VI. Le pouvoir soviétique

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II. La dictature du prolétariat et l'édification du communisme[modifier le wikicode]

Introduction. Les conditions de l'édification communiste en Russie[modifier le wikicode]

41. Situation internationale de la Russie[modifier le wikicode]

La nécessité d’une révolution communiste fut imposée par le tait que la Russie est étroitement liée au système économique mondial. Et lorsqu’on nous pose cette question : « Comment la Russie, ce pays arriéré, pourrait-elle passer au régime communiste ? » Notre réponse doit s’appuyer sur la signification internationale de la révolution. La révolution du prolétariat ne peut être actuellement que mondiale. C’est dans ce sens qu’elle se développe. L’Europe tout entière passera inévitablement au régime de la dictature du prolétariat et de là au communisme. En conséquence, la Russie ne saurait rester capitaliste lorsque l’Allemagne, la France, l’Angleterre seront passées à la dictature du prolétariat. Il est clair que la Russie sera fatalement entraînée vers le socialisme. Son manque de culture, l’insuffisance de son développement industriel, etc., tout cela sera de peu d’importance lorsque la Russie s’associera avec les pays les plus cultivés dans une République mondiale ou au moins européenne des Soviets. II est exact que les ruines causées par la guerre et la révolution auront affreusement épuisé l’Europe entière. Mais un prolétariat conscient et puissant saura, en quelques années, rétablir la formidable industrie qui contribuera à son tour à aider la Russie arriérée. La Russie, d’autre part, est un pays extrêmement riche en produits naturels tels que le bois, le charbon, le pétrole, les minerais et le blé. On aura tous ces produits en abondance avec la paix et une bonne organisation. Nous aiderons, à notre tour, nos camarades de l’Occident par l’envoi de nos matières premières. Si toute l’Europe passait au pouvoir du prolétariat, son industrie suffirait à tous les besoins. Et puisque la prise du pouvoir par le prolétariat, en Europe, est inévitable, la tâche de la classe ouvrière russe sera de contribuer par tous les moyens à l’établissement du communisme. C’est pour cela (nous l’avons vu dans la première partie) que notre Parti a pour premier devoir de procéder à l’édification immédiate du communisme.

42. La grande industrie en Russie[modifier le wikicode]

Notre industrie, d’ailleurs, quoique peu développée, en comparaison de l’agriculture, possédait une organisation capitaliste considérable. Nous avons vu dans la première partie, que les principales branches de la production capitaliste en Russie étaient entre les mains d’entrepreneurs qui occupaient parfois plus de 10 000 ouvriers. A partir de 1907, l’industrie russe s’est rapidement centralisée. Un réseau de syndicats et de trusts s’y est formé. Depuis le début de la guerre, la bourgeoisie fit même quelques essais d’organisation du capitalisme d’Etat. Cela confirme notre opinion que l’industrie peut être organisée et dirigée, quoique non sans difficultés, dans toute la Russie à l’échelle étatique. Il est curieux de constater que les socialistesrévolutionnaires de droite et les menchéviks qui affirmaient continuellement que le socialisme était absolument impossible en Russie se prononçaient toujours pour l’organisation et le contrôle de l’industrie par l’Etat. Mais selon eux, cette organisation du contrôle de l’industrie n’était nécessaire que lorsque tout le pouvoir appartenait à la bourgeoisie, l’Etat bourgeois seul devant « régler et contrôler ». Autrement dit, les menchéviks et les social-révolutionnaires, malgré tout leur chauvinisme, étaient partisans du capitalisme d’Etat à la manière prussienne. Il est clair pourtant qu’admettre le capitalisme d’Etat, c’est en même temps croire possible l’organisation socialiste de la production. En effet, la seule différence, c’est que, dans le premier cas, l’organisation et le contrôle de la production appartiennent à l’Etat bourgeois, tandis que dans le second ils appartiennent à l’Etat prolétarien. Si notre production avait été tellement arriérée que toute question d’organisation eût été superflue, cette production n’aurait pu être organisée non plus sur la base du capitalisme d’Etat. Nous savons bien que l’organisation et la production ne deviennent possibles que quand la centralisation du capital atteint un certain degré. Ce degré de centralisation, le capitalisme russe l’a atteint. Et les adversaires même du communisme le reconnaissent lorsqu’ils croient possible l’organisation de l’industrie par l’Etat bourgeois. L’industrie russe était arriérée non par suite du manque d’usines importantes, mais parce que toute l’industrie n’était qu’une infime partie de la production en comparaison de l’agriculture. De là il ressort que le prolétariat russe doit, malgré toutes les difficultés, organiser l’industrie à sa manière et la garder sans faiblesse jusqu’à ce que les camarades d’Occident lui apportent aide et appui. En ce qui concerne l’agriculture, nous devons organiser une série de points d’appui sous forme d’exploitations en communauté, et dès que nous pourrons nous unir à l’industrie occidentale, l’industrie organisée en commun permettra rapidement aux petits producteurs et aux agriculteurs d’entrer dans la grande association fraternelle. Si l’industrie européenne était tout entière organisée par la classe ouvrière, elle pourrait, d’après un plan établi, livrer à la campagne quantité de produits manufacturés. Il n’y aurait pas des centaines de milliers de commerçants et de spéculateurs : ce sont les magasins de l’Etat ouvrier qui répartiraient ces produits dans les campagnes. Les paysans, eux aussi, seraient tenus de livrer leurs produits d’après un plan organisé, et ils s’accoutumeraient ainsi petit à petit à la production en commun. Une puissante industrie contribuerait beaucoup au bien-être de la classe paysanne et cette dernière constaterait de visu les bienfaits du nouveau régime.

43. Triste héritage de la guerre impérialiste[modifier le wikicode]

Nous nous rendons bien compte combien tout cela est difficile à atteindre. Il se passera bien des années avant que la société marche dans la nouvelle voie Essayons d’exposer les raisons des difficultés que nous prévoyons.

Nous sommes obligés d’agir seuls jusqu’à la victoire de la Révolution mondiale et la classe ouvrière qui conquit le pouvoir en 1917 recueillit un triste héritage. La Russie à ce moment n’était plus qu’un pays complètement appauvri et ruiné.

La guerre consumait toutes ses forces. La plupart des usines étaient obligées de travailler pour la guerre et de fabriquer le matériel pour l’œuvre de destruction. En 1915, des 11 milliards et demi du budget national, 6 milliards furent employés aux dépenses de guerre. Déjà au début de la Révolution, on pouvait se rendre compte des effroyables conséquences de la guerre. La production des usines métallurgiques baissa de 40 %, celle des fabriques de textiles de 20 %, de même la production du charbon, de la fonte, du fer, de l’acier, diminuait rapidement. Du 1er mars au 1er août 1917, 568 entreprises furent fermées, et plus de 100 000 prolétaires furent jetés sur le pavé. La dette de l’Empire atteignait un chiffre fantastique et, de jour en jour, la situation du pays s’aggravait.

C’est ainsi que le prolétariat, ayant saisi le pouvoir en octobre 1917, se trouvait devant une tâche extrêmement difficile : organiser la production socialiste dans un pays complètement ruiné. La démobilisation seule nous coûta bien des efforts extraordinaires; c’est à cette époque que nos transports militaires, déjà désorganisés par la guerre, furent presque complètement anéantis et que nos chemins de fer cessèrent presque complètement de marcher. Tout transport devint à peu près impossible. Après la production, le trafic même s’arrêta.

Mais tout cela ne peut servir d’objection contre la Révolution ouvrière. Si la bourgeoisie avait continué à régner, elle aurait poursuivi la guerre impérialiste, elle aurait payé des intérêts énormes aux Français et aux Anglais, et surtout, elle aurait fait supporter toutes les dépenses aux ouvriers et aux paysans. C’est notre appauvrissement et notre épuisement mêmes qui incitèrent le prolétariat à transformer le monde sur des bases nouvelles. C’est avec un esprit d’économie et d’ordre qu’il fallut organiser les ressources qui nous restaient. Il était nécessaire d’imposer à la bourgeoisie le fardeau des dépenses, il fallait absolument tirer d’affaire la classe ouvrière par les seuls moyens à sa disposition. Cette œuvre indispensable fut imposée au prolétariat révolutionnaire dans des conditions extrêmement difficiles : il s’agissait de boire le vin tiré par messieurs les impérialistes.

44. La Guerre civile et la lutte contre l’impérialisme mondial[modifier le wikicode]

Pendant tout ce temps, la bourgeoisie mettait tout en œuvre pour empêcher l’organisation de la production par la classe ouvrière. Après la victoire du prolétariat, elle appliqua le sabotage sur une grande échelle. Tous les anciens hauts fonctionnaires, tous les ingénieurs, les instituteurs, les anciens propriétaires et employés des banques sabotaient le travail par tous les moyens. Les conjurations et les soulèvements de gardes blancs se suivaient sans interruption. La bourgeoisie russe entra en relations avec l’Entente, avec les Tchécoslovaques, avec les Allemands, les Polonais, etc., et tenta d’étrangler le prolétariat russe dans une guerre ininterrompue. Le prolétariat fut obligé de créer une forte armée afin de se défendre contre les hobereaux et les capitalistes de tous les pays. L’impérialisme mondial en entier s’abattit sur le prolétariat russe. Il va sans dire que cette guerre — véritable guerre d’indépendance — exige de grands sacrifices. Ce qui subsiste de notre industrie doit fournir à l’Armée Rouge tout le nécessaire, des milliers des meilleurs ouvriers organisateurs doivent aller renforcer cette armée. En outre, la bourgeoisie réussit dès le début à se fortifier sur quelques points d’importance économique capitale. Les généraux du Don privèrent la classe ouvrière du charbon du bassin du Donetz. Les Anglais s’emparèrent des puits de pétrole de Bakou; l’Ukraine, riche en céréales, la Sibérie, des régions riveraines de la Volga passèrent à plusieurs reprises aux mains de la contre-révolution. La classe ouvrière eut non seulement à se défendre, armes en mains, contre ses ennemis innombrables, mais aussi à organiser la production presque sans matières premières et sans combustible.

Ces faits expliquent clairement la lenteur de l’organisation de la production par les ouvriers. Il faut que la classe ouvrière abatte d’abord définitivement ses ennemis, sans quoi elle ne pourra point établir l’ordre nouveau.

Dans sa lutte contre les ouvriers, la bourgeoisie a recours à tout ce qui peut nuire économiquement au prolétariat russe. Voilà plusieurs années déjà que la Russie est bloquée de tous côtés, qu’aucune marchandise ne peut y pénétrer de l’étranger. Les Blancs, en se retirant, brûlent et détruisent tout. C’est ainsi que l’amiral Koltchak livra aux flammes des millions de tonnes de blé et brûla une bonne moitié de la flotte de la Volga, etc... La résistance de la bourgeoisie, fortifiée dans sa lutte acharnée par le secours que lui apporte l’impérialisme mondial, est le second obstacle qui se dresse devant la classe ouvrière.

45. Caractère petit-bourgeois du pays. Absence de traditions organisatrices dans le prolétariat[modifier le wikicode]

Nous avons déjà vu que notre industrie était suffisamment centralisée pour que la question de sa nationalisation et de son organisation sur des bases nouvelles puisse être posée. D’autre part, notre industrie est trop faible en comparaison de toute la production du pays. L’écrasante majorité de la population en Russie est paysanne et non urbaine. D’après le recensement de 1897, on comptait en Russie (y compris la Sibérie, mais excepté la Finlande), 16 millions d’habitants des villes, sur un total de 117 millions. En 1913, d’après les données d’Organovsky, la population se composait de 140 millions d’habitants des campagnes contre 30 millions de citadins, de sorte que ces derniers ne constituaient que 18 % de la population entière. Mais les villes ne sont pas peuplées uniquement de prolétaires d’usines ou d’ateliers, il y aussi des industriels, des commerçants, des petit-bourgeois et des gens de professions libérales, qui ensemble représentent plusieurs millions. Il est vrai que l’on trouve dans les campagnes d’anciens journaliers, des indigents qui appuient aussi la classe ouvrière. Mais ils ne sont ni aussi conscients, ni aussi organisés.

L’immense majorité de la population russe est composée de tout petits propriétaires. Bien qu’ils gémissent sous le joug des capitalistes, des gros propriétaires fonciers, ils sont si habitués à la propriété privée et à l’exploitation individuelle qu’il est difficile de les faire participer d’un seul coup à l’œuvre commune, à l’organisation de la production commune. Profiter de son prochain, ne s’occuper que de sa propre exploitation, telles sont les habitudes bien enracinées de chaque petit propriétaire, et c’est encore — sans compter les autres — une cause de difficultés pour l’application en Russie du communisme.

Notre faiblesse se reflète aussi dans la classe ouvrière. Elle a généralement l’esprit révolutionnaire et combatif, mais elle englobe dans son sein des éléments rétrogrades, non habitués à l’organisation. Tous les ouvriers ne ressemblent pas à ceux de Pétrograd. Il en est beaucoup d’arriérés et d’inconscients qui n’ont pas l’habitude de travailler pour la cause commune. Il en est aussi qui viennent seulement de quitter la campagne : ils ont encore la mentalité paysanne et sont sujets aux erreurs du milieu qu’ils viennent d’abandonner.

Ces défauts disparaissent à mesure que la classe ouvrière entre en lutte et qu’elle est entraînée au travail. Néanmoins, cette circonstance, elle aussi, rend plus difficile, sinon impossible, la réalisation de nos tâches.

46. Le Pouvoir soviétique sous la forme de la dictature du prolétariat.[modifier le wikicode]

Notre Parti, le premier, a exigé et réalisé le pouvoir soviétique. La grande Révolution d’Octobre 1917 eut pour mot d’ordre : « Tout le pouvoir aux Soviets ». Ce mot d’ordre n’existait pas avant que notre parti l’eût adopté, ce qui ne signifie point que nous l’ayons inventé. Il sortit des besoins mêmes de la classe ouvrière. Déjà au cours de la Révolution de 1905-1906, des organisations ouvrières de classe se formèrent : les conseils de délégués ouvriers. Dans la Révolution de 1917 ces organisations se constituèrent en nombre bien plus considérable : partout surgirent comme des champignons les conseils d’ouvriers, de soldats et plus tard de paysans II était clair que ces conseils qui apparaissaient comme des organes de lutte pour le pouvoir allaient inévitablement devenir des organes du pouvoir.

Déjà bien avant la Révolution de 1917, on parlait beaucoup de la dictature du prolétariat, mais personne ne savait sous quelle forme elle serait réalisée. La Révolution russe l’a réalisée sous la forme du pouvoir soviétique. Le pouvoir soviétique réalise la dictature du prolétariat qui, organisée en classe dominante dans ses Soviets, brise, à l’aide de la classe paysanne, la résistance de la bourgeoisie et des gros propriétaires. Bien des gens croyaient auparavant que la dictature du prolétariat pourrait s’exercer sous forme d’une « République démocratique » instituée par une Assemblée Constituante et gouvernée par un Parlement issu de toutes les classes de la nation. Maintenant encore les opportunistes et les réformistes défendent le même point de vue et déclarent que seules l’Assemblée Constituante et la République démocratique peuvent éviter au pays les horreurs de la guerre civile. Mais la réalité se charge de nous prouver le contraire. En Allemagne, par exemple, sortit de la Révolution de novembre 1918 une République démocratique, ce qui n’empêcha point, au cours de 1918 et 1919, des luttes sanglantes où les ouvriers combattirent pour la République des Conseils. Le mot d’ordre du pouvoir des Soviets est devenu celui du prolétariat. Non seulement en Russie mais partout où il y a une classe ouvrière la réalité confirme la justesse de nos revendications : « Tout le pouvoir aux Soviets ».

47. Démocratie prolétarienne et Démocratie bourgeoise[modifier le wikicode]

La République démocratique bourgeoise s’appuie sur le suffrage universel et sur la volonté populaire ou nationale « en dehors des classes ». Ses partisans et les partisans de la Constituante nous disent que nous violons la volonté commune de la nation. Nous allons d’abord examiner cette question.

Nous avons déjà indiqué dans la première partie de ce livre que la société actuelle est composée de classes aux intérêts opposés. On ne peut pas plus concilier les classes que les loups et les moutons. Les loups dévorent les moutons. Ces derniers sont obligés de se défendre contre les loups. Dans ces conditions est-il possible de déterminer des intérêts communs et par conséquent une volonté commune aux loups et aux moutons : toute personne sensée nous dira que c’est une folie. Il n’y a qu’une alternative possible. Ou bien la volonté des loups l’emportera et les moutons esclaves seront dupés et mangés, ou le contraire se produira. Dans ce dernier cas les moutons se défendront et se débarrasseront des fauves. Il n’y a pas de milieu. C’est la même situation entre les classes de la société. Une classe lutte contre l’autre : la bourgeoisie contre le prolétariat et ce dernier contre la bourgeoisie. Ils sont à couteaux tirés. Ces deux classes ne peuvent avoir ni volonté ni intérêts communs. Ou la volonté de la bourgeoisie l’emportera et elle s’imposera au prolétariat; ou ce sera ce dernier qui imposera sa volonté à la bourgeoisie. Il est stupide de croire à des intérêts nationaux communs aux classes opposées, au cours d’une guerre civile et d’une révolution, lorsque tout le vieux monde craque de toutes parts. Le prolétariat lutte alors pour transformer le monde sur des bases nouvelles, la bourgeoisie combat pour sauvegarder et même raffermir l’ancien esclavage.

Quelle volonté commune peuvent-elles donc avoir, les classes bourgeoise et prolétarienne ? Toutes ces phrases sur la volonté nationale ne sont évidemment qu’imposture, s’il s’agit de la nation embrassant toutes les classes. Une telle volonté n’existe pas et ne peut pas exister.

Mais ce mensonge est nécessaire à la bourgeoisie pour justifier sa domination. Ne constituant qu’une minorité, elle ne peut dire ouvertement que seul un petit groupe de capitalistes est au pouvoir. Elle a donc recours au mensonge et déclare qu’elle gouverne au nom de toute la nation, de toutes les classes, de tout le peuple, etc...

De quelle façon cette duperie s’accomplit-elle dans la République démocratique ? Grâce à la dépendance, à l’esclavage économique du prolétariat. Même dans les Républiques très démocratiques, toutes les usines et tous les ateliers se trouvent aux mains des capitalistes, et la terre appartient à des propriétaires ruraux ou à d’autres capitalistes. L’ouvrier n’a rien, hors sa force de travail, le paysan rien qu’un petit lopin de terre. Ils sont à jamais contraints de travailler dans les plus dures conditions. D’après la loi écrite ils peuvent beaucoup, mais en réalité ils ne peuvent rien, parce que toutes les richesses, tout le pouvoir du capital se trouvent aux mains de leurs adversaires. C’est ce qu’on appelle la démocratie bourgeoise.

[La République bourgeoise existe aux Etats-Unis d’Amérique, en Suisse et en France. Mais dans tous ces pays, ce sont les impérialistes les plus ignobles, les rois des trusts et de la haute finance, les pires ennemis de la classe ouvrière qui détiennent le pouvoir. C’est la République allemande, avec son Assemblée Constituante, la plus démocratique du monde, qui fut la meurtrière de Karl Liebknecht.]

Le pouvoir soviétique réalise un type nouveau et bien plus parfait de démocratie, la démocratie prolétarienne. Elle est basée surtout sur la transmission aux ouvriers des moyens de production, c’est-à-dire sur l’affaiblissement de la puissance de la bourgeoisie. Dans la démocratie prolétarienne ce sont précisément les organisations des masses actuellement opprimées qui deviennent les organes du pouvoir. Des organisations ouvrières et paysannes existent aussi sous le régime capitaliste et par conséquent dans les Républiques démocratiques bourgeoises, mais elles sont bien faibles auprès des organisations capitalistes. Dans la démocratie prolétarienne, les organisations ouvrières et paysannes (soviets, syndicats professionnels, comités d’usines, etc.) forment la base réelle du pouvoir prolétarien. Le premier article de la Constitution de la République des Soviets est ainsi conçu : « La Russie est déclarée République des Soviets des députés ouvriers, soldats et paysans. Tout le pouvoir central et local appartient à ces Soviets ».

La démocratie soviétique, loin d’écarter du pouvoir les organisations ouvrières, fait d’elles des organes du pouvoir. Et comme les soviets et les autres organisations ouvrières et paysannes englobent des millions de travailleurs, le pouvoir soviétique élève pour la première fois vers de nouvelles tâches une quantité innombrable de gens jusqu’alors oubliés et écartés. Des contingents de plus en plus forts d’ouvriers et de paysans sont partout gagnés au travail commun grâce aux Soviets, aux syndicats professionnels, aux comités d’usines, etc... Dans les plus petites villes de province, dans les campagnes les plus éloignées, bien des gens, jusqu’alors dédaignés, sont appelés à collaborer à la création d’une vie nouvelle, à participer au travail d’administration. C’est ainsi que le pouvoir soviétique réalise la plus large autonomie administrative des différentes régions et la participation de masses considérables au travail collectif.

Il est évident que le but de notre parti est le plus grand développement possible de cette nouvelle démocratie prolétarienne. Nous devons faire notre possible pour que des couches de plus en plus considérables d’ouvriers et de paysans pauvres soient représentées dans les organes du pouvoir des Soviets. Dans une brochure parue avant la Révolution d’Octobre 1917, le camarade Lénine disait, avec juste raison, que notre but était d’enseigner même à une cuisinière à gouverner l’Etat. Ce but est certainement difficile à atteindre et bien des obstacles s’opposent à sa réalisation. La principale difficulté réside dans le degré insuffisant de culture des masses. Les ouvriers éclairés sont relativement peu nombreux. On en trouve surtout parmi les métallurgistes. L’écrasante majorité des ouvriers et des paysans surtout est assez arriérée. Ils n’ont pas l’esprit d’initiative suffisamment développé, et c’est là une des causes pour lesquelles ils ne pourront pas, au début, participer au pouvoir autant que nous le désirons. II nous faut systématiquement élever le niveau de la culture populaire pour pouvoir attirer petit à petit tout le monde à l’œuvre commune du gouvernement.

C’est là un des buts principaux du parti communiste.

48. Caractère de classe temporaire de la dictature du prolétariat[modifier le wikicode]

La bourgeoisie a toujours dissimulé sa domination de classe sous le masque de « la cause nationale ». Elle ne peut pas reconnaître ouvertement qu’elle impose à tous sa volonté de classe. Elle ne peut pas avouer que l’Etat n’est qu’un groupe de brigands et de parasites. Même lorsque la bourgeoisie lève le drapeau sanglant de la dictature militaire, elle affirme que c’est dans l’intérêt général de la nation. C’est surtout dans les Républiques démocratiques qu’elle trompe le plus habilement le peuple. Dans ces pays la bourgeoisie gouverne et exerce sa dictature en gardant certaines apparences. Tous les trois ou quatre ans, elle accorde aux ouvriers le droit de glisser dans l’urne un bulletin de vote, ce qui ne l’empêche pas de les écarter du pouvoir pendant le reste du temps, mais l’autorise à proclamer que c’est le peuple entier qui gouverne.

Le pouvoir soviétique reconnaît ouvertement son caractère. Il n’a pas à cacher que l’Etat soviétique est la dictature des pauvres. Il le souligne même en se proclamant gouvernement ouvrier et paysan. La constitution de la République des Soviets, établie par le cinquième Congrès des Soviets[1] dit textuellement « ART. 7. — Le cinquième Congrès panrusse des Soviets des délégués ouvriers, soldats et paysans, estime qu’actuellement, au moment de la lutte décisive du prolétariat contre ses exploiteurs, il ne peut y avoir de place pour les exploiteurs dans aucun des organes du pouvoir ». Le pouvoir soviétique, non seulement reconnaît son caractère de classe, mais encore prive les représentants des classes hostiles aux ouvriers et aux paysans de leurs droits civiques et les exclut de tous les organes du pouvoir.

Pourquoi le pouvoir soviétique peut-il et doit-il être aussi franc et aussi sincère ? Parce qu’il est effectivement le pouvoir des travailleurs, c’est-à-dire de la majorité de la population. Il n’a pas à se cacher d’être né dans les quartiers ouvriers, bien au contraire : plus il soulignera son origine et son caractère, plus il sera près des masses et plus il sera secondé dans sa lutte contre les exploiteurs.

Mais une telle situation ne durera pas toujours. Il s’agit surtout de briser la résistance des exploiteurs. Une fois domptés, ces derniers seront obligés de devenir des travailleurs comme le reste de la population. Il n’y aura plus lieu de sévir contre eux et la dictature du prolétariat disparaîtra peu à peu.

[Tout cela est mentionné dans notre Constitution. On y lit textuellement (Section II, art. 9) :

« Le but principal de la Constitution de la République socialiste fédérative des Soviets de Russie, Constitution établie pour la période de transition actuelle, réside dans l’établissement, sous forme d’un puissant pouvoir soviétique, de la dictature du prolétariat urbain et rural et des paysans les plus pauvres, en vue d’écraser complètement la bourgeoisie, de supprimer l’exploitation de l’homme par l’homme et d’instaurer le socialisme sous lèv régime duquel il n’y aura ni division en classes ni pouvoir d’Etat. »]

C’est ce programme qui nous dicte notre devoir. Le parti doit systématiquement divulguer le mensonge bourgeois qui consiste à concéder quelques droits aux ouvriers, tout en les maintenant dans une dépendance économique. Le parti a pour devoir de supprimer les exploiteurs par tous les moyens qui sont à la disposition du prolétariat. Mais en même temps, un de ses devoirs est aussi d’adoucir et d’abolir toutes les mesures actuellement nécessaires au fur et à mesure de la disparition des exploiteurs et de leurs serviteurs. Lorsque les intellectuels de professions libérales se seront rapprochés de la classe ouvrière et qu’ils auront cessé de comploter contre cette dernière (et ce n’est qu’une question de temps) le pouvoir soviétique se devra de les accueillir en frères et de leur accorder tous les droits. Mais à l’heure actuelle, quand tout le monde marche en armes contre la République prolétarienne, il serait prématuré d’accorder des droits aux classes toujours hostiles. Il reste de notre devoir d’affirmer sans cesse que ce moment viendra d’autant plus vite que toutes les tentatives des exploiteurs contre le communisme seront plus activement réprimées. Alors l’Etat prolétarien disparaîtra lentement en se transformant en une Société communiste sans classes opposées et par suite sans Etat.

49. Possibilité matérielle de la réalisation des droits de la classe ouvrière[modifier le wikicode]

La démocratie bourgeoise trompe les ouvriers en leur accordant des droits qui sont purement illusoires.

Elle prétend que les ouvriers peuvent élire au Parlement qui bon leur semble, qu’ils ont les mêmes droits que leurs patrons (ne sont-ils pas « égaux devant la loi? »). Ils ont le droit de former librement des associations, de tenir des réunions, de faire paraître des journaux, de publier des livres, etc. de n’importe quelle tendance. La bourgeoisie voit en cela « l’essence de la démocratie », elle déclare que sa démocratie est pour tous : pour tout le peuple, pour tous les citoyens et qu’il n’en est pas ainsi dans la République des Soviets.

Une telle démocratie bourgeoise n’existe en réalité nulle part.

[L’exemple de l’Amérique est caractéristique à ce point de vue. Au cours de la guerre, le Parlement des Etats-Unis adopta les lois suivantes : Défense d’insulter le Président de la République, défense d’insulter les Alliés, défense d’expliquer l’entrée en guerre des Etats-Unis et des Alliés par de vils mobiles d’intérêt matériel, défense de préconiser une paix prématurée, défense de critiquer publiquement la politique du gouvernement, défense d’admirer l’Allemagne, défense de prêcher le renversement du régime en vigueur, la suppression de la propriété privée, la lutte des classes, etc. Des peines de 3 à 20 ans de travaux forcés étaient prévues pour infraction à ces lois. Au cours d’une année seulement, environ 1 500 ouvriers furent arrêtés pour infraction à ces lois. Toute une organisation ouvrière, les Travailleurs Industriels du Monde (I.W.W.) fut dissoute et une partie de ses chefs assassinés. Comme exemple de liberté de grèves, nous pouvons indiquer celle des mines de cuivre de l’Arizona, en été 1917, grève au cours de laquelle des ouvriers furent fusillés, frappés à coups de knout, enduits de goudron, cependant qu’on chassait des familles entières de leurs habitations, les contraignant à partir sans aucun moyen de subsistance. Rappelons encore les grèves des mineurs (mines de charbon du Colorado) où des troupes payées par le banquier Rockefeller fusillèrent et brûlèrent quelques centaines d’ouvriers et d’ouvrières. Le Parlement des Etats-Unis, quoique issu du suffrage universel, exécute tous les ordres des rois des trusts. Presque tous les députés sont achetés par eux. Les rois non couronnés dictent leurs lois : Rockefeller, roi de la banque, du pétrole, du blé, du lait; Morgan, autre roi de la banque et des chemins de fer, Schwab, roi de l’acier; Swift, roi de la viande; Dupont, roi de la poudre, qui gagna au cours de la guerre une fortune inouïe. Pour nous figurer la fortune d’un

Rockefeller, il nous suffit de savoir qu’il gagne en une heure 10 000 dollars ; qu’un de ses dîners de gala lui revint à 11 millions de dollars. Comment résister à une pareille puissance ? Et c’est cette bande des Rockefeller et des Schwab qui détient tout le pouvoir, sous le masque de la « démocratie ».]

Même si un tel pouvoir démocratique existait, il ne vaudrait pas un rouge liard, comparé au pouvoir soviétique, car il ne suffit pas à l’ouvrier de posséder des droits sur le papier, il lui faut aussi la possibilité de les réaliser. Et c’est précisément ce qui est impossible tant que le capital sera une force dominante, tant que durera le régime dans lequel on laisse aux capitalistes leur droit de propriété sur toutes les richesses. Même si les ouvriers ont sur le papier le droit de réunion, il leur est parfois impossible de trouver un local pour s’y réunir, il suffit que les cafetiers, à l’instigation des requins du capitalisme ou à cause de leur haine des ouvriers, refusent de louer leurs salles et c’en est fini de ce droit. Autre exemple : les ouvriers veulent faire paraître un journal et ils ont le droit de le faire. Mais pour cela il faut de l’argent, du papier, un local pour la rédaction, une imprimerie, etc... Or, toutes ces choses sont entre les mains des capitalistes qui n’en céderont rien aux ouvriers. Donc rien à faire, et avec les gros sous des ouvriers on ne peut constituer les capitaux nécessaires. En revanche, la bourgeoisie possède la grande presse aux millions d’exemplaires, et journellement elle peut tromper le peuple qui reste avec son droit.

Voilà essentiellement en quoi consistent toutes les « libertés » ouvrières dans la démocratie bourgeoise. Ces libertés n’existent que sur le papier. Ce sont des libertés de pure forme. Il n’y a pas de liberté là où on ne peut pas la réaliser.

Il en est ainsi dans tous les domaines de la vie. D’après la thèse bourgeoise, les patrons et les ouvriers sont égaux dans le régime capitaliste, grâce à la « liberté des contrats ». Le patron est libre d’engager l’ouvrier, l’ouvrier est libre de s’embaucher. Mais cela encore n’est que sur le papier. En réalité le patron mange à sa faim et il est riche, l’ouvrier est pauvre et affamé, il est obligé d’accepter le travail. Il n’y a pas d’égalité possible entre les riches et les pauvres, malgré toutes les lois écrites. En régime capitaliste, toutes les libertés sont des chiffons de papier.

Dans la République des Soviets, les libertés ouvrières consistent avant tout dans la possibilité de les exercer. On lit textuellement dans notre Constitution :

« ART. 14. — En vue d’assurer aux travailleurs la vraie liberté d’opinion, la République socialiste fédérative des Soviets de Russie met fin à l’état de dépendance de la presse vis-à-vis du capital, remet à la classe ouvrière et aux paysans pauvres toutes les ressources techniques et matérielles nécessaires pour la publication des journaux, brochures, livres et autres productions de presse, et en assure la libre diffusion à travers tout le pays.

« ART. 15. — En vue d’assurer aux travailleurs la vraie liberté de réunion, la R.S.F.S.R., reconnaissant le droit des citoyens de la République soviétique d’organiser librement des réunions, des meetings, des processions, etc., met à la disposition de la classe ouvrière et paysanne tous les locaux qui conviennent aux assemblées populaires, avec aménagement, éclairage et chauffage.

« ART. 16. — En vue d’assurer aux travailleurs la vraie liberté d’association, la R.S.F.S.R., qui a brisé le pouvoir économique et politique des classes possédantes et qui a ainsi écarté tous les obstacles qui, dans la société bourgeoise, ont empêché jusqu’ici les ouvriers et les paysans d’user de la liberté d’organisation et d’action, prête aux ouvriers et aux paysans pauvres tout son concours matériel et autre pour les aider à s’unir et à s’organiser.

« ART. 17. — En vue d’assurer aux travailleurs la possibilité effective de s’instruire, la R.S.F.S.R. se propose pour tâche d’offrir gratuitement aux ouvriers et aux paysans pauvres une instruction complète et universelle. »

C’est en cela que consiste la différence énorme entre les libertés trompeuses de la démocratie bourgeoise et les libertés réelles de la démocratie prolétarienne.

Le pouvoir soviétique et notre parti ont fait beaucoup dans ce sens. Les palais aristocratiques, les théâtres, les imprimeries, le papier, etc... appartiennent actuellement aux organisations ouvrières et au pouvoir d’Etat ouvrier. Notre but actuel est d’aider aux masses ouvrières et paysannes arriérées à user de leurs droits. D’une part, nous devons suivre continuellement la voie tracée par nous en améliorant les conditions matérielles des libertés ouvrières, c’est-à-dire rechercher d’autres maisons, en construire de nouvelles, installer de nouvelles imprimeries, construire des palais ouvriers, etc... Nous devons d’autre part éclairer les masses arriérées sur les possibilités déjà existantes et que, dans leur ignorance, elles n’utilisent pas encore.

50. Egalité des travailleurs sans distinction de sexe, de religion ni de race[modifier le wikicode]

La démocratie bourgeoise a proclamé en paroles une série de libertés, mais qui sont toujours restées inaccessibles aux masses opprimées. Entre autres, la bourgeoisie a proclamé souvent l’égalité des personnes sans distinction de sexe, de religion, de race ou de nationalité. Sous le régime démocratique bourgeois, affirme-t-elle, blancs, jaunes et noirs, Européens et Africains, chrétiens, bouddhistes ou israélites sont pratiquement égaux. Mais en fait la bourgeoisie n’a rien réalisé de tout cela. Au contraire, à l’époque de l’impérialisme, l’oppression des races et des peuples s’aggrave terriblement (voir le chapitre suivant). Même à l’égard des femmes, la bourgeoisie ne réalise pas non plus l’égalité. La femme est restée un être sans droit et un animal domestique. La femme ouvrière est particulièrement opprimée dans la société capitaliste, ses droits sont encore plus restreints que ceux, pourtant insignifiants, de l’ouvrier-homme. Elle ne possède les droits électoraux que dans deux ou trois Etats, ses droits de succession sont limités, dans la famille elle est toujours subordonnée à son mari. En résumé, en régime capitaliste règnent à peu près les mêmes us et coutumes que chez les sauvages où l’on peut acheter, vendre ou échanger les femmes comme du bétail ou des jouets. « Une poule n’est pas un oiseau, la femme n’est pas une personne », dit un proverbe russe qui apprécie bien la situation de la femme dans ce régime d’esclavage. Cette situation est très désavantageuse pour le prolétariat. Nous avons indiqué dans la première partie de ce volume que les femmes constituent une partie considérable de la classe ouvrière. Il est évident que s’il n’y a pas d’égalité entre les deux moitiés du prolétariat, sa lutte en sera singulièrement affaiblie, l’émancipation du travail et la victoire commune sont impossibles sans l’aide du prolétariat féminin. L’intérêt de l’ouvrier veut que la camaraderie s’établisse entre la partie masculine et la partie féminine du prolétariat et que cette camaraderie soit fortifiée par l’égalité. Le pouvoir soviétiques a appliqué le premier cette égalité dans tous les domaines de la vie : dans le mariage, dans les relations de famille, dans les droits politiques, etc., partout les femmes ont actuellement les mêmes droits que les hommes. La tâche de notre parti consiste maintenant à faire passer cette égalité dans la pratique. Il s’agit surtout de faire comprendre aux larges masses de travailleurs que l’esclavage de la femme ne peut être que nuisible à eux aussi. Encore à l’heure actuelle, les ouvriers considèrent les femmes comme des êtres inférieurs : dans les villages on rit encore des femmes qui veulent participer aux affaires publiques. Dans la République des Soviets, la femme travailleuse a le droit, tout comme l’homme, d’élire et d’être élue. Elle peut occuper le poste de commissaire, avoir n’importe quel emploi dans l’armée, dans l’administration et dans la production nationales.

Mais les femmes ouvrières chez nous sont bien plus arriérées que les hommes. On les regarde d’ailleurs de très haut. Un travail énergique s’impose, d’abord pour apprendre aux hommes à considérer les femmes ouvrières comme égales aux travailleurs hommes, ensuite pour éclairer les femmes et les inciter à user des droits qui leur sont accordés, sans embarras ni crainte.

Il faut se souvenir des paroles de Lénine : « Même à une simple cuisinière, nous devons enseigner à gouverner l’Etat ».

Nous avons indiqué plus haut que le principal n’est pas d’accorder des droits sur le papier, mais de donner la possibilité de les exercer.

Comment l’ouvrière pourrait-elle exercer ses droits s’il faut s’occuper du ménage domestique ?

Il faut que la République des Soviets allège le sort de la femme laborieuse et la libère d’obligations domestiques qui remontent au déluge. L’organisation de maisons communes (où l’on ne se dispute pas », où l’on vit fraternellement, avec des buanderies communes, l’organisation de restaurants populaires, de crèches, de jardins d’enfants, de colonies d’enfants pour l’été, d’écoles où les enfants soient nourris, etc. ; tout cela doit décharger la femme et lui donner la faculté de s’occuper de tout ce qui intéresse l’homme.

Il est difficile de créer ces institutions pendant cette période de misère et de famine. Mais le parti doit faire tout son possible pour attirer la femme ouvrière au travail commun.

[Lire le chapitre suivant sur l’égalité des droits des différentes races ou nationalités. Voici les articles de notre Constitution concernant cette question :

« ART. 20. — Au nom de la solidarité des travailleurs de tous les pays, la R.S.F.S.R. accorde tous les droits politiques des citoyens russes aux étrangers qui travaillent sur le territoire de la République et qui appartiennent à la classe ouvrière ou à la classe des paysans ne vivant pas du travail d’autrui; elle reconnaît aux Soviets locaux le droit d’accorder à ces étrangers, sans autres formalités, les droits de citoyen russe.

« ART. 21. — La R.S.F.S.R. accorde le droit d’asile à tous les étrangers persécutés pour des crimes politiques et religieux.

« ART. 22. — La R.S.F.S.R., reconnaissant l’égalité des droits à tous les citoyens, indépendamment de leur race ou de leur nationalité, déclare qu’il est contraire aux lois fondamentales de la République d’instituer ou de tolérer des privilèges ou des prérogatives quelconques fondées sur ces motifs, ainsi que d’opprimer des minorités nationales ou de limiter leurs droits. »]

51. Le Parlementarisme et le régime soviétique[modifier le wikicode]

Les démocraties bourgeoises ont à leur tête le Parlement. C’est une institution qui est élue d’une manière ou d’une autre. Dans certains pays, seuls les riches sont électeurs, dans d’autres une partie des pauvres sont admis à voter ; ou bien sont électeurs tous les hommes à partir d’un certain âge et parfois les femmes aussi. Même dans les pays où le Parlement est élu au suffrage universel, ce sont toujours les représentants de la bourgeoisie qui passent en majorité. Après ce que nous avons écrit, il est facile de comprendre pourquoi. Représentons-nous un pays où les ouvriers qui forment la majorité de la population ont le droit de suffrage, songeons également que toutes les richesses se trouvent aux mains des capitalistes, que toute la presse leur appartient, qu’ils disposent des salles de réunion, qu’ils ont à leur service des artistes, des imprimeries, des millions de feuilles, que tous les ministres de tous les cultes prêchent leur cause pendant que leurs autres agents : avocats, journalistes, orateurs, flattent les ouvriers et paraissent défendre leurs idées. Ajoutons-y la puissance financière, la force énorme des syndicats patronaux qui cherchent à corrompre l’élu ouvrier, même honnête, en lui offrant des places avantageuses ou en le flattant dans leurs journaux. Voyons, au contraire, les ouvriers occupés toute la journée à un dur labeur et qui n’ont ni le temps ni les moyens pour se réunir. Et nous comprendrons pourquoi, dans ces parlements démocratiques, la majorité est composée d’agents déclarés ou secrets de la bourgeoisie, du capital financier ou des rois des banques.

Le député, difficile à choisir pour les ouvriers, une fois au Parlement, se rit de ses électeurs. Son poste lui est assuré pour trois ou quatre ans. Le voilà indépendant de ses électeurs, il se vend à droite et à gauche, et la loi s’oppose à ce qu’il soit révoqué.

Telle est la situation du parlementarisme ou régime démocratique bourgeois. C’est tout autre chose dans la République des Soviets. Là, tous les parasites, commerçants et industriels, évêques et propriétaires ruraux, généraux et mercantis, tous sont privés des droits électoraux : ils ne sont pas électeurs et ne peuvent pas être élus. Par contre le vote est facile aux ouvriers et paysans pauvres. De plus les électeurs peuvent à tout instant révoquer leur élu et le remplacer par un autre. Si un député fait mal son devoir, trahit son drapeau, etc., on le révoque. Ce droit de révocation n’est appliqué nulle part aussi largement que dans la République des Soviets. Le Parlement dans les républiques bourgeoises est une institution où l’on ne fait que des discours. Le vrai travail est fait par les ministres, les fonctionnaires, etc. Quant au Parlement, il adopte ou repousse les projets de lois, « contrôle » les ministres par des interpellations et vote pour ou contre la proposition du gouvernement. Le Parlement a, dit-on, le pouvoir législatif. Quant au pouvoir exécutif, il appartient aux ministres. Par conséquent ce n’est pas le Parlement qui traite les affaires du pays, les députés ne font qu’y bavarder. En régime soviétique, il en est tout autrement. L’organe suprême du Gouvernement est le Congrès des Soviets. Notre Constitution déclare à ce sujet : « ART. 24. — Le Congrès panrusse des Soviets est l’autorité suprême de la République socialiste fédérative des Soviets de Russie. » Il doit se réunir au moins deux fois par an II examine tout le travail accompli, prend les décisions nécessitées par la situation et ces décisions ont force de lois. Tous les membres du Congrès sont des travailleurs de différentes provinces qui participent à la vie politique de leur région et qui y travaillent continuellement. En tout cas, ce ne sont pas des politiciens de métier, ni de beaux parleurs. Le pouvoir pendant les intervalles qui séparent les Congrès appartient au Comité Exécutif Central élu par le Congrès. Ce Comité adopte les lois et les fait appliquer, il possède en même temps le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Il se subdivise en Commissariats du Peuple où travaillent les membres du Comité. C’est ainsi que le Comité Central Exécutif est bien un organe de travail.

Le Comité Central Exécutif, comme toutes les autres institutions soviétiques, s’appuie sur un réseau d’organisations ouvrières : les institutions soviétiques s’appuient sur le Parti communiste, sur les Syndicats, sur les Comités d’usines et sur les Coopératives. Ces organisations embrassent des dizaines de millions de travailleurs et qui tous soutiennent le pouvoir soviétique. Grâce à elles les masses ouvrières participent effectivement au pouvoir. Le Parti communiste ouvrier, de même que les syndicats, placent des personnes de confiance à tous les postes de direction. C’est ainsi que les meilleurs ouvriers occupent tous les postes de travail et non d’apparat Rien de pareil dans la soi- disant République démocratique. L’électeur ouvrier met son bulletin dans l’urne et son rôle est terminé. Il a rempli son « devoir de citoyen », lui dit la bourgeoisie, et il n’a plus à s’occuper de rien.

C’est là un des principaux mensonges de la bourgeoisie. Il semble « sur le papier » que les ouvriers participent à la direction politique de leur pays, tandis qu’en réalité ils en sont complètement écartés. Tout est fait par une caste spéciale de fonctionnaires bourgeois, éloignée des masses, comme l’est tout l’appareil gouvernemental et qui n’a aucun point de contact avec la population : la bureaucratie.

[Jusqu’au XVIe ou au XVIIe siècles, les nobles, seuls, étaient fonctionnaires d’Etat. A l’avènement du régime capitaliste apparaît une caste professionnelle de fonctionnaires. Ces temps derniers, les fonctionnaires étaient recrutés surtout dans les professions libérales. Quant aux postes d’importance, c’est la haute bourgeoisie qui les occupe. Même les petits fonctionnaires sont élevés dans l’esprit de dévouement au gouvernement de bandits. Aux plus capables on donne la possibilité de se faire « une carrière », ainsi que des rangs, des décorations, des titres. C’est pourquoi tous ces Messieurs sont, la plupart du temps, imbus d’un profond mépris pour le peuple. Nous allons citer quelques chiffres afin de donner une idée du nombre des fonctionnaires dans différents pays d’Europe. (Nous prenons ces chiffres dans le livre de M. Olchevsky : La Bureaucratie). L’Autriche comptait, en 1874, 27 000 fonctionnaires ; en 1891, 36 000 ; et en 1900, 169 000. En France on en comptait 1 million et demi déjà en 1891, c’est-à-dire 4 % de la totalité de la population. En Angleterre il y en avait environ 1 million en 1891 (2,6 %) ; aux Etats-Unis, en 1890, 750 000, etc... M. Olchevsky, un écrivain bourgeois pourtant, reconnaît que les traits caractéristiques de la bureaucratie sont : la routine, le ton hautain, l’esprit de caste, la mesquinerie. Et c’est cette bureaucratie qui gouverne dans tous les pays capitalistes. Encore une fois, l’administration supérieure est composée des représentants de la haute bourgeoisie et de la noblesse rurale, et il ne saurait en être autrement dans la société capitaliste où la classe bourgeoise détient le pouvoir.]

Dans la République des Soviets, les masses non seulement votent (et ce n’est pas des avocats mercenaires qu’elles élisent, mais des leurs), mais elles prennent aussi une part directe au pouvoir parce que les Soviets et toutes les autres organisations ouvrières sont appelés à y participer.

En ce qui concerne les Soviets, leurs élections sont organisées de façon à rester en liaison avec les masses : ces élections se font non par localité, mais par centre de travail (par usine, atelier), ou comme l’on dit : par « unités de production ».

C’est ainsi que le pouvoir soviétique réalise une forme supérieure, bien plus populaire de démocratie : la démocratie prolétarienne.

Quelle est ici la tâche du parti ? Notre voie est claire : il faut réaliser la démocratie prolétarienne par le rapprochement progressif des camarades fonctionnaires (députés, hommes de confiance, etc.) avec les masses, par la participation effective de masses de plus en plus nombreuses à l’administration, et enfin par le contrôle vigilant des députés par des milliers de citoyens. La responsabilité des fonctionnaires et des élus doit être de plus en plus exigée et élargie.

La réalisation de tous ces buts exige un travail considérable. Elle rencontre beaucoup d’obstacles. Il faut les vaincre tous et atteindre l’unité complète et indissoluble de l’appareil gouvernemental et des masses ouvrières et paysannes pauvres. La réalisation du communisme est à ce prix.

52. L’Armée et le Pouvoir soviétique[modifier le wikicode]

La démocratie prolétarienne, comme tout pouvoir d’Etat, possède des forces armées : une armée et une flotte. En régime de démocratie bourgeoise, l’armée sert à opprimer le prolétariat et à défendre le porte-monnaie des bourgeois. L’armée prolétarienne, l’armée rouge de la République des Soviets sert à défendre les intérêts de la classe du prolétariat dans la lutte contre la bourgeoisie. C’est pourquoi la situation et les droits politiques de l’armée prolétarienne diffèrent énormément de ceux de l’armée bourgeoise. La bourgeoisie est contrainte de faire croire qu’elle maintient son armée « hors de la politique », mais en réalité elle en fait l’instrument de sa politique criminelle et contre-révolutionnaire sous couleur de défendre « l’intérêt national ». Elle fait tous ses efforts pour séparer l’armée du peuple; elle emploie tous les moyens pour priver l’armée de ses droits politiques. Dans la République des Soviets, c’est tout différent. Le prolétariat déclare ouvertement que son armée est un instrument de lutte contre la bourgeoisie. L’Etat contribue par tous les moyens à la fusion de l’armée et du peuple. Le prolétariat et l’armée sont réunis dans leurs soviets (qui s’appellent soviets des ouvriers et des soldats rouges) ; les soldats de l’armée rouge et les ouvriers s’instruisent dans les mêmes écoles, suivent les mêmes cours, participent ensemble aux meetings et aux manifestations. A plusieurs reprises les ouvriers confièrent leurs fanions à l’armée rouge et réciproquement. Le pouvoir soviétique, qui n’est que la grande République des travailleurs, ne peut lutter avec succès contre ses ennemis que grâce à l’union réalisée de l’armée rouge avec le prolétariat révolutionnaire.

Plus la classe ouvrière sera solidaire de l’armée et réciproquement, plus notre puissance militaire sera forte. C’est pourquoi notre parti doit soutenir, développer et fortifier cette solidarité. L’expérience a déjà prouvé l’influence produite sur l’armée par son union avec les organisations prolétariennes. Il suffit de rappeler la résistance contre Koltchak et Dénikine en été et automne 1919. Ces victoires ne furent possibles que grâce à l’appui donné à l’armée par des camarades venus du parti et des syndicats. Aussi l’armée rouge prolétarienne est bien réellement la première armée nationale, créée par les efforts des travailleurs, organisée par le prolétariat, en liaison étroite avec lui. Elle participe au pouvoir par l’intermédiaire de ses représentants aux Soviets. Elle n’est pas un corps à part, elle est constituée par ces mêmes ouvriers et paysans pauvres marchant sous la direction de la classe ouvrière. A l’arrière, elle remplit les mêmes fonctions que le reste du prolétariat. Un devoir absolu de notre parti est de resserrer encore, si possible, cette solidarité.

53. Rôle directeur du Prolétariat[modifier le wikicode]

C’est le prolétariat qui joue le rôle principal, le rôle de chef dans notre Révolution qui est une révolution communiste. Le prolétariat est la classe la plus unie et la mieux organisée. Le prolétariat est la seule classe qui, par ses conditions d’existence sous le régime capitaliste, se soit élevée aux conceptions communistes et ait trouvé le vrai but et la seule voie qui y conduit. C’est ce qui a fait du prolétariat le chef et le pionnier au cours de toute la révolution. La classe paysanne (les paysans moyens et en partie les paysans pauvres) hésitait souvent. Par contre chaque fois que la classe paysanne se dressait contre le prolétariat, elle tombait au pouvoir d’un Koltchak, d’un Dénikine ou de quelqu’autre hobereau, capitaliste ou général.

C’est ce rôle directeur du prolétariat qui trouva son expression dans la Constitution de la République des Soviets. D’après nos lois le prolétariat a certaines prérogatives politiques. Aux Congrès des Soviets, un nombre déterminé d’ouvriers est représenté par plus de délégués que le même nombre de paysans.

[Notre Constitution s’exprime ainsi :

« ART. 25. — Le Congrès panrusse des Soviets se compose des représentants des Soviets urbains à raison de 1 député pour

25 000 électeurs, et de représentants des congrès de gouvernement[2], à raison de 1 député pour 125 000 habitants. »

Les Congrès des Soviets locaux et régionaux sont composés de la façon suivante, d’après l’art. 53 de la Constitution : a) Les Congrès régionaux comprennent des représentants des soviets urbains (1 par 5 000 électeurs) et des représentants des congrès d’arrondissement[3] (1 par 25 000 habitants) et ne peuvent compter plus de 500 membres.

b) Les Congrès de gouvernement comprennent des représentants des soviets urbains (1 pour

2 000 électeurs) et des représentants des congrès de canton[4] (1 par 10 000 habitants), sans que le nombre total des représentants puisse dépasser 300.

Il est vrai que les délégués des villes sont élus d’après le nombre des électeurs, mais par contre ceux des communes rurales sont élus d’après le chiffre de la population entière, y compris les nontravailleurs, exploiteurs, curés, bourgeoisie rurale, etc. et même les mineurs qui ne possèdent pas les droits électoraux. Par conséquent, les avantages des ouvriers des villes sont moins importants qu’ils ne paraissent de prime abord. Mais ils n’en existent pas moins.]

La Constitution, en confirmant ces prérogatives aux travailleurs urbains, n’a fait que consacrer une situation de fait puisque c’est le prolétariat des villes, conscient et uni, qui conduit les masses des campagnes sans lien et en majeure partie inconscientes.

Notre parti a pour devoir d’expliquer que ces prérogatives n’ont qu’un caractère temporaire. Plus les masses rurales arriérées acquerront de culture, plus l’expérience leur montrera la justesse de vues et la supériorité de tactique du prolétariat, plus elles comprendront que leurs intérêts sont solidaires de ceux du prolétariat et contraires à ceux de la bourgeoisie, plus vite disparaîtra cette inégalité.

Notre parti doit profiter des prérogatives du prolétariat urbain en exerçant grâce à lui son influence sur la campagne, en unissant les ouvriers avancés avec les paysans dans le but d’éclairer autant que possible le prolétariat paysan. Ce n’est pas pour que la classe ouvrière se renferme en elle-même et se sépare de la campagne que ces prérogatives lui sont accordées; c’est au contraire pour que cette classe ouvrière, ayant la prépondérance dans les Soviets et dans la direction du pays, puisse contribuer plus efficacement au rapprochement du prolétariat et des cultivateurs pauvres et moyens et aide à les libérer de l’influence nuisible des exploiteurs, des prêtres et des anciens propriétaires fonciers.

54. La Bureaucratie et le pouvoir soviétique[modifier le wikicode]

Le pouvoir soviétique comme nouveau pouvoir de classe du prolétariat est fondé sur les ruines de l’ancien pouvoir bourgeois. Avant d’organiser son propre pouvoir, le prolétariat commença par détruire celui de ses adversaires. Le pouvoir soviétique s’applique à détruire les restes de l’ancien Etat. Il détruisit l’ancienne police, l’Okhrana, la gendarmerie, le tribunal tsariste avec ses procureurs et ses avocats mercenaires. Il supprima quantité d’anciens bureaux, supprima les ministères bourgeois avec tous leurs fonctionnaires. En agissant ainsi notre but était de remplacer l’ancienne bureaucratie par les masses elles-mêmes, nous voulions faire en sorte que toute la population laborieuse s’intéresse à la direction de l’Etat (en occupant certains emplois à tour de rôle ou pour un laps de temps plus ou moins long). Mais cette œuvre vint se heurter contre une série de grosses difficultés.

Premièrement, la culture insuffisante des masses, l’ignorance et la timidité des éléments arriérés dans les villes et surtout dans les campagnes. Il y a relativement peu d’éléments avancés, actifs, débrouillards, courageux et conscients. Ils sont nombreux ceux qui n’osent pas encore se mettre à la besogne, qui ne connaissent pas encore leurs droits et qui ne se sentent pas maîtres du pays. Cela est bien compréhensible. Les masses opprimées et tenues à l’écart depuis des siècles ne peuvent passer brusquement de leur état presque primitif à la direction du pays. Les éléments les plus avancés seuls se mettent en avant. C’est ainsi qu’on voit les ouvriers de Pétrograd occuper des postes de commissaires à l’Armée, d’organisateurs dans l’industrie, de délégués des Comités exécutifs dans les campagnes, de propagandistes, de membres des institutions supérieures des Soviets, etc... Peu à peu, les masses inaptes encore se transforment. Néanmoins le manque de culture des masses se fait sentir comme un obstacle sérieux.

Deuxièmement : Le manque d’expérience dans l’œuvre de direction. Cela concerne même les meilleurs de nos camarades. C’est pour la première fois que la classe ouvrière a pris le pouvoir : elle n’a jamais dirigé l’Etat et n’a jamais appris à le faire. Bien au contraire : le gouvernement tsariste et le gouvernement éphémère de Kerensky ont tout fait pour écarter le prolétariat du pouvoir. L’Etat capitaliste et bourgeois était une organisation pour opprimer la classe ouvrière et non pour l’éduquer. Aussi la classe ouvrière actuellement au pouvoir et qui s’instruit par la pratique commet-elle inévitablement des erreurs. Ces erreurs lui servent de leçons, mais elles restent commises.

Troisièmement : Les anciens spécialistes bourgeois. Le prolétariat russe fut obligé de les laisser en service, il les dompta, les obligea à travailler, empêcha leur sabotage. Il arrivera à les transformer définitivement. Actuellement ils apportent encore au travail leurs anciens procédés et habitudes. Ils regardent de haut les masses, en restent éloignés, ils augmentent démesurément les formalités bureaucratiques, etc., et ce qui est pis : ils contaminent des hommes dévoués à notre cause.

Quatrièmement : le départ de nos meilleures forces à l’armée. Aux moments les plus difficiles de la guerre civile, lorsque la présence dans les rangs de l’armée d’éléments fidèles, honnêtes, dévoués et courageux est particulièrement nécessaire, il faut envoyer à l’armée les meilleurs ouvriers. Nos services de l’intérieur en sont d’autant plus réduits.

Toutes ces circonstances rendent notre travail très difficile et favorisent la renaissance partielle de la bureaucratie sous le régime soviétique. C’est un grand danger pour le prolétariat. Il faut que notre parti surmonte ce danger en entraînant les masses au travail administratif. Il faut surtout élever le niveau de la culture des masses ouvrières et paysannes, les éclairer et les instruire. Entre autres, notre Parti recommande les suivantes :

1) L’accomplissement par tous les membres d’un Soviet quelconque d’un travail concernant la direction du pays. Tout membre d’un Soviet doit non seulement prendre part aux délibérations, mais encore occuper un poste quelconque dans l’administration.

2) Les changements successifs de postes. — C’est-à-dire l’obligation pour tout camarade, après avoir occupé un poste pendant un certain temps, de l’échanger contre un autre afin de se former graduellement aux fonctions dans les principales branches de l’administration. Il ne faut pas qu’en occupant longtemps le même poste il devienne bureaucrate.

3) Le parti recommande encore d’entraîner progressivement toute la population ouvrière sans exception à l’œuvre de l’administration de l’Etat. C’est là la base fondamentale de notre politique.

Il y a déjà quelques pas de fait dans cette direction. C’est ainsi que des dizaines de milliers de prolétaires participèrent aux perquisitions chez la bourgeoisie à Pétrograd. que toute la population ouvrière se chargea d’assurer la garde de la ville, que les femmes ouvrières entrèrent dans les milices pour y relayer les hommes, etc. Dans ce but nous pouvons introduire dans nos Soviets des personnes non élues qui, à tour de rôle, apprendront le travail du Comité Exécutif et des commissions. Ce système peut être appliqué également aux Comités d’usines et aux syndicats.

En résumé, sous une forme ou sous une autre, il nous faut suivre l’exemple donné à ce sujet par la

Commune de Paris. Nous devons simplifier l’appareil administratif, y attirer les masses et écarter tout bureaucratisme. Plus la participation du prolétariat à l’administration sera étendue, plus vite les derniers vestiges de l’ancienne bureaucratie auront complètement disparu, plus courte sera la dictature du prolétariat. Et la disparition de la résistance de la bourgeoisie sera le signe de la disparition de l’Etat lui-même. Les individus n’auront plus à en diriger d’autres, ils n’auront plus qu’à conduire les outils, les machines, les locomotives et les autres appareils. Ce sera le régime communiste intégral.

[La suppression de l’Etat s’accomplira rapidement après la victoire complète sur les impérialistes. Actuellement, au cours de la guerre civile, toutes nos organisations sont militarisées et les organes du pouvoir soviétique ne peuvent pas fonctionner normalement. Souvent on ne peut même pas convoquer les Soviets, quoique constitutionnellement toutes les questions doivent être tranchées par les Comités Exécutifs de ces Soviets.

C’est que nous vivons sous le régime de la dictature militaire du prolétariat. La République est un camp retranché. Cette situation cessera dès que l’organisation militaire ne sera plus nécessaire.]

  1. 10 Juillet 1918.
  2. Le « gouvernement » en Russie équivaut approximativement à un département français.
  3. L'oulezd { ?]est une unité territoriale russe qui, toutes proportions gardées, correspond à l’arrondissement français[County pour les traducteurs américains de 1922].
  4. Le volost est une unité territoriale russe composé d'un certain nombre de villages et correspondant à peu près au canton français.