Catégorie | Modèle | Formulaire |
---|---|---|
Text | Text | Text |
Author | Author | Author |
Collection | Collection | Collection |
Keywords | Keywords | Keywords |
Subpage | Subpage | Subpage |
Modèle | Formulaire |
---|---|
BrowseTexts | BrowseTexts |
BrowseAuthors | BrowseAuthors |
BrowseLetters | BrowseLetters |
Template:GalleryAuthorsPreviewSmall
Special pages :
III. Le communisme et la dictature du prolétariat
- Introduction
- I. Le régime capitaliste
- II. Développement du régime capitaliste
- III. Le communisme et la dictature du prolétariat
- IV. Comment le développement du capitalisme a conduit à la révolution communiste
- V. La deuxième et la troisième internationales
- VI. Le pouvoir soviétique
- XII. L'organisation de l'industrie
- XVIII. La protection du travail et l'assurance sociale
- XIX. La défense de la santé publique
19. Caractéristiques du régime communiste[modifier le wikicode]
Nous avons vu pourquoi doit disparaître le régime capitaliste (et nous le voyons disparaître sous nos yeux). Il périt parce qu’il contient en lui deux contradictions fondamentales : d’un côté, l’anarchie de la production, qui conduit à la concurrence, aux crises, aux guerres ; d’un autre côté, son caractère de classe, qui a pour conséquence inévitable la lutte de classes. La société capitaliste est comme un mécanisme mal ajusté, où une partie accroche toujours l’autre[1]. C’est pourquoi, tôt ou tard, cette machine doit inévitablement se briser.
Il faut, et c’est clair, que la nouvelle société soit plus solidement organisée que le capitalisme. Une fois que les contradictions fondamentales du capitalisme auront fait sauter le régime, il faut que, sur ses ruines, se forme une société nouvelle qui ignore les contradictions de l’ancienne. Les traits caractéristiques de la société communiste sont les suivants :
1. Elle doit être organisée, c’est-à-dire qu’elle ne doit : Contradictions principales du régime capitaliste. comporter ni anarchie dans la production, ni concurrence des entreprises privées, ni guerres, ni crises ;
2. Elle ne doit pas être une société de classes, composée de deux moitiés en lutte éternelle l’une avec l’autre et dont l’une est exploitée par l’autre.
Une société sans classes et où toute la production est organisée ne peut être qu’une société fraternelle, la société du travail, la société communiste.
Examinons cette société de plus près. Le fondement de la société communiste, c’est la propriété commune des moyens de production et d’échange, c’est-à-dire que les machines, les appareils, les locomotives, les bateaux à vapeur, les bâtiments, les entrepôts, les élévateurs, les mines, le télégraphe et le téléphone, la terre et le bétail, sont la possession de la société qui en dispose. Ce n’est ni un capitaliste particulier, ni une association de quelques gens riches qui ont le droit d’en disposer, mais la société tout entière. Qu’est-ce que cela veut dire : la société tout entière ? Cela veut dire non pas une classe particulière, mais tous les hommes constituant la société. Dans ces conditions, la société se transforme en une immense communauté fraternelle. Là, ni dispersion de la production, ni anarchie. Au contraire, seul un tel régime permettra d’organiser la production. Là, point de lutte ni de concurrence entre les entrepreneurs, car toutes les fabriques, usines, mines, etc., ne sont, dans la société communiste, que les différentes sections d’un grand atelier populaire embrassant toute l’économie générale. Il va sans dire qu’une aussi formidable organisation suppose un programme général de la production. Si toutes les fabriques, toute la culture forment une immense association, il faut évidemment calculer exactement comment répartir les forces de travail entre les différentes branches de l’industrie ; quels produits il faut fabriquer et en quelle quantité ; comment et où diriger les forces techniques, et ainsi de suite. Tout cela doit être calculé d’avance, au moins approximativement, et il faut dans l’exécution se conformer au plan tracé. C’est bien ainsi que se traduit l’organisation de la production communiste. Sans un plan général et une direction commune, sans un calcul exact, il n’y a pas d’organisation. Dans le régime communiste, tout cela existe.
Mais l’organisation seule ne suffit pas. L’essentiel, c’est qu’elle soit une organisation fraternelle de tous les membres de la société. Le régime communiste, son caractère organisateur mis à part, se distingue encore par ce fait qu’il supprime l’exploitation, qu’il abolit la division de la société en classes. Car on peut se représenter l’organisation de la production, par exemple, de la façon suivante : une poignée de capitalistes possède tout, mais le possède en commun ; la production est organisée, les capitalistes ne se combattent plus, ne se font plus concurrence, mais soutirent ensemble de la plus-value à leurs ouvriers, devenus des demi-esclaves. Là, il y a bien organisation, mais il y a aussi exploitation d’une classe par une autre. Là, il y a bien propriété commune des moyens de production, mais dans l’intérêt d’une seule classe, la classe capitaliste. Ce n’est donc point-là du communisme, bien qu’il y ait organisation de la production. Une pareille organisation sociale ne supprimerait qu’une des contradictions fondamentales du capitalisme : l’anarchie de la production, mais elle renforcerait l’autre : la division de la société en deux camps ; la lutte de classe s’accentuerait encore. Cette société ne serait organisée qu’à moitié : la séparation en classes n’y serait pas abolie. La société communiste n’organise pas seulement la production, elle libère aussi les hommes de l’oppression d’autres hommes. Elle est intégralement organisée.
Le caractère social de la production communiste se manifeste dans tous les détails de son organisation.
Dans le régime communiste, par exemple, il n’y aura pas de directeurs perpétuels d’usines, où des gens passent toute leur vie sur le même travail. Aujourd’hui, il en est ainsi. Un cordonnier fait toute sa vie des chaussures et ne voit rien en dehors de ses formes ; le pâtissier fait toute sa vie des gâteaux ; le directeur de fabrique ne fait que diriger et commander ; quant au simple ouvrier, il lui faut, sa vie durant, obéir et exécuter les ordres des autres. Rien de pareil dans la société communiste. Là, tous les hommes jouissent d’une large culture et sont au courant de toutes les branches de la production ; aujourd’hui, j’administre, je calcule combien il faudra fabriquer, pour le mois prochain, de pantoufles ou de petits pains ; demain, je travaille dans une savonnerie, la semaine suivante, peut-être, dans une serre de la ville, et trois jours après, dans une station électrique. Cela ne sera possible que lorsque tous les membres de la société jouiront d’une instruction convenable.
20. La répartition en régime communiste[modifier le wikicode]
Le mode communiste de production ne suppose pas non plus la production pour le marché, mais pour les besoins. Seulement, chacun ne travaille pas pour soi, c’est toute la communauté géante qui travaille pour tous. Il n’y a pas ici de marchandises, mais seulement des produits. Ces produits ne sont pas échangés les uns contre les autres, ils ne sont ni achetés, ni vendus. Ils sont tout simplement déposés dans les entrepôts communaux et livrés à ceux qui en ont besoin. Aussi, nul besoin d’argent. « Comment ferez-vous ? Allezvous demander. L’une prendra trop et l’autre pas assez. Quel avantage y aura-t-il à cette répartition ? » Ajoutons encore ceci : Au début, pendant les 20 ou 30 premières années, peut-être faudra-t-il établir certaines règles : par exemple, tels produits seront seulement délivrés d’après certaines indications sur le livret de travail ou contre présentation de la carte de travail. Mais plus tard, une fois la société communiste consolidée et développée, tout cela sera superflu. Tous les produits seront abondants, toutes les plaies seront depuis longtemps fermées et chacun pourra prendre autant qu’il lui faudra. Mais les hommes n’auront-ils point intérêt à prendre plus qu’ils n’auront besoin ? Mais non. Personne, aujourd’hui même, n’aurait l’idée de payer, dans un tramway, trois places, pour n’en occuper qu’une et laisser vides les deux autres ; ce besoin n’existe pas. Il en sera de même pour tous les produits. Chacun retirera de l’entrepôt communal ce dont il a besoin, et tout sera dit. Vendre son surplus, personne n’y aura intérêt, car chacun pourra prendre ce qu’il lui faut. De plus, l’argent n’aura pas de valeur. Donc, au début de la société communiste, les produits seront vraisemblablement distribués d’après le travail accompli et, plus tard, tout simplement d’après les besoins des membres de la communauté.
[On dit très souvent que dans la société future, sera réalisé le droit de chacun au produit intégral de son travail : chacun recevra ce qu’il aura gagné. C’est inexact et ne pourra jamais être entièrement réalisé. Si chacun recevait tout ce qu’il a gagné, il serait impossible de développer la production, de l’étendre et de l’améliorer. Il faudra toujours qu’une partie du travail accompli serve à l’extension et au perfectionnement de la production. Si nous mangions ou usions tout ce que nous avons produit, on ne pourrait point fabriquer de machines : elles ne sont ni mangées, ni portées, n’est-ce pas ? Chacun comprend que la vie s’améliore par le développement et le perfectionnement des machines. Il en résulte qu’une partie du travail qui y est inclus n’est pas rendue à celui qui l’a exécuté. Donc, il ne sera jamais possible de donner à chacun le produit intégral de son travail. Et ce n’est pas du tout nécessaire. Avec de bonnes machines, la production sera organisée de telle sorte que tous les besoins seront satisfaits.
Ainsi, au début, la répartition des produits sera faite d’après le travail accompli (mais non d’après le « produit intégral du travail »), et plus tard, quand tout sera en abondance, d’après les besoins.]
21. L’administration en régime communiste[modifier le wikicode]
Dans la société communiste, il n’y aura pas de classes. Mais, s’il n’y a pas de classes, il n’y aura pas non plus d’État. Nous avons déjà dit que l’État est l’organisation de classe du pouvoir ; l’État a toujours été employé par une classe contre une autre ; si l’État est bourgeois, il est dirigé contre le prolétariat ; s’il est prolétarien, il est dirigé contre la bourgeoisie. Mais dans le régime communiste, il n’y a ni prolétaires, ni capitalistes, ni ouvriers salariés : il n’y a que de simples humains, des camarades. Il n’y a pas de classes, pas non plus de lutte de classes, pas d’organisation de classe. Par conséquent, il n’y a pas d’État non plus ; l’État n’est d’aucune utilité puisqu’il n’y a pas de lutte de classes, là il n’y a personne à tenir en bride, ni personne pour le faire.
- Mais comment, demandera-t-on, pourra fonctionner, sans direction aucune, une organisation si formidable ? Qui élaborera le plan de la production sociale ? Qui répartira les forces ouvrières ? Qui calculera les recettes et les dépenses communes ? Bref, qui veillera au maintien de l’ordre ?
La réponse n’est pas difficile. La direction centrale incombera à divers bureaux de comptabilité et offices de statistique. C’est là que, jour par jour, seront tenus les comptes de toute la production et de tous ses besoins ; c’est là qu’on indiquera où il y a lieu d’augmenter ou de diminuer le nombre d’ouvriers et combien il faudra travailler. Et comme chacun, dès son enfance, étant habitué au travail en commun, comprendra que ce travail est nécessaire et que la vie est bien plus facile lorsque tout marche d’après un plan, on travaillera tous d’après les instructions de ces bureaux et offices. Plus besoin de ministres spéciaux, ni de police, ni de prisons, ni de lois, ni de décrets, ni de rien. De même que les musiciens dans un orchestre suivent le bâton du chef et se règlent sur lui, de même les hommes suivront les tableaux de statistique et y conformeront leur travail.
Il n’y aura donc plus d’État. Plus de groupe ou de classe qui soit au-dessus des autres. De plus, dans ces bureaux de comptabilité, aujourd’hui travailleront ceux-ci, demain ceux-là. La bureaucratie, le fonctionnarisme permanent disparaîtront. L’État sera mort.
Évidemment, ceci n’aura lieu que dans un régime communiste développé et affermi, après la victoire complète et définitive du prolétariat, et même pas immédiatement après cette victoire. Car la classe ouvrière sera obligée de lutter longtemps encore contre ses ennemis et surtout contre les vestiges du passé : fainéantise, négligence, criminalité, présomption. Il faudra bien deux ou trois générations de gens élevés dans ces nouvelles conditions pour que soient supprimées, par l’État ouvrier, les lois, les peines, la répression et pour que disparaissent toutes les survivances de l’ancien régime capitaliste. Si jusque-là un État ouvrier reste indispensable, dans ce régime développé où auront déjà disparu les dernières traces du capitalisme, le pouvoir politique du prolétariat mourra également. Le prolétariat lui-même se fondra avec toutes les autres couches sociales, car toutes auront pris, petit à petit, l’habitude du travail en commun, et dans 20 ou 30 ans, il y aura un autre monde, d’autres hommes et d’autres mœurs.
22. Le développement des forces productives dans le régime communiste (les avantages du communisme)[modifier le wikicode]
Le régime communiste, après avoir vaincu et guéri toutes les blessures, fera rapidement progresser les forces productives. Cette accélération des forces productives sera due aux raisons suivantes :
Premièrement, une grande quantité d’énergie humaine, jadis dépensée pour la lutte de classe, sera rendue libre. Représentons-nous combien se perdent présentement de force nerveuse, d’énergie, de travail, pour la politique, les grèves, les soulèvements et leur répression, la justice, la police, le pouvoir d’État, pour les efforts journaliers d’un côté comme de l’autre ! La lutte de classes engloutit énormément de forces et de moyens. Toutes ces forces seront libérées ; les hommes ne se combattront plus les uns les autres. Les forces libérées serviront au travail productif.
Deuxièmement : Les forces et les moyens qui sont détruits ou dépensés pour la concurrence, les crises, les guerres, seront conservés. Si l’on tient compte des seules pertes de guerre, cela représente déjà des sommes énormes. Et combien coûtent à la société la lutte entre vendeurs, la lutte entre acheteurs, la lutte des vendeurs contre les acheteurs ! Que de produits périssent inutilement dans les crises ! Combien de dépenses inutiles d’énergie proviennent du manque d’organisation et du désordre dans la production ! Toutes ces forces, perdues aujourd’hui, seront conservées dans la société communiste.
Troisièmement : L’organisation et un plan rationnel, non seulement empêchent les dépenses superflues (la grande industrie économise de plus en plus), mais permettent d’améliorer la technique. On produira dans les usines les plus grandes, avec les moyens techniques les meilleurs. Car, même en régime capitaliste, il y a des limites à l’introduction des machines. Le capitalisme n’a recours aux machines que lorsque la force de travail à bon marché lui manque. Dans le cas contraire, il n’a pas besoin des machines : il encaisse sans elles un beau profit. La machine ne lui est nécessaire que quand elle lui économise la force de travail coûteuse. Et comme, en général, en régime capitaliste, la force de travail n’est pas chère, la misère de la classe ouvrière devient un obstacle à l’amélioration technique. Cela se manifeste surtout dans l’agriculture, où la force de travail ayant toujours été bon marché, le développement du machinisme est très lent. En société communiste, il s’agit non du profit, mais des travailleurs eux-mêmes. Toute amélioration y est immédiatement saisie au vol et réalisée. Le communisme ne suit pas les voies du capitalisme. Les inventions techniques, en régime communiste, progresseront également, car tous les travailleurs recevront une bonne instruction, et ceux qui actuellement succombent de misère (par exemple, les ouvriers bien doués) pourront développer entièrement leurs aptitudes. La société communiste éliminera le parasitisme, c’est-à-dire l’existence de consommateurs qui ne font rien et vivent aux dépens des autres. Tout ce qui, en société capitaliste, est gaspillé, mangé et bu par les capitalistes, servira, dans la société communiste, à la production ; les capitalistes, avec leurs laquais et leur suite, les prêtres, les prostituées, etc., disparaîtront, et tous les membres de la société feront un travail productif.
Le mode communiste de production signifie un développement énorme des forces productives, de sorte que chaque travailleur aura moins à faire. La journée de travail deviendra de plus en plus courte, et les hommes seront libérés des chaînes imposées par la nature. Quand l’homme ne dépensera que peu de peine pour se nourrir et se vêtir, il consacrera une grande partie de son temps à son développement intellectuel. La culture humaine s’élèvera à une hauteur jamais atteinte. Elle deviendra une culture générale vraiment humaine et non une culture de classe. En même temps que l’oppression de l’homme par l’homme, le joug de la nature sur l’homme disparaîtra. L’humanité mènera alors, pour la première fois, une vie vraiment raisonnable, au lieu d’une vie bestiale.
[Les adversaires du communisme l’ont toujours représenté comme un partage égalitaire. Ils disent que les communistes veulent tout confisquer et tout partager entre tous d’une façon égale : la terre et les autres moyens de production, ainsi que les moyens de consommation. Rien n’est plus stupide qu’un tel racontar. D’abord, un partage général est impossible : on peut partager la terre, le bétail, l’argent. Mais on ne peut partager les chemins de fer, les machines, les bateaux à vapeur, les appareils compliqués, etc., etc… Ceci d’abord. Ensuite, ce partage ne réalise aucun progrès, mais il fait, au contraire, régresser l’humanité. Il signifierait la formation d’une masse de petits propriétaires. Or nous savons que de la petite propriété et de la concurrence entre petits propriétaires naît la grande propriété. Si donc le partage général était réalisé, l’histoire recommencerait et les hommes chanteraient à nouveau la vieille chanson.
Le communisme (ou socialisme) prolétarien est une grande économie commune, fraternelle. Il découle de tout le développement de la société capitaliste et de la situation du prolétariat dans cette société. Du communisme il faut distinguer[2]:
Le Socialisme lumpenprolétarien (l’Anarchisme). Les anarchistes reprochent aux communistes de conserver le pouvoir de l’État dans la société future. C’est inexact, nous l’avons vu. La vraie différence consiste en ce que les anarchistes consacrent plus d’attention à la répartition qu’à la production ; ils se représentent l’organisation, non comme une grande organisation économique fraternelle, mais comme une multitude de petites communes « libres », s’administrant elles-mêmes.
Il est évident qu’un pareil régime ne saurait libérer l’humanité du joug de la nature : les forces productives n’y pourraient atteindre le niveau atteint en régime capitaliste, car l’anarchie n’accroît pas la production mais la disperse. Rien d’étonnant si, dans la pratique, les anarchistes penchent souvent vers le partage des objets de consommation et s’élèvent contre la grande production. Ils reflètent les idées et les aspirations non de la classe ouvrière, mais de ce qu’on appelle le Lumpenprolétariat, le prolétariat des va-nu-pieds qui vit mal sous le capitalisme, mais qui est incapable de tout travail indépendant et créateur.
Le Socialisme petit-bourgeois (de la petite bourgeoisie urbaine) : Il s’appuie non sur le prolétariat, mais sur les artisans en voie de disparition, sur la petite bourgeoisie des villes, et en partie sur les intellectuels. Il proteste contre le grand capital, mais seulement au nom de la « liberté » des petites entreprises. Il est, en général, favorable à la démocratie bourgeoise et opposé à la révolution socialiste, et cherche à atteindre son idéal par la « voie pacifique » : développement des coopératives, des associations de petits producteurs, etc… Sous le régime capitaliste, les coopératives dégénèrent souvent en vulgaires organisations capitalistes, et les coopérateurs eux-mêmes ne se distinguent presque en rien des purs bourgeois.
Le Socialisme agraire. — Il revêt différentes formes, frisant parfois l’anarchisme paysan. Son trait caractéristique, c’est qu’il ne se représente jamais le socialisme comme une grande économie et qu’il se rapproche beaucoup du partage et du nivellement : en opposition principalement avec l’anarchisme, il réclame un pouvoir fort, à la fois contre le propriétaire foncier et contre le prolétariat ; son programme est la « socialisation des terres » de nos socialistes-révolutionnaires. Ceux-ci veulent éterniser la petite production, ils craignent le prolétariat et la transformation de l’économie populaire en une grande association fraternelle. Du reste, parmi certaines couches paysannes, il existe encore d’autres espèces de socialisme plus ou moins proches de l’anarchisme, qui ne reconnaissent pas le pouvoir de l’État, mais de caractère pacifique (tel le communisme des Sectaires, des Doukhobors, etc.). Ces tendances agraires et paysannes ne pourront disparaître qu’après de longues années, lorsque la classe paysanne aura compris tous les avantages de la grande économie (nous en reparlerons par la suite).
Le « Socialisme » esclavagiste et grand-capitaliste. — En réalité, il n’y a pas ici ombre de socialisme. Si, dans les trois groupes ci-dessus, on en trouve encore des traces, si on y trouve encore une protestation contre l’oppression, celui-ci n’est qu’un mot destiné à brouiller fallacieusement les cartes. La mode en a été introduite par des savants bourgeois, et après eux par les socialistes conciliateurs (partiellement, même, par Kautsky et Cie). Tel était, par exemple, le « communisme » du philosophe de l’ancienne Grèce, Platon. Il consistait en une organisation des maîtres exploitants « en camarades » et « en commun » la masse des esclaves privés de tous droits. Parmi les maîtres, égalité complète et tout en commun. Les esclaves n’ont rien, ils sont transformés en bétail. Il est évident que cela « ne sent même pas » le socialisme. Un même « socialisme » est aujourd’hui prêché par certains professeurs bourgeois sous le nom de « socialisme d’État », avec cette seule différence que les esclaves sont remplacés par le prolétariat moderne et les maîtres par les plus gros capitalistes. En réalité, ici non plus, il n’y a pas ombre de socialisme ; c’est le capitalisme d’État, avec son travail obligatoire (nous en reparlerons plus loin).
Les socialistes bourgeois, agraire et lumpenprolétarien ont un trait commun : toutes ces espèces de socialisme non prolétarien ne tiennent pas compte de la véritable évolution. La marche de l’évolution conduit à l’agrandissement de la production. Or chez eux tout repose sur la petite production. C’est pourquoi ce socialisme n’est qu’un rêve, une « utopie », dont la réalisation reste absolument invraisemblable]
23. La dictature du prolétariat[modifier le wikicode]
Pour réaliser le régime communiste, il faut que le prolétariat ait en mains tout le pouvoir, toute la puissance. Il ne pourra renverser le vieux monde tant qu’il ne possédera pas cette puissance, tant qu’il ne sera pas devenu, pour un temps, la classe dominante. Il va de soi que la bourgeoisie ne cédera pas ses positions sans lutte. Car le communisme signifie pour elle la perte de son ancienne prédominance, la perte de sa « liberté » de soutirer à l’ouvrier sa sueur et son sang, la perte de son droit au profit, à l’intérêt, à la rente, etc. La révolution communiste du prolétariat, la transformation communiste de la société se heurtent par conséquent à la résistance la plus furieuse des exploiteurs. La tâche du pouvoir ouvrier est donc de réprimer impitoyablement cette résistance. Et comme cette résistance sera inévitablement très forte, il faudra que le pouvoir du prolétariat soit une dictature ouvrière. « Dictature » signifie un gouvernement particulièrement sévère et beaucoup de décision dans la répression des ennemis. Naturellement, dans un tel état de choses, il ne saurait être question de « liberté » pour tous les hommes. La dictature du prolétariat est inconciliable avec la liberté de la bourgeoisie. Elle est nécessaire précisément pour priver la bourgeoisie de sa liberté, pour lui lier les pieds et les mains et lui enlever toute possibilité de combattre le prolétariat révolutionnaire. Plus la résistance de la bourgeoisie est grande, plus ses efforts sont désespérés, dangereux, et plus la dictature prolétarienne devra être dure et impitoyable et aller, dans les cas extrêmes, jusqu’à la terreur.
C’est seulement après la répression complète des exploiteurs, une fois leur résistance brisée, une fois la bourgeoisie mise hors d’état de nuire à la classe ouvrière, que la dictature du prolétariat s’adoucira; cependant, l’ancienne bourgeoisie se confondra petit à petit avec le prolétariat, l’État ouvrier s’éteindra graduellement, et toute la société se transformera en une société communiste sans classes.
Sous la dictature du prolétariat, qui n’est qu’une institution temporaire, les moyens de production appartiennent, non à toute la société sans exception, mais uniquement au prolétariat, à son organisation d’État. C’est la classe ouvrière, c’est-à-dire la majorité de la population, qui monopolise temporairement tous les moyens de production. C’est pourquoi les rapports de production ne sont pas complètement communistes.
Il existe encore une division de la société en classes ; il y a encore une classe dominante : le prolétariat ; une monopolisation, par cette nouvelle classe, de tous les moyens de production ; un pouvoir d’État (le pouvoir du prolétariat) qui soumet ses ennemis. Mais à mesure qu’est brisée la résistance des anciens capitalistes, propriétaires, bourgeois, généraux et évêques, le régime de la dictature prolétarienne devient, sans révolution aucune, le communisme.
La dictature prolétarienne est non seulement une arme pour la répression de l’ennemi, mais aussi le levier de la transformation économique. Il faut, par cette transformation, substituer à la propriété privée des moyens de production la propriété sociale ; il faut enlever à la bourgeoisie (« exproprier ») les moyens de production et de circulation. Qui donc le fera et qui est tenu de le faire ? Évidemment, ce ne sont pas des individus, même d’origine prolétarienne. Si cela était fait par des individus ou même par de petits groupes séparés, ce serait, dans le meilleur cas, un partage, et, dans le pire, un simple brigandage. Il est donc clair que l’expropriation de la bourgeoisie doit s’accomplir par la force organisée du prolétariat. Et cette force est précisément l’État dictatorial prolétarien.
[De toutes parts s’élèvent des objections à la dictature du prolétariat. Il y a d’abord les anarchistes.
Ils disent qu’ils luttent contre tout pouvoir, contre tout État, tandis que les bolcheviks communistes sont pour le pouvoir des Soviets. Or, tout pouvoir est violence, limitation de la liberté. Aussi faut-il renverser les bolcheviks, le pouvoir des Soviets et la dictature du prolétariat. Plus de dictature, plus d’État ! Ainsi parlent les anarchistes, avec l’illusion de se croire révolutionnaires. En réalité, ils ne sont plus à la gauche, mais à la droite des communistes. Pourquoi la dictature ? Pour donner le dernier coup à la domination de la bourgeoisie, pour soumettre par la violence (nous le disons ouvertement) les ennemis du prolétariat. La dictature du prolétariat, c’est une hache aux mains du prolétariat. Celui qui n’en veut pas, qui a peur des actions décisives et craint de faire du tort à la bourgeoisie, celui-là n’est pas révolutionnaire. Lorsque la bourgeoisie sera complètement vaincue, nous n’aurons plus besoin de la dictature du prolétariat. Mais tant qu’il s’agit d’un combat mortel, le devoir sacré de la classe ouvrière consiste dans la répression absolue de ses ennemis. Entre le Communisme et le Capitalisme, il faut une période de dictature du prolétariat.
Contre la dictature se dressent aussi les social-démocrates, en particulier les mencheviks. Ces messieurs ont complètement oublié leurs propres écrits d’autrefois. Dans notre ancien programme, élaboré en commun avec les mencheviks[3], il est dit textuellement : « La condition indispensable de la révolution sociale est la dictature du prolétariat, c’est-à-dire la conquête par le prolétariat du pouvoir politique qui lui permettra de briser toute résistance des exploiteurs. » Cette thèse a été souscrite en parole par les mencheviks. Mais lorsqu’il s’agit de passer à l’action, ils se mettent à crier contre la violation des libertés de la bourgeoisie, contre l’interdiction des journaux bourgeois, contre la « terreur des bolcheviks », etc. Cependant, Plekhanov lui-même approuvait jadis complètement les mesures les plus impitoyables contre la bourgeoisie ; il disait que nous pouvions la priver du droit de vote, etc. Actuellement, tout cela est oublié par les mencheviks, qui sont passés dans le camp de la bourgeoisie. Beaucoup de gens nous font enfin des objections d’ordre moral. On dit que nous raisonnons comme des Hottentots. Le Hottentot dit : « Quand je vole la femme de mon voisin, c’est bien ; quand c’est lui qui me vole la mienne, c’est mal. » Et les bolcheviks, dit-on, ne se distinguent en rien de ces sauvages, car ne disent-ils pas : « Quand la bourgeoisie violente le prolétariat, c’est mal ; quand le prolétariat violente la bourgeoisie, c’est bien. »
Ceux qui parlent ainsi ne comprennent pas du tout ce dont il s’agit. Chez les Hottentots, il y a deux hommes égaux qui, pour la même raison, se volent leurs femmes. Mais le prolétariat et la bourgeoisie ne sont pas égaux. Le prolétariat est une classe formidable, la bourgeoisie n’est qu’une poignée d’individus. Le prolétariat lutte pour l’affranchissement de toute l’humanité, la bourgeoisie pour le maintien de l’oppression, de l’exploitation, des guerres ; le prolétariat lutte pour le communisme, la bourgeoisie pour maintenir le capitalisme. Si le capitalisme et le communisme étaient une seule et même chose, la bourgeoisie et le prolétariat ressembleraient aux Hottentots. Mais, seul, le prolétariat lutte pour le monde nouveau : tout ce qui se met au travers du combat est nuisible.]
24. La conquête du pouvoir politique[modifier le wikicode]
Le prolétariat réalise sa dictature par la conquête du pouvoir politique. Mais qu’est-ce que la conquête du pouvoir ? Beaucoup de gens croient qu’il est aussi simple d’arracher le pouvoir à la bourgeoisie que de faire passer une balle d’une poche dans une autre.
Cette manière de voir est tout à fait fausse, et avec un peu de réflexion, nous verrons où se trouve l’erreur. L’État est une organisation. L’État bourgeois est une organisation bourgeoise dans laquelle des rôles déterminés sont affectés aux hommes : des généraux, pris parmi les riches, sont à la tête de l’armée, des ministres, riches également, à la tête de l’administration, etc. Lorsque le prolétariat lutte pour le pouvoir, contre qui lutte-t-il ? Avant tout, contre cette organisation bourgeoise. Mais s’il lutte contre elle, sa tâche est de lui porter des coups, de la détruire. Et comme la force principale de l’État consiste dans son armée, il faut avant tout, pour vaincre la bourgeoisie, miner et détruire l’armée bourgeoise. Les communistes allemands ne peuvent renverser Scheidemann et Noske sans détruire au préalable leur garde blanche. Tant que l’armée de l’adversaire reste intacte, la révolution ne peut vaincre ; si la révolution est victorieuse, l’armée de la bourgeoisie se décompose et s’effrite. C’est pourquoi, par exemple, la victoire sur le tsarisme n’était qu’une destruction partielle de l’État tsariste, une décomposition partielle de l’armée ; seule la victoire de la révolution d’Octobre acheva la destruction de l’appareil d’État du Gouvernement provisoire et la dissolution de l’armée de Kerensky.
Ainsi, la révolution détruit le pouvoir ancien et crée un pouvoir nouveau. Il est évident que dans ce nouveau pouvoir entrent certains éléments essentiels de l’ancien, mais ils y trouvent une autre utilisation. La conquête du pouvoir d’État n’est donc pas la conquête de l’ancienne organisation, mais la création d’une organisation nouvelle : l’organisation de la classe qui a vaincu dans la lutte.
[Cette question a une valeur pratique énorme. On reproche, par exemple, aux bolcheviks allemands (comme autrefois aux bolcheviks russes) de décomposer l’armée et de favoriser l’indiscipline, la désobéissance aux généraux, etc. Cette accusation paraissait et paraît encore grave à beaucoup de gens.
Et pourtant elle n’a rien de si effrayant. Une armée qui marche contre les ouvriers sur l’ordre de généraux et de bourgeois, qui sont pourtant nos compatriotes, cette armée, il faut la détruire, sinon la révolution est morte. Nous n’avons rien à craindre de cette destruction de l’armée bourgeoise, et c’est un mérite pour un révolutionnaire de détruire l’appareil d’État de la bourgeoisie. Là où la discipline bourgeoise n’est pas rompue, la bourgeoisie est invincible. On ne peut désirer la soumettre et, en même temps, craindre de lui faire du mal.]
25. Le Parti communiste et les classes dans la société capitaliste[modifier le wikicode]
Pour que, dans un pays, le prolétariat puisse vaincre, il faut qu’il soit uni et organisé, qu’il ait son parti communiste qui voie clairement où mène le capitalisme, qui comprenne la vraie situation politique et les vrais intérêts de la classe ouvrière, qui lui explique cette situation, le mène à la bataille et dirige le combat. Jamais aucun parti n’a groupé dans ses rangs tous les membres d’une classe : nulle classe n’a encore atteint un pareil degré de conscience. Ordinairement, entrent dans un parti les membres les plus avancés d’une classe, les plus conscients de leurs intérêts de classe, les plus hardis, les plus énergiques, les plus tenaces dans la lutte. Aussi, ce parti est-il toujours bien moins nombreux que la classe qu’il défend. Mais comme le parti défend précisément la classe, il a ordinairement le rôle dirigeant. Il dirige toute la classe, et la lutte des classes pour le pouvoir prend la forme d’une lutte des partis politiques pour le pouvoir. Pour comprendre la nature des partis politiques, il faut examiner la situation des différentes classes de la société capitaliste. Cette situation détermine des intérêts de classe, dont la défense constitue précisément la tâche essentielle des partis politiques.
Les propriétaires fonciers. — Dans la première période du développement capitaliste, la culture était basée sur le travail de paysans à moitié esclaves. Les propriétaires leur donnaient la terre dont ils payaient le fermage, soit en nature (par exemple la moitié des fruits), soit en argent. La classe propriétaire était intéressée à ce que les paysans n’aillent pas dans les villes, elle s’opposait à toute innovation, afin de conserver dans le village des rapports de demi esclavage ; aussi, était-elle contraire au développement de l’industrie. Ces propriétaires, qui possédaient d’anciens biens nobiliaires, ne s’occupaient pas eux-mêmes, pour la plupart, de leur exploitation et vivaient, en parasites, du travail de leurs paysans. Par suite, les partis des propriétaires fonciers ont toujours été et sont encore les piliers de la plus noire réaction : ils tendent partout à la restauration de l’ancien régime, avec la domination des propriétaires et du tsar, avec la prééminence de la noblesse et l’asservissement complet des paysans et des ouvriers. Ce sont les partis conservateurs ou, plus exactement, réactionnaires. Comme les militaires, de tout temps, sont sortis des rangs des propriétaires nobles, rien d’étonnant que le parti des propriétaires soit en excellents termes avec les généraux et les amiraux. Il en est ainsi dans tous les pays.
[On peut citer les « junkers » (grands propriétaires) prussiens, parmi lesquels on choisit le corps des officiers ; citons aussi la noblesse russe, ceux dont on appelait les représentants à la Douma les « sauvages » et les « aurochs ». Le Conseil d’État tsariste était composé en grande partie de représentants de cette classe. Ces grands propriétaires appartenant à d’anciennes familles, comtes, princes, etc., etc., possédaient autrefois des milliers de serfs. En Russie, il y avait plusieurs partis de propriétaires fonciers : l’Union du Peuple russe, les nationalistes (Kroupensky), les octobristes de droite, etc.]
La bourgeoisie capitaliste. — Son intérêt est d’obtenir le profit le plus élevé de « l’industrie nationale », c’est-à-dire la plus-value suée par la classe ouvrière. Il est clair que ses intérêts ne se confondent pas tout à fait avec ceux des propriétaires. Lorsque le capital pénètre au village, il y détruit l’ancien ordre des choses ; il attire le paysan à la ville, où il crée un immense prolétariat, il éveille dans les villages de nouveaux besoins ; les paysans, naguère paisibles, commencent à devenir « turbulents ». Toutes ces innovations ne plaisent pas aux propriétaires. Au contraire, pour la bourgeoisie capitaliste, elles sont le gage de sa prospérité. Plus la ville attire de paysans, plus nombreuse est la force de travail au service des capitalistes, moins cher elle sera payée. Plus la campagne se dépeuple, plus nombreux sont les petits patrons qui cessent de fabriquer pour leur propre usage, plus vite disparaît l’ancien ordre de choses où la campagne produisait tout pour son propre usage, plus s’élargissent les débouchés pour les produits manufacturés, et plus le profit de la classe capitaliste augmente. C’est pourquoi la classe capitaliste murmure contre les vieux propriétaires. Il y a aussi des propriétaires capitalistes qui cultivent eux-mêmes à l’aide de travail salarié et de machines ; leurs intérêts les rapprochant de la bourgeoisie, ils entrent, en général, dans les partis de la haute bourgeoisie. Et naturellement leur lutte principale est dirigée contre la classe ouvrière. Lorsque la classe ouvrière lutte uniquement, ou presque, contre les propriétaires fonciers, la bourgeoisie reste bienveillante (par exemple, en Russie, de 1904 à octobre 1905). Mais lorsque les ouvriers commencent à concevoir leur intérêt communiste et se dressent contre la bourgeoisie, celle-ci s’allie aux propriétaires contre les ouvriers. Actuellement, dans tous les pays, les partis de la bourgeoisie capitaliste (qu’on appelle les partis libéraux) mènent une lutte acharnée contre le prolétariat révolutionnaire et forment le grand état-major politique de la contre-révolution.
[En Russie, ce sont : le « Parti de la Liberté du Peuple », appelé aussi « Parti ConstitutionnelDémocrate » ou, simplement, « Cadet » (K. D.), ainsi que le parti, presque disparu, des « Octobristes ». La bourgeoisie industrielle, les propriétaires capitalistes, les banquiers, ainsi que leurs défenseurs, les intellectuels (professeurs, avocats bien payés, écrivains à la mode, directeurs de fabriques et d’usines) constituent le noyau de ces partis.
En 1905, ils murmuraient contre l’autocratie, mais ils craignaient déjà les ouvriers et les paysans ; après la Révolution de Février 1917 ce sont les Cadets qui se mirent à la tête de tous les partis coalisés contre le parti de la classe ouvrière, c’est-à-dire contre les bolcheviks-communistes.
En 1918-1919, les Cadets ont dirigé tous les complots contre le pouvoir des Soviets, et ont participé aux gouvernements du général Denikine et de l’amiral Koltchak. Bref, ce parti, devenu le chef de la réaction sanglante, s’est fondu complètement avec les partis des propriétaires. Car, sous la pression de la classe ouvrière, tous les groupes de grands propriétaires se réunissent en une seule armée noire, à la tête duquel se place d’ordinaire le parti le plus énergique.]
La petite-bourgeoisie urbaine et les intellectuels petits-bourgeois. — En font partie : les artisans, les petits boutiquiers, les petits intellectuels employés et les petits fonctionnaires. En somme, ce n’est pas une classe, mais une masse très hétérogène. Tous ces éléments, plus ou moins exploités par le capital, travaillent souvent au-dessus de leurs forces. Beaucoup périssent au cours du développement capitaliste. Mais leurs conditions de travail sont telles que, pour la plupart, ils ne se rendent pas compte du caractère désespéré de leur situation sous la domination capitaliste. Prenons par exemple un artisan. Il travaille comme un bœuf. Le capital l’exploite de diverses façons ; il est exploité par l’usurier, par le grand magasin pour lequel il travaille, etc. Mais il se considère comme un petit patron : travaillant avec ses propres instruments, il est en apparence « indépendant » (quoique, en réalité, il soit pris, de toutes parts, dans la toile d’araignée du capitalisme) ; il espère toujours « réussir » par ses propres forces (« quand mes affaires se seront améliorées, pense-t-il continuellement, je m’achèterai ceci ou cela »). Il s’efforce de se fondre, non avec les ouvriers, — qu’il ne veut pas imiter, — mais avec les patrons, car, dans son âme, il espère un jour devenir aussi patron. C’est pourquoi, bien que pauvre comme un rat d’église, il est plus près de ses exploiteurs que de la classe ouvrière.
Les partis petits-bourgeois prennent souvent l’étiquette de parti « radical », « républicain », parfois même « socialiste ». Il est très difficile de faire sortir le petit patron de son erreur, et ce n’est pas sa « faute », c’est son malheur.
[En Russie, les partis petits-bourgeois se mettaient, plus que partout ailleurs, le masque socialiste : tels les « Socialistes Populaires », les « Socialistes-Révolutionnaires », les « Mencheviks ». Il faut noter que les Socialistes- Révolutionnaires s’appuyaient, principalement, dans les campagnes, sur les éléments moyens et sur les exploiteurs.]
Les paysans. — Les paysans, à la campagne, occupent une position analogue à celle de la petite bourgeoisie dans les villes. Eux non plus ne forment pas une classe à proprement parler, car, sous le régime capitaliste, ils se morcellent continuellement. Dans chaque village, certains partent à la recherche de travail et finissent par devenir des prolétaires, tandis que d’autres deviennent des exploiteurs. Les paysans moyens sont également un élément très instable : certains d’eux se ruinent, devenant des « paysans sans cheval[4] », et ensuite des valets de ferme, ouvriers agricoles, artisans ou ouvriers de fabrique ; d’autres améliorent graduellement leur situation, achètent une ferme, des machines, louent des domestiques, bref, deviennent entrepreneurs-capitalistes. La paysannerie ne constitue donc pas une classe. Il y faut distinguer au moins trois groupes : la bourgeoisie agricole, exploitant le travail salarié ; les paysans moyens, travaillant eux-mêmes, sans exploiter le travail salarié, et enfin les semi-prolétaires et prolétaires.
Il n’est pas difficile de comprendre que, suivant leur situation, tous ces groupes prennent une attitude différente dans la lutte entre le prolétariat et la bourgeoisie. Les paysans aisés sont d’ordinaire les alliés de la bourgeoisie, et très souvent même des gros propriétaires (en Allemagne, par exemple, les « gros paysans », comme on les appelle, entrent dans les mêmes partis que les prêtres et les propriétaires ; de même en Suisse, en Autriche, et, en partie, en France ; en Russie, les paysans aisés soutenaient déjà, en 1918, tous les complots contre-révolutionnaires). Les couches semi-prolétariennes et prolétariennes soutiennent naturellement les ouvriers dans leur lutte contre la bourgeoisie et les paysans aisés. En ce qui concerne le « paysan moyen », la chose est plus compliquée.
Si les paysans moyens comprenaient qu’il n’y a pas d’issue possible pour la plupart d’entre eux, sous le régime capitaliste, que seuls, quelques-uns d’entre eux pourront devenir de « gros bonnets » de village, tous les autres étant condamnés à une vie misérable, tous soutiendraient résolument les ouvriers. Mais le malheur est qu’il en est des paysans moyens comme des artisans et de la petite bourgeoisie urbaine. Chacun espère, dans les profondeurs de son âme, s’enrichir. Mais, d’un autre côté, ils sont opprimés par le capitaliste, l’usurier, le propriétaire. C’est pourquoi la plupart d’entre eux oscillent entre le prolétariat et la bourgeoisie. Ils ne peuvent accepter le point de vue ouvrier, mais, d’autre part, ils craignent le gros propriétaire comme le feu.
[Cela se constate chez nous, en Russie, avec une acuité particulière. Les paysans moyens soutinrent les ouvriers contre le gros propriétaire et le paysan aisé, mais ensuite, craignant que la « commune » n’empire leur situation, ils marchèrent contre les ouvriers ; les paysans aisés réussirent à les séduire ; mais lorsque le danger du gros propriétaire (Denikine, Koltchak) menaça à nouveau, ils recommencèrent à soutenir les ouvriers.]
Même situation dans la lutte des partis. Les paysans moyens marchèrent tantôt avec le parti ouvrier (les bolcheviks-communistes), tantôt avec celui des paysans aisés et des gros propriétaires (les socialistes révolutionnaires). La classe ouvrière (le prolétariat) n’a rien à perdre, sauf ses chaînes. Non seulement, elle est exploitée par les capitalistes, mais, nous l’avons déjà vu, le cours du développement capitaliste la cimente en une force puissante, homogène, habituée à travailler et à lutter en commun. C’est pourquoi la classe ouvrière est la classe la plus avancée de la société capitaliste, son parti le parti le plus avancé, le plus révolutionnaire qui puisse exister.
Il est naturel aussi que ce parti ait pour but la révolution communiste. Et pour atteindre ce but, le parti du prolétariat doit se montrer irréconciliable. Il n’a pas à marchander avec la bourgeoisie, mais à la renverser et à en briser la résistance. Il doit « démasquer l’abîme infranchissable entre les intérêts des exploiteurs et ceux des exploités » (ainsi s’exprimait notre ancien programme, signé également par les mencheviks qui l’ont malheureusement tout à fait oublié et font maintenant les yeux doux à la bourgeoisie).
Mais, quelle position notre parti doit-il prendre à l’égard de la petite bourgeoisie ?
Après ce que nous avons dit plus haut, notre position est claire. Il faut lui démontrer de toutes manières que tout espoir en une vie meilleure, sous le régime capitaliste, est mensonge ou chimère. Il nous faut expliquer inlassablement au paysan moyen qu’il doit passer résolument dans le camp du prolétariat, lutter aux côtés du prolétariat, en dépit de toutes les difficultés ; nous devons indiquer que la victoire de la bourgeoisie ne profiterait qu’aux paysans aisés, transformés en nouveaux propriétaires. Bref, il faut appeler tous les travailleurs à une entente avec le prolétariat, en se plaçant au point de vue de la classe ouvrière. La petite bourgeoisie et les paysans moyens sont pleins de préjugés qui ont leur origine dans leurs conditions d’existence. Notre devoir est de leur expliquer les choses telles qu’elles sont et que la situation de l’artisan et du petit paysan, en régime capitaliste, est sans espoir. En régime capitaliste, le paysan aura toujours sur le dos un propriétaire ; c’est seulement après la victoire et l’affermissement du pouvoir prolétarien qu’on pourra construire la vie sur des bases nouvelles. Et comme seul le prolétariat peut vaincre par sa solidarité et son organisation, et grâce à un parti fort et résolu, il nous faut appeler dans ses rangs tous les travailleurs à qui cette nouvelle vie est chère et qui ont appris à penser, à vivre et à lutter en prolétaires.
[Nous voyons par l’exemple de l’Allemagne et de la Russie l’importance d’un parti communiste résolu et combatif. En Allemagne, où le prolétariat était développé, il n’y avait point cependant, avant la guerre, de parti combatif de la classe ouvrière pareil à celui des bolcheviks russes. C’est seulement pendant la guerre que les camarades Karl Liebknecht, Rosa Luxemburg et autres se mirent à organiser un véritable parti communiste. C’est pourquoi, en 1918-1919, malgré toute une série de soulèvements, les ouvriers allemands n’ont pu vaincre la bourgeoisie. En Russie, au contraire, il y avait un véritable parti de classe — le nôtre. Grâce à cela, le prolétariat russe fut bien dirigé, et, malgré toutes les difficultés, il fut le premier prolétariat à pouvoir montrer une telle union et à vaincre si rapidement. Notre parti, sous ce rapport, peut servir d’exemple aux autres partis communistes. Sa cohésion et sa discipline sont connues de tout le monde. Il est véritablement le parti le plus combatif, celui qui dirige la révolution prolétarienne.]
- ↑ Cf. plus haut et § 13
- ↑ Ce qui va suivre ne vaut guère que pour la Russie d’avant la révolution. (Note de l’Ed. de 1925)
- ↑ En 1903, avant la séparation entre social-démocrates bolcheviks et social-démocrates menchéviks. (Note de l’Ed. 1925)
- ↑ Expression usitée en Russie pour désigner les paysans pauvres. (Note de l’Ed. 1925)