vapeur, la production mondiale était multipliée par quatorze – CE QUI NE SE REPRODUIRA PLUS dans les 54 années suivantes, même si de jeunes capitalismes nationaux sont venus ravigoter les vieux [1] .

On pourrait penser que les oscillations marquant les [216] crises étaient les plus vives, lorsque les rythmes de croissance étaient les plus élevés. Or, à en croire les statistiques, l’indice général de la production ne chutait jamais alors, il stagnait seulement çà et là. Ainsi, l’Angleterre du siècle dernier pour laquelle les économistes admettent – toujours au passé seulement – qu’elle connaissait les classiques cycles décennaux de crise, a vu son rythme de croissance industrielle diminuer, une première fois en 1847 comme Marx nous l’apprend, et en 1867 où les statistiques bourgeoises annoncent que son indice passe de 32 en 1866 à 31 – une paille, si l’on pense que l’indice 100 de 1913 a dégringolé en 1921 à 57, au niveau de la production de 1888, 33 ans auparavant. Ce cours serein n’est pas dû à la position hégémonique de la Grande-Bretagne sur le marché mondial. Celui de la France et de l’Allemagne est à peine moins égal et les États-Unis n’ont reculé que deux, fois entre 1859 et 1900 : de 10 à 9 en 1874, et de 29 à 27 de 1892 à 1894- (en somme, assez tard).

Cela s’explique par le fait que l’accumulation procédait à une échelle fortement élargie. Chez un organisme en pleine croissance, un recul ou une chute dans un secteur de la production est compensé par la forte progression dans un secteur nouveau, de sorte que l’indice moyen reste soutenu, même s’il tend à baisser historiquement. Lorsque la manufacture textile se mit à décliner, on développa l’industrie mécanique qui produit ses propres machines - de la vapeur, on passe au gaz et à l’électricité, etc.

En somme, les crises du capitalisme juvénile ont eu surtout une incidence commerciale. Elles révèlent son caractère fondamentalement mercantile. Marx parle de crises d’affaires (trade), de crises de caractère essentiellement monétaire, bancaire, boursier. La crise faisait croupir sur le marché l’excédent des marchandises produites – et la surproduction apparaissait d’autant plus brutale que l’on ignorait les capacités d’absorption [217] d’un marché souvent très éloigné de la métropole et que l’on ne disposait pas de moyens de transport et de communication efficaces.

Les crises liées surtout au commerce international, restaient limitées à l’Angleterre et aux rares pays capitalistes ou précapitalistes qui dépendaient d’elle. Elles affectaient essentiellement les quelques branches d’industrie travaillant pour le marché mondial [2].

Dans l’industrie, au siècle dernier, on avait à faire tout au plus à des « crises de chômage ». On licenciait massivement à la suite d’une simple stagnation, voire d’un léger recul de la production, puisque cela suffit à rendre inutile une bonne partie des ouvriers du fait que leur productivité s’accroit, bon an mal an, de 5% en moyenne. Ainsi, un recul de, mettons, 5% de la production dans une branche jette 10% de l’effectif ouvrier sur le pavé. Le capitalisme a-t-il appris depuis lors à maîtriser ses mécanismes mercantiles ? Pas du tout, ses crises se manifestent toujours sur le marché d’abord, dans la production ensuite.

Dans le capitalisme sénile, les crises attaquent l’appareil productif : des pans entiers de l’économie s’effondrent, et d’innombrables entreprises ferment alors que leur potentiel productif est encore en bon état de marche. Depuis 1913, de véritables tremblements de terre ébranlent toute la planète : le capitalisme est devenu mondial et résolument impérialiste. Les maladies d’enfant ont des effets spectaculaires la coqueluche provoqué une très forte fièvre, le petit alité est abattu, mais il se, remet sans dommage corporel et poursuit sa croissance, alors que la pathologie sénile diminue les capacités du corps, voire les paralyse, s’il ne faut pas recourir finalement à la chirurgie : l’organisme se dégrade et régresse [3].

En fait, le capital est un organisme vicié, souffrant de maladies congénitales, de tares fondamentales - par exemple, sa contradiction entre bourgeoisie et prolétariat, capital et travail, l’inégalité de développement [218] entre ses forces productives et son mode de distribution, l’opposition entre valeur d’usage et valeur d’échange, industrie et agriculture, etc. – bref : « L’évolution de la maladie sociale dont souffre l’Angleterre [le monde entier aujourd’hui. N.d.Tr.] est la même que celle d’une maladie physiologique. Cette maladie évolue selon des lois déterminées, elle a ses crises, dont l’ultime et la plus violente décidera du sort du patient. C’est pourquoi, on ne peut que se réjouir de tout ce qui porte la maladie à son paroxysme, puisqu’il est impossible que la nation anglaise [ou l’humanité] succombe dans cette ultime crise, mais tout au contraire en sortira nécessairement régénérée et renouvelée » [grâce à un mode de production supérieur, le communisme, déjà développé au sein du capitalisme par le travail socialisateur du prolétariat. N.d.Tr.] [4].

Nous sommes aujourd’hui en plein dans cette crise pathologique du capitalisme sénile. La richesse des quelques nations de parvenus s’est édifiée sur les ruines des continents de couleurs et des pays pauvres de l’Est et de l’Ouest. Qui plus est du fait de l’accélération de la concentration, les pays capitalistes développés moins puissants perdent leur substance au profit de rares élus : l’Allemagne, le Japon et les U.S.A.

(qui accaparent, à eux seuls, chaque fois qu’il y a guerre, la moitié de la production mondiale).

Un indice permet d’établir quantitativement la santé - la jeunesse ou la sénilité, les phases de flux ou celles de reflux – de Sa Majesté le Capital - le pouvoir d’achat de la monnaie. Considérons la livre sterling. Son pouvoir d’achat n’a cessé de progresser de 1800 à 1870, abstraction faite de quelques oscillations mineures dans les deux sens. L’indice 150 en 1800 tombe à 100 dans la décennie de 1867-1877, ce qui signifie que les prix anglais ont diminué d’un tiers (de 150 à 100), et que la valeur d’échange de la livre a augmenté de moitié (de 100 à 150) : l’accroissement [219] de la productivité du travail profite à tous ceux qui travaillaient. Après la période de flux de 1850 à 1873, c’est le reflux 181J à 1894. Cependant la baisse des prix se poursuit, à peine ralentie par les troubles dus aux crises cycliques et à la... prospérité qui tend depuis toujours à susciter l’inflation - et on a l’indice 60 en 1900. Nous sommes au sommet de la puissance anglaise. Or, en 1922, le pouvoir d’achat de la livre a dégringolé des trois quarts ! Et on connaît la suite [5].

Croissance et cycle des crises[modifier le wikicode]

Le marxisme n’a jamais considéré comme un mode d’être invariable le cycle décennal des crises du début du capitalisme, avec sa succession de phases de marasme, de réanimation, d’activité moyenne, de franche reprise, d’accélération, de prospérité, de surchauffe (boom), d’effondrement, et de nouveau le marasme, etc. Le temps et la croissance ont une valeur toute différente chez un enfant, un adulte ou un vieillard.,

Dans sa note de 1885 du Livre III du Capital, chap. 30, Engels explique que le capitalisme a une vie et un développement organiques, si bien que les crises changent selon son âge – comme la coqueluche diffère de l’artériosclérose. La crise comme les diverses phases du cycle sont des produits historiques du capitalisme. En Angleterre, « la grande industrie sortait tout juste de son enfance, comme le prouve déjà le fait que c’est seulement avec la crise de 1825 qu’elle inaugure le cycle périodique de sa vie moderne... C’est seulement en 1830 qu’il y eut une crise qui fin, une fois pour toutes, caractéristique [6]. C’est la crise pléthorique, de surproduction, dont Engels parle dans l’Antidühring.

La forme cyclique n’a surgi qu’à un niveau de développement déjà considérable du capital. Sans une capacité de surproduction, d’une part, et une importante [220] main-d’œuvre en surnombre, d’autre part, il ne pourrait y avoir de stagnation, de moyenne activité, ni surtout de boom. C’est cette double « élasticité » qui permet de « jeter soudainement des grandes masses humaines aux points décisifs sans léser le niveau de production dans les autres branches » (Capital 1, p. 661).

Les convulsions de la production augmentent donc avec l’essor du mode de production capitaliste : « Ce cycle vital, caractéristique de l’industrie moderne - à savoir son cycle décennal, interrompu par de minimes oscillations, de périodes d’activité moyenne, de production à haute pression, de crise et de stagnation – dépend de la présence d’une armée industrielle de réserve ou surpopulation. Celle-ci doit se former sans cesse à nouveau, puis se trouver plus ou moins absorbée, et se reformer de nouveau. À leur tour, d’autres phases du cycle industriel créent la surpopulation et deviennent les agents les plus énergiques de ‘sa reproduction.

« Cette marche singulière de l’industrie moderne, que nous ne rencontrons à aucune époque antérieure de L’humanité, était également impossible dans la période d’enfance de la production capitaliste au cours de laquelle la composition organique du capital changeait très lentement. » (Ibid.)

Une première révolution s’amorce, lorsque s’est renversé le rapport entre la production et le marché (demande) : « Jusqu’en 1825 – époque de la première crise universelle –, on peut dire que les besoins de la consommation en général allaient plus vite que la production, et que le développement du machinisme était la conséquence forcée des besoins du marché [7] », et pas encore du mode de production lui-même.

On le sait, le marché mondial a été la condition préalable du capitalisme. De commerciales et monétaires, les crises tendent, au fur et à mesure, à devenir industrielles – ce qui. modifie leur rythme et leur nature. Au début, leur incidence était réduite : leur [221] terrain d’élection était Londres (centre financier), Liverpool (port marchand, lié à l’exportation) et Manchester (complexe industriel du textile), tous trois étant liés au marché mondial et aux colonies. Il s’agit de crises de croissance, de solutions violentes pour ouvrir de nouveaux débouchés, adapter la machine productive à un marché fluctuant et augmenter encore son rendement. Le capital balaie devant lui les obstacles à son essor et aggrave la dépendance des peuples coloniaux (notamment les États-Unis, la Chine et l’Inde). Les premières convulsions et crises sont, pour une bonne part, une réaction aux conditions précapitalistes sur le marché mondial, « Entre 1825 et 1857, les deux foyers des grandes crises – l’Amérique et l’Inde – se sont rapprochés de 70 à 90% des pays industriels de l’Europe grâce à la révolution des moyens de communication, et ont donc perdu une grande partie de leur force explosive, le temps de circulation s’étant réduit. » (Capital III, chap. iv.)

« C’est seulement depuis 1847, à cause de la production d’or en Californie et en Australie, que le marché mondial est achevé, si bien que le cycle décennal s’est clairement développé [8]. » « Pour la période de l’industrie anglaise (1815-1870) qui évolue au rythme des cycles décennaux, on voit chaque fois que le maximum de la dernière phase de prospérité avant la crise se présente de nouveau comme le minimum du cycle suivant qui atteint alors un nouveau maximum encore plus élevé [9]. » En somme, la surproduction proprement dite ne se manifeste vraiment que dans la phase ultime du cycle, celle de la surchauffe.

En décembre 1857, Engels écrit à Marx : « Dans la crise actuelle, le développement de la surproduction, due à l’extension du crédit et à la surexploitation des marchés, peut être étudiée dans ses moindres détails. Il n’y a rien de neuf dans le contenu, mais jamais la forme n’est apparue aussi clairement que cette fois-ci. [222] En 1847 et 1837-42, c’était loin d’être aussi net. »

Engels signale que, dans les années 1870, la régularité du cycle dans lequel évoluait le capital se brisait déjà pour l’Angleterre vieillissante. Tant qu’elle fut le seul pays industriel du monde, le cycle était périodique et le mouvement pur : « La suppression du monopole anglais sur le marché mondial et les nouveaux moyens de communication ont contribué à mettre en pièces les cycles décennaux de la crise industrielle. » et de tirer une conclusion que vérifient les catastrophes de l’étape impérialiste du capitalisme : « Nous sommes entrés dans une période qui est infiniment plus périlleuse pour l’existence de la vieille société que le cycle des crises décennales [10] » : celle des guerres économiques.

Cependant, Marx constatait en 1880 que la crise anglaise était « escomptée » par l’évolution divergente des économies allemande, française et surtout américaine, les capitalismes les plus jeunes apportant du sang frais au vieux, sans pouvoir en faire pour autant un bébé frais et rose. Londres leur doit d’avoir évité la crise financière : « La forte hémorragie de métaux précieux anglais de 1879 a été compensée dans une large mesure par la collaboration de la Banque de France et de la Banque Impériale d’Allemagne et, par ailleurs, la reprise soudaine aux États-Unis a agi au printemps 1879 comme un deus ex machina [11]. » Le capitalisme n’est pas parvenu pour autant à éliminer les crises décennales pour ne plus subir – à la rigueur – que les crises générales qui, à intervalles toujours plus longs, préludent à une guerre ou à une révolution. Engels souligne, au contraire, que le cycle de 10 ans est Passé à 9, à 8, voire à 6 dans la dernière période de sa vie. Désormais, le capital se débat contre une surproduction chronique et prend des mesures permanentes pour la combattre. Et on appelle « récessions » les crises que le capital peut surmonter pour redémarrer, en se droguant de plus en plus. En fait, ce sont des crises de chômage et de recul de la [223] production bien plus graves que celles de l’époque de Marx, même si elles apparaissent mineures à une humanité ballottée de catastrophe en catastrophe. Ces « crisettes » sont moins fréquentes durant la phase de reconstruction dans les pays ravagés par la guerre de surproduction. Cependant, elles s’amplifient dès la fin de la guerre, dans le pays capitaliste hégémonique qui n’a pas « bénéficié » des dommages de la guerre et dans tous les autres pays, dès que les ruines sont relevées : on les subit alors toutes les 4, voire toutes les 3 années, et la stagnation économique devient pluriannuelle avant même qu’éclate la crise générale [12].

En 1866, pour la dernière fois, Marx analyse le cours concret d’une crise, au moment où elle se produit. Sa théorie est maintenant définitive – et plus rien ne la changera, même si les manifestations peuvent en varier.

Dans les Classes laborieuses (1844), Engels soulignait que la crise provoquait de graves pénuries, disettes et épidémies qui frappaient presque exclusivement les masses ouvrières. Aujourd’hui, la surproduction provoque aussi bien les dévastations de la guerre et les hécatombes pacifiques sur les routes que la faim et la misère, le diabète, l’artériosclérose et les dépressions nerveuses en série. Dans le capitalisme dégénéré, les conséquences de la crise sont plus « démocratiques » : elles touchent tout le monde – et c’est aussi un progrès.

Les prolongements de la crise[modifier le wikicode]

Après 1866, la théorie de Marx se confirme spectaculairement. Il peut cesser de scruter les nouvelles crises économiques et s’occuper de leurs prolongements : il se voue à l’organisation du prolétariat de tous les pays dans la 1re Internationale, tandis que l’Europe bascule dans la crise politique et militaire de 1870-1871.

Les difficultés économiques de la France et de [224] l’Allemagne suscitent le conflit franco-prussien, couronné par l’acte de piraterie impérialiste de Bismarck, d’Une part, et la révolution socialiste de la Commune, d’autre part. Les solutions classiques à la crise économique – l’une bourgeoise, la guerre, l’autre prolétarienne, la révolution - s’opposent l’une à l’autre. La victoire de l’un des protagonistes – la bourgeoisie ou le prolétariat – décidera du sort des générations suivantes.

Le capitalisme devenu « idyllique » (toujours entre guillemets pour les marxistes) est secoué par des crises plus violentes que jamais. Marx – et plus encore Engels qui lui survit – se préoccuperont désormais de la supercrise, à savoir la guerre mondiale, à laquelle ils opposent la révolution. Ce n’est pas par hasard que le quart de leur œuvre est militaire !

Cette guerre (parfaitement prévue et décrite dans des dizaines de textes avant qu’elle n’éclate) est inscrite dès 1870 à l’ordre du jour de l’histoire de par la dialectique de toute l’abominable société économique du capitalisme : « Une guerre entre l’Allemagne et la Russie doit naître de la guerre de 1870 aussi nécessairement que la guerre de 1870 est née de celle de 1866. Je dis fatalement, sauf le cas peu probable où une révolution éclaterait en Russie., En dehors de ce cas peu probable, la guerre entre l’Allemagne et la Russie, peut, d’ores et déjà être considérée comme un fait accompli [13]. »

Cette guerre naîtra de l’accumulation de toutes les crises et surproductions successives et – paradoxe qui n’en est pas un – de tous les « remèdes » découverts par les économistes et hommes d’État, soidisant pour la « retarder » et la « différer », en fait pour gonfler à l’extrême – droguer – l’appareil de production déjà pléthorique. Le premier remède est l’abrégé de tous les autres : la course aux armements qui fait le bonheur des capitalistes à l’âge de l’acier et du T.N.T.

[225]

La drogue du militarisme[modifier le wikicode]

Dans les textes de Marx-Engels postérieurs à 1870, nous trouvons la clé de tous les facteurs qui aboutissent à la supercrise mondiale de 1914, et du même coup l’anticipation – et la théorie – du capitalisme drogué, prétendument sans crises, de cet après-guerre.

En 1868, les rivaux continentaux de l’impérialisme anglais, la France et l’Allemagne, sont en proie à la crise : l’indice de la production industrielle française stagne pratiquement de 1864 à 1868 : 25, 25, 26, 26. Mais la préparation de la guerre le fait monter à 27, puis à 29 en 1869 et 1870. La défaite fera chuter l’indice à 23, mais les dévastations le feront bondir jusqu’à 45 en 1884 sans qu’aucune crise n’arrête cette vive progression. L’Allemagne régresse, de 1867 à 1870, de 15 à 13, et la préparation de la guerre ne la tire pas de l’ornière. Cependant, les dommages de guerre - les fameux cinq milliards - la feront bondir jusqu’à l’indice 18 en 1873 au krach qui lui permet d’adapter son économie à la demande du marché mondial : « A Présent, l’Allemagne n’était pas seulement un « Empire unifié », mais apparaissait encore sur la scène mondiale comme un grand pays industriel. Les milliards avaient donné un puissant essor à sa juvénile industrie lourde. Ils furent à l’origine de la brève période, pleine d’illusions, de prospérité consécutive à la guerre ainsi que du grand krach de 1873-1874 au cours duquel l’Allemagne confirma qu’elle était un pays industriel capable d’affronter le marché mondial [14]. »

Les économistes et les hommes d’État tireront de riches enseignements de cette loi économique des guerres modernes : celui qui prépare la guerre voit ses indices s’envoler vers des sommets radieux et celui qui subit les destructions massives par suite de la guerre voit son économie se redresser encore davantage. C’est le jeu « à qui perd gagne » de Sa Majesté le Capital qui spécule sur le dos des masses non seulement exploitées [226] systématiquement, mais encore massacrées périodiquement. Le prolétariat des métropoles et les peuples des pays coloniaux et dépendants en feront l’amère expérience.

L’Angleterre, impuissante à empêcher par les armes un’ rival capitaliste de surgir sur le continent manqua la grande affaire de la guerre. Elle resta en proie à la surproduction : « En Angleterre l’industrie a pris un autre caractère. Le cycle décennal semble rompu depuis que la concurrence allemande et américaine a mis fin dès 1870 au monopole anglais sur le marché mondial. Depuis 1868, c’est le marasme dans les principales branches d’affaires anglaises, la production ne croit que lentement - et il semble maintenant que nous soyions, en Amérique et en Angleterre, devant une nouvelle crise, sans que l’Angleterre ait connu auparavant une période de prospérité [15]. »

Le « remède » s’impose de lui-même au capital pour survivre à la crise chronique de surproduction qui menace toujours plus les économies bourgeoises développées et surtout l’anglaise : l’impérialisme, à l’intérieur, avec le militarisme et la course aux armements ; à l’extérieur, avec le colonialisme et les guerres locales.

L’intrusion du militarisme dans la production fera passer le capital à ce que l’on appelle l’ « étape de l’impérialisme » (Lénine). Il ne s’agit pas d’une phase d’un capital de nature autre, puisqu’il est né colonialiste et agresseur des autres peuples. L’Irlande, où Cromwell s’est illustré dès la révolution bourgeoise, est, selon l’expression de Marx, la première colonie de l’Angleterre. De même, la création du marché mondial avec l’assujettissement des peuples de couleur au cours de l’accumulation dite primitive est la base préalable du mode de production bourgeois.

La militarisation d’une partie de la production signifie, en outre, l’entrée en force de la politique dans l’économie. La crise, due à l’excès de forces productives, [227] fait maintenant partie intégrante de l’économie. Divine panacée !

Ces interventions dans l’économie renforcent la seule institution capable d’exercer un rôle à la fois politique et économique. : l’Etat, violence organisée et concentrée au service d’une classe. Enfin, la politique appliquée à l’économie diffuse, selon l’expression moderne, le totalitarisme dans la société. À présent, la crise économique, devenue « permanente », se manifeste virtuellement avec ses prolongements politiques et militaires, la guerre ou la révolution.

Dans l’Antidühring, Engels décrit ces mécanismes impérialistes - « La guerre franco-allemande représente un tournant plus important que tous les précédents... Désormais l’armée est le but principal de l’État, voire un but en soi, et les peuples ne sont plus là que pour fournir des soldats et les nourrir. Le militarisme domine et dévore l’Europe. Mais ce militarisme porte aussi en lui le germe de sa propre ruine... Il périt de la dialectique de son propre développement [16]. »

Il cite d’abord des exemples techniques de la dégénérescence croissante de l’art militaire. Dans le capitalisme mûr, la tactique et les généraux - et tout l’héroïsme ou la couardise des troupes - ne sont plus d’aucun effet : « La victoire et la défaite dépendent des conditions matérielles, c’est-à-dire économiques. » En effet, « non seulement la production, mais encore le maniement de l’instrument de la violence - le vaisseau de guerre sur mer, par exemple, sont devenus une branche de la grande industrie moderne ». Enfin, « un vaisseau coûte maintenant autant qu’auparavant toute une petite flotte, et l’État - que cela plaise ou non - doit se résigner à ce que ces coûteux navires soient déjà vieillis, donc dévalorisés, avant même d’avoir pris la mer » (ibid.).

L’armement devient inefficace au plan militaire, mais ô combien efficace au plan économique ! Le pays bourgeois le plus développé, comme la France ou les États [228] Unis, n’est-il militairement battu par un adversaire bourgeois même cent fois plus faible – si celui-ci est révolutionnaire, comme l’Indochine ? Ou bien – ce qui démontre encore la même chose – un pays développé ne gagne-t-il pas la guerre simplement parce qu’il dispose d’une économie plus forte que son rival, abstraction faite de tous les généraux et de leurs tactiques, l’ « art » économique du « management » se substituant à l’art militaire : Eisenhower contre Rommel. Pourquoi cela ? parce que la guerre n’a pas pour but l’écrasement de l’ennemi héréditaire, elle est purement économique : la résorption de la surproduction créée par le prolétariat. Elle vise donc directement ce dernier, en gâchant et détruisant le produit de son travail et de ses peines.

Une invention technique ruine l’autre dans le domaine militaire ; par exemple, dit Engels, le blindage des navires grossit à mesure de l’efficacité des torpilles : dans cette course, ils deviennent de plus en plus pesants et coûteux – donc de moins en moins efficaces. Ce fait militaire met à jour une loi fondamentale de l’économie moderne, guettée par la surproduction en raison du développement monstrueux des forces productives : le capital constant doit se dévaloriser pour ne pas trop diminuer le taux, de profit. La grande « astuce » est de prévenir la surproduction en détruisant au fur et à mesure le produit des gigantesques forces productives et de freiner la croissance du capital productif de capital. Cependant, outre qu’il développe encore une branche nouvelle de production, l’armement permet à toutes les autres industries de prospérer... jusqu’à la crise qui impose alors la guerre avec les horribles dévastations correspondant à la surproduction poussée à son comble par une économie mercantile, assoiffée de produire pour faire des profits.

Que « le militarisme meurt de par sa propre dialectique » ne veut pas dire qu’il s’éteint tout seul, mais pousse les crises économiques du capital vers la guerre, [229] où des économies et des États bourgeois s’effondrent politiquement et militairement, tandis qu’il a armé le prolétariat exaspéré et capable de s’opposer aux abus atroces du régime capitaliste et de changer de forme de société : « Ce sera le chaos, et la seule certitude, c’est une boucherie et un massacre d’une ampleur sans précédent [à la mesure chaque fois de la surproduction. N.d.Tr.] ; épuisement de toute l’Europe à un degré inouï jusqu’ici - et enfin effondrement de tout le vieux système. » Et alors, « la meilleure solution serait la révolution russe que l’on ne peut escompter cependant qu’après de très lourdes défaites de l’armée russe [17]». Selon l’expression de Lénine, la guerre est la mère de la révolution.

Combien de camarades de parti, fort nombreux alors en Europe, ont ajouté foi à cette prévision que tentèrent de réaliser les communistes russes, hongrois, allemands, etc. Au fond, rares ont été ceux qui ont eu l’occasion de la connaître avant qu’elle se réalise, car les dirigeants social-démocrates l’avaient escamotée dans la presse et les discours du parti – « mise sous le boisseau », selon l’expression de Lénine. Ces espèces de prévisions n’étaient que des jeux pas très sérieux d’astrologues, aux yeux de ces esprits forts, de ces réalistes qui font montre d’être toujours réservés et « objectifs » dans leurs évaluations – surtout quant à la force du capital.

Économie de guerre en permanence[modifier le wikicode]

Il n’est pas du pouvoir des bourgeois de changer le cours de l’économie parfaitement déterminée par les lois inexorables du capital. Si Marx parle néanmoins de tendance historique de la baisse du taux de profit, et admet qu’elle puisse être freinée, ce n’est pas pour laisser sa petite place à l’indéterminisme et au libre-arbitre chers à nos contemporains dégénérés au plan [230] idéologique autant que physique. C’est pour souligner que cette loi – comme toute loi – est une moyenne certes « abstraite », mais inexorable qui, étant donné les contradictions infinies du capitalisme, se réalise au milieu des pires disparités. En l’occurrence, au lieu d’aplanir les inégalités, le capital fait tout pour les susciter. Ainsi, freiner la baisse du profit ne signifie pas changer son rythme moyen de baisse ; mais renverser la tendance au profit de l’un et aux dépens de l’autre, durant un temps, dans un secteur, un pays donné, ce qui provoque une chute ultérieure plus grave encore, puisque la moyenne baisse inexorablement : chaque « intervention » ici aggrave la situation là.

C’est ce qui arrive, par exemple, quand le capital accumule une masse croissante de profits à mesure que son taux décroît : il est poussé à surproduire. Cela ne diffère évidemment pas les crises. L’industrie de destruction en est l’exemple le plus clair. La surproduction y devient explosive. La violence cinétique ne se transforme en violence potentielle que jusqu’à un point déterminé de son accumulation, où elle éclate de la main du premier imbécile venu – banal assassinat en 1914 dans un coin perdu « Europe, par exemple.

La violence potentielle reste violence réelle, Et la période de paix du capitalisme manifeste des crises qui sont à peine moins graves qu’en périodes de guerre. L’Angleterre qui n’a pas subi les dévastations de la première guerre mondiale, mais en est sortie victorieuse, a vu sa production chuter de près de la moitié en... 1921. Par rapport à 100 en 1913, l’indice était encore à 91 en 1920, mais à 57 en 1921. Elle n’a dépassé l’indice 100 qu’en 1929-30 pour retomber aussitôt au-dessous une fois de plus par une crise de temps de paix ! De même, les U.S.A. ont plus souffert de la crise de 1929 (chute de l’indice de 205 à 116 en 1934), que la Russie ravagée par l’invasion (indice 1140 en 1940 contre 862 en 1946 [18]).

[231]

Cette opposition entre paix et guerre ne nous sert qu’à illustrer notre démonstration. En fait, les deux états ne se distinguent plus vraiment pour le capital impérialiste qui les confond de plus en Plus étroitement. La paix est celle du surarmement et des guerres locales incessantes - la France n’a-t-elle pas mené d’une seule traite les hostilités de 1939 à la fin de la guerre d’Algérie en 1962, et n’est-elle pas anxieuse de renouer avec les expéditions coloniales ?

Pour le capitalisme hégémonique - les États-Unis, de nos jours - la plus grosse affaire, c’est la guerre. Lorsque la guerre éclate, au lieu de stagner ou de chuter comme leurs rivaux bourgeois, les Yankees voient s’emballer leur production : ils engrangent les résultats des autres.

Durant les deux guerres mondiales, ils livrent à l’Europe non seulement des montagnes d’armes pour qu’elle s’entre-déchire, mais encore des flots de denrées alimentaires pour nourrir ses soldats et, à la fin, un océan de capitaux pour relancer son industrie sous contrôle yankee. Les États-Unis disposent alors de près de la moitié du potentiel industriel mondial d’où leur puissance après-guerre. Si l’on part de l’indice général de 100 en 1913, l’Allemagne sera à 99 en 1950, la France à 100 et la Grande-Bretagne à 163 contre 430 aux États-Unis qui lui ont ravi le primat mondial.

Une paix trop longue exerce ensuite ses ravages sur l’économie américaine : de 1950 à 1975, l’accumulation du capital aux Etats-Unis mêmes s’est dangereusement ralentie : les investissements n’y sont plus que de 13% au PNB contre 25% en Allemagne, 30% en France et 40% au Japon (capitalismes rajeunis par la guerre et irrigués par l’américain). Dans le même temps, la productivité par heure d’ouvrier dans l’industrie n’a fait que doubler aux U.S.A., alors qu’elle quadruplait dans les autres pays industriels, voire se multipliait par neuf au Japon. Le standard de vie américain qui était le double de celui des autres [232] pays industriels, s’est amenuisé, voire a été rejoint par celui de ses concurrents les plus efficaces. Le monstre américain est de nouveau assoiffé d’une guerre... chez les autres !

Car la guerre n’est « very exciting » qu’à deux conditions : d’abord, qu’elle n’entraîne pas chez soi plus d’horreurs et de ravages que les week-ends sur les routes, et ensuite qu’elle ne se transforme pas – chez les autres (ou chez soi) – en guerre civile.

Voici comment Engels voit ce péril qui guette le militarisme :

« Une guerre ? Rien n’est plus facile que de la commencer. Mais ce qui suivra défie tout calcul préalable. Si Guillaume passe le Rhin comme Crésus passa le Halys, un grand Empire sera assurément détruit - mais lequel ? Le sien ou celui de l’ennemi ? La paix ne dure d’ailleurs que grâce au révolutionnement continuel de la production et de la technique des armes, qui fait que personne ne peut jamais se dire prêt à la guerre, et grâce à la peur de tout le monde devant les chances absolument imprévisibles d’une guerre qui ne peut plus maintenant se faire qu’à l’échelle du monde entier [19] ».

Personne n’en veut peut-être. Cependant elle ne dépend pas de la volonté des individus, mais de l’aggravation inévitable des contradictions de l’économie capitaliste.

L’Empire allemand se trouva ruiné, et ce fut la révolution dans plusieurs pays du continent européen. Mais, dira-t-on, aucune révolution n’a éclaté après la seconde guerre ! C’est oublier Sétif, le 8 mai 1945 et la révolution des peuples de couleur qui a secoué trois continents durant tout cet après-guerre, avant de susciter les premiers sursauts prolétariens en Belgique, en France, au Portugal et aux États-Unis mêmes durant la guerre du Vietnam [20].

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La drogue de l’impérialisme[modifier le wikicode]

Ce qui distingue la sénilité de l’enfance du capitalisme, ce n’est donc pas la guerre ou la paix, qui se combinent toujours « subtilement », mais le ralentissement inquiétant de la croissance due à la fameuse baisse tendancielle du taux de profit : la production industrielle du capitalisme juvénile croit rapidement, et celle du capitalisme mûr et sénile de plus en plus lentement. L’impérialisme est, en somme, la réaction de la forme capitaliste à sa sénescence. C’est la TENTATIVE d’accélérer artificiellement la course à la production.

Marx explique que le capital dispose d’un moyen pour redresser momentanément les taux de profit et de croissance, à savoir : les guerres qui détruisent des pans entiers de l’appareil productif qu’il faut ensuite reconstruire. Dans la phase impérialiste, le capital se régénère ainsi périodiquement, mais la baisse moyenne du taux de profit et de croissance de la période historique n’en changera pas pour autant. Pour l’Angleterre, le rythme moyen d’augmentation annuelle de la production était de 3,6% pour la période de 1859 à 1877, de 2% seulement de 1878 à 1899, et de 1,5% de 1900 à 1959. Cependant, alors que l’oscillation maximale au-dessus de la moyenne de la période antérieure à 1900 était de + 11% et de - 4% d’une année à l’autre, l’oscillation maximale au-dessous de cette moyenne était de - 37% en 1921 par rapport à 1920 et de + 61% en 1927 par rapport à 1926. En somme, moins la moyenne de croissance de la période est élevée, plus fortes en sont les oscillations au-dessus et au-dessous. Les pays dépendants - notamment quand ils sont ravagés par la guerre – subissent les pires fluctuations. Les pays hégémoniques, eux, souffrent plus des crises du temps de paix où l’on ferme les usines, mais on les rouvre éventuellement avec la reprise des affaires. Les pays les plus atteints [234] sont les concurrents directs dans la course à l’hégémonie mondiale – l’Allemagne et ensuite la Russie. Un pays ravagé par la guerre ne se reconstruit que lentement son appareil productif étant ruiné et anéanti dans de larges secteurs – et cela peut permettre à l’impérialisme hégémonique d’empêcher ses indices à lui de tomber après la guerre, en « aidant » les pauvres sinistrés. Sous les dehors patelins de la philanthropie, les U.S.A. ont ainsi investi les pays ruinés, en profitant, eux aussi, du relèvement momentané du taux de profit : leur surproduction se déverse alors sur le monde, aux dépens des autres rivaux. La concurrence entre nations s’accroît encore et devient guerre économique qui contient la guerre tout court. Si l’impérialisme dominant parvient à freiner la baisse de ce taux chez lui, il l’accélère chez les autres. Ses coups de force expriment simplement, en régime de concurrence impitoyable, les lois déterminées du capital. Ils ne peuvent empêcher chaque période successive d’avoir une moyenne plus basse.

En somme, l’impérialisme n’est qu’un moyen de modifier – par l’énorme force et masse de l’économie du plus fort – la distribution des forces productives et des masses de profit, aux dépens des plus faibles. Il exprime la loi capitaliste de la concentration et de la centralisation croissantes qui s’imposent avec d’autant plus de force que baisse le taux de profit et, partant, la possibilité globale de croissance. La concurrence est la plus violente entre capital sénile des métropoles et le capital juvénile des pays de couleur.

Ainsi, la naissance de nouveaux capitalismes en 1870 n’a pu accroître ni la force du capitalisme, ni ses taux de croissance : « A présent que l’Amérique, la France et l’Allemagne commencent à battre en brèche le monopole anglais sur le marché mondial et qu’en conséquence, la surproduction se fait sentir, comme avant 1847, mais plus rapidement, voilà que resurgissent aussi les crises intermédiaires quinquennales. [235] C’est la démonstration que le mode de production capitaliste s’épuise. La période de prospérité n’arrive plus à son épanouissement : c’est déjà la surproduction après 5 années. Mais cela ne signifie absolument pas que nous n’aurons pas de nouveau, de 1884 à 1887, une période économique tout à fait dynamique. » (Engels à Bebel, 10-V-1883.)

Marx était parfaitement au courant du sens économique – impérialiste – des guerres de son époque. Déjà pour éviter que la France ne supplante l’Angleterre, au début du XIXe siècle après la grande révolution de 1789-1815, la Sainte-Alliance des puissances féodales et bourgeoises avait privé le rival de la capitaliste Angleterre de sa partie la plus industrialisée – la Belgique - qui restait la 5e puissance industrielle du monde en 1931. La France fut ainsi, en partie frustrée des fruits économiques de sa révolution politique, alors que la masse de ses habitants et de son revenu national jouait en sa faveur dans sa rivalité séculaire avec l’Angleterre. De même, pour dépasser l’industrie française et rattraper l’Angleterre, Bismarck, annexa en 1871 l’autre partie industrielle de la France, la Lorraine[21]

Notons que, dans la phase « idyllique », la conquête des colonies par les puissances blanches n’a pas relevé leurs taux de croissance, mais a permis à certains impérialismes - notamment français - de résister à d’autres. Elle n’a pas non plus empêché la surproduction et les crises. Au demeurant, les métropoles ne tentèrent pas d’étendre leur mode de production aux colonies, elles y cherchaient simplement un débouché à leur surproduction et une source d’approvisionnement en matières premières bon marché pour relever momentanément leur taux de profit Dans ces conditions, les pays de couleur ont dû lutter les armes à la main pour se libérer du colonialisme. Cependant, ils accéderont à l’indépendance quand le taux de profit sera encore plus bas et la composition organique si [236] élevée que leur industrialisation sera infiniment difficile. La même loi de l’inégalité du développement des pays capitalistes dominants et dépendants s’applique à l’industrie lourde par rapport à l’agriculture et dans le capitalisme sénile au secteur de pacotille de luxe par rapport au secteur des moyens de subsistance. Ces disparités s’amplifient à l’intérieur de chacune de ces sections antagoniques, jusque dans les entreprises où l’une profite des malheurs de l’autre : c’est la guerre économique généralisée même entre bourgeois. Comment éviter la crise dans m conditions ?

La supercrise de l’impérialisme[modifier le wikicode]

L’arme suprême, dont dispose l’impérialisme pour modifier la distribution, afin d’écrémer momentanément la production et les profits à son avantage, c’est la guerre et ses destructions. Il en use avant tout là où le guette le danger l’une révolution qui pourrait renverser le capitalisme. Le général Engels observait, que la guerre était pour la bourgeoisie un moyen de prévenir la révolution : « Nous menons une guerre de siège contre notre ennemi, et tant que nos tranchées ne cessent de progresser et de resserrer l’étau, tout va bien. Nous sommes maintenant tout près du second parallèle, où nous dresserons nos batteries démontables et pourront bientôt faire taire l’artillerie adverse. Or, nous sommes déjà assez avancés pour que les assiégés ne puissent être dégagés momentanément de ce blocus que par une guerre mondiale [22]. »

Mais même de cela l’impérialisme fait une affaire - s’il l’emporte. Après le conflit, il empêche le pays de tradition révolutionnaire d’accroître ses indices de production et de regonfler au maximum ses contradictions de classe - et il accumule à sa place pour augmenter la puissance de la forteresse de la conservation bourgeoise. C’est ainsi que l’Allemagne a vu ses forces [237] productives stagner au-dessous de l’indice 100 de 1913 à 1950, jusqu’au moment où le danger révolutionnaire fut passé. En effet, les U.S.A. ne permirent la relance économique qu’à une Allemagne dépecée et solidement ligotée, investie et exploitée par les impérialismes américain, d’une part, et russe, d’autre part.

Mais, rien ne peut empêcher la fatale baisse historique. À l’heure actuelle, l’impérialisme américain souffre de se freiner et de se brimer lui-même. L’Allemagne, dont la « puissance » économique est vantée comme modèle, s’efforce de stagner depuis 1973 et espère - en vain -conserver son potentiel du sommet précédent et éviter toute secousse désagréable. Cependant, elle a renvoyé quantité de force de travail dans leur pays d’origine - ce qui témoigne d’une forte baisse de production que masquent les indices officiels de plus en plus truqués partout[23]. Les États-Unis ont vu chuter leur production d’acier, par exemple, de 136 millions de tonnes en 1973 à 1,14 en 1977, tandis que leur production automobile tombait de 9 687 200 unités en 1973 à 6 717 200 en 1975. La baisse catastrophique de ces deux secteurs-clés de la production américaine montre combien les statistiques sont truquées et ce qu’il faut penser des rapports officiels sur l’état de l’économie qui prétendent que cette fois-ci il n’y a pas eu de chute de la production comme après 1929. C’est le cas de le dire : la fabrication en série de bobards et de mensonges des ministères de l’Information des démocraties occidentales atteint un rendement à faire pâlir d’envie les ministères de la Propagande fascistes !

La drogue de l’étatisation[modifier le wikicode]

L’État bourgeois moderne est ce deus ex machina qui permet de gonfler artificiellement l’appareil de production [238] en une éléphantiasis gigantesque – à l’image de la crise actuelle.

Le moyen en est archi-connu : la centralisation. L’État s’ingère partout et diffuse le totalitarisme ou mieux le fascisme dans l’économie, la politique, le juridique et, l’idéologique. Il ne manque jamais à l’appel.

Un excellent indice pour mesurer le degré d’étatisation de l’économie est le rapport entre les dépenses de l’État et celles de toute la nation (revenu national). Il nous permet de distinguer nettement la phase libérale de la phase monopolistique. La guerre et la crise ont le même effet : gonfler cet indice. Aux États-Unis, par exemple, il était de 1% en 1880 et ne dépassait pas encore 1,7% en 1916. La guerre le fit progresser d’année en année : 3,7%, 20,1%, 27,2% ; en 1919, l’État accaparait presque un tiers du mouvement économique. La paix fit retomber l’indice, sans jamais le ramener à son niveau d’avant-guerre : le minimum fut atteint avec 2,3% en 1925, mais la crise le fit remonter à 4% en 1929, et 9,4% en l932. De 1934 à 1941, l’indice se fixait autour de 12%, mais le nouveau conflit provoqua un nouvel envol : en 1942 : 27,4%, en 1943 : 55% ; en 1944 : 58,5% ; et en 1945 : 61,2%. En 1948, à tomba à un nouveau minimum : 15,8%. La crise qui aboutit à la guerre de Corée, le fit remonter à 26%. Il oscilla ensuite autour de 23%, et atteint déjà dans l’actuelle crise 30% en 1976.

Les interventions de l’Etat ont un effet inévitable : l’inflation. Elles font, en effet, baisser le pouvoir d’achat de la monnaie. De 100 en 1913, il n’était plus que 51,1 en 1920. Avec la déflation de la crise de 1930 à 1934, cet indice remonte cependant : 60,6, 62,7, 69,8 et 88,2.

En faisant baisser le prix de gros (141, 118, 90, 74) pour la nourriture du prolétariat, il augmentait même d’autant le pouvoir d’achat des ouvriers, même si l’on divise la masse des salaires par [239] les nombre d’ouvriers occupés et non occupés. Les travailleurs disaient alors - cela va bien pour nous, quand cela va mal pour le patron !

Les préparatifs de la guerre, et plus encore la guerre elle-même, font chuter le dollar : de 72,4 en 1939 à 56,7 en 1944 – et en pleine prospérité d’après-guerre, il est à... 36,3 en 1958. On connaît la suite, le dollar ne cesse de dégringoler.

La panacée de l’État-providence est l’inflation qui lui permet de peser plus durement sur les masses salariées, enchaînées par le crédit et droguées par sa camelote et, à la fin, précipitées dans – le chômage massif et les massacres de la guerre où le capitalisme dopé débouche sans même s’en apercevoir. À l’époque du capitalisme « idyllique », les crises éclataient quand se manifestait la surproduction avec l’impossibilité de vendre les produits de la grande industrie. La pénurie d’argent des salariés et des capitalistes provoquait aussitôt une chute des prix. L’alarme était donnée par les prix en dégringolade affichés dans les boutiques et, en conséquence, la chute effarante des titres en bourse, qui expriment la valeur des moyens de production des bourgeois.

Depuis l’époque des grandes guerres qui entraînent dans leur tourbillon les États les plus puissants et les plus peuplés, et même un peu avant la première guerre mondiale, les crises ont pris l’aspect à première vue opposé à celui des crises classiques : les prix et la demande de marchandises augmentent – même pour ce qui concerne la grande industrie pourtant si productive. La guerre (et sa préparation) crée un énorme consommateur, car toutes les variétés de marchandises sont demandées en masses énormes par les armées – depuis le canon à l’agrafe de bureau. Toutes les industries sont invitées à produire et à vendre au maximum pour le client de l’État qui sait trouver l’argent et l’encaisser, surtout en temps de guerre et de crise. La production s’en trouve follement [240] stimulée : les valeurs, des plus grandes branches de l’industrie montent, au lieu de baisser. Toutes les marchandises se font rares pour la consommation de la population - et tous les prix grimpent. Même au cours de cet après-guerre, le pouvoir d’achat de la monnaie américaine, mesuré en prix de gros ou de détail, a en moyenne baissé alors que la production augmentait. En Amérique, le chômage était moins élevé en temps de guerre qu’en temps de prospérité ou de surchauffe ! ! On en vient même à transformer – et ce aux États-Unis pourtant si riches – la paix en temps de sous-production, de chômage et de bas salaires réels pour les masses afin de surproduire d’autant plus pour le capital dans ses branches droguées.

Si la crise de la production classique signifie crise du capital et du travail, la prospérité peut parfaitement signifier crise du travail. Le dirigisme d’État avec ses interventions économiques a montré, depuis le New Deal, que le capital parvient non pas à éviter les crises, mais à obtenir que celles-ci pèsent plus durement sur les classes mal payées que sur les classes, dont les bénéfices élevés sont garantis par le mécanisme complexe des contrôles étatiques. Si les ouvriers américains semblaient gâtés aux yeux des Européens ruinés par la guerre, leur pouvoir d’achat n’a cessé de décliner, depuis quinze ans, cependant qu’une fraction énorme de la population ouvrière se transformait en une bande d’assistés.

Toute cette évolution, confrontée à l’analyse classique de Marx, faisait dire à notre parti dès 1958 : « La crise de 1929 était encore celle du chômage et des bas prix. Or la grande crise droguée que nous attendons aura les malédictions de la surproduction insensée et de la menace de guerre avec le chômage et la hausse impitoyable des prix. Aujourd’hui, ce n’est encore qu’une plaisanterie, mais déjà les théories du plein-emploi et du bien-être tremblent sur leurs bases en Amérique [24]. »

[241]

La drogue de l’inflation[modifier le wikicode]

La production de luxe est une solution du capitalisme dégénéré que guette la surproduction. D’abord, par son inutilité, elle démoralise l’humanité et les malheureux ouvriers qui produisent le luxe : vanité des vanités, vide du vide. Ensuite, sa consommation est un moyen de corrompre et de débiliter par excellence – et en sont le plus affectées en Europe les classes ouvrières des pays où elles sont le plus concentrées, et les plus nombreuses, voire où elles ont des traditions révolutionnaires les plus fortes – Allemagne, France, Angleterre, Italie, etc. Enfin, ces articles sont produits avec toute la frénésie propre au capital développé à la chaîne. Si la matière première coûtait un bon prix, ou mieux si elle était transformée dans ses pays d’origine pour et par ses habitants, on ne pourrait pas créer tant de camelote inutile dans les métropoles – par exemple, l’automobile qui tourne en rond stérilement avant d’être mise au « cimetière des voitures ». Et le snobisme veut toujours la voiture du modèle de la dernière année, ce qui permet une rotation et un amortissement ultra-rapide du capital.

Pour faire ce gâchis, il faut que les forces productives, soient pléthoriques et elles aussi dévalorisées – ce qui implique une composition organique extrêmement élevée du capital. Les Européens n’y sont venus qu’après la guerre qui a dévalorisé une masse énorme d’installations productives. Les Russes et le bloc oriental ne sont pas encore à ce niveau. Pour y accéder, ces pays, dont l’industrie lourde est pléthorique, ont soif d’une crise énorme qui dévaloriserait massivement le capital constant et bouleverserait complètement la composition organique de leur capital social, c’est-à-dire la distribution et la répartition des capitaux entre les diverses branches de la production.

La demande « solvable » pour ces produits de la surproduction dégénérée du capitalisme sénile se forme [242] par de gigantesques transferts de richesse des classes productives aux classes parasitaires ; l’inflation en est le meilleur moyen - et le plus moderne.

Dans ses articles sur le Crédit Mobilier [25], Marx dénonce l’inflation comme source principale de transfert de plus-value par toutes sortes de spéculations pour stériliser le capital en le plaçant, par exemple, dans des constructions ou marchandises inutiles. C’est ce qui ressort aussi du passage que nous avons cité dans la première introduction : la participation momentanée du prolétariat aux miettes du festin bourgeois (produits de luxe), dans la phase de surchauffe, provoque une flambée supplémentaire des prix (p. 22), car l’exaspération de la consommation et de la demande solvable ne fait que susciter la surproduction elle n’éloigne donc pas la crise, au contraire.

L’inflation monétaire de la période de la prospérité croissante de cet après-guerre en Occident est indubitablement liée, pour une grande part, à l’éléphantiasis de la section II b. La preuve a contrario vient de l’Est, encore immergé dans le culte de l’industrie lourde. Une masse énorme de monnaie fluctuante reflète la valeur éphémère de ces marchandises créées inutilement ou pour être détruites. L’inflation systématique du capitalisme drogué a provoqué un renversement de l’évolution historique de la valeur monétaire des produits industriels. Ceux-ci épousent désormais l’allure des prix des moyens de subsistance qui vont aux ouvriers et sont en augmentation constante du fait de la rente qui les surcharge. Le mécanisme n’est pas nouveau, mais il ne s’appliquait jusque-là qu’aux seuls produits de la terre.

Nous avons vu qu’au siècle dernier, le pouvoir d’achat de la monnaie augmentait, tandis que les prix baissaient. Cela correspond au développement capitaliste normal, où les forces productives augmentent sans cesse, en multipliant pour une même valeur d’échange les valeurs d’usage produites, puisque [243] l’heure de travail devient toujours plus féconde. Cette évolution bénéfique pour tous ceux qui travaillent a été renversée... par la théorie du bien-être et la loi mercantile du capitalisme, selon laquelle il faut une demande « solvable » pour assurer l’écoulement de toute marchandise produite. L’économie politique sénile a sanctionné cette évolution dans sa théorie de la « formation des prix ». Les coûts de production doivent augmenter sans cesse, afin de créer les revenus pour résorber les produits. La préoccupation est claire : lutter contre la surproduction et l’engorgement du marché.

On ne calcule plus le prix de la masse produite, en divisant la somme du capital constant + salaire + profit moyen par le nombre des produits, ce qui faisait diminuer le prix lorsque le nombre d’articles produits devenait plus nombreux à coûts égaux par suite de l’accroissement de la productivité. Ce n’est plus la production, et ses facteurs, qui déterminent les prix, mais le marché. Dans le nouveau calcul, l’utilité de l’école marginaliste raillée par Engels [26] est confondue avec la valeur d’échange : la marge de l’excédent produit (la surproduction) est adaptée au prix pour lui assurer un débouché. En conséquence, les prix sont fixés en fonction de la consommation, du marché, et non par la production, les facteurs effectifs qui produisent. On invente alors mille raisons de créer ou d’augmenter certains revenus.

Si les rentiers justifiaient leurs revenus par le titre de propriété de la terre, les capitalistes le font en s’appuyant sur la propriété du capital constant [27], et les petits-bourgeois se mettent à exhiber mille titres nouveaux, dont la propriété intellectuelle, littéraire et industrielle, universitaire et professionnelle est la plus invoquée, et nous avons alors les experts en mille trucs, les années d’ancienneté, la hiérarchie avec les grilles de salaire plus élargies que jamais – 360 indices pour une même industrie - les zones et abattements de salaires, l’âge, le, sexe [244] qui fait des différences moyennes de salaire de 30% le gain se « personnalise ».

Les ouvriers qui font directement partie des facteurs ou coûts de production sont les plus lésés dans le nouveau partage ; cette création de revenu favorise – par définition – les secteurs improductifs (services, tertiaires, etc.) et autres parasites. En somme, on assigne, par d’énormes transferts gratuits, des montagnes de marchandises aux classes moyennes, afin de réaliser sur le marché la production pléthorique. Leur revenu augmente pour cette unique raison : le besoin de placer les marchandises de luxe que l’on produit frénétiquement.

Au fond, l’inflation des prix, suscitée et amplifiée par la pénurie dramatique des produits de première nécessité durant la dernière guerre, s’impose durablement avec la théorie du bien-être. En somme, rien n’est changé : le nécessaire est hors de prix. Mais si la camelote est bazardée d’abord à vil prix, à la fin – dans une nouvelle crise plus grave que jamais – elle coûte, elle aussi, de plus en plus cher, mettant un terme à toute cette merde.

La sous-consommation et l’art des profits[modifier le wikicode]

Au cours de cette crise, les économistes et les politiciens poussent à son comble l’art de combiner les profits maxima et la sous-consommation des masses. C’est proprement l’inflation croissante en pleine crise de surproduction qui permet ce petit jeu.

C’est l’industrie-clé de l’automobile qui a appliqué en virtuose le « remède » : pour faire face à la surproduction, elle a augmenté ses prix de plus de 50%, ce qui restreint fortement la « consommation », mais accroît considérablement son chiffre d’affaires, et donc ses profits. Ces messieurs se sont appropriés les, secrets du mécanisme de la rente dans l’acculture : [245] une légère pénurie est source de surprofits. Ils ont fait le calcul : 100 articles à 5 frs chacun donnent une recette de 500 frs ; mais une légère pénurie, artificiellement créée à l’époque des monopoles ou des ententes, avec 90 articles, fait monter le prix de chacun d’eux à 7 frs, soit une rentrée d’argent de 630 frs et un surprofit de 130 frs. Une suroffre de 110 articles ferait, en revanche, chuter le prix unitaire à 3 frs, avec une minable recette de 330 frs seulement. C’est ainsi que l’agriculture, à force de produire toujours moins d’aliments, réalise un chiffre d’affaires toujours plus gros. Comment les fabricants d’automobiles créent-ils une pénurie ? En vendant tous cher, tandis que le besoin d’autos est devenu « pressant », maintenant que les transports en commun pratiques ont été supprimés, que les domiciles ont été éparpillés dans la nature loin du centre des villes, du lieu de travail, des marchés, etc. Et le gouvernement donne son petit coup de pouce, en augmentant le prix du métro, des chemins de fer, etc. Il participera même à l’opération en faisant hausser le prix de l’essence, etc. L’expérience a montré que l’usager n’est pas prêt de renoncer à son auto : il préfère sacrifier des articles de consommation – les plus essentiels – pour satisfaire cette « priorité ». On peut donc y aller.

Marx lui-même explique ce mécanisme des surprofits fondé sur la sous-consommation. D’abord, dit-il, on mettrait fin à la folle « production pour la production » et la recherche frénétique des surprofits et rentes, si le travail nécessaire pour créer tel ou tel article était distribué rationnellement entre les diverses branches de la production conformément aux besoins de la société : « Si cette répartition était proportionnée, les produits des diverses branches seraient vendus à leur valeur ou à des prix qui sont obtenus à partir de ces valeurs ou de ces prix de production sous l’effet des lois générales. Nous entendons ici la loi de la valeur telle qu’elle régit, non point les marchandises [246] ou articles isolés, mais à chaque fois l’ensemble des produits de chaque branche particulière de la production sociale que la division du travail a rendue autonome. Cette loi de la valeur fait non seulement que l’on consacre à chaque marchandise particulière uniquement le temps de travail nécessaire, mais que l’on emploie encore dans les différentes branches uniquement la proportion nécessaire de l’ensemble du temps de travail social [28]. »

Tout le mouvement de la société capitaliste tend en fait à contourner la loi de la valeur et de la production proportionnée, en produisant non pour les besoins, mais pour la production. On surproduit pour accroître la masse de profits. Et on vend même le plus cher possible en vue d’augmenter le taux du profit. Dans sa lettre à Engels du 22-IV1868, Marx explique ainsi que le taux de profit peut hausser avec la dépréciation de l’argent (inflation) dans une mesure qui dépend du volume relatif des branches particulières de la production.

À partir de ces prémisses sur la production proportionnée aux besoins et au travail nécessaire employé à chaque fois, Marx explique que tout l’excédent sur la quantité déterminée qui satisfait le besoin social, est dévalorisé : « La totalité des tissus ne se vendra que s’ils avaient été produits dans la proportion nécessaire. » Cela a aussi pour corollaire que si le tissu est produit au-dessous des besoins de la société, le mécanisme mercantile fait qu’il se vendra au-dessus de sa valeur, un transfert de valeur (argent, richesse ou capital) s’opérant des autres branches au bénéfice de celle qui ne satisfait pas toute la demande. L’exemple classique en est l’agriculture, dont les conditions particulières empêchent la péréquation des profits et s’opposent à la concurrence qui fait baisser les prix quand la production augmente. Comme la production agricole n’est pas proportionnée aux besoins, « la valeur des marchandises produites par le capital dans [247] l’agriculture se trouve par définition au-dessus de leur prix de production (de leur valeur), d’où la rente qui est l’excédent de valeur sur le prix de production 127 ».

Le capitalisme sénile drogué s’efforce de transférer à l’industrie aussi le parasitisme de l’agriculture. Toute branche de la production qui est en retard sur les autres, qui n’arrive pas – Ou ne tient pas, grâce à un monopole ou protection – à satisfaire les besoins de la société, touche une prime, voit une partie du profit ou capital des, autres branches transférée chez elle. Dans ces conditions, qui n’organiserait pas, avec tous les moyens dont il dispose, la sous-consommation dans le secteur des biens qu’il fabrique ? Pour y parvenir, il suffit d’arriver au monopole ou de former un cartel, une association et une entente en vue d’escroquer une rente ou des subventions à l’État ou à la C.E.E., etc., etc. - et nous savons que tout capitaliste moderne se débrouille pour en bénéficier et il trouve la complicité de l’État. On développe alors chez soi la sous-consommation, source de hauts profits.

Mais on pourrait penser que les capitalistes ne peuvent pas tous utiliser cette méthode, ne serait-ce que parce qu’il n’y aurait plus de transfert de surprofits à l’avantage des uns et au détriment des autres. C’est oublier que nous sommes dans une société de classe, où ces transferts s’opèrent, non aux dépens des capitalistes de quelque section que ce soit, mais de la masse énorme des travailleurs. Autrement dit, le transfert ne s’effectue pas de capital à capital, mais de salaire à capital. Et cette « politique économique » se fait de plus en plus actuelle, à mesure que nous nous enfonçons dans, la crise où le taux de profit est au plus bas et où le capital tend à grignoter les salaires pour maintenir un profit pour lui. C’est le couronnement de l’inflation, c’est tout le sens de la politique actuelle de Barre qui donne aux entreprises la liberté de fixer leurs prix de vente (de puiser dans la poche des autres).

[248]

Mais objectera-t-on, sous-consommation signifie sous-production.

Ce serait vrai, si la production de la société tout entière formait une seule et même branche. Or, la société capitaliste - surtout si elle est sénile, donc concentrée et organisée –peut fort bien sous-produire en vue de faire sous-consommer les masses et faire d’énormes profits grâce à ce déséquilibre tout en surproduisant follement dans toutes les autres branches de la production : l’armement, l’industrie lourde, la production de luxe, dont les prix peuvent être abordables aux hauts salaires. On a, ainsi, côte à côte, sous-consommation et surproduction, ces deux frères siamois de la société mercantile du capital. De fait, plus la sous-consommation sera forte ici, plus la surproduction sera énorme là. Mais qui financera cette énorme surproduction ? Le truc est tout simple, ce seront les richesses enlevées aux masses, dont on tire des surprofits en ne satisfaisant pas leurs besoins les plus fondamentaux (moyens de subsistance). Le capital y gagne doublement : il fait des surprofits dans les branches où il sous-satisfait la demande urgente des masses, et il peut développer ses affaires dans les branches où il surproduit pour le capital et ses laquais et où sont dépensés les surprofits faits dans la section des moyens de susbsistance : il crée ainsi une demande artificielle pour des articles inutiles, voire nocifs. On arrive alors au paroxysme du déséquilibre, de l’opposition entre surproduction (du capital) et sous-consommation (des masses).

On aurait pu penser que le capital pourrait tenter d’accroître ses profits, en diminuant les dépenses improductives ou la consommation stérile des classes moyennes dont la seule fonction est de consommer.

Mais cela suppose que le capital cesse de susciter l’inflation et d’augmenter encore la production, voire la surproduction, pour se lancer dans la déflation en assainissant l’économie. Or nous sommes en capitalisme drogué, définitivement drogué – et si le capital [249] éliminait les secteurs improductifs, inutiles, parasitaires, voire nocifs, il se dégonflerait complètement ; des pans entiers de la production s’effondreraient les uns après les autres, comme dans les crises décrites par Marx. Des millions de salariés improductifs, de luxe, de guerre, etc. seraient sans pain, ni voiture, ni pointes Bic : ce serait la cascade des fermetures non pas seulement d’entreprises, mais de branches entières de la production. Cela n’arrivera pas, car le capitalisme drogué débouche hagard dans la guerre. Le cancer du capital est donc condamné à grossir encore, et le cadavre de cheminer, sur les forces vitales du travailleur productif qui sera sucé jusqu’à ce qu’il s’insurge contre l’ignoble capitalisme. C’est toujours lui qui paie. Il n’y a donc plus de limites à la perversion de la production qui satisfait les besoins factices avec ses drogues et ses marchandises rutilantes, mais inutiles, avant le besoin fondamental de la vie : surproduction égale sous-consommation.

Théorie du capitalisme drogué[modifier le wikicode]

Avant d’expliquer – par Marx – le mécanisme et la théorie de ce que nous avons appelé le CAPITALISME DROGUÉ, considérons quelles en sont les principales manifestations. Nous avons le coût croissant des facteurs de production, les interventions massives de l’État et de l’impérialisme dans les rapports économiques, le gouvernement gigantesque, les dépenses improductives, la gabegie bureaucratique, la spéculation immobilière parasitaire, l’économie du bienêtre frelaté et du gaspillage, la folle déprédation des richesses de la nature, les fluctuations désastreuses du prix des matières premières, la dégradation ou minéralisation croissante de la production et de la consommation, l’éléphantiasis des dépenses militaires, les énormes destructions de capital par les guerres incessantes, le gonflement [250] monstrueux des secteurs inutiles de la pacotille de ce que l’on appelle la société de consommation, etc. etc.

Le comble, c’est que tout cela est présenté comme la prospérité~ et la marque d’une société de progrès. Une telle mystification ne peut être faite qu’aux dépens d’une humanité bafouée et droguée.

Pour expliquer ce renversement effarant de toutes les lois de l’économie et de la vie ainsi que la perte de toute sensibilité aux écarts ou dévoiements de la production, il faut abandonner le terrain bourgeois, et partir du point de vue purement marxiste.

Il nous faut faire ici une longue digression pour expliquer le mécanisme économique par lequel le capitalisme sénile est devenu homicide et destructeur non seulement des richesses produites qu’il dévalorise et jette au rebut pour pouvoir recommencer un nouveau cycle de production, mais encore destructeur de la nature et des réserves de matières premières accumulées pendant des millénaires. Nous sommes ici au centre de la question : en raison des gigantesques forces productives accumulées, la crise catastrophique et la rage de destruction font désormais partie intégrante du capital lui-même.

Ricardo est incapable d’expliquer en quoi que ce soit les entorses modernes à l’économie classique, car implicitement son système les renferme. Cependant il était cohérent sur un point : il défendait avec acharnement tout ce qui favorisait la production et considérait comme un crime contre l’accumulation croissante du capital ce qui est devenu vertu pour l’économie droguée et dégénérée d’aujourd’hui : la destruction massive de richesses déjà produites en vue de détourner des capitaux du procès de reproduction qui s’élargit progressivement, en faisant une affaire de la dévalorisation et du gaspillage de capital.

Ce qui pousse inéluctablement les bourgeois à cette pratique diabolique, c’est la baisse du taux de profit [251] contre laquelle ils n’ont d’autre remède que la stérilisation ou la destruction du capital pléthorique de nos jours.

Aux yeux de Marx, le taux de profit détermine en effet : 1. la croissance du capitalisme (c’en est aussi la mesure) et 2. la vie ou la mort des capitaux particuliers. Il en règle les rapports quantitatifs Qu’un achetant chez l’autre le capital constant ou les moyens de subsistance), donc le degré de sa force en même temps que sa capacité plus ou moins grande de se reproduire et de s’imposer dans la concurrence universelle. Pour ce qui est du capital global, général – par exemple, le capital qui est nationalisé –, il s’en soucie moins, il lui suffit de survivre : « Le taux de profit, c’est-à-dire l’accroissement proportionnel de capital, est essentiel à tous les nouveaux surgeons de capitaux qui se regroupent de manière autonome [et doivent pouvoir, à leur tour, se valoriser, c’est-à-dire produire avec profit N. de Tr.]. Or, si la formation de capital devenait le monopole exclusif d’un petit nombre de capitaux déjà établis, pour lesquels la masse du profit compense son taux, le feu vivifiant de la production s’éteindrait ment [29]. »

Le taux de profit est un étalon d’autant plus coercitif pour l’entreprise particulière qu’elle est de petite dimension et que les échanges se font entre capitaux concurrents, nombreux, qui sont soumis le plus rigoureusement à toutes les nécessités de la loi bourgeoise du profit privé. Il y a compensation et nivellement des gains et pertes, quand le capital est concentré, l’un de ses secteurs ou départements d’activité pouvant faire du profit et l’autre non. Le besoin de calculer les rapports entre profit et capital à avancer se fait moins pressant pour les éléments particuliers, bien qu’il subsiste toujours pour l’unité globale qui doit se reproduire avec profit : la masse compense ici le mieux le taux de profit. L’État est le moyen par excellence de compenser les pertes de l’un par les gains [252] de l’autre. Il est capable même, quand le taux de profit tend à zéro, de prélever de la valeur sur le capital variable pour en faire du profit – par le moyen de l’impôt, de la taxation des prix, de la politique de hausse des prix alimentaires, qui grèvent les salaires, et par son moyen préféré : l’inflation et le crédit. Représentant la confiance de tous en l’avenir de l’économie nationale, l’État peut avancer du capital fictif qui ne deviendra réel qu’au moment où il se sera assigné une production déterminée, surgie dans l’intervalle.

Le capital s’aperçoit qu’il pourrait fort bien fonctionner en dépit des lois d’appropriation privée, qu’il reprend à son compte uniquement pour justifier que le capital s’approprie tout le produit créé par l’ouvrier salarié. Il dispose alors des meilleurs moyens pour hausser le taux de profit, en dévalorisant même le capital constant par rapport auquel le taux de profit se détermine pour bonne part. Un premier moyen est de mettre en veilleuse, voire d’éteindre les parties du capital social qui ne donnent pas de profit – les autres travailleront à leur place. L’ensemble n’y perd rien, bien que des masses considérables de capital constant (installations productives, machines, etc.) soient anéanties dans l’opération.

Le capital applique alors à une échelle colossale la loi que le marxisme met en relief : le capital ne peut se valoriser (se reproduire en faisant des profits) qu’en se dévalorisant de plus en plus. Cette loi implique cette autre : ce n’est pas le capital constant, (les installations productives, les machines, les matières premières, la technologie, etc.) qui crée la moindre parcelle de valeur, c’est seulement et uniquement le capital variable, le travail de l’ouvrier. De cette constatation pratique, l’économie vulgaire de cet après-guerre a tiré une conclusion vicieuse qui montre à l’évidence que le capitalisme est en crise violente et dégénérative : pour que le travail produise frénétiquement, il [253] faut dévaloriser – anéantir au plan de la valeur – toutes les richesses déjà produites, celles-ci pouvant limiter le terrain de demande.

L’économie vulgaire bourgeoise repose sur l’hypothèse selon laquelle la propriété du capital constant donne droit à tout le produit [30] (y compris le capital variable que l’ouvrier doit acheter, – en vendant de nouveau sa force de travail). Ce n’est pas une loi abstraite de l’économie, ce sont les rapports de classe, qui expliquent que l’ouvrier produit tout et le capital possède tout. Ces rapports sociaux sont nés avec la prétendue accumulation primitive qui, en fait, a arraché au producteur ses moyens de production devenus la propriété juridique d’autrui. Une fois que l’ouvrier est dépouillé de tous ses instruments de travail, il suffit de lui donner simplement des moyens de subsistance pour qu’il travaille autant que l’exige le capitaliste auquel il vend sa force de travail pour pouvoir manger : dès lors le produit tout entier appartient au capital. La propriété bourgeoise repose fondamentalement sur l’expropriation et dérive de la faim et des besoins physiologiques incoercibles qu’éprouve l’organisme de l’ouvrier la richesse se fonde sur la misère.

Voilà comment le capitaliste « avance », par exemple, la partie constante. Historiquement, le capital constant (machines, etc.) est le produit du travail de l’ouvrier, et économiquement l’ouvrier crée à chaque fois dans le procès de travail la valeur de la partie constante usée qui se trouve dans le produit que le capitaliste s’approprie gratuitement. En fait, cette partie constante est détruite au cours du procès de production par le travail de l’ouvrier et donc réduite à zéro, et il la reproduit gratuitement pour son patron. En un mot, dans le procès de production, l’ouvrier doit créer de nouveau toute la valeur avancée, en y ajoutant le profit ou travail non payé : « Le capitaliste obtient gratuitement le surtravail ainsi que la conservation de la valeur des [254] matières premières et des instruments. En ajoutant une valeur nouvelle à l’ancienne, le travail conserve et éternise le capital [31]. »

Et Marx de conclure : « L’ouvrier non seulement ne sort pas plus riche du procès de production, mais en sort plus pauvre qu’il n’y est entré : Il n’a pas seulement réalisé les conditions pour que le travail nécessaire appartienne au capital, mais la possibilité, subsistant dans [les forces physiques de] l’ouvrier, de créer de la valeur existe maintenant dans la valeur additionnelle, le surproduit, bref dans le capital qui domine, la force de travail de l’ouvrier. Il n’a pas seulement produit la richesse pour autrui et le dénuement pour lui-même, mais encore le rapport de cette richesse à la pauvreté de l’ouvrier » (t. 2, p. 271). En effet, il se trouve sans moyens de subsistance qu’il a consommés pendant qu’il travaillait et, s’il en veut de nouveaux, il est obligé de recommencer à produire pour le capital. Par conséquent :

« En s’appropriant le travail présent, le capitaliste détient déjà une assignation sur le travail futur » (p. 159). Or, qu’est-ce que cette assignation sur le travail futur du prolétariat ou ce droit permanent de soustraction du produit à l’ouvrier qui l’a créé ? C’est, en somme, Sa Majesté le Capital en action. Il suffit qu’il se présente comme de l’argent que n’importe quelle banque peut fabriquer avec le crédit : « Pour autant qu’elle existe pour elle-même, la plus-value – l’excédent du travail matérialisé – est de l’argent. Mais cet argent est en soi déjà du capital et, en tant que tel, assignation sur du travail nouveau (qu’il achète). À ce niveau, le capital n’entre plus seulement en rapport avec le travail existant, mais encore avec le travail futur... Pour repr6senter une telle assignation, son existence matérielle d’argent est indifférente et peut être remplacée par n’importe quel autre titre ou papier. À l’instar du créancier de l’Etat, chaque capitaliste possède, dans sa valeur nouvellement acquise, une assignation sur du [255] travail, futur : en s’appropriant le travail présent, il s’approprie le travail futur » (ibid., p. 162).

C’est là, poursuit Marx, tout le fondement du système du crédit. Ainsi l’inflation – et, avec elle, la « drogue » pour doper le capital et la consommation – se glisse dans le procès de production lui-même et provoque une surproduction monstrueuse. Elle crée des assignations sur un produit de plus en plus lointain, de plus en plus inutile, voire nocif, en engageant des travaux dès à présent et en accroissant au maximum la tension de la force ouvrière.

L’économie bourgeoise fait dériver le profit du capital constant qui est là, mais ne peut se mouvoir, voire irait au diable si le travail de l’ouvrier ne le conservait pas. L’économie marxiste, au contraire, fait découler le profit du seul capital variable, travail vivant En effet, le travail est la seule source et mesure de la valeur. C’est pourquoi, Marx pose la valeur du capital constant comme égal à zéro - et ce, sans que le capitalisme n’en meure, au contraire. Cette hypothèse scientifique pour analyser les lois réelles du capital est une opération courante dans l’analyse mathématique de toutes les questions où jouent des grandeurs variables. La partie constante et fixe du capital n’a jamais créé de valeur. A ses débuts, le capitalisme admettait - avec la loi de la valeur - que la force de travail la créait et l’heure de ce travail lui servait de mesure [32]. Les machines et la matière première n’avaient de valeur que pour autant que du travail vivant y était incorporé, car la matière naturelle dont on fait les machines est gratuite, sans valeur.

Dans la matière première ou dans le ter semi-élaboré, par exemple, l’ouvrier ne fait que greffer son travail sur le travail humain précédemment incorporé. Entre deux applications de ce travail nouveau, l’ancien travail d’extraction, puis celui du transport de la matière première sont devenus du travail mort, dévalorisé. En effet, sans cet apport nouveau de l’ouvrier qui le ressuscite par un double travail [256] – d’animation qui le reproduit, selon l’expression de Marx, puis d’adjonction d’un travail nouveau – il n’aurait ni valeur d’échange ni même de valeur d’usage : Que faire de la ferraille, si l’on a besoin d’un poêle ? Par exemple : « le travail du tissage conserve l’utilité. Le travail sous forme de produit, ou la valeur d’usage de ce produit du travail, se conserve du fait que la matière première subit un travail nouveau et devient l’objet du travail vivant utile » (p. 156). Selon l’expression de Marx, le travail de l’homme vivifie le travail mort : « Dans le procès de production, le travail vivant fait de l’instrument, et de la matière le corps de son âme et les éveille d’entre les morts » (p. 159). En somme. « La matière du travail se conserve sous une forme déterminée en étant transformée et soumise à la finalité du travail. Le travail est un feu vivant qui façonne la matière. Il est ce qu’il y a de périssable et de temporel en elle, c’est le façonnage de l’objet par le temps vivant » (p. 154).

Cette hypothèse du capital constant égal à zéro s’applique directement à l’actuelle réalité du capitalisme d’État. C’est alors que toute la mécanique de l’extorsion du Profit capitaliste est sur pied, voire s’emballe. L’entrepreneur n’a plus la charge juridique du patrimoine de l’entreprise : nous avons Volkswagen à la Hitler et à la Schmidt ou Renault dans sa forme d’après-guerre. Point n’est besoin d’un capitaliste propriétaire du capital constant ou de l’usine, pour qu’il y ait entreprise. Il suffit que l’ouvrier doive se vendre – et n’importe quel imbécile peut lui donner accès à l’usine, dont la propriété, si elle est impersonnelle, n’en crée que mieux des richesses. En effet, l’entreprise atteint ses meilleurs rendements, précisément lorsque le capitaliste n’a plus à se casser la tête pour préserver le capital constant dans ses biens. À la fin du capitalisme, les capitalistes privés sont déjà expropriés - et l’ouvrier, trahi par ses organisations, n’a pas encore pris possession des moyens de production.

[257]

Le fait que le capital constant est ramené à zéro s’impose même aux statisticiens bourgeois. Le revenu national, la masse du capital, ce sont les marchandises produites en un an, bref rien d’autre que de la valeur ajoutée en un an par le travail. ,

Mais, dira-t-on, il faut bien produire les matières premières et les machines ! Certes, mais il ne faut pas leur attribuer une double valeur : une fois qu’elles sont produites, et une nouvelle fois quand elles sont usées. Comme le dit l’étude sur la Méthodologie, publiée par les Etudes Statistiques, n°3 de 1962 : « Retenir la valeur de l’équipement au stade de sa fabrication et de nouveau par le biais de l’amortissement, c’est créer des doubles emplois. C’est pour éviter cet inconvénient que pour construire l’indice français on retient en définitive la valeur ajoutée nette au. coût des facteurs » (p. 244).

Cependant, le système adopté depuis 1962 en France pour calculer ses indices de la production est celui de la valeur ajoutée brute du reste de l’Europe. En calculant deux fois le même équipement, etc., on gonfle évidemment les indices de croissance de la production au moment où ils tendent de plus en plus à baisser dramatiquement. Pour faire son apologie, l’économie bourgeoise ne peut que devenir de plus en plus vulgaire !

Homicide des morts[modifier le wikicode]

En posant systématiquement le capital constant à égalité avec zéro, le capitalisme moderne devient l’économie des désastres et de la ruine qui caractérisent l’étape de l’impérialisme. Les cataclysmes s’abattent d’abord sur l’homme qui travaille et la nature qui crée. Eux-mêmes sont pressurés comme des citrons, tandis que leur produit se dévalorise au plus vite : il est consommé ou gaspillé, voire purement et simplement anéanti – et l’ouvrier famélique et la terre épuisée sont relancés dans une nouvelle production, absurde et [258] insensée, qui minéralise de plus en plus notre monde, voire qui fabrique la bombe pour le détruire. Comment ce cercle vicieux de la production et de la reproduction serait-il possible, si la loi fondamentale de l’économie ne dictait pas à une humanité (dont le seul instinct est d’avoir au lieu de vivre et se développer en créant) que les richesses produites hier ne doivent plus avoir de valeur aujourd’hui pour que les ouvriers et la ‘terre puissent reproduire demain le maximum de valeurs nouvelles. D’où le vrai sens du plein emploi et des horaires de travail à n’en plus finir... en pleine prospérité. Ce cercle vicieux prépare la crise catastrophique.

Le capital pratique – selon la formule de notre parti – l’homicide des morts[33]. Le capital fixe, créé par toute l’humanité passée – depuis les installations productives aux procédés de fabrication et à là fécondité incorporée à la terre par des races zélées de cultivateurs grâce à une culture intensive sur une terre limitée –est dévalorisé même s’il peut encore fonctionner utilement. La seule raison en est qu’il faut faire place nette à une nouvelle valorisation maximale en exploitant frénétiquement la terre et le travailleur. Selon l’expression bourgeoise, le capital doit s’amortir le plus rapidement possible.

L’expression Homicide des Morts peut être interprétée platement au sens où les morts sont enterrés définitivement – ce qui ne fait de mal à personne. En fait, les morts des générations passées continuent de vivre dans le travail, les produits, les arts, la science, la technique, la terre améliorée qu’ils nous ont transmise, etc., etc. – et c’est cette vie là de l’humanité passée que le Capital assassine, en n’attribuant de valeur qu’à l’immédiat.

Au lieu que les forces productives, créées laborieusement dans le passé, aident et appuient le travail vivant d’aujourd’hui, on les détruit autant que faire se peut pour créer de la valeur nouvelle en la plus grande quantité possible : le capital tue ainsi toute l’humanité active du passé et empêche son travail de continuer à [259] vivre et à se développer encore par une jonction féconde avec celui des ouvriers d’aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle le capital ne peut enrichir la terre et la transmettre plus fructueuse aux générations futures, en réduisant au minimum l’effort du travail actuel – seul moyen pour ne pas surproduire. Il ne peut que l’exploiter au maximum pour faire la plus grande masse de profits possibles aujourd’hui même – et ce, de plus en plus frénétiquement à mesure que baisse le taux de profit.

L’effet s’en observe le mieux dans les cataclysmes naturels qui s’abattent périodiquement sur le monde. L’économie de catastrophe du capital, s’avère impuissante à y remédier efficacement pour une solution organique. Elle ne peut trouver de réponse que dans la frénésie des rythmes de travail actuels. Un glissement de terrain à la suite d’une trombe d’eau, par exemple, ne trouve pas de solution rationnelle avec les camions, les tuyaux, les pompes hydrauliques et les pelleteuses mécaniques, etc., qui remettent la terre à sa place. Toutes les opérations productivistes sont plus ou moins destructives de la nature : l’eau entre d’un côté et s’échappe de l’autre. Il faut rétablir l’équilibre - marier l’eau et la, terre - avec des procédés naturels qui exigent des dizaines, voire des centaines d’années. C’est dire que le capital ne peut s’y amortir.

Le problème est insurmontable en économie capitaliste. S’il s’agissait d’un plan en vue de doter le Pentagone de l’armement de cent divisions nouvelles, la solution serait facile : Il s’agit d’opérations de cycle bref. La commande de dix mille chars est l’affaire d’un an, et non de cent, et l’État s’arrange toujours pour trouver - dans les impôts ou l’inflation - de quoi payer, puisque tout bon citoyen adore extraire dix francs de sa poche pour arriver à la fin du mois à « soutirer un franc à l’administration ». L’État intervient, et on fait marcher la fibre patriotique ou – ce [260] qui revient au même - la défense du haut revenu de la nation, donc du citoyen moyen, pour payer cette marchandise qui, dans l’immédiat, est moins meurtrière que l’automobile privée. On a créé pour cela le pool du charbon et de l’acier. Et puis la production des chars peut être planifiée, rationalisée, systématisée avec des procédés à la chaîne d’une folle productivité, alors que la sublime science de l’ère bourgeoise ne réussit pas à provoquer en série, comme les bombardements et guerres organisés, des glissements de terrains et des alluvions. Le capital ne peut y appliquer à la chaîne sa production droguée, dont les indices gonflent au fur et à mesure et pour de longues années, avec de riches assignations sur le futur. Car ce qu’il faudrait c’est une lente et séculaire transmission de forces passées au travail présent, l’œuvre de générations entières sans folle accélération, au contraire, les fruits naturels du travail des morts étant tutélaire du travail des vivants. Ce dont il s’agit, c’est du procès de la vie des hommes qui n’a pas de prix, et de son rythme le plus lent possible de production, et non de sa dépense maximale, comme dans la frénésie productiviste, avec ce que Marx appelle la soif ardente (Heisshunger) de travail vivant.

La drogue de la consommation et du luxe[modifier le wikicode]

Dès lors que les massacres et la destruction font partie des affaires et constituent un formidable débouché à la surproduction chronique et croissante, on en arrive –- et cela n’a rien de paradoxal – à la société de consommation. À côté du grand « remède » militaire d’anéantir les forces productives, il y a le moyen, sans doute encore plus efficace, de dissiper au fur et à mesure le produit des forces productives, trop dangereusement développées pour la survie du capital, grâce au gaspillage, à la dilapidation, afin de tenir la [261] demande en harmonie avec la pléthorique production. Ce que la société de consommation exprime en premier, c’est qu’il faut liquider ce qui vient d’être produit pour que l’exploitation frénétique du travail se poursuive : la montagne de marchandises d’aujourd’hui ne doit pas faire obstacle à celle de demain, etc.

Il faut consommer, non pas au wu du prolétariat productif qui mange pour produire plus, puisque son organisme, comme la nature vivante, croit et crée, contrairement aux matières et instruments qui, en eux-mêmes, sont inertes. On consomme au sens de l’idéologie dominante d’une bourgeoisie devenue rentière pour laquelle consommer le produit, c’est l’avaler et le fourrer dans la poubelle de l’individu viveur, c’est en somme le détruire. Et devenant purement consommatrice, l’économie capitaliste montre qu’elle gère la catastrophe. Or, de nos jours, celle-ci est partout. Il s’agit de planifier les faillites des entreprises, voire la banqueroute d’industries entières. Le prétexte en est même de rationaliser et de concentrer » les forces productives. Ainsi, lorsque le pétrole s’est substitué au charbon dans les années 1960, il s’en est suivi la ruine de la moitié d’un pays –, la Wallonie – qui vivait et prospérait jusque-là sur le charbon, qui était utile avant comme après et animait toutes les autres industries du pays ; le centre industriel nouveau fut transféré dans l’autre partie, la Flandre où la main-d’œuvre est moins chère et donne donc une marge supérieure de profit[34].

Le modèle de la société de consommation ne se distingue guère de celui de l’économie de guerre. Il faut faire marcher à toute force la production, en exploitant frénétiquement le travail humain avec une portion congrue pour le prolétariat productif et grasse – à vous en écœurer – à l’industrie lourde ou au luxe. Le Dr. Schacht avait à redresser un pays ravagé par la catastrophe de la guerre, Staline une production [262] ruinée par la guerre civile, et Keynes une économie frappée de la surproduction chronique.

Lorsqu’un monstre capitaliste – comme l’américain – a accumulé, en pleine guerre de destruction de la surproduction mondiale, aux dépens de l’économie des plus faibles que lui, la moitié du capital productif de la terre entière, qu’il s’est armé jusqu’aux dents pour préparer le massacre suivant, qu’il a déversé son excédent de capital sur tous les autres pays capitalistes – que lui reste-t-il à faire pour ne pas étouffer encore et toujours sous la masse de sa propre production ? Il lui faut trouver un truc qui détruise les capitaux et les empêche de fructifier, en supprimant dans l’œuf la surproduction. Il met encore plus d’ouvriers productifs au chômage... en les occupant à faire des articles vains et inutiles, de « jouissance [35] ». Le remède est vieux – et Marx le citait déjà dam le Capital : développer l’industrie de luxe, en dilapidant le, produit créé par l’ouvrier, au lieu de le réinvestir dans la production et la gonfler encore.

Les méthodes capitalistes deviennent ici carrément criminelles. En effet, l’humanité a besoin de toutes ses forces productives pour vivre, et celles qui sont dépensées inutilement dans les métropoles surdéveloppées pour résoudre leurs problèmes de surproduction, sont enlevées aux pays où les hommes ont faim et se multiplient d’autant plus rapidement que leur misère est atroce : la masse sans cesse croissante de la misère à un pôle de la société est tout naturellement liée à la concentration de plus en plus monstrueuse des richesses à l’autre pôle.

Or là, on détruit purement et simplement la richesse, et plus encore par les principes du « bien-être » que par l’industrie de l’armement – si l’on peut dire. Engels expliquait en son temps de capitalisme non dégénéré, que la surpopulation, la masse de misère ou la sousconsommation correspondait exactement à la masse de la surproduction, mais il notait qu’avec l’essor du capitalisme la [263] surproduction portait sur des marchandises de moins en moins capables de satisfaire les besoins de l’humanité et, donc de la surpopulation de miséreux qui sous-consomment. Aujourd’hui, le capitalisme est dégénéré et corrompu, voire anti-social et criminel, parce qu’il surproduit des masses de marchandises parfaitement impropres à la consommation humaine, de sorte qu’il ne sera pas possible de déplacer demain les richesses en excédent pour couvrir l’excès de misère – et la perspective devient sombre, car même la révolution ne pourra rétablir l’équilibre avant très longtemps en dépit du fait que les forces productives sont extraordinairement développées. Lester Brown, « grand commis du Capital américain, enregistre froidement maintenant qu’un million d’humains puissent mourir de misère chaque année dans la seule Inde, et la seule France dispose de plus de tracteurs que toute l’Asie et dilapide les forces productives à fabriquer des millions de véhicules à moteur pour les automobilistes.

Moyens de subsistance et industries de mort[modifier le wikicode]

La priorité accordée aux revenus et aux productions allant au Capital et à ses créatures sur les revenus et subsistances allant aux ouvriers exploités se déduit dé l’ensemble des rapports sociaux et économiques bourgeois.

Dans les Théories sur la plus-value, Marx souligne le sens de classe de ces transferts de richesses qui dépassent les plus folles entreprises spéculatives des banques : « L’anticipation du futur – si elle se réalise, – se fait uniquement aux dépens des producteurs de richesse, c’est-à-dire de l’ouvrier et de la terre. C’est là seulement que l’avenir peut effectivement être anticipé et compromis par des, efforts excessifs et par l’épuisement avec ses ravages, en troublant le métabolisme entre dépenses et recettes... Toute la sagesse des hommes d’Etat débouche sur un gigantesque [264] transfert de propriété d’une classe de personnes à une autre, en créant un énorme fonds pour financer les spéculations et les escroqueries [36]. »

« Il faut recourir, dit Marx, à des MOYENS ARTIFICIELS. Ils consistent en de lourds impôts, des dépenses pour toutes sortes de postes de sinécure dans l’État et l’Église, de grosses armées, des pensionnés, des dîmes pour les curés, une dette publique considérable [source de dépréciation de la monnaie N. d. Tr.] et, de temps en temps, des GUERRES ruineuses » (ibid., p. 45).

Voyons rapidement quel est le mécanisme de ces transferts de richesse. Selon Marx, les ouvriers qui produisent les moyens de subsistance sont doublement exploités : leurs heures non payées donnent un surprofit, une rente outre la plus-value normale, et avec leur salaire, ils paient les aliments (et logement) plus chers que les articles industriels qui sont exempts de la redevance d’une rente pour le sol. Les capitalistes et les rentiers tirent de cette première sphère de la production une première source de revenus (profit normal plus rente) qui sont soustraits à la production et à la consommation de subsistance et vont aux produits de luxe pour la plus grande part [37]. Mais ce n’est pas tout. Il se trouve que les ouvriers produisant les moyens de subsistance sont la source de toutes les autres sections de la production sociale, parce qu’ils fournissent les moyens de mettre en action tous les autres ouvriers, ceux de la production des moyens de production aussi bien que des articles de luxe. Les ouvriers de ces deux sphères de la production sociale créent certes des richesses, mais il suffit de les approvisionner en moyens de subsistance, pour que les capitalistes disposent de leurs produits. En d’autres termes, les heures de travail payées aux ouvriers de ces deux autres sections leur permettent de payer leurs moyens de subsistance, tandis que leurs heures non payées servent à créer une demande solvable supplémentaire au profit des capitalistes pour des productions souvent accessoires, voire inutiles.

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On peut dire, en conséquence, que les ouvriers improductifs des secteurs de luxe comme ceux de l’armement font du surtravail, de la plus-value, mais leur produit – contrairement aux moyens de subsistance on aux machines fabriquées dans les autres sections de la production sociale – ne retourne plus dans le cycle ultérieur de la reproduction – c’est du luxe, du travail inutile, du gaspillage de forces de travail autant que de matières naturelles. L’automobile, par exemple, est pire que les armes. On en fabrique bien plus, et les armes servent au moins à résorber la surproduction lorsque la crise sera devenue générale et qu’une guerre sera nécessaire pour détruire l’excédent produit, afin de pouvoir redémarrer un nouveau cycle – sans parler de ce que les prolétaires, qui auront enfin compris, pourront les retourner contre leur bourgeois, afin de briser une fois pour toutes le cercle vicieux de l’économie capitaliste en putréfaction.

Si nous voulons compléter la liste des revenus grâce auxquels les bourgeois et leur appendice sous-bourgeois des classes moyennes dévient la production de la satisfaction des sains besoins élémentaires de l’humanité pour satisfaire des caprices le plus souvent vicieux et bestiaux, nous devons nous tourner vers les pays dépendants qui sont vidés de leur substance par l’impérialisme des métropoles blanches. Nous y trouvons un bon exemple de transfert de revenus au bénéfice des classes stériles ou improductives.

Les chiffres donnés par les statistiques des prix confirment, eux aussi, que c’est uniquement la valeur ajoutée (travail) qui crée des revenus et établit les coûts de production, donc la valeur des produits. Or de par la concentration historique de l’industrie dans les pays blancs, les nations développées se sont arrogé le monopole de la distribution et de l’appropriation de la valeur ajoutée. En créant le pouvoir d’achat, cette valeur ajoutée (raflée aux pays dépendants) suscite aussi le marché qui sert de but et de débouché non seulement [266] aux matières premières destinées à l’industrie, mais encore aux productions vivrières, commercialisées par les pays de couleur. Dans ces conditions, la dispersion et l’anarchie de la production jouent aux dépens des continents de couleur, tandis que la centralisation – avec les bourses marchandes qui fixent les prix – bénéficie à l’impérialisme blanc. En conséquence, les pays développés peuvent établir un « barème » qui permet aux prix d’augmenter quand ils exportent, et de baisser quand ils importent. Quelques exemples permettront de mieux saisir le mécanisme grâce auquel l’impérialisme ôte le pain de la bouche du plus grand nombre pour le fourrer dans les poubelles de la surproduction des grandes métropoles, Les matières premières sont pratiquement gratuites ou, comme on le voit, payées symboliquement – pour masquer le pillage. De 1954-55 à 1965-66, bien que la production de cacao au Ghana et au Nigéria ait triplé, passant de 290 000 t à 900 000, les deux pays n’en ont retiré que 117 millions de Lst. contre 125 millions. Ce qui compte c’est la valeur ajoutée pour créer le produit aussi bien que des revenus. Or le travail ajouté par les peuples de couleur est dérisoire. Il ne fait que masquer le pillage qui augmente à mesure que se développe la production mercantile et monétaire. En 1974, Sam Cole indiquait que la matière première n’intervient pratiquement pour rien dans le prix de revient des produits finis : « une tonne de minerai de fer coûte 12 dollars, tandis qu’une tonne de fer revient à environ 700 dollars ; pour le bauxite et l’aluminium, les coûts sont respectivement de 8 et 1 000 dollars. Les matières plastiques ont, elles aussi, une structure de coût du même genre » (Cérès, no 42, p. 26, le Bilan de la dépendance).

Tout le mécanisme des prix joue pour mettre au chômage les masses du Tiers monde et favoriser la gigantesque surproduction des pays développés, en y concentrant le travail ajouté dans l’industrie de transformation, et le marché solvable. Faut-il s’étonner à la [267] fin que crise de misère et crise de pléthore aboutissent à une même catastrophe ?

La structure des prix de détail de la banane illustre de quelle manière et dans quelle proportion la richesse est transférée dans les pays blancs qui, à l’âge de capitalisme sénile, peuvent devenir de purs et simples rentiers parasitaires. En 1971, les recettes brutes du pays producteurs représentaient seulement 11,5% de prix de vente final dans les métropoles autrement dit les entreprises étrangères qui ne font que commercialiser et apporter les bananes sur la table des Blancs percevaient 88,5% de la valeur du produit. C’est dire qu’un pouvoir d’achat correspondant était transféré aux métropoles aux dépens des producteurs de bananes. Or, même dans ces 11,5% pour les pays de couleur, il faudrait considérer encore la part qui revient à l’État policier local aux propriétaires fonciers, aux multinationales, et l’on s’aperçoit alors que les salariés producteurs ont un taux d’exploitation de 1000 pour 100 au moins, avec l’infime pouvoir d’achat correspondant. Mais voyons le détail des 88,5% touchés par les pays développés Pour découvrir la variété des parasites qui gonflent la surproduction : 11,5% vont aux capitalistes des transports et aux... assureurs des bananes, la marge brute des mûrisseurs (ceux qui remplacent le soleil par des artifices ont les dents longues) est de 19%, et il y a 26,1 ‘% de t, Divers » (spéculateurs, intermédiaires, douanes, Etats, etc.), puis le gros morceau pour les voraces et innombrables classes moyennes des métropoles : 31,9% de marge brute pour la vente de détail. En Suisse, par exemple, lm pourcentages de Migros et Coop sont passés de 32% en 1963 à 65% en 1971. Il fut le dire, ces braves commerçants suisses sont étroitement liés à United Fruit qui sévit en Amérique Centrale, comme chacun sait.

Voyons de l’autre côté comment cette richesse engendre une masse de misère. Si l’on fait des comptes de classe, en s’aperçoit : 1. que la valeur de la banane, [268] créée par le journalier de couleur, fait vivre celui-ci dans l’oppression et la misère. Face à lui dans son pays, les 11,5% de revenu créé par lui font vivre trois indigènes, mettons, dont chacun reçoit trois fois plus que lui de cette part, tandis que les classes parasitaires des pays blancs touchent près de neuf fois plus encore que ces derniers pris ensemble ; 2. et c’est le pire sans doute, pour maintenir ce malheureux salarié de couleur dans sa situation d’oppression, il est mis en concurrence avec vingt autres prolétaires expropriés et sans travail. Et cette prolétarisation a d’abord permis de leur voler les meilleures terres avant de les envoyer croupir, sous bonne garde, dans les immenses bidonvilles surburbains des pays de couleur. Cette prolétarisation sème la faim dans les pays de couleur, en faisant même diminuer – et c’est un comble – le rendement de la terre. Ainsi, lit-on dans « Cérès », p. 26, no 58 : « Une étude menée en Argentine, au Brésil, en Colombie, en Equateur et au Guatemala, a montré que les petits agriculteurs produisent 3 à 14 fois plus par hectare que les grands. »

La hausse des prix des matières premières tirées des pays dépendants n’a pas amélioré le sort des masses indigènes. Par exemple, quand le prix du sucre a été multiplié par quatre en 1974-75, le salaire réel d’un coupeur de canne en République Dominicaine a reculé et est tombé au-dessous de ce qu’il était dix ans plus tôt, tandis que les profits accrus des propriétaires terriens les ont incité à exproprier encore plus de paysans pauvres.

Lorsque le prix des matières premières a subitement gonflé la valeur du capital constant des métropoles blanches, en faisant chuter le taux de profit, il y eut un juste retour des choses : le flot de misère des continents de couleur s’est engouffré par une brèche dans les pays capitalistes développés, en y creusant les écarts entre pays forts et pays plus faibles au sein desquels les antagonismes de classe s’aggravent nettement.

[269]

Dévalorisation et banqueroute[modifier le wikicode]

Le capitalisme d’État qui prédomine aujourd’hui dans le monde est l’antichambre du socialisme. La bourgeoisie s’avère désormais incapable de diriger ses propres forces productives sociales ; les moyens de production sociaux échappent de ses mains, selon la formule d’Engels de l’Antidühring. La faillite est complète. Toutes les richesses accumulées, par les générations passées – ce que l’on appelle aujourd’hui le capital fixe – sont dévalorisées. En conséquence, la loi fondamentale de la valeur du capitalisme est elle-même niée : « l’appropriation du temps de travail d’autrui cesse de représenter ou de créer la richesse [38] ». Le capital entre alors en crise plus grave encore, après avoir sapé sa propre base et ses propres lois de fonctionnement.

Le capital a désormais fait son temps, et doit céder la place au mode de production communiste qui dans sa lancée, extirpera définitivement la loi de la valeur avec le profit l’argent, le salaire, et donc le capital lui-même [39].

Que le capital soit dévalorisé complètement, la théorie nous le disait depuis longtemps, mais aujourd’hui la crise le traduit dans les faits à l’échelle universelle. C’est si évident que nous l’entendons même de la bouche de l’un des plus grands capitaines d’industrie d’Europe, G. Agnelli de la FIAT interviewé par une journaliste du Monde (la bourgeoisie française, préfère informer son public des catastrophes par le truchement d’un étranger qui explique que la même crise sévit des deux côtés des Alpes et que la France est au moins aussi endettée que sa sœur latine). La nouvelle est énorme, et l’on a peine à y croire : « Je ne sais pas combien vaut le capital des titres cotés à la Bourse française, mais certainement pas grand-chose. Songez que toute la Bourse italienne, on l’achète avec l’équivalent d’une semaine nationale de salaires [40]. » De fait les 757 principales entreprises italiennes (pour les entreprises moindres, [270] la situation est sans doute encore pire) avaient en 1975 (il y a donc 3 ans) 44 000 milliards de lires de dettes, soit à peu près leur chiffre d’affaires annuel qui correspond à la « valeur du capital ». Et, avec l’inflation, le service de cette dette mange plus que les profits réalisés [41].

C’est dire que le capital est complètement dévalorisé : les 40% de l’Italie qu’ils détiennent, les Américains auraient pu les avoir à meilleur compte encore à la fin de l’actuelle époque de prospérité où l’appareil de production est au moins 7 fois plus gros qu’au moment où son industrie était ruinée par la guerre.

Comment cette dépréciation inouïe s’explique-t-elle ? Par tes sombres perspectives de la croissance future, dirait Agnelli, ou mieux par la surproduction, le chômage massif et la chute consécutive du taux de profit. L’arrêt prononcé par la Bourse confirme directement la loi de Marx : la richesse capitaliste ne dérive pas du capital constant, mais du profit présent et futur que peut produire le travail vivant en action. En effet, le calcul de la valeur du patrimoine des entreprises ne se fait pas à partir de l’imbécile point de vue de la propriété juridique, du stérile avoir ou détenir, mais de la valeur économique donnée par l’efficacité de la production.

Les actions étant du profit capitalisé de, mettons, vingt ans pour tel taux de profit, une forte chute de ce taux dans la production réelle a des effets qui se multiplient de façon spectaculaire. Ainsi suffit-il que le profit baisse de moitié (de 10 à 5%) pour qu’une action en bourse chute de 2 000 à 1000. Dans ces conditions, la baisse du taux de profit à zéro transforme toutes les valeurs en bourse en chiffon de papier. Ici encore, on voit que la crise peut toucher plus durement les capitalistes que les ouvriers : les premiers y étant ruinés, et les seconds ne pouvant y perdre que leurs chaînes, s’ils reprennent la lutte.

La valeur dépendant de la production, elle se dévalorise [271] au maximum en période de pléthore. C’est proprement la catastrophe : plus rien n’a de valeur, tout est bon à être jeté au rebut. La destruction des valeurs étant déjà faite au plan économique, il ne reste plus qu’à amener l’artillerie lourde pour faire place nette dans la guerre.

Bilan de faillite[modifier le wikicode]

Il convient maintenant d’établir comment la crise peut éclater par suite de surproduction, dès lors que les secteurs les plus gonflés de l’actuel capitalisme 0roguë sont les industries de l’armement et de la pacotille de luxe, où l’on stérilise les forces productives en détruisant leur produit à mesure qu’elles le fabriquent. En fait, le gonflement du secteur des articles de luxe et de l’armement aboutit par une autre voie au même déséquilibre que l’éléphantiasis de l’industrie lourde en Russie : la section qui fournit les moyens de subsistance immédiats au capital variable, seule source de la richesse, ne peut plus être mise en accord, avec la surproduction gigantesque des autres sections.

« L’économie politique courante est incapable de dire quoi que ce soit de sensé – même du point de vue capitaliste – sur les limites de la production de luxe. Cependant, la question devient très simple, si l’on analyse correctement les éléments du procès de reproduction. Du point de vue capitaliste, le luxe devient condamnable dès lors que le procès de reproduction – ou son progrès exigé par la simple progression naturelle de la population – trouve un frein dans l’application disproportionnée de TRAVAIL PRODUCTIF à LA CRÉATION D’ARTICLES QUI NE SERVENT PAS À LA REPRODUCTION, de sorte qu’il y a reproduction insuffisante des moyens de subsistance et des ‘moyens de production nécessaires [42] ».

C’est la crise fatale de surproduction : le faible taux de profit ne peut plus produire la masse suffisante pour [272] reproduire l’hymalaya, des produits : accumulés et le « standard de vie » des pays développés chute à son tour. Les couches les plus touchées sont d’abord la petite-bourgeoisie et l’aristocratie ouvrière, les troupes de choc du fascisme, maniaques de l’Ordre et d’une « politique » de répression.

Le capitalisme sénile est drogué jusqu’à la moelle : Sa dégénérescence est pire que celle des sociétés de l’antiquité qui avaient fait leur temps et ne satisfaisaient plus les besoins élémentaires des hommes.

C’est la déchéance, la pleine pathologie sociale. Même les règles normales du capitalisme sont viciées : « Naturellement nous supposions que la société suive son instinct normal. Mais elle peut aussi manger les semences, laisser les terres en friche pour construire des routes. Mais elle n’aurait pas mis en œuvre alors le travail nécessaire ; par conséquent celui-ci ne se serait pas reproduit et la force vivante du travail ne serait pas davantage conservée. Il arrive, en effet, qu’on assassine purement et simplement la force de travail vivante [43]. »

Les immenses destructions de marchandises, dues à la dévalorisation massive du capital, montrent déjà que le phénix de la loi de la valeur avec la baisse du taux de profit rendit de ses cendres –, au moment de la crise. La super-vulgaire économie du bien-être conjugué à la guerre a été incapable de balayer les lois classiques. Certes, elle les a corrompues, viciées, mais non abolies, car pour cela il eût fallu éliminer le capital avec tout son mécanisme de fonctionnement qui exige que soit produite une plus-value.

Pour contourner les effets désastreux pour lui de la toi du taux de profit décroissant, le capital a surproduit tout au long de cet aprèsguerre des masses de marchandises, donc de profits, en droguant l’économie par des productions inutiles, l’armement, le luxe, le gaspillage. Or, tout cela forme une industrie, doit être... produit et consomme des masses croissantes de forces [273] de travail, d’outillage, de matières premières, etc. Ainsi donc – ô ironie – de moyen qu’elle était de lutter contre la baisse du taux de profit en gonflant sa masse, cette industrie tombe au moment de la crise sous le coup de cette loi inexorable – et le capitalisme, assoiffé de capitaux pour reproduire son corps éléphantiasique, ne peut plus se reproduire : tout l’édifice pourri s’effondre et, en premier lieu, l’industrie lourde et son annexe, celle de luxe, où les drogues avaient fait merveille.

Les bourgeois et sous-bourgeois sont le plus durement touchés par définition, lorsque la surproduction de capitaux tourne en pénurie, parce que la plus-value ne suffit plus à faire tourner toute l’économie.

Dès lors le profit devient l’unique préoccupation et ambition des capitalistes. Et à quoi servent alors toutes ces entreprises et ces industries, d’où le profit a disparu et dont la valeur diminue donc de plus en plus ? Le capital révèle alors au maximum son caractère de classe : il ne produit pas pour nourrir l’humanité, mais pour faire du profit pour les capitalistes. Or, à quoi bon produire, là où il n’y a plus de profits ? On met alors les ouvriers au chômage massif et on ferme les usines – ne serait-ce que pour préserver le profit qui se fait encore dans telle branche particulière ou dans telle entreprise chanceuse.

Et c’est la réalité dramatique d’aujourd’hui. Les nations les plus concentrées et les plus productives enlèvent les débouchés aux autres ; on ferme les entreprises situées dans les pays à productivité moindre pour maintenir en activité celles qui rapportent encore, tandis que l’on augmente les prix pour sauver les profits qui sont épargnés – ce qui bouche encore plus le marché. Des pays entiers ont déjà été ruinés et leur production plus ou moins stoppée : les pays développés d’Amérique du Sud, le Chili et l’Argentine, ont vu, leur production chuter dans une proportion insensée. Demain d’autres pays « faibles » – c’està-dire, en [274] langage bourgeois, « subversifs », parce qu’il faut se méfier de ceux qui ne prospèrent pas – seront ruinés à leur tour insidieusement, et les candidats ne manquent pas, même en Europe, où l’on trouve déjà plusieurs nations galeuses.

Mais, dira-t-on, ces pays ne se laisseront pas faire ; ce sont des nations autonomes et souveraines qui ont leur propre gouvernement ! Foutaise, car les nations situées hors des Etats-Unis ont perdu depuis belle lurette leur autonomie, et leur capital, pour la partie décisive de l’économie, ne, leur appartient plus. De par son développement inexorable, il est concentré aux Etats-Unis, et ceux-ci ont entre leurs mains la direction de l’économie mondiale. Kissinger ne rappelait-il pas que les gouvernements européens avaient été mis en place par la soldatesque yankee en 1944, et n’avaient qu’à obéir au Pentagone ? Et Carter ne continue-t-il pas cette même politique, en investissant – solution de rechange pour demain – Mitterrand (le Schmidt français) et Giscard ? Il n’est pas question de changer de gouvernement, car les ministres et l’Etat sont achetés par le grand capital et l’Amérique, envers laquelle la Russie et la Chine elles-mêmes s’endettent pour éviter la chute de leur rythme de production. L’économie française est dépendante de l’américaine, et aucun gouvernement ne peut changer ce fait.

Pour rompre le cercle vicieux et changer les lois de l’économie, il faut une révolution.

En attendant, la dévalorisation du capital – devenu inutile dès lors qu’il ne produit plus de profit, voire qu’il empêche du capital d’en produire encore – appelle la destruction d’immenses masses déjà existantes de capitaux. En fait, tout le capital de l’industrie française n’estil pas dévalorisé, et la Finance américaine – le F.M.I. qui a sévi au Chili et au Portugal – ne va-t-elle pas la déclarer en faillite ? C’est ce fait économique qui détermine la servilité sans nom des gouvernements de l’Europe et d’ailleurs, la vanité des [275] élections, ainsi que la dégradation inouïe des mœurs politiques quotidiennes : délation, trahison des plus faibles pour se faire bien voir des plus forts, l’argent permettant et justifiant n’importe quoi.

Le gouvernement ne peut avouer franchement qu’il traque et réprime, parce qu’il est l’huissier qui exécute les ordres du grand capital et touche sa commission pour ces basses œuvres. D’ores et déjà, la banqueroute est là – non seulement l’industrie française est dévalorisée, mais encore pourrie de dettes. La sidérurgie avec un passif supérieur à son chiffre d’affaires annuel, qui correspond en gros à la valeur de ses installations, est à l’image du reste de l’économie française et européenne, voire – comble de la déchéance – à celle des malheureuses économies des pays du Tiers monde. L’endettement gigantesque des entreprises, des banques, des collectivités locales et publiques, des personnes privées et morales sont là pour témoigner que le passif dévore l’actif, que le capital a déjà fait banqueroute, et qu’il s’effondre pan après pan. Selon les termes du Manifeste, il ne peut exister qu’en révolutionnant sans cesse ses propres conditions de production. Bien travaillé, vieille taupe !

Dans la tragédie qu’il suscite, il faut reconnaître au capitalisme ses mérites comme ses péchés. Ainsi, la révolution elle-même ne peut empêcher l’effondrement et le drame qui en résultent pour l’humanité entière. Nul ne peut sauver la merde que représente, par exemple, la folle production des automobiles, les machines ménagères stupides, liées à la dérisoire appropriation privée – le réformisme est mort. Ce bilan est nécessaire tant pour parer à la manœuvre de la bourgeoisie qui cherchera à mettre au compte de la subversion les malheurs accablant et torturant les masses, que pour proclamer que notre solution tourne le dos à ce que le capital a édifié : entreprises géantes à côté des économies naines de la parcelle ; socialisation de la production et privatisation de la consommation dans les cuisines [276] et arrière-cuisines de la famille, bourgeoise augmentée par les supermarchés et le commerce de détail ; concentration de la richesse dans les gratte-ciel gigantesques et grouillement de la misère dans les bidonvilles immenses des masses expropriées ; ville étouffante et tentaculaire, entourée des villages d’ilotes ; transports individuels avec les files d’automobiles qui sont le second domicile privé ambulant, et transports en commun où l’on s’entasse et se contamine en payant les yeux de la tête ; antagonisme de l’agriculture et de l’industrie qui aboutit à la minéralisation de l’alimentation des hommes, robotisés et dégradés au niveau cochon des actuelles mœurs politiques et affairistes – par l’image de la télé, le son de la radio et la lecture de la presse vénale. L’or et les richesses du capitalisme ne sont plus que clinquant et tape à l’œil ; ses valeurs sont en pièces ; le bourgeois drogué, vocifère, danse, bouffe et fornique par-devant et par-derrière, et réprime à contresens de l’histoire : il est devenu fou et s’acharne à sa propre perte. Dans cet effondrement, l’énorme rire homérique du vieux Marx.

Crise mortelle du capitalisme[modifier le wikicode]

Il apparaît clairement que l’actuelle crise clôt toute une période historique, et la question qui se pose maintenant est de savoir si le capitalisme pourra résoudre la grave, surproduction à laquelle il fait face pour recommencer – comme après la première et la seconde guerre mondiale – un nouveau cycle historique de croissance.

Toute notre analyse et nos conclusions sur le capitalisme drogué de l’étape sénile et parasitaire nous amènent à penser que le capital a désormais achevé son sinistre cours et que la révolution qui s’annonce longue, douloureuse et infiniment complexe, devrait l’emporter cette fois-ci.

[277]

Et pourquoi donc sommes-nous « optimistes » ? Non pas simplement, parce qu’il est de mise pour les révolutionnaires d’avoir foi en leur cause, car ce qui apparaît dans la crise historique de 1975, c’est que le capital a terminé sa course à travers le monde et domine l’humanité entière, en ayant accumulé au maximum la richesse ici, et la pauvreté là, sans parler de ce qu’il s’est dilaté en une éléphantiasis de marchandises si énorme qu’il ne peut plus la reproduire. Or, c’est précisément dans cette démesure qu’il a perdu toute sève et toute vie : en produisant une masse gigantesque de profits, la source en est tarie – le taux du profit est tombé à zéro.

C’est pourquoi les crises ne deviennent vraiment générales et graves que lorsqu’elles frappent le cœur même du système capitaliste, les métropoles hautement développées. Au XXe siècle, elles ont secoué avant tout les capitalismes les plus mûrs. La première guerre mondiale, provoquée par l’énorme crise de surproduction générale qui conclut le long essor de sa phase « idyllique », démontra que le capitalisme est désormais une économie de mort, et a besoin de massacrer et d’anéantir pour survivre. Sans ces dévastations, les forces productives eussent fait sauter dans les métropoles l’enveloppe des rapports sociaux et économiques bourgeois qui les enserrent. Les États-Unis qui avaient d’abord profité de la guerre en Europe, furent bientôt touchés eux-mêmes par une violente crise qui fit chuter la production de manière spectaculaire. Toutes ces destructions n’ayant pas résolu la surproduction chronique, la seconde guerre mondiale éclatait bientôt – des villes et des industries entières furent anéanties, sans parier des 15.7 millions de surnuméraires tués. L’Angleterre, première née des nations industrielles, fut déchue de l’hégémonie sur le monde bourgeois, et sa chute symbolise la caducité du mode de production capitaliste tout entier.

La paix qui suivit ne pouvait avoir que les mêmes [278] caractéristiques morbides et dégénérées : la folle course aux armements, engagée dès la fin de la seconde guerre mondiale pour préparer la troisième guerre de destruction générale, avait entre autres buts de maintenir l’appareil de production à un niveau pléthorique. Mais cette drogue ne suffit pas. La nouvelle théorie économique du bien-être et de la société de consommation vint à la rescousse pour aggraver encore son caractère parasitaire et dilapidateur, en robotisant la demande humaine et en orientant une production, démentielle Par sa démesure, vers la satisfaction de besoins factices, frelatés et vicieux.

Mais, dira-t-on, le capitalisme n’a pas seulement surmonté une, mais deux guerres mondiales, et pourquoi pas trois ? Qui plus est, jamais après une guerre mondiale la phase de prospérité n’a été aussi longue et le capitalisme ne s’est autant développé qu’après la dernière.

En effet, les immenses continents de couleur se sont ouverts à son exploitation. Et c’est ce fait-là qui nous fait penser que désormais le capitalisme, qui a fait le plein, est historiquement condamné et qu’une victoire de la révolution ne peut plus être compromise, comme elle l’a été en Russie, par un, essor plus grand que jamais du capitalisme. L’histoire a apporté la réponse à la question angoissante que se posait Marx à savoir « sur le continent la révolution est imminente et prendra un caractère socialiste, mais ne sera-t-elle pas forcément étouffée dans ce petit coin du monde, puisque sur un terrain beaucoup plus vaste le mouvement de la société bourgeoise est encore ascendant [44] ».

En effet, les métropoles blanches sont condamnées depuis que le capital a achevé son cours progressif qui justifiait encore sa survie, grâce à la diffusion massive de rapports bourgeois aux immenses continents de couleur, où les masses durent s’arracher de haute lutte à une stagnation millénaire dans des formes précapitalistes que l’impérialisme blanc prétendait maintenir de force – démontrant encore qu’il était résolument [279] hostile à toute manifestation de vie, fût-elle bourgeoise. Ces ultimes révolutions étant réalisées, le Capital a accompli sa « mission progressive » et épuisé du même coup ses potentialités historiques.

Que le mécanisme très moderne, de la ruine et de la régénération du capitalisme sénile qui provoquera au moment déterminé la chute du capitalisme tout entier ait été théorisé par Marx, c’est ce dont témoigne le passage qui suit : « Les contradictions capitalistes provoqueront des explosions, des cataclysmes et des crises au cours desquels les arrêts momentanés de travail et la destruction d’une grande partie des capitaux ramèneront, par la violence, le capitalisme à un niveau d’où il pourra reprendre son cours. Les contradictions créent des explosions, des crises, au cours desquelles tout travail s’arrête pour un temps, tandis qu’une partie importante du capital est détruite, ramenant le capital par la force à un point où, sans se suicider, il est à même d’employer de nouveau pleinement sa capacité productive.

« Cependant, ces catastrophes qui le régénèrent régulièrement, se répètent à une échelle toujours plus vaste, et elles finiront par provoquer son renversement violent [45]. »

La tâche de la bourgeoisie est, en fait, d’élargir sa sphère, en introduisant des rapports de production nouveaux, modernes, en expropriant les producteurs parcellaires ou les communautés archaïques, bref, en prolétarisant des masses toujours plus considérables – ce qui va de pair avec un essor tout aussi énorme des forces productives qui ne se réalise pas dans les continents de couleur, étant donné la concentration et la centralisation croissante du capital, mais dans les centres dominants du monde. Dans ces conditions, l’industrialisme des grandes métropoles des parvenus blancs bénéficiait d’un essor inouï au cours de ces trente dernières années. Le capital a même pu éviter cette fois-ci la succession de deux guerres mondiales de [280] surproduction en deux décennies et, qui plus est, il s’épargna une crise d’entre-les-deux-guerres du genre de celle de 1929 : il dilapidait les forces productives dans les guerres coloniales.

Nos déductions sont toutes tirées de l’expérience historique, théorisée en lois de manière tout à fait objective et inexorable par Marx. L’énorme surproduction de ce long après-guerre n’est pas due à des faits nouveaux – même sa détermination géographique est « familière » au marxisme, tout comme ses causes, la dévalorisation croissante du capital : « La forme de production (précapitaliste) a été finalement écrasée par la concurrence anglaise en Inde. La dernière crise de ce pays, ainsi que la forte dévalorisation des produits anglais qui lui fut liée, y ont largement contribué. Cette élasticité nouvelle du marché indien, la Californie, l’Australie, ainsi que les prix peu élevés de la plupart des matières premières en l’absence de toute grande spéculation pour les faire monter, permettent de conclure que la prospérité sera extraordinairement longue » (Marx à A. Cluss, 22-IV-1852).

Il s’agissait alors d’une prospérité commerciale, puisque l’Angleterre était le seul atelier industriel du monde. La prospérité de ce long après-guerre reposait, elle, sur un élargissement du marché universel, ainsi que sur la production industrielle du monde entier – ce qui devint possible lorsque le verrou colonialiste des démocraties d’Europe occidentale sauta sous les assauts d’abord des Allemands, puis des Russes et des Américains qui, pourtant, ne cherchaient qu’à occuper l’Europe et à se partager le monde. Les pays coloniaux déblayèrent les obstacles au développement de rapports sociaux et économiques modernes, et le capital, désormais concentré dans les métropoles blanches, et notamment aux U.S.A., fit face avec un avantage écrasant aux faibles pays de couleur qui accédaient les uns après les autres au niveau bourgeois et s’avéraient impuissants à résister au plan économique à l’impérialisme plus [281] centralisé que jamais. Celui-ci put donc piller à loisir les ressources énergétiques, les matières premières et les productions vivrières de tous ces continents. Loin de se rajeunir au contact de cette source de jouvence, le capitalisme sénile des grandes métropoles en devint encore plus parasitaire, prédateur et destructeur. Les guerres coloniales qu’il mena sans discontinuer contre les peuples coloniaux insurgés, lui permirent de gonfler son appareil de production avec toutes sortes d’industries de mort qui engloutissaient des montagnes de matières premières précieuses. Il put multiplier, en outre, pathologiquement des branches de, production d’un luxe de pacotille qui croissaient d’autant plus monstrueusement que les matières premières et l’énergie ne lui coûtaient pratiquement rien, et que le travail humain avait acquis un pouvoir productif inouï. C’est ce qui fait que le capitalisme développé, dont la vie s’était retirée depuis longtemps, ne put que se droguer et se dilater monstrueusement.

L’industrialisation qui se développa dans les parties du monde révolutionnairement conquises au capitalisme, se distingua elle-même de celle qui caractérisait les nations bourgeoises dans leur phase juvénile : le capital y est né vieux, c’est-à-dire avec la technologie dégénérée de sa phase sénile et, le plus souvent, sous le diktat des capitalismes blancs impérialistes. À nos yeux, cela laisse mal augurer des perspectives de développement futur en sens capitaliste du Tiers monde, c’est-à-dire des possibilités économiques d’une nouvelle période historique d’essor capitaliste. Au reste, une ère technologique nouvelle imposerait une centralisation encore plus formidable des capitaux.

Déjà après la première guerre mondiale, rares avaient été les pays nouveaux qui purent accéder à l’industrialisme : la Russie révolutionnaire mit près de dix ans à dépasser le niveau de l’économie tsariste et fut bientôt de nouveau ravagée par la guerre. Elle ne connut un essor gigantesque comparable à celui des pays occidentaux [282] qu’après la vague de révolutions dans les pays de couleur. Désormais, faute d’espaces nouveaux, plus gigantesques encore, à révolutionner, le capitalisme semble donc bel et bien avoir épuisé ses possibilités ultérieures de développement. Même l’industrie du Tiers monde commence à faire concurrence à celle des métropoles blanches développées. Elle a fait, elle aussi, le plein ; les usines ultra-modernes s’étirent du Japon, aux deux Corées, à Taïwan, certaines régions de la Chine, à Hongkong, Singapour, au chapelet des zones industrielles franches des multinationales pour arriver au Brésil et au Chili, en passant par le Moyen-Orient et l’Afrique du Sud. En somme, cet immense terrain défriché pour un développement capitaliste a certes prolongé le cycle économique de cet après-guerre, mais n’a pas empêché la monstrueuse surproduction d’éclater, comme prévue, en 1975, en une gigantesque crise mondiale.

Le taux élevé de croissance de ces capitalismes juvéniles n’a pas pu inverser le faible taux moyen des vieilles métropoles blanches, de même que la Russie n’a pas pu dépasser et supplanter les hégémoniques Etats-Unis, pourtant moins vastes et moins peuplés ; et d’emblée la Chine a renoncé à ce rêve, longtemps caressé par les staliniens. La production des capitalismes séniles est, et demeure, déterminante au plan mondial, et la crise descend, en piqué, les capitalismes les plus jeunes, tels que le Brésil, l’Espagne, la Turquie, la Corée, dont le taux de croissance est de 10%, et, au rase-mottes les capitalismes un peu moins jeunes de Russie et d’Europe et d’Amérique. Loin d’être l’avenir du capitalisme, ces pays sont tenus en laisse par l’impérialisme sénile, et là crise les entraîne dans la chute générale.

Les Etats-Unis qui ont supplanté l’hégémonique Angleterre au cours de cet après-guerre, ont profité de manière parasitaire de l’essor des pays de couleur qui se sont émancipés du joug du colonialisme européen, et notamment anglais : ils ne leur ont apporté aucune aide [283] dans leur lutte de libération, mais une fois accédés au niveau bourgeois, ils guident leurs premiers pais, centralisent leurs capitaux, tandis que la bourse américaine, fixe le prix de leurs matières premières et produits alimentaires commercialisés. Si l’Amérique n’a été pour rien dans l’acte de leur naissance, elle détermine néanmoins leur vie, leur production et leur croissance – comme celles de la vieille Europe. En somme, la force écrasante du capital américain lui vient – parce qu’il est capital – de la dépendance des autres, dont il suce le sang. Et nulle puissance révolutionnaire bourgeoise – il n’y en a plus désormais – et nul adversaire impérialiste – le capitalisme sénile étant incapable de susciter des rivaux puissants – ne pourra battre économiquement, donc militairement, les Etats-Unis pour leur ravir l’hégémonie dans le monde, afin d’inaugurer une nouvelle période d’essor capitaliste, en étendant l’industrialisation des pays blancs au Tiers monde. La Roumanie et la Pologne se sont glissées sous l’aile américaine – de même que la Chine, et la Russie en meurt d’envie. C’est un très mauvais présage pour la survie ultérieure du capitalisme.

Mais, il est encore une autre raison pour douter de la possibilité d’un nouveau cycle. C’est que le capital est en train de dilapider à une vitesse folle la substance et les réserves vitales, accumulées depuis des millions d’années par la Nature – au point que l’on a peine à imaginer que le capital puisse continuer, comme il l’a fait et doit le faire conformément à sa nature, à se gonfler encore pendant tout un cycle nouveau.

On sait que notre prévision de la crise de 1975 a été corroborée, entre autres, par les recherches d’un institut américain sur lm réserves de matières premières dans le monde [46]. Les résultats en ont été confirmés depuis par la publication du Club de Rome sur les perspectives de pénurie, à échéance historique assez brève, des principales matières premières et ressources pour l’industrie. La bourgeoisie riposta en soulignant quelques « exagérations », [284] imprécisions et inexactitudes, toutes relatives d’ailleurs, et en évoquant des sources de richesses négligées par les Cassandre – et cela suffit à soulager une opinion qui ne demandait rien d’autre.

L’argument est particulièrement spécieux. Les sordides matérialistes bourgeois font abstraction du contenu... matériel de la valeur d’usage de la marchandise ! Marx a montré, dès les premières pages du Capital, que la marchandise est unité entre valeur d’usage et valeur d’échange, et il explique que la surproduction est aussi due au fait que la valeur d’échange évolue en sens opposé à la valeur d’usage, celle-ci se multipliant bien plus vite que la première et exigeant donc des matières en quantités croissantes puisque les marchandises sont de plus en plus faciles à produire par la fécondité grandissante du travail.

Marx a donc répondu d’avance à l’argument des contradicteurs du Club de Rome pour lesquels l’avenir du capitalisme ne serait pas déterminé tant par la valeur d’usage (les ressources physiques) que par les rapports sociaux, parmi lesquels les capitalistes seraient les plus élastiques et les plus susceptibles d’adaptation. Or, ce qui précisément est le moins souple dans tout cela, ce sont les rapports sociaux et économiques bourgeois. Même si demain le capitalisme réussissait à se maintenir, en battant le prolétariat, il finirait par s’étioler et dégonfler pour des raisons simplement matérielles. Il ne pourrait plus être luimême, puisqu’il est condamné à produire toujours plus, quitte à gaspiller, à détruire et à surproduire. Il ne peut avoir de croissance zéro, car il se priverait alors de sa plus-value, c’est-à-dire de sa raison d’être, de son existence même. Cette nécessité est de plus pressante à l’âge sénile où la faiblesse de son taux de profit l’oblige à accroître vertigineusement la masse de ses profits, et donc de sa production.

Le capitalisme, gigantesquement gonflé par l’exploitation du monde entier, devrait gonfler plus monstrueusement encore – à moins que le capital ne soit plus du [285] capital. Et, s’il est une démonstration qui est faite aujourd’hui, c’est qu’il ne puisse se réformer.

Considérons cependant l’hypothèse, bien qu’elle soit absurde, selon laquelle l’industrialisation atteinte en Europe occidentale, au Japon et puis en Europe orientale se poursuivrait dans le Tiers monde. Prenons, à titre d’illustration, le cas le plus favorable – celui de la Chine qui a fait sa révolution bourgeoise de façon radicale il y a vingt ans et remplit, en outre, les meilleures conditions économiques et naturelles en raison de sa masse physique considérable de ressources humaines et naturelles. Or, si ce pays voulait rejoindre le niveau des capitalismes blancs d’aujourd’hui, il manquerait d’abord de terre (à gaspiller) : il ne dispose que de 0,15 hectares par habitant contre 1,2 aux Etats-Unis.

Avec les méthodes traditionnelles qui nécessitent une nombreuse main-d’œuvre et utilisent les ressources mises gratuitement à la disposition par la nature (énergie solaire, eau, etc.), l’agriculture précapitaliste tirait d’une calorie seize autres. Par exemple, dans la culture du maïs, à fallait 1 144 heures de travail plus 52 762 calories pour les instruments, de travail pour récolter 6 765 120 calories. En revanche, il ne faut que dix-sept heures de travail aux États-Unis pour le même résultat [47], mais ce formidable accroissement de la productivité – le but suprême du Capital étant d’évincer l’homme par la machine – exige un accroissement vertigineux d’énergie qui se substitue au travail de l’homme ET de la nature. En somme, pour produire ces 6 765 120 calories, il faut à présent « investir » 108 241 920 calories.

En conséquence, de 1945 à 1970, la consommation d’énergie a triplé aux U.SA. pour l’agriculture. En outre, si l’on voulait manger bourgeoisement du bœuf, il faudrait, pour avoir une calorie de cet animal, dépenser huit fois plus encore que pour obtenir le même nombre de calories en céréales. Ce n’est pas nous qui l’écrivons, « dans les pays riches, la conversion de l’énergie prend les proportions d’une épidémie [48] ».

[286]

Si l’on appliquait donc demain cette agriculture dégénérée du capitalisme développé à la Chine, celle-ci, simplement pour se nourrir, consommerait, à elle seule, en quelques décennies, toute l’énergie existant encore dans la croûte terrestre, et libérerait un demi-milliard de bras pour l’industrie qui en exploserait. C’est trop absurde.

Mais dans tout cela, on fait encore abstraction de l’essentiel – de la loi tout à fait élémentaire du capital, à savoir qu’il développe, à un pôle, une masse toujours plus grande de richesses qui se concentrent entre des mains de moins en moins nombreuses – les U.S.A. et les multinationales – et à l’autre pôle, d’une masse au moins aussi fantastique de misère, le capital étant l’unité de cette contradiction. C’est cette masse de pauvres du Tiers monde que le capital a produite dans cet après-guerre, et c’est elle qui a permis aux métropoles développées d’accumuler chez elles des masses fantastiques de richesses matérielles. Cette loi n’a rien d’abstrait, c’est celle de l’expropriation, sans précédent dans l’histoire, de la fraction la plus nombreuse de l’humanité, à laquelle les métropoles privilégiées ont enlevé la nourriture de la bouche[49] et qu’elles ont dépouillé de ses matières premières, de son énergie et de ses débouchés, pour les transférer chez elles.

Que le Tiers monde fût à l’origine de cette longue « prospérité », c’est ce que démontre a contrario le fait qu’en l’absence de ce gigantesque pôle de misère et d’expropriation qu’est le Tiers monde, le capitalisme blanc avait étouffé dans ses limites entre la première et la seconde guerre mondiale. Mais si la conquête du Tiers monde aux rapports bourgeois a bel et bien permis au capitalisme de cet après-guerre de se développer aussi monstrueusement, c’est elle aussi qui a épuisé toutes ses potentialités ultérieures de développement. Car si demain Sa Majesté le Capital voulait rééditer son exploit d’aujourd’hui, il lui faudrait trouver un nouveau Tiers monde, plus vaste encore que celui [287] qu’il vient de dévorer. Or, il n’en est plus sur la terre, et il n’y en a pas sur la Lune ni dans les étoiles.

Ce n’est pas tout : le capitalisme est aujourd’hui sénile, et le plus sénile dans ses centres de décision robotisés. Moins que par le passé, cette immense accumulation de richesses peut être utilisée pour subvenir aux besoins de l’humanité. Elle est engloutie par des capitalismes plus assoiffés que jamais de profits, en mal de produire pour produire, de produire n’importe quoi, car la production a dégénéré, et les forces productives en excédent ici ne peuvent plus être accordées aux besoins des bouches là. Les marchandises produites par le Capital sont déviées de leur utilité pour l’homme : on ne mange pas des canons, des motos, des autoroutes, on les consomme inutilement, voire destructivement.

Or, cette surproduction ravageuse et morbide épuise, en une génération ou deux, la terre et les disponibilités en eau, en air, en flore, en faune et en matières premières que la nature a accumulées en des centaines de millions d’années. Le capital, ne pouvant plus reproduire ses cellules saines, ne développe plus que son cancer, et celui-ci dévore la nature et empeste l’humanité. Le capital est mort, et ne tient plus qu’en se droguant, en détruisant et en assassinant la vie de l’humanité passée, présente, et en compromettant même celle de l’humanité future. C’est pourquoi la révolution ne peut manquer de vaincre, même si c’est en un processus infiniment long et douloureux.

  1. Nous extrayons les données chiffrées de caractère historique de cette introduction de l'étude sur le Cours du capitalisme mondial dans l'expérience historique confrontée à la doctrine de Marx, cf, Programma Comunista de 1957 à 1960. Les statistiques sur 1'évolutionde l’industrie au siècle dernier dans les, principaux pays industriels du monde y ont été établies à partir des monographies de Jürgen Kuczynski (par exemple Studien zur Geschichte des Kapitalismus, Akademie-Verlag, Berlin). Pour. la suite, elles ont été complétées par les données extraites des annuaires statistiques de la Société dei Nations, de l’O.N.U., des différents autres-instituts nationaux (italiens, russes, allemands, anglais, français), de l'Economist et plusieurs autres revues spécialisées. Dans Programma Comunista, 1957, no 16, chap. xxi sur l'Histoire mondiale de l’industrie, toutes ces données statistiques ont été rassemblées en un vaste tableau qui reproduit l'indice de « la production industrielle d'année en année depuis 1850 pour l'Angleterre (et de décennie en décennie de 1761 à 1849), pour la France, l’Allemagne et les États-Unis qui y figurent dans l’ordre de leur apparition sur le marché mondial.
  2. La masse de la population, anglaise qui était largement en dehors du circuit capitaliste, n'était guère affectée alors par les crises qui frappaient surtout les salariés. Le gouvernement, formé essentiellement par les propriétaires fonciers et leurs représentants (Palmerston, par exemple), et la petite, bourgeoisie (Carlyle) s'en prenaient, alors violemment aux capitalistes de l'industrie pour dénoncer les méfaits de « leur » industrie - d'où les sombres descriptions des crises du siècle dernier. Pour donner une idée des limites de ces crises du passé, disons qu'au plus. fort de la crise de 1932, le Japon, par exemple, n'avait que 485 7001 chômeurs sur une population totale de 63,9 millions d'habitants, alors que, pour une population totale moindre, l'Angleterre en comptait près de 3 millions, et l'Allemagne plus de, 5,5 (chiffres, bien sûr, officiels).
  3. La bourgeoisie joue sur une équivoque banale, mais efficace : elle identifie à l'humanité, malade du capitalisme, le capitalisme tout court, en faisant croire que la mort de ce Moloch entraînera tous les hommes avec lui. En fait, le capital n'est qu'une forme de la production et des rapports sociaux humains, et l'humanité peut parfaitement s'en passer, si elle se hausse à une forme supérieure, mieux adaptée à l'essor actuel des forces productives.
  4. Cf. Engels, la Situation des classes laborieuses en Angleterre, in MEGA 1/4, p. 99-100.
  5. Ces données sont extraites de Statistical Abstract du Département du commerce américain de 1953. Elles ont été commentées dans Structure économique et Cours historique de la société capitaliste, in Programma Comunista, n o 4 de 1957.
  6. Cf. Marx, Postface à la seconde édition du Capital I, in Werke 23, p. 20.
  7. Cf. Marx, Capital Ill, in Werke 25, p. 81.
  8. Cf. Engels à A. Bebel, 10-11-V-1883.
  9. Cf. Marx, le Capital III, in Werke 25, p. 517.
  10. Cf. Engels à A. Bebel, 18-III-1886.
  11. Cf. Marx à N.F. Danielson, 12-IX-1880
  12. « Le phénomène vraiment remarquable, c'est le raccourcissement de la durée périodique des cycles généraux de crise. Je n'ai jamais tenu ce chiffre pour une constante, mais au contraire pour une grandeur décroissante. » Marx à P. L. Lavrov, 1 S-VI-1875).
  13. Cf. Marx au Comité exécutif du Parti ouvrier démocrate-socialiste, 5-IX1870, in Ecrits militaires, p. 521.
  14. Engels, 10-I-l887, préface à la seconde édition de la Question du Logement, in Werke 21, p. 325.
  15. Cf. Engels à A. Bebel, 18-I-1884.
  16. Cf. MEGA, p. 174.
  17. Cf. Engels à Bebel, l3-IX-l886.
  18. Une étude systématique de la crise de l'entre-deux-guerres de 1929 confrontée à la récession de 1957-1958 a été publiée dans Programma comunista, n os 6-9 de 1957. Les annuaires statistiques russes n'ont pas fourni les données des années de la guerre, de sorte que nous n’avons pu confronter que les chiffres de 1940 à 1946.
  19. Cf. Engels, Et maintenant ? in Der Sozialdemokrat, 8-III-1890 (trad. fr. in Marx-Engels, la Social-démocratie allemande, 10/18, p. 244-248).
  20. Marx a étudié l'effet en retour des révolutions bourgeoises sur la révolution prolétarienne au cours même des événements de 1848-1850 : cf. la Contrepartie révolutionnaire en Europe centrale et méridionale, in Ecrits militaires, p. 221-261. C'est dans cette perspective que c’est située la lutte antiimpérialiste des peuples de couleur tout au long de cet après-guerre, cf. l'Incandescent réveil des peuples de couleur, in Perspective révolutionnaire de la Crise (Fil du Temps, n o 12). Cette révolution de nos frères jaunes et noirs imprima un formidable mouvement d’accélération à la reprise et à la crise dans les pays développés ; cf. la crise de Mai 1968 (Fil du Temps, n o 3).
  21. Cf. Marx-Engels, la Belgique, État constitutionnel modèle, édité par le Fils du Temps, 1977, p. 233-234, ainsi que p. 97-1.02, l’Ere impérialiste des annexions.
  22. Cf. Engels à H. Schlüter, 19-III-1887, ainsi que le chapitre intitulé la Future guerre mondiale et la révolution, in Mark-Engels, la Social-démocratie allemande, 10/18, p. 212-218, 221-222.
  23. Un autre pays modèle est la balourde Suisse, qui ressemble à sa voisine allemande. Sa devise est ultra forte et sa balance commerciale largement excédentaire. Qui plus est, un taux de chômage de 0,5%. Les Dieux bourgeois ont cependant des recettes très simples : vider 27% des étrangers, au point que la population active a diminué de 9% (c'est comme si la France avait un taux de chômage de 9,5%, mais ne versait d'indemnités qu'à 0,5%). Avec l'augmentation de la productivité qui résulte de cette économie de main-d'œuvre, les exportations ont augmenté de + 6% en 1977 : encore un exploit inouï. Seulement le taux de chômage en Italie, au Portugal et en Espagne a subi le contrecoup de ces sages mesures suisses.
  24. Cf. l'Économie des États-Unis : Cours de la production et récession in Programma Comunista, no 12 de 1958, chap. sur l'Emploi et les salaires.
  25. Dans sa série d'articles consacrés au Crédit Mobilier en 1857 pour la New York Tribune, Marx explique de quelle manière cet institut financier s'y prenait pour stériliser le capital, en évitant de toucher à la composition organique existante du capital, et donc au taux de profit. Bien sûr, disait Marx il opérait à l'inverse des banques d'affaires qui rendent fluides le capital fixe dans les entreprises industrielles. Le Crédit Mobilier, lui, transformait le capital fluide en capital fixe pour entreprendre des travaux somptuaires, inutiles. Il spéculait en Bourse, par exemple, avec des actions de chemins de fer (qui ne sont que du papier, n'étaient les installations fixes ferroviaires), en donnant « un air solide à ce capital fictif » qu'il appliquait à son genre de travaux. En somme : « l'opération consiste à détourner une grande partie de l'activité productive du capital national en spéculations improductives. (1- VI-1857). L'astuce, c'est, par un transfert fictif de titres, d'assignations sur le produit futur du travail, de détourner pour soi du travail créateur. L'infamie, c’est de lui faire exécuter des œuvres stériles.
  26. Cf. lettre d'Engels à Danielson, le 5-1-1888 : « ici la mode est à la théorie de Stanley Jevons, selon lequel la valeur se détermine, d'une part, par l'utilité (de sorte que valeur d'échange égale valeur d'usage) et, d'autre part, par la grandeur de l'offre, (c'est-à-dire les coûts de production). Tout cela n'est qu'une façon confuse de dire en somme que ta valeur est déterminée par l'offre et, la demande. Encore et toujours l'économie vulgaire ! ».
  27. Au début du capitalisme les industriels expliquent leur profit par l'activité de direction, l'esprit d'innovation et d'entreprise dont ils font preuve, bref par une sorte de travail ; l'économie vulgaire le motive ensuite par la possession d'instruments de production qui créeraient aussi de la richesse - à l'image de la propriété de la terre qui crée des richesses et justifie les revenus des propriétaires fonciers : dégringolade de l'économie, vulgaire du plan de la production au juridisme le plus creux, tandis que se noue l'alliance entre les deux fractions naguère antagoniques des classes dominantes capitalistes.
  28. Cf. Marx, le Capital III, chap. xxxvii, in Werke 25, p. 648.
  29. Cf. ibid., p. 269. Nous avons reproduit dans ce recueil tout le chapitre fondamental sur la baisse du taux de profit, cf. section 2, p. 339-357.
  30. Cf. Marx, Grundrisse ; t. II, p. 159.
  31. Cf. Marx, Grundrisse ; t. II, p. 159.
  32. Cependant, à la fin du capitalisme, avec l'automatisation, par exemple, la dévalorisation frappe l'ouvrier lui-même : le capital fixe l'énorme efficience des machines et procédés technologiques - prétend alors devenir, mais en vain, la source de la richesse, le travail vivant étant devenu dérisoire en comparaison : « Le mode déterminé du 'travail est donc ici transféré de l'ouvrier au capital sou la forme de la machine, et la force de travail vivante se trouve dévalorisée du fait de ce transfert » (p. 340). Ce ne sont donc plus seulement les machines, les matières premières, mais encore la force de travail vivante, source et mesure de la valeur du capital, qui ont perdu toute valeur : Déchéance de l'aristocratie ouvrière qui coûte ( ? ! ?) tant et tant de millions par poste de travail au… capital !
  33. Cette formule que nous explicitons dans ce chapitre en l'appuyant sur des textes de Marx est tirée de l'éditorial de Battaglia Comunista, n o 24 de 1951.
  34. Ainsi, au plan économique, le secret de la naissance et de la désagrégation de la Belgique, est en un mot charbon. C'est pour arracher les fruits économiques des luttes politiques de la révolution de 1789, que la Belgique a été créée, et l'État belge s'est désagrégé lorsque le pétrole a remplacé le charbon, en enlevant à la bourgeoisie wallone la direction de l'Etat unitaire. Cf. MarxEngels, la Belgique. Etat constitutionnel modèle, Fil du Temps, p. 234-237 : le Poids de la propriété foncière.
  35. Dans son article intitulé Capitalism for Worse in : Monthley Review, février 1974, P. M. Sweezy notait que les U.S.A. n'ont réussi à résorber let chômage, qui atteignait le taux de 19% en 1938 qu'on engageant plus de 25% des forces de travail dans l'armement qui dilapide, en outre, des masses gigantesques de matières premières, d'installations et de machines qu'il faut produire – ce qui occupe encore une forte proportion de la main-d'œuvre. Mais ce calcul est plus qu'incomplet, il faudrait y ajouter, tous les travailleurs des services, de l'industrie du luxe, des employés de l'État, etc.
  36. Cf. Werke 26/3, p. 303, 330
  37. Ce point est développé au plan théorique dans Marx-Engels : la Critique de Malthus, PCM, 173-177 et 233-240 sur la production de luxe.
  38. Cf. Marx, Grundrisse, t. III, p. 349.
  39. Cf. Marx, ibid., t. IV, p. 17.
  40. Cf. le Monde, 25-1-1978, Interview de G. Agnelli par Jacqueline Grapin, Grilles du temps.
  41. Cf. H. Askenazy, Italie, l'heure des décisions approche, in Euroépargne de janvier 1977.
  42. Cf. Marx, Un chapitre inédit du Capital, Ed. 10/18, p. 235-236.
  43. Cf. Marx, Grundrisse, t. III, p. 40-41.
  44. Cf. Marx à Engels, 8-X-1858.
  45. Cf. Marx, Grundrisse, 10/18, t. IV, p. 17-18. La baisse du taux de profit étant tendancielle, il peut y avoir des renversements momentanés ou locaux du taux de profit, bien que la moyenne baisse inexorablement d'une période historique à l'autre. Une loi se réalise toujours au travers d'écarts qui en dévient sans cesse, mais sont ramenées immanquablement à la moyenne. Les « améliorations », obtenues à un point ne font qu'aggraver les choses ailleurs : « Ainsi, plus les crises intermédiaires sont aplaties, plus la crise générale sera profonde. Je souhaite que la panique américaine ne prenne pas de dimensions trop grandes et n'ait pas de contrecoup sur l'Angleterre et, par là, sur l'Europe. Les crises périodiques générales sont toujours précédées de telles crises partielles. Si elles sont trop violentes, elles escomptent simplement la crise générale et en brisent la pointe » (Marx à Sorge, 27-IX-1873, in Werke 33, p. 607).
  46. « Une récente étude d'économistes bourgeois américains (du Research Institute Inc. de New York) sur la dynamique mondiale des échanges calcule que la course actuelle à la conquête des marchés (qui après le second conflit mondial s'est dissimulée derrière le louche puritanisme de la secourable Amérique) atteindra un point critique en 1977. Vingt années nous séparent encore de la nouvelle flambée de la révolution permanente conçue dans le cadre international, ce qui coïncide tant avec les conclusions du lointain débat de 1926 qu'avec le résultat de nos recherches de ces dernières années » (cf. 7 novembre 1917 et novembre 1957, in Programma Comunista, no 21 de 1957) Dans le même article, on lisait, en outre la profession de foi suivait sur l'issue de cette crise historique : « Dans cette troisième vague historique de la Révolution, l’Europe continentale deviendra communiste politiquement et socialement – ou bien le dernier marxiste aura disparu. »
  47. Cf. Georg Borgstrom, le Coût d'un tracteur. L'industrialisation de la production alimentaire est si onéreuse que les pays pauvres ne peuvent se le permettre, in : Cérès, no 42, p. 16-19.
  48. Cf. Amory Bloch Lovins, l’Energitiasis, in Cérès, n o 42, p. 42-46. La contradiction fatale au capital, c’est qu'il est marchandise, c’est-à-dire unité de la valeur d'usage : et de la valeur d'échange, et ne peut donc cesser de produire une masse plus énorme de matières, d’où un colossal gâchis de ressources et de matières. Il ne pourra donc recommencer un nouveau cycle historique que S'il trouve à transformer et à gâcher un volume encore plus gigantesque de ressources naturelles. Certes, il, parvient à économiser du travail et à diminuer le nombre d'ouvriers, puisqu’il tire la plus-value essentiellement de l'accroissement de la productivité, mais il lui, faut une matière première toujours plus considérable, à moins de cesser d'être production pour la production, production de plus-value, d'excédents. Il doit donc épuiser la terre de plus en plus, et créer une masse croissante de population surnuméraire. Il ne croit qu’en l’efficacité des machines qui sont le corps du capital – d'où surproduction de richesse ici, et surproduction de la masse de pauvreté là. Dans le volume de Marx-Engels sur le passage au communisme, en préparation, nous examinerons les prolongements de la crise au plan économique avec la dissolution de capitalisme et de ses lois, selon le principe la dissolution de la forme inférieure est production de la forme supérieure qui la remplacera. Nous y examinerons les problèmes qui deviennent aigus dans la crise comme effet de celle-ci – la dévalorisation et la destruction de capital qui correspond à la dissolution de la loi de la valeur
  49. Ainsi lit-on dans Cérès no 58, p. 24, les Huit mythes de la faim : « Les exportations des pays du Sahel ont augmenté de façon spectaculaire au début des années 1970, alors qu'empirait la sécheresse et que s'étendait la famine. Quinze millions de kilos de légumes environ étaient exportés du Sahel, principalement en Europe, pendant la sécheresse de 1971. Les enquêtes de la F.A.O. ont montré que chaque pays sahélien, sauf peut-être la Mauritanie, produisait en réalité assez de céréales pour nourrir l'ensemble de sa population, même durant les pires années de sécheresse. Si donc la famine a frappé aussi durement, ce n'était pas à cause d'une pénurie de production agricole ou même de nourriture. » Et de conclure : « la faim est beaucoup moins fonction de la quantité de terre que de son contrôle, car ceux qui ont le contrôle de la terre déterminent si, ou comment, elle sera utilisée, et qui profitera de ses fruits » (p. 25). Si l'on fait le bilan de la société capitaliste de cet après-guerre, une conclusion s'impose. La surproduction et la surconsommation perverses et dégénérées ici, entraîne là une surpopulation monstrueuse pour lu peuples de couleur qui croupissent dans une misère atroce et subissent les guerres et la répression en série. Ce monde devenu dément, parce qu'il préfère l'argent à la vie, le profit au travail, le parasitisme à la production, le luxe au nécessaire, s'écroule déjà dans des convulsions terribles. La Production des hommes de demain, ne serait-ce que pour leur permettre de survivre, partira de l’essentiel, des moyens de subsistance pour tous – ce qui implique le transfert du pouvoir à « la classe la plus nombreuse et la plus misérable de la société ».