Baisse tendancielle du taux de profit et crises

De Marxists-fr
Aller à la navigation Aller à la recherche

L’exaspération croissante des contradictions internes du capital[modifier le wikicode]

Marx, le Capital III, chap. xv (Werke 25, p. 251-270).

Le taux qui exprime l’expansion du capital total – à savoir le taux de profit - est l’aiguillon de la production capitaliste, tout comme la valorisation du capital est son unique fin [1]. Dans ces conditions, la baisse du taux de profit ralentit le jaillissement de nouveaux capitaux autonomes et se présente comme un obstacle à l’essor du procès de production capitaliste ; elle engendre la surproduction, la spéculation, les crises, l’excédent de capital aussi bien que de population. Les économistes qui, tels Ricardo, considèrent comme absolu le mode de production capitaliste, sentent ici que ce mode de production crée lui-même ses limites ; cependant ils en attribuent la cause, non pas à la production, mais à la nature (cf. la théorie de la rente). Quoi qu’il en soit, ce qui est essentiel dans l’horreur qu’ils éprouvent devant le taux de profit décroissant, c’est le sentiment qu’il constitue une limitation au développement des forces productives sous leur forme capitaliste, limite qui n’a rien à voir avec la production de richesse en tant que telle. Or cette limitation spécifique témoigne du caractère historiquement borné, transitoire [340] du mode de production capitaliste. Elle témoigne qu’il n’est pas un mode absolu de la production de richesses, mais qu’au contraire il entré en conflit avec son propre développement ultérieur à un certain niveau de son évolution...

Le but du procès de production immédiat est d’obtenir de la plus-value dans les limites précitées [la masse de plus-value ou du profit pl augmente, tandis que baisse le taux de profit]. La plus-value est produite, dès que la quantité de surtravail qu’il est possible d’extorquer se trouve matérialisée en marchandises. Cependant, ce n’est là que le premier acte du procès de production capitaliste – le terme du procès de production immédiat. Le capital a absorbé en lui une quantité déterminée de travail non payé, dont la masse va s’enfler sans limites à mesure que se développe le procès qui se traduit par la baisse du taux de profit. A présent, s’ouvre le deuxième acte du procès : il s’agit de vendre toute la masse des marchandises, le produit total, soit aussi bien la fraction qui remplace le capital constant et variable que celle qui représente la plus-value, Si cette vente ne peut se produire ou n’est que partielle, voire s’effectue à des prix inférieurs au prix de production, l’ouvrier a certes été exploité, mais pour le capitaliste cette exploitation se réalise partiellement ou pas du tout, et peut même aller de pair avec la perte d’une partie ou de la totalité de son capital. Il n’y a pas coïncidence entre les conditions de l’exploitation immédiate et celles de sa réalisation ; elles ne diffèrent pas seulement dans le temps et l’espace, mais encore dans leur contenu. Les premières ne sont limitées que par les forces productives de la société, les secondes que par la proportionnalité qui existe entre les diverses branches de la production et la capacité de consommation de la société. Or, cette dernière n’est déterminée ni par la force productive absolue, ni par la capacité de consommation absolue, elle l’est par les rapports de distribution antagoniques [341] qui réduisent la consommation de la grande masse de la société à un minimum susceptible de ne varier qu’entre des limites plus ou moins étroites. Ainsi, est-elle limitée par la tendance à l’accumulation, le besoin du capital de s’agrandir et de produire de la plus-value à une échelle élargie. Cette loi de la production capitaliste est conditionnée par les perpétuelles révolutions dans les méthodes de production, par la dévalorisation du capital qui en résulte, par la lutte générale de la concurrence et par la nécessité d’améliorer la production et d’en élargir l’échelle – ne fût-ce que pour la maintenir et échapper à la ruine.

En conséquence, le marché doit s’agrandir sans cesse, si bien que ses rapports et les conditions qui le règlent, apparaissent de plus en plus comme des lois de la nature indépendante des producteurs, hors de tout contrôle. Cette contradiction interne entre circulation et production, le capital cherche à la résoudre, en étendant toujours plus le volume de la sphère extérieure de la production. Mais, plus les forces productives se développent, plus elles entrent en conflit avec la base étroite sur laquelle se fondent les rapports de consommation. Etant donné cette base antagonique, il n’est nullement contradictoire qu’un excès de capital coïncide avec une surpopulation croissante, car s’il est vrai que ces deux facteurs réunis permettent d’accroître au maximum la masse de la plus-value produite, ils aggravent en même temps la contradiction entre les conditions dans lesquelles cette plus-value est produite et celles où elle est réalisée.

Étant donné un taux de profit déterminé, la masse de la plus-value dépend toujours de la grandeur du capital avancé [2] ...

Ainsi, la masse de capital que l’ouvrier met en mouvement, et dont il conserve la valeur par son travail en la faisant réapparaître dans le produit, cette masse est tout à fait distincte de la valeur qu’il lui ajoute. Si cette masse de capital est de 1 000, et le travail [342] ajouté de 100, le capital reproduit sera de 1 100. En revanche, si cette masse n’était que de 100 et que le travail ajouté était de 20, le capital reproduit serait de 120. Dans le premier cas, le taux de profit n’est que de 10%, et dans le second de 20%. Or, avec 100 on peut procéder à une accumulation plus grande qu’avec 20. (Notons, en passant, que le capital se dévalorise au fur et à mesure de l’accroissement des forces productives [3].)

Le flot du capital ou son accumulation se gonfle en fonction de la puissance qu’il a déjà et non du taux de profit... La masse du profit augmente donc avec le volume du capital investi, tandis que le taux de profit en diminue. C’est ce qui entraîne aussi la concentration du capital, puisque les conditions de production exigent maintenant l’emploi de capitaux massifs. Le taux de profit conditionne de même la centralisation, c’est-à-dire l’absorption’ des petits capitalistes dans les gros par la décapitalisation des premiers.

Conflit entre l’accroissement de la production et la valorisation du capital[modifier le wikicode]

…Avec le développement du mode de production capitaliste, le taux de profit diminue, bien que sa masse croisse à mesure qu’augmente le volume du capital employé. Cependant, si la masse absolue dont s’accroît le capital, dépend de son volume, c’est le taux de profit qui déterminera le prorata auquel il croîtra, le taux de sa croissance. L’augmentation des forces productives – qui, d’ailleurs, va toujours de pair avec une dévalorisation du capital existant – ne peut pas accroitre directement le volume de valeur du capital, car cela impliquerait une hausse du taux de profit, l’augmentation de la portion de valeur du produit annuel qui se reconvertit en capital. Pour ce qui est de la force productive du travail (mais celle-ci [343] n’a rien à voir directement avec la valeur du capital existant), ce résultat ne pourrait se produire qu’en lui extorquant davantage de plus-value relative ou en diminuant la valeur du capital constant, c’est-à-dire en baissant le prix des marchandises entrant, ou bien dans la reproduction de la force de travail, ou bien dans les éléments constitutifs du capital constant. Or, c’est ce qui entraîne, dans les deux cas, une dévalorisation du capital existant et une diminution simultanée du capital variable par rapport au capital constant.

En fait, la masse de travail que le capital peut commander dépend non pas de la valeur du travail, mais de la masse des matières premières et auxiliaires, des machines ainsi que des éléments du capital fixe et des moyens de subsistance qui le constituent, quelle que soit la valeur de ces composantes. C’est dans ces conditions que s’accroit la masse du travail employé, donc du surtravail, et que s’accroissent aussi la valeur du capital reproduit ainsi que la valeur de la partie ajoutée en plus.

Ce sont ces deux éléments qui forment le procès de l’accumulation, et il ne faut pas les considérer, à la manière de Ricardo, comme s’ils vivaient côte à côte sans que l’un trouble l’autre. Ils renferment une contradiction qui se manifeste en tendances et phénomènes opposés, les facteurs antagoniques agissant les uns contre les autres.

Tandis que se manifestent les tendances à augmenter véritablement la population ouvrière en raison de la proportion du produit social total qui fonctionne comme capital, certains facteurs créent une surpopulation seulement relative.

Tandis que baisse le taux de profit, s’accroit la masse des capitaux, cependant que la dévalorisation du capital existant freine cette baisse mais imprime un mouvement d’accélération à l’accumulation de la valeur du capital. Tandis que se développent les forces productives, [344] s’élève la composition organique du capital, de sorte que la partie variable baisse par rapport à sa partie constante, si bien que le taux de profit baisse, alors qu’augmente le besoin de capitaux.

Ces influences contradictoires se manifestent tantôt simultanément dans l’espace, tantôt successivement dans le temps. Périodiquement, le conflit de ces facteurs antagoniques se décharge en crises. Celles-ci ne sont jamais que des solutions violentes, toutes momentanées, des contradictions existantes, de violentes éruptions qui rétablissent pour un temps l’équilibre rompu.

La contradiction – exprimée en termes généraux – se trouve dans le fait que le mode de production capitaliste renferme une tendance à un développement absolu des forces productives, en ne tenant compte mi de la valeur et de la plus-value y contenues, ni des rapports sociaux dans le cadre desquels s’effectue la production capitaliste ; tandis que, d’autre part, il a pour but de conserver la valeur du capital existant et de le valoriser au maximum (c’est-à-dire d’accroître toujours plus vite cette valeur). Son caractère spécifique le porte à utiliser la valeur existante du capital comme moyen de la valoriser au maximum. Les méthodes par lesquelles il atteint ce but sont la diminution du taux de profit, la dévalorisation du capital existant et le développement des forces productives du travail aux dépens de celles qui sont déjà produites [4].

La dévalorisation périodique du capital existant qui est un moyen immanent au mode de production capitaliste de freiner la baisse du taux de profit et d’accélérer l’accumulation de la valeur du capital par la constitution de capital additionnel nouveau, perturbe les conditions données dans lesquelles s’effectue le procès de circulation et de reproduction du capital et s’accompagne donc de brusques blocages et de crises du procès de production.

La diminution relative du capital variable qui coïncide avec l’essor des forces productives stimule [345] l’accroissement de la population ouvrière tout en créant constamment, de façon artificielle, une surpopulation relative, L’accumulation du capital se ralentit du point de vue de la valeur par suite de la baisse du taux de profit, tandis que s’accélère encore l’accumulation de la valeur d’usage [5] et que celle-ci accélère à son tour le flot de l’accumulation pour ce qui est de sa valeur.

La production capitaliste s’efforce sans cesse de surmonter ces limites qui lui sont immanentes, mais elle n’y parvient qu’avec des moyens qui, à leur tour, lui imposent ces limites à une échelle encore plus gigantesque...

La baisse du taux de profit fait augmenter le minimum de capital, dont le capital individuel doit disposer pour utiliser productivement le travail, ce minimum étant exigé pour exploiter du travail en général et pour obtenir que le temps de travail employé corresponde au temps de travail nécessaire à la production de marchandises, c’est-à-dire ne dépasse pas la moyenne du temps de travail socialement, nécessaire pour les produire. Cette baisse accroit aussi la concentration, parce, qu’au-delà de certaines limites, un capital considérable à faible taux de profit accumule plus vite et davantage qu’un petit à taux de profit élevé. Or, cette concentration croissante entraîne, à son tour, à un certain niveau, une nouvelle chute du taux de profit. La masse éparpillée des petits capitaux devient le champ ouvert aux aventuriers, avec la spéculation, lei escroqueries sur le crédit, les actions – et c’est la crise à la fin.

Il y a ce que l’on appelle pléthore de capital, à une part, surtout quand elle n’est pas en mesure de compenser la chute du taux de profit par une augmentation de la masse des profits – et cela se vérifie par les bourgeons de capital frais qui poussent sans cesse – et, d’autre part, quand, sous forme de crédit, ils sont incapables de fonctionner efficacement dans les mains [346] de ceux qui dirigent les grands secteurs économiques. Cette pléthore de capital est déterminée par les mêmes circonstances qui provoquent une surpopulation relative, et c’est donc un phénomène qui vient compléter celle-ci, bien que les deux se situent à des pôles opposés – capital inemployé, d’un côté, population inemployée, de l’autre.

Surproduction de capitalisation de marchandises particulières – quoique la surproduction de capital implique toujours surproduction de marchandises –signifie donc tout bonnement suraccumulation de capital. Pour comprendre en quoi consiste cette suraccumulation (dont on trouvera plus loin l’étude détaillée), il suffit de supposer qu’elle est absolue. Quand peut-on considérer que la surproduction de capital est absolue ? C’est-à-dire qu’elle ne s’étend pas seulement à telle ou telle branche de la production, voire à quelques branches-clés, mais qu’elle est absolue de par son volume lui-même, autrement dit qu’elle affecte toutes les branches de la production [6].

Il y a surproduction absolue de capital, dès que le capital nouvellement créé en vue de la production capitaliste devient égal à zéro. Or, le but de la production capitaliste est la valorisation du capital, c’est-àdire l’appropriation de surtravail pour produire encore de la plus-value, du profit. En conséquence, dès que le capital aurait augmenté par rapport à la population ouvrière dans un rapport tel que, ni le temps de travail absolu fourni par cette population, ni le temps de surtravail relatif ne pourraient être prolongés – ce qui, de toute façon serait impossible dans une situation où la demande de travail serait si forte qu’elle déterminerait une tendance des salaires à augmenter. En somme, si la croissance du capital faisait qu’il ne pouvait valoriser qu’une masse de plus-value tout au plus égale et même moindre qu’avant, alors il y aurait surproduction absolue de capital. Autrement dit, le capital accru C + ∆C produirait une masse de plus-value simplement équivalente, [347] voire inférieure à celle que le capital C produisait avant sa croissance en ∆C. En d’autres termes, le capital accru C + ∆C ne produirait plus de profit ou moins de profit que le capital C avant sort accroissement en ∆C. Ce qui l’explique, c’est une forte baisse générale du taux de profit provoquée cette fois par un changement dans la composition organique du capital qui ne dérive plus à présent du développement des forces productives, mais d’une hausse de la valeur monétaire du capital variable (en raison des salaires plus élevés) et de la diminution correspondante du rapport entre surtravail et travail nécessaire.

En fait, il s’ensuivrait qu’une partie du capital resterait totalement ou partiellement en friche (parce que, pour pouvoir simplement se valoriser, il lui faudrait d’abord évincer du capital déjà en fonction), tandis que 1’autre partie, sous la pression du capital inutilisé totalement ou en partie, se valoriserait à un taux de profit plus bas. Dès lors, à importerait peu qu’une partie du capital additionnel supplantât l’ancien capital et que ce dernier fût inutilisé : nous aurions toujours, d’un côté, la même somme de capital en fonction, et de l’autre la même somme en friche. La chute du taux de profit s’accompagnerait cette fois-ci d’une baisse absolue de la masse du profit, étant donné que, dans notre hypothèse, la masse de la force de travail utilisée ne pourrait être augmentée, ni le taux de la plus-value accru, de sorte que la masse de la plus-value non plus ne pourrait être augmentée. Or, cette masse de profit réduite, il faudrait la calculer sur un capital total accru.

Mais à supposer même que le capital occupé continue de se valoriser à l’ancien taux de profit si bien que la masse de profit reste la même, elle se calculerait toujours par rapport à un capital total augmenté – ce qui implique aussi une baisse du taux de profit. Si un capital de 1 000 donnait un profit de 100 et, après son augmentation, passait à 1 500 et produisait toujours [348] 100 de profit, dans le second cas, 1 000 ne rapporterait que 662/3 (contre 100 auparavant) : la valorisation de l’ancien capital aurait donc baissé en valeur absolue. Le capital de 1 000 ne rapporterait pas plus, dans les conditions nouvelles, qu’auparavant un capital de 6662/3.

Il est évident cependant que cette dévalorisation effective de l’ancien capital ne pourrait s’effectuer sans lutte, que le capital additionnel ∆C ne pourrait trouver une place pour tourner comme capital sans se battre. Mais ce n’est pas la concurrence qui, à la suite de la surproduction, ferait baisser le taux de profit, mais, à l’inverse la lutte de concurrence s’engagerait parce que la chute du taux de profit et la surproduction de capital dérivent de la même cause. La portion de ∆C qui se trouve entre les mains des premiers capitalistes, ils la laisseraient plus ou moins inoccupée pour ne pas dévaloriser eux-mêmes leur capital primitif et ne pas restreindre son champ d’activité au sein de la production, ou bien ils l’utiliseraient pour faire supporter aux intrus et, d’une façon générale, à leurs concurrents – même au prix d’une perte momentanée de leur part – la mise en friche de leur capital additionnel.

La portion de ∆C qui se trouve dans des mains nouvelles chercherait à s’imposer aux dépens de l’ancien capital et pourrait y réussir en réduisant à l’inactivité une partie de l’ancien capital qui se verrait contraint de lui céder la place pour se substituer au capital additionnel partiellement ou complètement inoccupé.

Quoi qu’il en soit, une partie de l’ancien capital devrait rester en friche et ne plus agir comme capital qui se valorise en tant que tel.

C’est la concurrence qui déciderait de la portion restant en friche... En toute occurrence, l’équilibre se rétablirait par la mise en friche, voire la destruction de masses plus ou moins grandes de capital. Cela affecterait même en partie la substance matérielle du capital ; c’est dire qu’une partie [349] des moyens de production – capital fixe et circulant – ne fonctionnerait plus comme capital ; une partie des installations productives déjà en fonction serait fermée. Comme le temps attaque et détériore tous les ‘moyens de production – sauf la terre –, l’interruption d’activité provoquerait ici une destruction effective plus considérable encore de moyens de production. Sous cet aspect, l’effet principal serait donc que ces moyens de production cesseraient d’agir en qualité de moyens de production pour un temps plus ou moins long.

La destruction la plus importante et la plus grave porterait sur le capital en tant que valeur, la valeur-capital. La portion de la valeur capital qui existe simplement sous forme de titre sur des participations futures à la plus-value ou profit – c’est-à-dire de simples créances sur la production sous ses différentes formes serait aussitôt dévaluée du fait de la chute des recettes à partir desquelles elle est calculée. Une partie de l’or et de l’argent en espèces serait gelée, ne faisant : plus office de capital. Une partie des marchandises se trouvant sur le marché ne pourrait aller au terme de son procès de circulation et de reproduction qu’en baissant fortement de prix, donc à travers une dévalorisation du capital qu’elle représente. De même, les éléments constitutifs du capital fixe seraient plus ou moins dévalorisés. A cela s’ajoute que le procès de reproduction implique des conditions de prix déterminés, fixés à l’avance, et que la chute des prix le bloque et le perturbe – ce qui paralyse la fonction de moyen de paiement de l’argent qui repose sur un niveau de prix déterminé à l’avance et correspondant au développement du capital. À maints endroits, la chaîne des obligations de paiement à échéances déterminées s’interrompt, ce qu’aggrave l’effondrement du système de crédit développé au fur et à mesure de l’essor du capital. On aboutit ainsi à des crises aigue et violentes, à de soudaines et brutales dévalorisations et [350] à un blocage et désordre réels du procès de reproduction qui entraînent une baisse effective de la reproduction.

Mais, en même temps, d’autres facteurs interviendraient. La stagnation de la production aurait mis au chômage une partie de la classe ouvrière, ce qui oblige la partie occupée à accepter un abaissement de salaire même au-dessous de la moyenne – pour le capital, l’effet en est le même que si on élevait la plus-value relative ou absolue avec un salaire moyen inchangé. La phase de prospérité aurait favorisé les mariages ouvriers et réduit la mortalité infantile. Ces faits – quelque accroissement réel de la population qu’ils impliquent – ne provoquent pas encore une augmentation de la population travaillant réellement, mais influent sur le rapport des ouvriers au capital comme si le nombre des ouvriers vraiment en activité avait augmenté.

Par ailleurs, la baisse des prix et la lutte de concurrence auraient stimulé chaque capitaliste à augmenter – grâce à l’introduction de machines nouvelles, de techniques plus élaborées de travail et de combinaisons et méthodes supérieures -la valeur individuelle de son produit au-dessus de la valeur générale ; autrement dit, à accroître la productivité d’un quantum de travail donné, à abaisser la proportion de capital variable par rapport au capital constant et – ce faisant – à libérer des ouvriers, bref, à créer une surpopulation artificielle. En outre, la dévalorisation des éléments constitutifs du capital constant représenterait elle-même un facteur « qui provoquerait une élévation du taux de profit. La masse du capital constant utilisé aurait augmenté proportionnellement au capital variable, mais la valeur de cette masse pourrait avoir diminué. L’arrêt de la production qui s’ensuivrait, aurait préparé un élargissement ultérieur de la production dans les limites capitalistes.

Et la boucle serait ainsi de nouveau bouclée. Une [351] partie du capital bloquée dans sa fonction, retrouverait sa valeur primitive. Pour le reste, le même cercle vicieux recommencerait sur la base de conditions de production rénovées, d’un marché élargi et de forces productives accrues.

Cependant, même dans l’hypothèse que nous avons poussée à l’extrême, il n’y a pas de surproduction absolue et générale de capital, surproduction absolue de moyens de productions. Il n’y a surproduction de moyens de production que dans la mesure où ceux-ci doivent fonctionner en tant que capital et donc qu’ils impliquent – par rapport à leur valeur qui s’est gonflée en même temps que leur masse – qu’ils doivent reproduire cette valeur en créant une, valeur nouvelle plus grande.

Ce serait tout de même de la surproduction, parce que le capital serait hors d’état d’exploiter le travail au degré requis par un développement « sain et normal » du procès de production capitaliste, ce degré d’exploitation devant au moins accroître la masse du profit à mesure que s’accroît celle du capital employé, autrement dit, ce degré d’exploitation devant exclure que le taux de profit baisse dans la même proportion, voire plus rapidement, que le capital augmente.

Surproduction de capital ne signifie jamais que surproduction de moyens de production – moyens de travail et subsistances – qui sont susceptibles de fonctionner comme capital ou de servir à exploiter le travail au degré d’exploitation déterminé, la chute de ce taux d’exploitation au-dessous d’un certain ; niveau provoquant des perturbations et des arrêts du procès de production capitaliste – des crises et une destruction de capital. Il n’est pas contradictoire que cette surproduction de capital s’accompagne d’une surpopulation relative plus ou moins grande. Ce qui a augmenté les forces productives du travail, multiplié la masse des marchandises produites, élargi les marchés, accéléré l’accumulation [352] du capital, en masse et valeur, et abaissé le taux de profit, tout en ayant engendré aussi une surpopulation relative et l’engendre en permanence, une surpopulation d’ouvriers que le capital en excédent ne peut employer par suite du faible degré d’exploitation du travail auquel il serait contraint de l’employer, ou du moins par suite du faible taux de profit qu’elle procurerait pour un degré d’exploitation donné.

Si l’on exporte du capital, ce n’est pas parce qu’il ne peut absolument pas être utilisé dans le pays. C’est parce qu’il peut travailler à l’étranger à un taux de profit plus élevé. Mais ce capital constitue un excédent absolu, eu égard à la population ouvrière occupée et, plus généralement, au pays en question. Il coexiste avec la population relativement surnuméraire – et cet exemple montre comment tous deux se tiennent l’un l’autre et se conditionnent réciproquement.

Au reste, la baisse du taux de profit liée à l’accumulation suscite nécessairement la lutte de la concurrence. Ce n’est qu’au niveau du capital total de la société et pour les grands capitalistes déjà solidement en place, que la baisse du taux de profit peut être compensée par la hausse de la masse des profits. Le nouveau capital additionnel qui opère indépendamment, ne trouve pas de telles compensations : il faut d’abord les conquérir – et, de la sorte, c’est la baisse du taux de profit qui suscite la concurrence entre les capitaux, et non l’inverse. Cette concurrence s’accompagne, bien sûr, de hausses de salaire passagères et, partant, d’une nouvelle chute du taux de profit. C’est ce qui se produit aussi lorsqu’il y a surproduction de marchandises, avec la saturation du marché.

Comme le but du capital est de produire du profit et non, de satisfaire les besoins, le capital n’atteignant ce but que par des méthodes qui règlent la masse de sa production à l’échelle de sa production et non inversement, il est inévitable qu’il y ait sans cesse discordance entre les dimensions réduites de la consommation [353] sur la base capitaliste et une production qui tend toujours à outrepasser cette barrière inhérente à son système. Au demeurant, on sait que le capital consiste en marchandises si bien que la surproduction de capital inclut celle des marchandises. Il est donc étrange que les économistes qui nient toute surproduction de marchandises reconnaissent la surproduction de capital. Dire qu’il n’y a pas surproduction générale, mais disproportion au sein des différentes branches de production, cela revient à dire que, dans le cadre de la production capitaliste, la proportionnalité entre les diverses sections de la production dérive d’un continuel procès disproportionné, car la connexion de l’ensemble de la production s’impose aux agents de la production comme une loi aveugle, au lieu d’être une loi comprise et dominée par l’intelligence des producteurs associés qui auraient soumis le procès de production à leur contrôle commun.

En outre, le raisonnement de ces économistes implique que les pays, où le mode de production capitaliste n’est pas développé, doivent maintenir leur consommation et leur production au niveau qui convient aux pays de production capitaliste. Il est tout à fait exact de dire que la surproduction n’est que relative, – à condition d’entendre par là que le mode de production capitaliste tout entier n’est qu’un mode relatif, dont les limites, pour n’être pas absolues, ont pour lui, sur sa propre base, une valeur absolue. Comment, sinon, serait-il possible que soit insuffisante la demande de ces mêmes marchandises, dont manque la masse du peuple, et qu’il faille rechercher cette demande à l’étranger, sur de lointains marchés, pour pouvoir payer aux ouvriers du pays le montant moyen des articles de subsistance indispensables ? C’est possible uniquement parce que, dans ce système de rapports spécifiquement capitalistes, le surproduit acquiert une forme où le détenteur de la marchandise ne peut l’offrir à la consommation que si, pour lui, elle s’est reconvertie [354] en capital. Dire enfin que les capitalistes n’ont qu’à échanger et à consommer entre eux leurs marchandises, c’est perdre de vue toutes les caractéristiques particulières de la production capitaliste ; c’est oublier aussi qu’il s’agit de valoriser le capital, et non de le consommer.

En somme, toutes les objections que l’on oppose aux phénomènes palpables de la surproduction (phénomènes qui sont eux-mêmes – et pour cause – indifférents à ces objections) se réduisent finalement à l’assertion que les limites de la production capitaliste ne sont pas des limites de la production en soi, et donc ne sont pas non plus des limites au mode de production spécifique qu’est le capitalisme. Or la contradiction immanente à ce mode de production capitaliste se trouve précisément dans sa tendance au développement absolu des forces productives qui entrent sans cesse en conflit avec les conditions spécifiques de production dans lesquelles le capital évolue, les seules dans lesquelles il puisse évoluer.

Le capital ne produit pas trop de subsistances par rapport à la population existante. Tout au contraire, il en produit trop peu pour satisfaire décemment et humainement les exigences du grand nombre.

Le capital ne produit pas trop de moyens de production pour occuper la partie de la population qui est apte à travailler. Tout au contraire. Premièrement, le capital produit une trop grande partie de la population qui ne peut pas travailler effectivement, se trouvant obligée – de par les conditions qui lui sont faites – d’exploiter le travail d’autrui ou d’effectuer des activités qui ne peuvent être tenues comme telles qu’au sein d’un mode de production misérable. Deuxièmement, le capital est incapable de produire assez de moyens de production pour permettre à toute la population apte au travail de le faire dans les conditions les plus productives donc pour permettre que son temps de travail absolu soit raccourci grâce à la masse et à l’efficacité [355] du capital constant employé durant les heures de travail.

Mais, par ailleurs, le capital produit périodiquement trop de moyens de travail et de subsistances pour qu’ils puissent être appliqués à l’exploitation des ouvriers au taux déterminé de profit. Il produit trop de marchandises pour que la valeur et la plus-value qu’elles renferment puissent être réalisées et reconverties en capital nouveau dans les conditions de distribution et de consommation données, c’est-à-dire pour que ce procès ait lieu sans provoquer sans cesse des explosions.

Il ne produit pas trop de richesses. Mais il produit périodiquement trop de richesses eu égard à ses formes capitalistes, antagoniques.

Le mode de production capitaliste révèle qu’il est limité :

1. Parce que le développement des forces productives du travail, aiguillonné par la loi de la baisse du taux de profit, fait que celle-ci à un certain point entre en conflit aigu avec le propre développement de cette productivité, ce conflit ne pouvant être surmonté chaque fois que par des crises.

2. Parce que l’expansion ou la contraction de la production sont. déterminées, non par le rapport entre la production et les besoins sociaux, c’est-à-dire les besoins d’êtres humains socialement développés, mais par l’appropriation de travail non payé, et le rapport de ce travail non payé avec le travail objectivé en général ou – pour parler en langage capitaliste – par le profit, ou mieux le rapport entre ce profit et le capital utilisé ; autrement dit, c’est un niveau déterminé du taux de profit qui décide de l’extension ou de la limitation de la production.

C’est pour cette raison que le mode de production capitaliste suscite lui-même des limites à un certain degré de son expansion qui, dans d’autres conditions, apparaîtrait encore insuffisant, et de loin. Il se met à stagner, non au point où les besoins [356] sont satisfaits ; mais là où la production et la réalisation de profit l’y obligent.

Si le taux de profit baisse, il s’ensuit des phénomènes de deux ordres : dune part, le capital suscite des tensions pour inciter le capitaliste individuel à abaisser, par de meilleures techniques, etc., la valeur individuelle de ses marchandises au-dessous de leur valeur sociale Moyenne et de réaliser même un surprofit par rapport au prix courant de marché ; d’autre part, la spéculation se développe, étant favorisée par de frénétiques tentatives de trouver de nouvelles techniques de production, accompagnées de nouveaux investissements en capitaux, afin de s’assurer si possible un surprofit par rapport à la moyenne générale.

Le taux de profit, c’est-à-dire l’accroissement proportionnel de capital, est essentiel surtout pour tous les nouveaux surgeons de capitaux qui se regroupent de manière autonome. Or, si la formation de capital devenait le monopole exclusif d’un petit nombre de capitaux déjà établis, pour lesquels la masse du profit compense son taux, le feu vivifiant de la production s’éteindrait progressivement. Celle-ci s’assoupirait. Le taux de profit est la force motrice de la production Capitaliste : on ne produit que ce qui peut l’être avec profit et pour, autant que cela procure dit profit. D’où l’angoisse des économistes anglais devant la chute du taux de profit, Le fait que la simple possibilité de cette baisse ait fait frémir Ricardo démontre son intelligence profonde des conditions de la production capitaliste. Ce qui est. le plus fondamental chez lui, c’est précisément ce qu’on lui reproche, à savoir de considérer la production capitaliste sans se soucier des « hommes », en n’ayant d’yeux que pour le développement des forces productives – de quelque sacrifice en hommes et en valeurs-capital que soit payé ce progrès.

Le développement des forces productives du travail social est la mission historique et la raison d’être du capital. Ce faisant, il crée précisément, sans le savoir, [357] les conditions matérielles d’une forme de production supérieure. Ce qui tourmente Ricardo, c’est que le taux de profit – aiguillon de la production capitaliste,, en même temps que condition et moteur de l’accumulation – est compromis par le développement même de la production. Or, ici tout est dans le rapport quantitatif. En fait, il y a, au fond de tout cela, quelque chose de plus important, dont Ricardo n’a que l’intuition. On constate ici – en termes purement économiques, c’est-à-dire au Plan bourgeois, dans le cadre de l’argumentation capitaliste du point de vue de la production capitaliste elle-même – les limites de celle-ci, sa relativité. Il saute aux yeux qu’il ne s’agit pas d’un mode de production au sens absolu, mais d’un simple mode historique qui correspond à une époque bornée et bien déterminée du développement des conditions matérielles de la production.

Changement de prix des matières premières et crise[modifier le wikicode]

Marx, le Capital III, chap. VI

(Werke, 25, pp.127-31, 116-17).

Faisons simplement l’observation suivante : la richesse naturelle en fer, charbon, bois, etc., Ces éléments principaux de la fabrication et de l’application du machinisme apparaît comme une fertilité naturelle du capital, et intervient dans la détermination du taux de profit comme un élément indépendant du niveau bas ou élevé des salaires [7].

Comme le taux de profit se détermine par le rapport entre la plus-value et la somme de capital avancé en salaires et en capital constant, soit [math]\displaystyle{ \frac{pl}{C} }[/math] ou [math]\displaystyle{ \frac{pl}{c+v} }[/math] il saute aux yeux que tout ce qui provoque un changement de , et donc de C, entrainera aussi [358] une modification du taux de profit, même si pl et v et leur rapport réciproque restent inchangés.

Il se trouve que la matière première constitue un élément essentiel du capital constant. Même dans les branches d’industrie qui ne travaillent pas directement la matière première, celle-ci entre comme matière auxiliaire ou comme partie constitutive des machines, etc., et ses variations de prix se répercutent proportionnellement sur le taux de profit. Si le prix de la matière diminue d’un montant égal à d, [math]\displaystyle{ \frac{pl}{c+v} }[/math] devient [math]\displaystyle{ \frac{pl}{c-d+v} }[/math] d’où hausse du taux de profit. Et vice versa, si le prix de la matière première augmente. En conséquence, toutes autres conditions restant égales, le taux de profit varie en sens inverse du prix de la matière première.

C’est ce qui explique l’importance décisive pour les pays industrialisés d’avoir des matières premières à bas prix. C’est vrai même si les fluctuations du prix des matières premières ne s’accompagnaient pas de changements dans la sphère de la vente du produit, donc tout à fait indépendamment du rapport de l’offre et de la demande [8]. On constate donc que le commerce extérieur influe sur le taux de profit, en dehors même de ses effets sur le salaire, par la diminution du prix des moyens de subsistance, car il affecte, le prix des matières premières ou auxiliaires employées dans l’industrie ou l’agriculture...

Abstraction faite du salaire, c’est-à-dire du capital variable, l’élément primordial dans le prix de production est la matière première, les matières auxiliaires ; on peut y inclure les matières auxiliaires, dont l’importance apparaît surtout dans les secteurs de la production qui ne travaillent pas de matière première, par exemple, [359] les mines et, en général, l’industrie extractive. La partie du prix qui doit compenser l’usure des machines ne représente, tant que la machinerie est en mesure de fonctionner, qu’un poste virtuel ; il importe guère de savoir si cette somme sera payée aujourd’hui ou demain ou à quelle section donnée du temps de circulation du capital elle sera payée et remplacée en argent. Il en va autrement de la matière première. Si le prix de la matière première monte, il peut arriver qu’il soit impossible de la remplacer complètement pour recommencer le procès de reproduction suivant, après avoir prélevé le salaire sur valeur de la marchandise.

Ainsi donc, de violentes fluctuations de prix des matières premières provoquent des interruptions, de graves perturbations et même des catastrophes dans le procès de reproduction.

Ce sont surtout les produits de l’agriculture proprement dits, les matières de nature organique, qui sont soumis à de telles oscillations de valeur du fait des résultats variables des récoltes, etc. Par suite de conditions naturelles tout à fait incontrôlables, de saisons favorables ou non, etc., une même quantité de travail peut se représenter dans des quantités fort différentes de valeurs d’usage, et une quantité déterminée de ces valeurs d’usage pourra donc avoir un prix très différent...

Il est dans la nature des choses que des matières végétales et animales, dont la croissance et la production sont soumises à des lois organiques bien déterminées, en rapport intime avec des espaces de temps naturels, ne puissent être soudainement multipliées au même rythme que les machines, par exemple, ou tout autre capital fixe, charbon, minerais, etc. dont on peut accroître la production en un temps très court dans un pays industrialisé, en faisant abstraction des conditions, naturelles. Il est donc possible et même Inévitable – lorsque l’économie capitaliste est développée – que la production et l’accroissement de la [360] partie du capital constant, formée par le capital fixe, l’outillage, etc., prenne une avance considérable sur la partie constituée par les matières premières organiques, de sorte que la demande de ces matières premières augmente plus vite que l’offre, et donc que leur prix s’élève. Cette hausse de prix a, en pratique, comme conséquence : 1. que l’on importe ces matières premières de contrées plus lointaines dès lors que l’augmentation de prix compense les frais de transports accrus ; 2. que l’on s’efforce d’augmenter leur production – ce qui, par la nature des choses, ne peut cependant avoir d’effet réel sur la masse des produits qu’un an plus tard, et 3. que l’on utilise de plus en plus toutes sortes de produits de remplacement qu’on négligeait jusqu’ici. Ainsi se préoccupe-t-on de l’usage de plus en plus systématique des sous-produits ou déchets [9]. Lorsque l’augmentation des prix commence à exercer une influence assez sensible sur l’extension et l’offre de la marchandise, c’est que l’on a déjà atteint la plupart du temps le tournant où, par suite de l’augmentation persistante de la matière première et de ; toutes les marchandises dont elle forme un élément important, la demande baisse - ce qui se répercute aussi sur le prix des matières premières.

Ces convulsions n’entraînent pas seulement une dévalorisation du capital sous ses diverses formes, mais encore d’autres conséquences que nous allons considérer maintenant.

Plus la production capitaliste est développée, et plus considérables sont en conséquence les moyens d’accroître de façon subite et durable la fraction du capital constant constituée par, les machines, etc., et plus rapide est l’accumulation (ce qui se produit surtout aux époques de prospérité). Il s’ensuit donc une surproduction relative de machines et autre capital fixe. Or elle sera d’autant plus forte que sera fréquente la sous-production relative des matières premières animales et végétales – et la hausse de leurs prix et le [361] choc en retour correspondant seront donc d’autant plus marqués. Plus fréquentes seront donc les révulsions qui proviennent de ces violentes fluctuations de prix de l’un des éléments les plus importants du procès de reproduction...

Dès que la situation permet l’application du principe général de la concurrence – « acheter sur le marché où les prix sont le plus bas » on laisse au « prix » le soin de régulariser l’offre des matières premières. Toute idée d’un contrôle commun, général et préventif, de la production des matières premières – contrôle qui en pratique est parfaitement inconciliable avec les lois de la production capitaliste et restera en conséquence un vœu pieux ou se limitera à des démarches communes de caractère exceptionnel aux moments de grave péril immédiat et de grand désarroi – fait place à la croyance que demande et offre se régulariseront mutuellement.

Les capitalistes sont si superstitieux sur ce point que même les inspecteurs de fabrique ne cessent de lever les bras au ciel à ce sujet dans leurs rapports.

L’alternance de bonnes et de mauvaises années amène aussi temps à autre un meilleur marché des matières premières. L’effet immédiat que cela provoque sur la demande, dont le volume augmente, est aggravé par l’action de stimulation qu’exerce ici le taux de profit. Et cela reproduit à une échelle encore plus grande la disparité, dont nous avons parlé plus haut : le fait que la production de machines, etc, dépasse celle de matières premières à une échelle toujours plus grande.

L’amélioration réelle de la matière première, de façon qu’elle soit fournie non seulement en quantité adéquate, mais encore dans la qualité requise – par exemple, que l’Inde fournisse du coton de qualité américaine – impliquerait une demande européenne continue, en progression régulière sans à-coups (et ce, en faisant abstraction des conditions économiques auxquelles [362] le producteur hindou est soumis dans son pays). En fait, la sphère de production des matières premières subit sans cesse des à-coups imprévus : tantôt elle s’élargit brusquement, tantôt elle se rétrécit de nouveau brutalement. La crise cotonnière qui sévit de 1861 à 1865 fournit une excellente matière pour vérifier ces faits qui témoignent de l’état d’esprit de la production capitaliste en général. A cette occasion, le coton, matière première qui constitue l’élément essentiel de la reproduction, vint à manquer complètement pendant un temps.

Il peut arriver aussi que le prix monte alors que l’approvisionnement suffit aux besoins, mais avec du mal. Il peut y avoir enfin une véritable pénurie de la matière première – et c’est ce qui s’est produit au début de la crise cotonnière.

Ainsi donc, plus nous nous approchons de la période contemporaine, plus nous constatons – notamment dans les secteurs clés de l’industrie – la répétition régulière de cette alternance constante entre renchérissement relatif et dépréciation successive des matières premières tirées de la nature organique. Les rapports des inspecteurs de fabrique illustrent parfaitement cette évolution.

La morale de toute cette histoire – que l’on peut tirer aussi des autres observations de l’agriculture – est que le système capitaliste, bien qu’il en favorise l’essor technique, répugne à donner un caractère rationnel à l’agriculture, voire est incompatible avec elle ; cette agriculture est rationnelle, ou bien entre les mains du petit paysan qui travaille lui-même, ou bien sous le contrôle des producteurs associés.

[363]

Crises et renouvellement de l’outillage[modifier le wikicode]

Marx, le Capital II, chap. VII et IX

(Werke, 24, pp. 171, 178, 185-6 et 188).

Le progrès de l’industrie ne cesse de changer les moyens de travail.

On ne les remplace cependant pas sous la forme qu’ils avaient, mais sous une forme meilleure. Mais. la masse du capital fixe, placée sous une forme naturelle déterminée et devant durer sous cette forme pendant une période moyenne déterminée, représente une raison de n’introduire que graduellement les machines nouvelles, etc. et fait donc obstacle à l’adoption universelle rapide des moyens de travail perfectionnés [10]. Mais, d’autre part, la lutte de la concurrence, notamment lorsqu’il en va de changements décisifs, impose le remplacement des vieux moyens de production par les nouveaux avant que ceux-ci n’aient atteint le terme naturel de leur existence. Ce sont principalement’ les catastrophes, les crises qui contraignent à ce renouvellement prématuré de l’outillage des entreprises à la vaste échelle de la société [11]

Si l’on considère la question au niveau de la société entière, on peut dire qu’il faut une constante surproduction – c’est-à-dire une production à une échelle plus grande que ne l’exigeraient le simple remplacement et la reproduction de la richesse actuelle, abstraction faite de l’accroissement de la population – pour se donner des moyens de production et aussi pour compenser les destructions extraordinaires causées par les accidents et les forces naturelles (ainsi que le renouvellement prématuré de l’outillage en raison du bouleversement technique de ceux-ci)...

Avec l’essor du mode de production capitaliste, on assiste à une augmentation de la valeur et de la durée du capital fixe investi en même temps qu’à un allongement de nombreuses années, mettons en moyenne [364] à dix ans, du cycle vital de l’industrie et du capital industriel pour chaque placement particulier. Or si, d’une part, ce cycle de vie est allongé par le développement du capital fixe, il est, d’autre part, raccourci par le continuel révolutionnement des moyens de production qui s’accélère, lui aussi, continuellement avec l’essor du mode de production capitaliste. D’où le renouvellement des moyens de production et la nécessité de les remplacer sans cesse en raison de leur usure « morale », bien avant leur usure physique complète [12].

On peut admettre que, pour les branches les plus décisives de la grande industrie, ce cycle vital est présentement en moyenne de dix ans. Cependant, ce qui compte ici n’est pas la précision de ce chiffre, mais ceci : l’une des bases matérielles des crises périodiques est formée par ce cycle qui englobe pour une série &années des rotations liées les unes aux autres et au cours desquelles le capital est prisonnier de son élément fixe. Au cours de ce cycle, les activités passent par des phases successives de calme plat, d’animation moyenne, de précipitation et de crise. Ainsi donc, les périodes au cours desquelles le capital est investi sont très différentes les unes des autres et ne coïncident pas.

Or, la crise représente toujours le point de départ d’un puissant mouvement d’investissements nouveaux [13]. Elle fournit donc la nouvelle base matérielle pour le prochain cycle économique, si l’on considère les choses à l’échelle de la société entière...

Le système du crédit auquel se réfère Scrope, de même que le capital commercial ne modifient la rotation que pour le capitaliste individuel. À l’échelle de la société, ils ne la modifient que dans la mesure où ils accélèrent non seulement la production, mais encore la consommation.

  1. Marx donne ici l’explication centrale, décisive des crises du système capitaliste : la baisse tendancielle du taux de profit. Nous nous sommes longuement attardé sur ce point dans l'Introduction. Le point décisif, c'est que le taux de profit baisse avec l'accumulation élargie du capital, et que le bourgeois avide de profits, ne peut compenser cette baisse relative (du taux) que par une augmentation absolue de la quantité des profits – ce qui l'oblige à augmenter de plus en plus frénétiquement la production. Au point où le taux du profit ne permet plus de reproduire l’énorme masse de la production, c’est le blocage, la crise. L’essor même du capital fait sauter toutes ses jointures – tous ces points vulnérables de ses échanges mercantiles répertoriés dans le texte précédent.
  2. Le taux de profit évolue en sens inverse de la masse des profits : le premier tend à diminuer alors que la seconde ne fait que gonfler. Or, les forces productives croissent en raison de la masse des profits, c'est-à-dire de la production, de sorte que la surproduction et la crise de pléthore guette toujours plus le capital, qui s'avère trop étroit pour contenir les forces productives épanouies. La chute du mode de production bourgeois ne signifie donc pas la fin du progrès des forces productives ; il sera éliminé, au contraire, parce qu'elles sont trop fortes et qu'elles ne cessent de grandir. C'est ce qui ressort du passage suivant de Marx sur les Théories de la plus-value : « Le taux de profit tombe – bien que la masse de plus-value reste la même, voire augmente – parce que le capital variable diminue avec l'essor des forces productives du travail par rapport au capital constant avancé. Il ne diminue donc pas parce que le travail perd de sa force productive, parce que l'ouvrier est moins exploité, mais parce qu'il l'est plus – soit du fait que le temps de surtravail absolu augmente, soit, si l'État (par des lois restreignant la durée du temps de travail. N. d. Tr.) le freine, parce que la production capitaliste signifie par définition que la valeur relative du travail baisse, et donc que le temps de surtravail monte » (Werke, 26/2, p. 441).
  3. C'est un moyen de freiner la baisse tendancielle de taux de profit. Or, dévalorisation signifie aussi destruction de capital. Faut-il s'étonner dès lors que le capitalisme sénile, avec son faible taux de profit, ait une tendance de plus en plus marquée à détruire du capital, parce qu'il ne peut plus contenir autrement l'essor des forces productives du travail ?
  4. En d'autres termes, en détruisant les forces productives et les richesses produites dans le passé – ce que nous avons appelé l'homicide des morts.
  5. C'est l'opposition entre la montagne de valeurs d’usage (produits) qui ne cesse de grossir face à une valeur stagnante – ce qui entraîne une dévalorisation folle de tout ce qui est produit, soit un avilissement de toutes les choses – et y compris la marchandise qu'est la force de travail.
  6. Il y a surproduction générale quand le taux – et donc la masse – du profit tombe à zéro. C'est ce qui se produit à la fin de toute longue période économique avec la crise ou la guerre. Nous entendons évidemment, la surproduction absolue... relativement aux normes de production capitalistes. D’ailleurs, la production reprend de nouveau, lorsque la crise sera résorbée – jusqu'à l'ultime crise.
  7. Nous en arrivons ici à des points particuliers qui, dans le mécanisme déterminé du capital, suscitent des crises. L'effet sur la crise de fortes oscillations du coût des matières premières qui est d'une grande actualité, s'explique de par sa répercussion sur le taux du profit qui est précisément le plus bas dans la période de surchauffe où le prix des matières premières augmente à la suite de la forte demande et de leur production tendue à l'extrême parce qu'il faut ouvrir des gisements moins riches et d'un accès plus difficile.
  8. À ce propos, Marx remarque dans les Théories sur la Plus-value (Werke, 26-2, p. 440) : « Ricardo ne voit pas l'importance fondamentale qu'a, par exemple, pour l'Angleterre, la fourniture de matières premières bon marché à son industrie. Comme je l'ai souligné déjà à ce propos, cela permet au taux de profit de monter, bien que les prix des produits en général baissent, alors que dans le cas inverse le taux de profit peut baisser lorsque ces prix haussent, même si dans les deux cas le salaire demeure le même. » En somme, que les prix courants soient bas ou qu'ils soient élevés, il y a une constante : l'impérialisme capitaliste a besoin de matières premières à vil prix – sur le dos des pays dépendants pour les gaspiller allègrement.
  9. La folie de la recherche du plus bas coût de production, sous la stupide loi capitaliste de la baisse du taux de profit, conduit ainsi à tous les progrès techniques grâce auxquels on minéralise de plus en plus les produits que l’on jette aussi vite que possible pour réamorcer la production. C'est le sens des économies systématiques au sens capitaliste : on gâche la matière, en bousille le produit, et on recommence.
  10. Cette rubrique traite du rapport entre la composition organique liée au taux de profit, et partant, du rapport entre capital constant et capital variable. C’est ce qui détermine la longueur des cycles économiques, dont les grandes périodes s'allongent à mesure que les différents cycles qui les composent se rétrécissent – comme nous l'avons expliqué dans l'Introduction. La durée de plus en plus longue des machines et installations est évidemment pour une bonne part dans le prolongement, à l'âge sénile du capital, de ses périodes : le taux de profit est de plus en plus bas, et la composition organique du capital de plus en plus élevée (haute efficacité et grande durabilité des instruments de production avec une forte consommation de matières premières).
  11. Cet après-guerre a confirmé de manière flagrante cette déduction de Marx : les catastrophes périodiques (crises, guerres) ou permanentes (armement) font progresser la fausse technique du capitalisme sénile à pas de géant : la crise et la mort, facteurs de progrès !
  12. En termes moins techniques, on met les machines et les installations productives au rebut, bien qu'elles soient encore tout à fait en état de marcher.
  13. Le taux de profit qui était tombé à zéro à la fin de la période précédente, c'est-à-dire bien au-dessous de la moyenne de celle-ci, se redresse dès que la crise a fait baisser le niveau de vie des populations et remonter le taux de profit – ce qui permet de nouveaux investissements massifs qui durent toute la phase de reconstruction. Ainsi, les à-coups du renouvellement du capital fixe aggravent encore les conditions de vie des masses, les à-coups expliquant aussi en partie les fluctuations du taux de profit (donc de la croissance) au-dessus ou au-dessous de la moyenne de période. Le crédit facilite cette opération pour messieurs les capitalistes.