Introduction

De Marxists-fr
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I . Le développement du capitalisme et sa fin[modifier le wikicode]

1 : Qu’est-ce qu’un programme ?[modifier le wikicode]

Chaque parti poursuit des buts déterminés : le parti des propriétaires et des capitalistes, comme le parti des ouvriers et des paysans. Sans buts, il n’y a pas de parti. Si ce parti représente les intérêts des propriétaires fonciers, il poursuivra leurs buts : à savoir conserver la terre entre leurs mains, assujétir le paysan, vendre le plus cher possible le blé de leurs propriétés, se procurer au plus bas prix la force de travail agricole, obtenir le fermage le plus élevé.

Si c’est le parti des capitalistes, il a également ses buts : avoir la force de travail à bon marché, juguler les ouvriers d’usine, trouver des acheteurs à qui vendre au plus haut prix les marchandises, gagner le plus possible, et pour cela, faire travailler les ouvriers le plus longtemps possible; avant tout, faire en sorte que les ouvriers ne puissent imaginer la possibilité d’un nouveau régime et restent convaincus qu’il y a toujours eu des patrons et qu’il y en aura toujours. Tels sont les buts des fabricants.

Il va de soi que les ouvriers et les paysans ont de tout autres buts, parce qu’ils ont de tout autres intérêts. Autrefois on disait : « Ce qui est bon pour un Russe est mortel pour un Allemand ». En réalité, il serait plus exact de dire : « Ce qui est bon pour un ouvrier est mortel pour un propriétaire ou un capitaliste ». On voit donc que l’ouvrier a son but propre, que le capitaliste en a un autre, et que le propriétaire a le sien aussi.

Mais chaque propriétaire foncier ne pense pas uniquement à la meilleure façon de réduire le paysan à sa merci; plus d’un passe son temps à boire, sans même regarder ce que lui apporte son intendant. La même chose arrive souvent au paysan ou à l’ouvrier. Il y en a qui disent : « Bah! On s’en tirera tout de même, pourquoi s’inquiéter ? Nos aïeux ont vécu de tout temps ainsi et nous ferons de même ». Ces gens-là ne se soucient de rien et ne comprennent même pas leurs propres intérêts. Au contraire, ceux qui réfléchissent à la meilleure façon de défendre leurs intérêts s’organisent en parti. Ce n’est donc pas l’ensemble d’une classe qui entre dans le parti, mais sa fraction la meilleure et la plus énergique; et c’est elle qui guide les autres.

Au Parti ouvrier (Parti communiste bolchévik) adhèrent les ouvriers et les paysans pauvres, les meilleurs; au Parti des propriétaires et des capitalistes (les Cadets, le Parti de la Liberté Populaire) adhèrent les plus énergiques parmi les propriétaires et les capitalistes, ainsi que leurs valets : avocats, professeurs, officiers et généraux, etc. Chaque parti représente donc la fraction la plus consciente de la classe dont il défend les intérêts.

C’est pourquoi un propriétaire ou un capitaliste qui entre dans un parti luttera avec beaucoup plus de succès contre le paysan et l’ouvrier que celui qui n’y entre pas. De même, un ouvrier appartenant à un parti luttera avec plus de succès contre le capitaliste et le propriétaire que celui qui n’appartient à aucun parti, car ayant bien réfléchi aux buts et aux intérêts de la classe ouvrière, il sait comment les poursuivre par le chemin le plus court.

La totalité des buts que poursuit un parti en défendant les intérêts de sa classe constitue le programme de ce parti. C’est donc dans son programme que sont indiqués les buts que poursuit chaque classe. Ainsi, dans le programmes du Parti Communiste, est indiqué le but que doivent poursuivre les ouvriers et les paysans pauvres. Le programme est, pour chaque parti, la chose la plus importante. D’après son programme, on peut toujours juger quels intérêts défend un parti.

2. Quel était notre ancien programme ?[modifier le wikicode]

Notre programme actuel a été adopté par le VIIIe Congrès du Parti, fin mars 1919. Jusque-là, il n’y avait pas eu de programme exact, fixé par écrit. Il n’y avait que l’ancien programme, élaboré par le IIe Congrès du Parti, en 1903. Lorsque cet ancien programme fut dressé, les bolcheviks et les menchéviks ne formaient encore qu’un seul parti, et leur programme était commun. La classe ouvrière commençait seulement à s’organiser. Les fabriques et les usines étaient beaucoup moins nombreuses. On discutait même toujours la question de savoir si notre classe ouvrière allait se développer. Les populistes (les frères des socialistes révolutionnaires actuels) prétendaient que la classe ouvrière ne pouvait se développer en Russie, et que les fabriques et les usines ne s’y multiplieraient point. Les marxistes[1] social-démocrates (les futurs bolcheviks et menchéviks) estimaient au contraire qu’en Russie, tout comme dans les autres pays, la classe ouvrièredevait grandir et qu’elle constituerait la principale force révolutionnaire. Les événements ont montré la fausseté de la façon de voir des populistes et l’exactitude du point de vue des social-démocrates.

Mais lorsque les social-démocrates, à leur IIe Congrès, dressaient leur programme (à son élaboration prirent part aussi bien Lénine que Plekhanov), les forces de la classe ouvrière étaient encore très insuffisantes. Aussi, personne ne croyait alors à la possibilité d’arriver d’un seul coup au renversement de la bourgeoisie. On tenait pour seul réalisable alors de tordre le cou au tsarisme, de conquérir la liberté pour les associations ouvrières et paysannes comme pour toutes les autres, de réaliser la journée de huit heures et mater un peu le propriétaire. Quant à réaliser de façon durable le pouvoir des ouvriers et à confisquer immédiatement à la bourgeoisie les fabriques et les usines, personne n’y pensait encore. Voilà quel était notre ancien programme de 1903.

3. Pourquoi il a été nécessaire d’adopter un nouveau programme[modifier le wikicode]

De cette époque à la Révolution de 1917, il s’est écoulé beaucoup d’années, et la situation s’est bien modifiée. En Russie, pendant ce laps de temps, la grande industrie avait beaucoup progressé et avec elle s’était accrue la classe ouvrière. Déjà, pendant la Révolution de 1905, celle-ci s’était montrée une grande force. Et, vers l’époque de la deuxième Révolution (1917), il devint clair que la Révolution ne pourrait vaincre que par la victoire de la classe ouvrière. Mais cette classe ne pouvait plus se contenter du peu qui l’aurait satisfaite en 1905. Sa puissance devenait si grande qu’elle devait inévitablement réclamer la prise de possession des fabriques et des usines, le pouvoir aux ouvriers, la soumission de la classe capitaliste. C’est que, depuis l’élaboration du premier programme, la situation intérieure en Russie s’était profondément modifiée.

Mais, et ceci est encore plus important, la situation extérieure, elle aussi, avait subi des modifications. En 1905, c’était le calme et la paix dans toute l’Europe. En 1917, tout homme intelligent pouvait voir qu’à la faveur de la guerre mondiale se préparait la révolution mondiale. En 1905, la Révolution russe n’entraîna qu’un petit mouvement chez les ouvriers autrichiens, ainsi que des révolutions dans les pays arriérés de l’Orient : la Perse, la Turquie, la Chine. La Révolution russe, en 1917, a été suivie de révolutions, non seulement en Orient, mais aussi en Occident, où la classe ouvrière, sous le drapeau de la lutte de classe, combat pour le renversement du capitalisme.

Ainsi, les conditions, aussi bien intérieures qu’extérieures, sont tout autres qu’en 1903, et il eût été ridicule que le parti de la classe ouvrière conservât un seul et même programme pour l’année 1903 et pour les années 1917-1919, alors que les circonstances avaient complètement changé. Lorsque les menchéviks nous reprochent d’avoir « renoncé » à notre ancien programme, et par conséquent à la doctrine de Marx, nous répondons : la doctrine de Marx enseigne qu’un programme doit être tiré non du cerveau, mais de la vie elle-même. Du moment que la vie a considérablement évolué, le programme ne peut plus rester le même. En hiver, l’homme a besoin d’une fourrure. En été, seul un fou portera une fourrure. C’est la même chose en politique. Marx lui-même nous a appris à examiner les circonstances dans chaque cas et à agir en conséquence. Il ne s’ensuit pas que nous devons changer de convictions comme une grande dame change de gants. Le but principal de la classe ouvrière est la réalisation du régime communiste. Et ce but est pour elle constant. Mais il va de soi que, suivant l’éloignement du but, ses revendications varient.

Sous l’autocratie, la classe ouvrière était obligée de se cacher, non parti était persécuté comme un parti de criminels. Actuellement, la classe ouvrière est au pouvoir, et son parti est le parti dirigeant. Un imbécile seul pourra rester sur le même programme en 1903 et de nos jours.

Les modifications dans les conditions intérieures de la vie russe, ainsi que le changement de toute la situation internationale, ont rendu nécessaires les modifications de notre programme.

4. Importance de notre programme[modifier le wikicode]

Notre nouveau programme de Moscou est le premier programme d’un parti de la classe ouvrière, détenant depuis un certain temps le pouvoir. Notre parti devait tenir compte de toute l’expérience que la classe ouvrière a acquise dans la pratique de la direction et de la construction d’une vie nouvelle. Cela est important, non seulement pour nous, pour les ouvriers, les ouvrières et les petits paysans russes, mais aussi pour nos camarades étrangers. Car nos succès et nos insuccès, nos erreurs et nos fautes servent d’enseignement, non seulement à nous- mêmes, mais aussi à tout le prolétariat international. C’est pourquoi notre programme contient non seulement ce que notre parti veut réaliser, mais aussi ce qu’il a déjà réalisé en partie. Notre programme doit être connu de chaque membre du parti dans tous ses détails. Pour chaque cellule du parti, pour chaque camarade, c’est le guide le plus sûr dans l’action. Car on ne saurait être membre du parti sans adopter les vues du programme, c’est-à-dire considérer ce programme comme juste. Mais on ne peut le considérer comme juste que lorsqu’on le connaît. Naturellement, il y a beaucoup de gens qui n’ont jamais vu aucun programme, mais qui se glissent parmi les communistes et ne jurent que par le communisme, s’efforçant ainsi d’arracher quelques avantages ou d’obtenir une bonne petite place. Nous n’avons pas besoin dans notre parti d’adhérents de ce genre, lesquels ne font que nuire. Sans connaître le programme, nul ne peut devenir un véritable communiste bolchevik. Il faut que chaque ouvrier russe conscient et chaque paysan pauvre connaissent le programme de notre parti. Il faut que chaque prolétaire étranger l’étudie, afin de tirer profit des expériences de la Révolution russe.

5 : Caractère scientifique de notre programme[modifier le wikicode]

Avant Karl Marx, les hommes qui défendaient les intérêts de la classe ouvrière ébauchaient souvent des tableaux merveilleux du paradis futur, mais sans se demander si l’on pourrait y parvenir et quelle était la véritable route à suivre pour la classe ouvrière et le prolétariat agricole. Marx nous apprit à agir tout autrement. Il considéra le régime mauvais, injuste, barbare, qui règne encore aujourd’hui dans tout l’Univers, et rechercha comment ce régime était fait. Tout comme nous examinerions une machine quelconque, par exemple une montre, Marx examina le régime capitaliste dans lequel règnent les industriels et les propriétaires fonciers, mais où les ouvriers et les paysans sont opprimés. Supposons que nous ayons remarqué que deux petites roues de la montre sont mal adaptées l’une à l’autre, qu’à chaque tour, elles s’accrochent toujours davantage, nous pourrons ensuite prédire que la montre va se briser et s’arrêter. Marx examina non pas une montre, mais la société capitaliste, l’étudia et observa la vie sous la domination capitaliste. Et, grâce à cette étude, il vit clairement que le Capital creuse lui-même sa propre tombe, que cette machine va sauter et qu’elle sautera grâce à la révolte inévitable des ouvriers, qui transformeront ensuite l’univers entier selon leur propre volonté.

A tous ses disciples, Marx prescrivit, en guise de testament, d’étudier, avant tout, la vie telle qu’elle est. C’est seulement après cette étude qu’on peut dresser un programme juste. C’est pourquoi notre programme doit commencer par la description de la domination capitaliste.

Actuellement, la domination capitaliste est abolie en Russie; les prédictions de Marx se réalisent sous nos yeux, l’ancienne société s’écroule. Les couronnes s’envolent de la tête des rois et des empereurs. Les ouvriers marchent partout à la Révolution et à l’établissement du pouvoir des Soviets. Pour bien comprendre comment cela est arrivé, il faut savoir exactement ce que c’est que le régime capitaliste; après quoi nous verrons que sa chute était irrémédiable.

Et une fois reconnu qu’il n’y a plus aucun retour possible vers le passé, que la victoire des ouvriers est assurée, nous n’en mènerons qu’avec plus de force et de résolution la lutte pour la nouvelle organisation du travail.

  1. Les marxistes sont les disciples de Karl Marx, le grand savant et chef du mouvement ouvrier.