I. Le régime capitaliste

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6 : La production de marchandises[modifier le wikicode]

Lorsqu’on examine comment s’est développée la production sous la domination capitaliste, on voit avant tout qu’on y produit des marchandises. « Qu’y a-t-il là de si remarquable ? » pourrait-on demander. Il y a ceci de remarquable que la marchandise n’est pas un produit quelconque, mais un produit destiné au marché.

Un produit n’est pas une marchandise tant qu’il est fait pour notre propre besoin.

Quand le paysan sème son blé, puis le récolte et le bat, moud le grain et fait du pain pour lui-même, ce pain n’est pas une marchandise, c’est simplement du pain.

Il ne deviendra marchandise que lorsqu’il sera vendu et acheté, c’est-à-dire lorsqu’il sera produit pour l’acheteur, pour le marché; il appartiendra à celui qui l’achètera.

Dans le régime capitaliste, tous les produits sont destinés au marché, tous deviennent des marchandises. Chaque fabrique, usine ou atelier ne confectionne ordinairement qu’un seul produit et ce produit, évidemment, n’est pas fait pour le propre besoin du fabricant. Quant un entrepreneur de pompes funèbres exploite une fabrique de cercueils, il est clair que ces cercueils ne sont point pour lui-même ou pour sa famille, mais pour le marché. Quand un fabricant produit de l’huile de ricin, il est également clair que, même s’il souffre continuellement d’un embarras gastrique, il ne pourra conserver qu’une infime portion de la quantité d’huile produite par sa fabrique. Sous le régime capitaliste, il en est exactement de même pour n’importe quel produit.

Dans une fabrique de boutons, on produit des boutons, mais ces millions de boutons sont fabriqués non pour être cousus au gilet du fabricant, mais pour la vente. Tout ce qui est produit dans la société capitaliste est produit pour le marché; c’est au marché que vont les gants et le saucisson cuit, les livres et le cirage, les métaux et l’eau-de-vie, le pain, les bottes et les armes; bref, tout ce qui est produit.

La production de marchandises suppose nécessairement l’existence de la propriété privée. L’artisan ou le petit industriel qui fabrique des marchandises est propriétaire de son atelier et de ses outils; le fabricant ou l’usinier possède sa fabrique ou son usine, y compris tous les bâtiments, machines, etc. Mais dès l’instant qu’il y a propriété privée et production de marchandises, il y a toujours lutte autour de l’acheteur, c’est-à-dire concurrence entre les vendeurs. Même quand il n’y avait pas encore de fabricants, d’usiniers, de gros capitalistes, mais de simples artisans, ces derniers déjà se disputaient l’acheteur. Et celui qui était le plus fort, le plus adroit, qui avait de meilleurs outils, mais surtout celui qui avait économisé de l’argent, avait toujours le dessus, accaparait l’acheteur, ruinait les autres artisans et arrivait à la prospérité. Donc, la petite propriété, productrice de marchandises, portait en germe la grande propriété et causait déjà beaucoup de ruines.

Ainsi, le premier trait caractéristique du régime capitaliste est la production de marchandises, la production destinée au marché.

7 : Monopolisation des moyens de production par la classe capitaliste[modifier le wikicode]

Ce caractère ne suffit pas à définir le capitalisme. Il peut exister une production de marchandises sans capitalistes, comme, par exemple, la production par les petits artisans. Ceux-ci produisent pour le marché et vendent leurs produits; par conséquent, leurs produits sont bien des marchandises, et leur production une production de marchandises. Cependant, c’est une production ordinaire de marchandises, et non une production capitaliste. Pour que cette production ordinaire se transforme en production capitaliste, il faut, d’une part, que les moyens de production (instruments, machines, bâtiments, sol, etc.) deviennent la propriété d’une classe peu nombreuse de riches capitalistes et, d’autre part, qu’un grand nombre d’artisans indépendants et de paysans se ruinent et deviennent des ouvriers.

Nous avons déjà vu que la production ordinaire de marchandises porte en germe la ruine des uns et l’enrichissement des autres. C’est ce qui est arrivé en effet et, dans tous les pays, les petits artisans et les petits patrons se sont ruinés pour la plupart. Les plus pauvres finissaient par vendre leurs outils et, de patrons, devenaient des gens ne possédant plus rien que leurs bras. Ceux qui étaient un peu plus riches le devenaient encore plus, transformaient et élargissaient leurs ateliers, installaient de nouveaux établis, puis des machines, se mettaient à embaucher de nombreux ouvriers et se transformaient en fabricants.

Petit à petit, ces riches réunirent entre leurs mains tout ce qui est nécessaire à la production : bâtiments, machines, matières premières, entrepôts et magasins, maisons, usines, mines, chemins de fer, navires. Tous ces moyens de production sont devenus la propriété exclusive de la classe capitaliste (ou, comme on dit, le « monopole » des capitalistes). Une poignée de riches possède tout; une immense quantité de pauvres ne possède que ses bras. Le monopole de la classe des capitalistes sur les moyens de production est le deuxième trait caractéristique du régime capitaliste.

8 : Le Salariat[modifier le wikicode]

Une classe nombreuse d’hommes restés sans aucune propriété s’est transformée en ouvriers salariés du Capital. Et, en effet, que devait faire le paysan ou l’artisan ruiné ? Soit entrer comme domestique chez un propriétaire terrien, soit se rendre en ville pour travailler dans une fabrique ou une usine. Pour eux, pas d’autre issue. Telle fut l’origine du salariat, ce troisième trait caractéristique du régime capitaliste.

Qu’est-ce donc que le salariat ? Jadis, au temps des sefs et des esclaves, on pouvait vendre ou acheter chaque serf et chaque esclave. Des hommes, avec leur peau, leurs cheveux, leurs jambes et leurs bras, étaient la propriété privée de leurs maîtres. Le maître faisait fouetter à mort son serf, tout comme il brisait, par exemple, étant en état d’ivresse, une chaise ou un tabouret. Le serf ou l’esclave n’était qu’une simple chose. Chez les anciens Romains, les propriétés nécessaires à la production étaient franchement divisées en « instruments de travail muets » (les choses), « instruments de travail à moitié muets » (les bêtes de somme, moutons, vaches, bœufs, etc.) et « instruments parlants » (les esclaves, les hommes). Une pelle, un bœuf, un esclave étaient pour le maître, au même titre, des instruments qu’il pouvait vendre, acheter, détruire.

Dans le salariat, l’homme lui-même n’est ni vendu ni acheté. Il n’y a de vendu ou d’acheté que sa force de travail et non lui-même. L’ouvrier salarié est personnellement libre; le fabricant ne peut ni le bâtonner ni le vendre à son voisin, il ne peut pas même l’échanger contre un jeune lévrier, comme au temps du servage. L’ouvrier lui-même ne fait que louer ses services. Il semble bien que le capitaliste et les ouvriers soient des égaux : « Si tu ne veux pas, ne travaille pas, personne ne te force à le faire », ainsi parlent messieurs les patrons. Ils prétendent même qu’ils nourrissent les ouvriers en les faisant travailler.

En réalité, les ouvriers et les capitalistes ne se trouvent pas sur un pied d’égalité. Les ouvriers sont enchaînés au Capital par la faim. C’est la faim qui les oblige à s’embaucher, c’està-dire à vendre leur force de travail. Pour l’ouvrier, pas d’autre issue, d’autre choix. Les mains vides, il ne peut organiser sa « propre » production; qu’on essaye donc de fondre de l’acier, de tisser, de construire des wagons sans machines et sans outils! Mais la terre elle-même, sous le régime du capitalisme, appartient tout entière à des particuliers; on ne peut s’installer nulle part pour faire de la culture. La liberté pour l’ouvrier de vendre sa force de travail, la liberté pour le capitaliste de l’acheter, « l’égalité » du capitaliste et de l’ouvrier — tout cela n’est, en fait, qu’une chaîne, la chaîne de la faim qui contraint l’ouvrier à travailler pour le capitaliste.

Ainsi, le salariat consiste essentiellement dans la vente de la force de travail ou dans la transformation de cette force en marchandise. Dans la production de marchandises à forme simple, dont il a été question plus haut, on pouvait trouver au marché du lait, du pain, des tissus, des bottes, etc., mais point de force de travail. Cette force ne se vendait pas. Son propriétaire, l’artisan, possédait encore, en dehors d’elle, sa petite maison et ses outils. Il travaillait lui-même, utilisait sa propre force dans sa propre exploitation.

Il en est tout autrement en régime capitaliste. Ici, celui qui travaille ne possède aucun moyen de production; il ne peut utiliser sa force de travail dans sa prorpre exploitation; il est obligé, pour ne pas mourir de faim, de la vendre au capitaliste. A côté du marché où l’on vend le coton, le fromage et les machines, il se crée un marché du travail où les prolétaires, c’est-à-dire les ouvriers salariés, vendent leur force de travail. Par conséquent, ce qui distingue la production capitaliste de la production de marchandises, c’est que dans la production capitaliste, la force de travail elle-même devient une marchandise.

Ainsi, le troisième trait caractéristique du régime capitaliste est le travail salarié.

9 : Rapports entre les hommes dans la production capitaliste[modifier le wikicode]

Les traits caractéristiques du régime capitaliste sont donc au nombre de trois :

- la production pour le marché (production de marchandises);

- la monopolisation des moyens de production par la classe capitaliste;

- le travail salarié, c’est-à-dire fondé sur la vente de la force de travail.

Mais quels rapports entretiennent les hommes, quand ils créent et répartissent les produits ? Quand on parle de « production de marchandises » ou de « production pour le marché », qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que les hommes travaillent les uns pour les autres, mais que chacun produit, dans sa partie, pour le marché, sans savoir qui lui achètera sa marchandise. Supposons l’artisan Ivonov et le paysan Sidorov. L’artisan Ivonov porte au marché les bottes qu’il a fabriquées et les vend à Sidorov; avec l’argent reçu, il achète à Sidorov du pain. Ivonov, quand il se rendait au marché, ne savait pas qu’il y trouverait Sidorov, et Sidorov ignorait qu’il y rencontrerait Ivonov; l’un et l’autre allaient tout simplement au marché. Lorsque Ivonov achète du pain, et Sidorov des bottes, il semble bien que Sidorov ait travaillé pour Ivonov et Ivonov pour Sidorov; mais cela ne s’aperçoit pas du premier coup. C’est la confusion du marché qui les empêche de voir qu’en réalité, ils travaillent l’un pour l’autre et ne peuvent vivre l’un sans l’autre. Sous le régime de production de marchandises, les hommes travaillent les uns pour les autres. Par conséquent, sous ce régime, les rôles des hommes se répartissent de façon particulières; les hommes se trouvent dans de certains rapports mutuels; il s’agit donc bien, ici, de rapports entre les hommes.

Quand on parle de la « monopolisation des moyens de production » ou du « travail salarié », il s’agit également de rapports entre les hommes. Et, en effet, que signifie cette « monopolisation » ? Elle signifie que les hommes qui fabriquent les produits avec des moyens de production dont ils ne sont pas propriétaires — les travailleurs — sont assujetis aux possesseurs de ces moyens, c’est-à-dire aux capitalistes, etc. Bref, il s’agit là, également, de rapports entre les hommes dans la fabrication des produits. On appelle ces rapports entre les hommes, au cours de la production, rapports de production.

Il n’est pas difficile de voir que les rapports de production n’ont pas toujours été les mêmes. Il y a très longtemps de cela, les hommes vivaient en petites communautés, travaillaient ensemble, en camarades, allaient à la chasse, à la pêche, cueillaient les fruits et les racines, et partageaient ensuite tout cela entre eux. C’était une forme de rapports de production. Au temps où existait l’esclavage, il y avait d’autres rapports de production. Sous le régime capitaliste, ce sont encore d’autres rapports, et ainsi de suite. Par conséquent, il y a différentes sortes de rapports de production. On les nomme : structure économique de la société ou modes de production.

« Les rapports capitalistes de production », ou bien, ce qui revient au même, « la structure capitaliste de la société », — ce sont les rapports qui existent entre les hommes dans la production des marchandises, effectuée avec des moyens de production monopolisés par une poignée de capitalistes et avec le travail salarié de la classe ouvrière.

10 : L’exploitation de la force de travail[modifier le wikicode]

Une question se pose : Dans quel but la classe des capitalistes embauche-t-elle des ouvriers ? Chacun sait que ce n’est nullement parce que les fabricants désirent nourrir les ouvriers affamés, mais parce qu’ils veulent tirer d’eux du profit. C’est pour le profit que le fabricant construit son usine, pour le profit qu’il engage des ouvriers, pour le profit qu’il flaire les endroits où l’on vend le plus cher. Le profit dirige tous ses calculs. Il y a, là aussi, un trait curieux de la société capitaliste. Ce n’est pas la société elle-même, en effet, qui produit ce qui lui est nécessaire et utile, mais c’est la classe des capitalistes qui oblige les ouvriers à produire ce qui se paye le plus cher, ce dont elle peut tirer le profit le plus grand. L’eau-de-vie, par exemple, est une chose très nuisible, et l’on devrait ne fabriquer l’alcool que pour des buts techniques et médicaux. Et cependant, dans le monde entier, des capitalistes consacrent à sa fabrication toute leur énergie. Pourquoi ? Parce qu’on peut tirer de l’ivrognerie du peuple un grand profit.

Il nous faut maintenant expliquer comment se forme le profit. Pour cela, serrons la question de plus près. Le capitaliste touche son bénéfice sous forme d’argent, quand il vend la marchandise produite dans sa fabrique. Quelle somme touche-t-il ? Cela dépend du prix de la marchandise. Mais qu’est-ce qui fixe ce prix ? Pourquoi est-il élevé pour certaines marchandises et bas pour d’autres ? Il y a une chose facile à constater : lorsque, dans une industrie quelconque, on a introduit de nouvelles machines et que le travail y est devenu avantageux ou, comme on dit, plus productif, le prix des marchandises baisse. Au contraire, lorsque la production est gênée et qu’on produit moins de marchandises, le travail est moins productif, et le prix des marchandises monte[1].

Si la société emploie, en moyenne, beaucoup de travail pour fabriquer une marchandise, le prix de cette dernière est élevé; le travail a-t-il été moindre, le prix est bas. La quantité de travail social, fournie par une technique moyenne (c’est-à-dire par des machines et des outils qui ne sont ni les meilleurs, ni les pires) et employée pour la production d’une marchandise, détermine la valeur (ou le coût) de cette marchandise. Nous voyons maintenant que le prix est fixé par la valeur. En réalité, le prix est tantôt plus élevé, tantôt plus bas que la valeur, mais pour simplifier, nous pouvons admettre que valeur et prix sont égaux.

Maintenant, rappelons-nous ce que nous avons dit au sujet de l’embauchage des ouvriers : embaucher, c’est acheter une marchandise particulière, la force de travail. Mais une fois la force de travail devenue marchandise, tout ce qui concerne toutes les marchandises lui devient applicable. Quand le capitaliste engage un ouvrier, il lui paie le prix ou, pour simplifier, la valeur de sa force de travail. Par quoi cette valeur est-elle déterminée ? Nous avons vu que, pour toutes les marchandises, elle est déterminée par la quantité de travail employée à les produire. De même pour la force de travail.

Mais, qu’entend-on par production de la force de travail ? La force de travail ne se produit pas dans une fabrique; elle n’est ni toile, ni cirage, ni machine. Qu’entend-on par sa production ?

Il suffit d’observer la vie réelle sous le régime capitaliste pour comprendre de quoi il s’agit. Supposons que les ouvriers viennent de terminer leur travail. Ils sont très fatigués, ils n’ont plus d’énergie, ils ne peuvent travailler davantage. Leur force de travail est presque épuisée. Que faut-il pour la reconstituer ? Il leur faut manger, se reposer, dormir, refaire leur organisme, et de cette façon « reconstituer leurs forces ». C’est seulement ensuite que reparaît la possibilité de travailler, que se reconstitue la force de travail.

C’est donc la nourriture, les vêtements, le logement, etc. — bref, la satisfaction des besoins de l’ouvrier, qui représentent la production de la force de travail. Mais il faut y ajouter aussi des éléments tels que les dépenses pour l’apprentissage, lorsqu’il s’agit d’ouvriers qualifiés.

Tout ce que consomme la classe ouvrière pour renouveler sa force de travail a une valeur; par conséquent, la valeur des denrées de consommation, ainsi que les dépenses d’apprentissage, voilà ce qui constitue la valeur de la force de travail. A marchandises différentes, valeur différente. De même, chaque sorte de force de travail a sa valeur : la force de travail d’un typographe est différente de celle d’un manœuvre et ainsi de suite.

Mais retournons dans la fabrique. Le capitaliste achète la matière première, le combustible, les machines, l’huile de graissage et autres choses indispensables; ensuite, il achète la force de travail, il « embauche des ouvriers ». Tout cela, il le paie argent comptant. La production commence. Les ouvriers travaillent, les machines tournent, le combustible se consume, l’huile se dépense, les bâtiments s’usent, la force de travail s’épuise. Par contre, de la fabrique sort une marchandise nouvelle. Cette marchandise, comme toutes les marchandises, a une valeur. Quelle est cette valeur ? D’abord, la marchandise a absorbé la valeur des moyens de production qui ont été dépensés pour elle : la matière première, le combustible consommé, l’usure des machines, etc. Tout cela fait maintenant partie de la valeur de la marchandise.

Ensuite, il y est entré le travail des ouvriers. Si trente ouvriers ont travaillé chacun trente heures à sa fabrication. Cela fait en tout 900 heures de travail; donc, la valeur totale de la marchandise produite se composera de la valeur des matières dépensées (supposons, par exemple, cette valeur égale à 600 heures) et de la valeur nouvelle que les ouvriers y ont ajoutée par leur travail (900 heures), c’est-à-dire qu’elle sera de (600+900) = 1.500 heures de travail.

Mais que coûte la marchandise au capitaliste ? La matière première, il l’a payée en totalité, c’est-à-dire une somme correspondant, quant à sa valeur, à 600 heures de travail. Et la force de travail ? A-t-il payé en entier les 900 heures ? Toute la question est là. Il a payé, d’après notre supposition, la valeur entière de la force de travail pour les journées de travail. Lorsque trente ouvriers travaillent leurs trente heures pendant trois jours, soit dix heures par jour, le fabricant paie la somme nécessaire à la reconstitution de leur force de travail pour ces trois jours. Quelle est cette somme ? La réponse est claire : elle est de beaucoup inférieure à la valeur de 900 heures. Pourquoi ? Parce que, autre chose est la quantité de travail nécessaire à l’entretien de ma force de travail, autre chose la quantité de travail que je puis fournir. Je puis travailler dix heures par jour. Et pour manger, me vêtir, etc., j’ai besoin, pour une journée d’objets d’une valeur égale à cinq heures. donc, je puis travailler beaucoup plus qu’il ne faut pour l’entretien de ma force de travail. Dans notre exemple, mettons que les ouvriers ne dépensent, pour se nourrir, s’habiller, etc., pendant trois jours, que des produits d’une valeur de 450 heures de travail, tout en fournissant un travail de 900 heures, 450 heures restent au capitaliste, et forment précisément la source de son profit.

En réalité, la marchandise coûte au capitaliste, ainsi que nous l’avons vu (600+450) = 1.050 heures, et il la vend pour une valeur de (600+900) = 1.500 heures; les 450 heures sont la plus-value, créée par la force de travail. Il s’ensuit que les ouvriers travaillent la moitié de leur temps (soit cinq heures sur une journée de dix heures) afin de reconstituer ce qu’ils dépensent pour eux-mêmes, et l’autre moitié, ils l’emploient entièrement pour le capitaliste.

Observons maintenant la société tout entière. Car ce n’est pas ce que le fabricant ou l’ouvrier fait individuellement qui nous intéresse. Ce qui nous intéresse, c’est le mécanisme de cette machine géante qui s’appelle la société capitaliste. La classe capitaliste occupe la classe ouvrière, formidable en nombre. Dans des milliers de fabriques, dans des puits de mines, des forêts et des champs travaillent, pareils à des fourmis, des centaines de millions d’ouvriers. Le capitaliste leur paie, à titre de salaire, la valeur de leur force de travail, destinée à renouveler cette force de travail pour son service à lui, capitaliste. La classe ouvrière ne se paie pas seulement elle-même par son travail; elle crée en outre le revenu des classes supérieures, elle crée la plus-value. Par des milliers de canaux, cette plus-value afflue dans les poches des patrons. Une partie est touchée par le capitaliste lui-même, c’est son gain d’entrepreneur; une partie est touchée par le propriétaire, le possesseur du sol; une partie parvient, sous forme d’impôts, aux mains de l’Etat capitaliste; une partie va aux commerçants, aux boutiquiers, aux églises et aux maisons de joie, aux acteurs et aux clowns, aux écrivains bourgeois, etc. Aux dépens de cette plus-value, vivent tous les parasites couvés par l’ordre social capitaliste.

Une partie de cette plus-value est à son tour utilisée par les capitalistes. Leur capital s’augmente. Ils étendent leurs entreprises. Ils embauchent plus d’ouvriers. Ils se procurent de nouvelles machines. Un plus grand nombre d’ouvriers leur procure une plus-value encore plus grande. Les entreprises capitalistes deviennent de plus en plus vastes. Ainsi, à chaque minute, progresse le capital, entassant de la plus-value. Le capital, en pompant la plus-value chez les travailleurs, en les exploitant, croît, de façon ininterrompue.

11 : Le Capital[modifier le wikicode]

Nous voyons maintenant clairement ce qu’est le Capital. C’est, avant tout, une valeur déterminée, soit sous forme d’argent, de machines, de matières premières, de bâtiments, de fabriques, soit sous forme de produits fabriqués. Mais c’est une valeur qui sert à produire une nouvelle valeur : la plus-value. Le capital est une valeur qui produit la plus-value. La production capitaliste, c’est la production de la plus-value.

Dans la société capitaliste, les machines et les bâtiments représentent un capital. Mais sontils toujours du capital ? Non. S’il existait un mode fraternel de production pour toute la société, ni les machines, ni les matières premières ne seraient du capital, car elles ne serviraient plus à extraire du profit pour une poignée de riches. Donc, les machines, par exemple, ne deviennent du capital que dans la mesure où elles sont la propriété privée de la classe des capitalistes et servent à exploiter le travail salarié, à produire de la plus-value.

La forme de cette valeur est sans importance; elle peut consister tout aussi bien en de petites rondelles d’or qu’en papier-monnaie, avec quoi le capitaliste achète les moyens de production et la force de travail; cette valeur peut aussi prendre la forme de machines avec lesquelles travaillent les ouvriers, ou de matières premières qu’ils façonnent en marchandises, ou encore de produits manufacturés qui seront plus tard vendus. Mais, du moment que cette valeur sert à la production de la plus-value, c’est du capital.

Ordinairement, le capital ne quitte une forme que pour en prendre une autre. Voyons comment s’opère la transformation.

1. Le capitaliste n’a encore acheté ni force de travail, ni moyens de production. Mais il brûle du désir d’engager des ouvriers, de se procurer des machines, de faire venir des matières premières, du charbon en quantité suffisante. Pour le moment, il n’a rien, sauf de l’argent. Le capital se présente ici sous sa forme monétaire.

2. Avec cette provision d’argent, le capitaliste va au marché (pas en personne, bien entendu, car il y a pour cela le téléphone, le télégraphe, etc.). Là, se fait l’achat des moyens de production et de la force de travail. Le capitaliste retourne à la fabrique sans argent, mais avec des ouvriers, des machines, des matières premières, du combustible. Toutes ces choses ne sont plus maintenant des marchandises. Elles ont fini d’être des marchandises, du fait qu’elles ne sont plus à vendre. L’argent s’est transformé en moyens de production et en force de travail, il a quitté son enveloppe monétaire. Le capital se présente maintenant sous forme de capital industriel.

Puis, voilà le travail qui commence. Les machines entrent en action, les roues tournent, les leviers fonctionnent, les ouvriers et les ouvrières sont en nage, les machines s’usent, les matières premières diminuent, la force de travail s’épuise.

3. Alors, toutes ces matières premières, l’usure des machines, la force de travail en action se transforment, petit à petit, en monceaux de marchandises. Cette fois, le capital quitte son enveloppe matérielle d’instrument de fabrication, il apparaît comme un tas de marchandises. C’est le capital sous sa forme commerciale. Mais il n’a pas fait que changer d’enveloppe. Il a aussi augmenté de valeur, car au cours de la production, la plus-value s’y est ajoutée.

4. Cependant, le capitaliste fait produire des marchandises non pour son usage personnel, mais pour le marché, pour la vente. Ce qu’il a accumulé dans son entrepôt doit être vendu. Au commencement, le capital allait au marché comme acheteur, maintenant, il doit y aller comme vendeur. Au début, il avait en mains de l’argent et il voulait acquérir des marchandises (les moyens de production), maintenant il a en mains les marchandises et il veut obtenir de l’argent. Quand la marchandise est vendue, le capital passe à nouveau de sa forme commerciale à sa forme monétaire. Mais la quantité d’argent que reçoit le capitaliste n’est plus celle qu’il avait donnée au commencement, car elle s’est augmentée du montant de la plus-value.

Mais la circulation du capital n’est pas encore achevée. Le capital grossi est remis en mouvement et acquiert une quantité encore plus grande de plus-value. Cette plus-value s’ajoute en partie au capital et commence un nouveau cycle, et ainsi de suite. Le capital, pareil à une boule de neige, roule sans cesse, et, à chaque tour, une quantité grandissante de plus-value s’y agrège. C’est dire que la production capitaliste s’accroît et s’élargit. Voilà comment le capital soutire la plus-value à la classe ouvrière et se répand partout. Sa croissance rapide s’explique par ses qualités particulières. Certes, l’exploitation d’une classe par une autre existait déjà auparavant. Mais prenons, par exemple, un propriétaire terrien, au temps du servage, ou un maître possédant des esclaves dans l’antiquité. Ils opprimaient leurs serfs ou leurs esclaves. Tout ce que ceux-ci produisaient, les maîtres le mangeaient, le buvaient, le consommaient eux-mêmes ou le faisaient consommer par leur cour ou leurs nombreux parasites. La production des marchandises était très faible et on ne pouvait les vendre nulle part. Si les propriétaires ou les maîtres avaient voulu forcer leurs serfs ou leurs esclaves à produire des montagnes de pain, de viande, de poisson, etc., tout cela aurait pourri. La production se limitait alors à la satisfaction des besoins du propriétaire et de sa suite. Il en est tout autrement en régime capitaliste. On n’y produit pas pour la satisfaction des besoins, mais pour le profit. On produit la marchandise pour la vendre, réaliser un gain, accumuler du profit. Plus le profit est grand, mieux cela vaut. De là, chez la classe capitaliste, cette course insensée au profit. Cette soif du profit n’a pas de limites. Elle est le pivot, le moteur principal de la production capitaliste.

12 : L’Etat capitaliste[modifier le wikicode]

La société capitaliste est fondée, ainsi que nous l’avons vu, sur l’exploitation de la classe ouvrière. Une poignée d’hommes possède tout; la majorité des ouvriers ne possède rien. Les capitalistes commandent, les ouvriers obéissent. Les capitalistes exploitent, les ouvriers sont exploités. La société capitaliste consiste essentiellement dans cette exploitation impitoyable et toujours grandissante.

La production capitaliste, c’est une pompe destinée à puiser la plus-value. Mais comment cette pompe peut-elle fonctionner longtemps ? Comment les ouvriers souffrent-ils un pareil état de choses ? Il est difficile de répondre immédiatement à cette question. Mais, en somme, il y a deux raisons à cela :

1. L’organisation et la force sont aux mains des capitalistes;

2. La bourgeoisie domine généralement les cerveaux de la classe ouvrière.

Le moyen le plus sûr pour la bourgeoisie lui est offert par l’organisation de l’Etat. Dans tous les pays capitalistes, l’Etat n’est autre chose qu’une coalition d’entrepreneurs. Prenons n’importe quel pays : l’Angleterre ou les Etats- Unis, la France ou le Japon… Ministres, hauts fonctionnaires, députés sont toujours les mêmes capitalistes, propriétaires, usiniers, banquiers ou leurs serviteurs fidèles et bien payés, qui les servent, non pas par crainte, mais avec zèle : avocats, directeurs de banques, professeurs, généraux et évêques.

L’organisation de tous ces bourgeois, qui embrasse le pays entier et le tient dans ses griffes, s’appelle l’Etat. Elle a un double but : le principal, c’est de réprimer les désordres et les soulèvements des ouvriers, d’extraire plus aisément la plus-value de la classe ouvrière et d’assurer la solidité du mode capitaliste de production; l’autre but, c’est de lutter contre d’autres organisations semblables (d’autres Etats bourgeois) pour la répartition de la plus-value extorquée. Ainsi, l’Etat capitaliste est une association d’entrepreneurs qui garantit l’exploitation. Ce sont exclusivement les intérêts du capital qui guident l’activité de cette association de brigands.

A cette conception de l’Etat bourgeois, on peut faire les objections suivantes :

- Vous dites que l’Etat est guidé uniquement par les intérêts du Capital. Mais regardez : dans tous les pays capitalistes, il existe des lois ouvrières qui interdisent ou limitent le travail des enfants, abrègent la journée de travail, etc…; en Allemagne, par exemple, du temps de Guillaume II, l’assurance ouvrière n’était pas mal organisée par l’Etat; en Angleterre, c’est également un ministre bourgeois, l’actif Lloyd George, qui a institué l’assurance et les retraites pour les vieillards; dans tous les Etats bourgeois, on bâtit des hôpitaux, des maisons de convalescence pour les ouvriers; on construit des chemins de fer qui transportent les pauvres comme les riches; on fait des aqueducs, des canalisations d’eau dans les villes, etc., et tout le monde en profite. Donc, — diront pas mal de gens — même dans un pays où le Capital domine, l’Etat n’agit pas uniquement dans l’intérêt du Capital, mais aussi dans l’intérêt des ouvriers. Même il inflige quelquefois des amendes aux fabricants qui transgressent les lois ouvrières.

Ces objections ne sont pas justifiées, et voici pourquoi. Il est vrai que le pouvoir bourgeois édicte quelquefois des lois et des décrets dont profite aussi la classe ouvrière. Mais il le fait dans l’intérêt de la bourgeoisie. Prenons les chemins de fer : ils sont utilisés par les ouvriers, ils servent aussi aux ouvriers, mais ne sont pas construits pour eux. Commerçants, fabricants en ont besoin pour le transport de leurs marchandises, la circulation de leurs chargements, le déplacement des troupes et des ouvriers, etc… Le Capital a besoin de chemins de fer et les construit dans son propre intérêt. Ils sont utiles également aux ouvriers, mais ce n’est pas pour cette raison que l’Etat capitaliste les fait construire. Prenons encore le nettoiement des rues, le service municipale d’assistance et des hôpitaux; la bourgeoisie les assure aussi dans les quartiers ouvriers. Il est vrai que, comparés aux quartiers bourgeois, les quartiers ouvriers sont sales et constituent des foyers d’infection, etc… Mais, tout de même, la bourgeoisie fait quelque chose. Pourquoi ? Mais, parce que, autrement, les maladies et les épidémies se répandraient par la ville entière et que la bourgeoisie pourrait en souffrir aussi. L’Etat bourgeois et ses organes urbains sont donc là aussi guidés par les intérêts de la bourgeoisie elle-même.

Encore un exemple : En France, pendant les dernières décades, les ouvriers ont appris de la bourgeoisie à limiter artificiellement les naissances : ou les familles ne font plus d’enfants ou elles n’en font pas plus de deux. La gêne, parmi les ouvriers, est si grande qu’il est très difficile et presque impossible d’entretenir une famille nombreuse. La conséquence, c’est que la population de la France n’augmente presque plus. Les soldats commencent à manquer à la bourgeoisie française. Celle-ci se lamente : « La nation périclite! Chez les Allemands, la population augmente plus vite que chez nous. » Soit dit en passant, les soldats qui se présentaient à l’armée tous les ans étaient de petite taille, faibles de poitrine, peu vigoureux. Alors, la bourgeoisie devint soudain plus « libérale »; elle insista elle-même sur certaines améliorations au profit de la classe ouvrière, pour que celle-ci se remette un peu et fasse plus d’enfants. Car, la poule tuée, il n’y a plus d’œufs.

Dans tous les cas, c’est la bourgeoisie qui prend elle-même des mesures utiles aux ouvriers, mais elle est, en cela, guidée par ses propres intérêts. Il y a des cas où des lois utiles sont édictées par la bourgeoisie sous la pression de la classe ouvrière. Ce sont les plus nombreuses. Presque toutes les « lois ouvrières » ont été obtenues de cette façon — par des menaces de la part des ouvriers. En Angleterre, la première diminution de la journée de travail — réduite à dix heures — a été acquise sous la pression des ouvriers; en Russie, le gouvernement tsariste a promulgué les premières lois sur les fabriques, effrayé par l’agitation et les grèves. Dans ce cas, l’Etat hostile à la classe ouvrière, l’Etat, cette coalition d’entrepreneurs, fait ce calcul, dans son propre intérêt : « Mieux vaut céder quelque chose aujourd’hui, que de céder demain le double et de risquer, peut-être, notre peau. » De même que le fabricant, en cédant aux grévistes et en les augmentant de quelques sous, ne cesse pas d’être fabricant, l’Etat bourgeois ne cesse pas non plus d’être bourgeois quand, sous la menace d’une agitation ouvrière, il jette un petit os au prolétariat.<

L’Etat capitaliste n’est pas seulement la plus grande et la plus puissante organisation bourgeoise; il est en même temps une organisation très compliquée, aux nombreuses formations et dont les tentacules s’allongent en tous sens. Et tout cela a pour but principal la défense, l’affermissement et l’extension de l’exploitation ouvrière. L’Etat dispose, contre la classe ouvrière, de moyens de contrainte brutale aussi bien que d’asservissement moral, qui constituent les organes les plus importants de l’Etat capitaliste.

Parmi les moyens de contrainte brutale, il faut noter, en premier lieu, l’armée, la police et la gendarmerie, les prisons et les tribunaux, et leurs organes auxiliaires : espions, provocateurs, briseurs de grève, assassins stipendiés, etc.

L’armée, dans l’Etat capitaliste, est une organisation à part. A sa tête, se trouvent les officiers supérieurs, les « hauts galonnés ». Ils se recrutent parmi les intellectuels. Ce sont les ennemis les plus acharnés du prolétariat; ils sont instruits, dès leur jeunesse, dans des écoles militaires spéciales. On leur apprend à abrutir les soldats, à défendre l’honneur de l’« uniforme », c’est-à-dire à tenir les soldats en complet esclavage et à en faire des pions d’échiquier. Les plus capables de ces aristocrates et grands bourgeois deviennent généraux et sont couverts de croix et de rubans.

Les officiers ne sortent pas non plus des classes pauvres. Ils tiennent dans leurs mains toute la masse des soldats. Et les soldats sont tellement travaillés qu’ils n’osent demander pourquoi ils se battent, et qu’ils ne savent que fixer leurs supérieurs dans les yeux. Une telle armée est destinée, avant tout, à réprimer les mouvements ouvriers.

En Russie, l’armée du tsar a servi, plus d’une fois, à réprimer des révoltes d’ouvriers et de paysans. Sous le règne d’Alexandre II[2], avant la libération des paysans, de nombreuses révoltes paysannes furent étouffées par l’armée. En 1905, l’armée fusilla les ouvriers pendant l’insurrection de Moscou; elle effectua des expéditions punitives dans les Provinces Baltiques, au Caucase, en Sibérie; en 1906-1908, elle réprima les révoltes des paysans et protégea les biens des propriétaires, etc… Pendant la guerre, elle fusilla les ouvriers à Ivanovo- Vosnessensk et à Kostroma, etc… Les plus cruels furent partout les officiers et les généraux.

A l’étranger, c’est la même chose. En Allemagne, l’armée de l’Etat capitaliste servit également à égorger les ouvriers. Le premier soulèvement de matelots fut réprimé par l’armée. En France, l’armée a fusillé plus d’une fois les grévistes; actuellement, elle fusille les ouvriers et les soldats russes révolutionnaires. En Angleterre, rien que dans ces derniers temps, l’armée, à plusieurs reprises, a noyé dans le sang les révoltes des ouvriers irlandais, des demi-esclaves égyptiens et attaqué les réunions ouvrières en Angleterre même. En Suisse, à chaque grève, on mobilise les mitrailleuses et la soi-disant milice; plus d’une fois, cette milice a tiré sur les prolétaires. Aux Etats-Unis d’Amérique, l’armée a souvent brûlé et rasé des cités ouvrières entières (par exemple, pendant la grève du Colorado). Les armées des Etats capitalistes s’entendent, actuellement, pour étouffer la Révolution des ouvriers en Russie, en Hongrie, dans les Balkans, en Allemagne et pour réprimer la Révolution prolétarienne dans le monde entier.

Police et gendarmerie. — L’Etat capitaliste, en dehors de son armée régulière, possède encore un corps de gredins exercés et des troupes spécialement dressées à la lutte contre les ouvriers. Il est vrai que ces institutions (par exemple la police) ont également pour but la lutte contre les voleurs et le maintien de la soidisant « sécurité personnelle et matérielle » des citoyens; mais elles sont entretenues également pour chasser, poursuivre et punir les ouvriers mécontents. En Russie, les agents de police étaient les plus sûrs défenseurs des propriétaires et du tsar. La police la plus brutale est, dans tous les Etats capitalistes, la police secrète (la police politique, appelée chez nous Okhrana), ainsi que la gendarmerie. Avec eux, travaille une foule de détectives, provocateurs, espions, briseurs de grève et tutti quanti.

Très intéressante, sous ce rapport, la manière de faire de la police secrète américaine. Elle est en relations avec une quantité innombrable de bureaux de détectives privés ou semi-officiels. Les célèbres aventures de Nat Pinkerton ont été, en réalité, des agressions contre les ouvriers. Les provocateurs déposaient des bombes chez les chefs ouvriers, tâchaient de les pousser à l’assassinat des capitalistes, etc.. Ces mêmes détectives enrôlent une grande quantité de briseurs de grèves (appelés scabs), ainsi que des détachements de vagabonds organisés qui tuent, à l’occasion, les ouvriers en grève. Il n’est pas d’infamies dont ne soient capables ces brigands, au service de l’Etat « démocratique » des capitaliste américains.

La Justice, dans l’Etat bourgeois, est un moyen de défense pour la bourgeoisie; avant tout, elle condamne ceux qui osent attenter à la propriété capitaliste ou au régime capitaliste. Cette justice a condamné Liebknecht au bagne et acquitté ses assassins. Les autorités judiciaires procèdent avec la même rigueur que les bourreaux de l’Etat bourgeois. Le tranchant de leur arme est dirigé contre les pauvres, non contre les riches.

Telles sont les institutions de l’Etat capitaliste qui ont pour tâche la répression directe et brutale de la classe ouvrière.

Parmi les moyens d’asservissement moral de la classe ouvrière qui sont à la disposition de l’Etat capitaliste, il faut encore mentionner les trois principaux : l’Ecole officielle, l’Eglise officielle et la Presse officielle ou, tout au moins, soutenue par l’Etat bourgeois.

La bourgeoisie comprend très bien qu’elle ne viendra pas à bout des masses ouvrières par la seule force brutale. Il lui faut donc tisser, tout autour des cerveaux de ces masses, une fine toile d’araignée. L’Etat bourgeois considère les ouvriers comme des bêtes de somme : il faut que ce bétail travaille, mais qu’il ne morde pas. Il faut donc non seulement l’assommer et le fusiller dès qu’il mord, mais aussi le dresser, le dompter, comme font certains spécialistes dans les ménageries. De la même façon, l’Etat capitaliste éduque, pour l’abêtissement, l’abrutissement et la domestication du prolétariat, des techniciens, des maîtres d’école et des professeurs bourgeois, des prêtres et des évêques, des écrivailleurs et des journalistes bourgeois. A l’école, ces spécialistes apprennent aux enfants, dès l’âge le plus tendre, à obéir au Capital, à mépriser et à haïr les révoltés; on leur débite des contes à dormir debout sur la Révolution et le mouvement révolutionnaire; on glorifie tsars, rois, industriels, etc.; dans les églises, les prêtres appointés par l’Etat enseignent : « Pas de puissance qui ne vienne de Dieu »; les journaux bourgeois claironnent tous les jours aux oreilles de leurs lecteurs ouvriers ce mensonge bourgeois. Dans de pareilles conditions, est-il facile à l’ouvrier de sortir de son marécage ?

Un brigand impérialiste allemand a écrit : « Nous avons besoin, non seulement des jambes des soldats, mais aussi de leur cerveau et de leur cœur. » L’Etat bourgeois s’efforce justement de faire de la classe ouvrière un animal domestique qui travaille comme un cheval, produit de la plus-value et reste tout à fait tranquille. Ainsi, le régime capitaliste assure son développement. La machine à exploiter tourne. De la classe ouvrière pressurée, on extrait continuellement de la plus-value. Et l’Etat capitaliste, montant la garde, veille à ce que les esclaves salariés ne se soulèvent point.

13 : Contradictions principales du régime capitaliste[modifier le wikicode]

Maintenant, il nous faut rechercher si la société bourgeoise est bien construite. Une chose n’est solide et bonne que lorsque toutes ses parties sont bien ajustées ensemble. Prenons un mécanisme d’horlogerie : il ne fonctionne régulièrement et sans arrêt que si chaque roue est bien adaptée à la voisine, dent par dent. Considérons, maintenant, la société capitaliste. Nous remarquons sans peine qu’elle est loin d’être aussi solidement construite qu’elle le paraît, et qu’au contraire, elle trahit de très grandes contradictions et montre de graves fissures.

Avant tout, en régime capitaliste, il n’y a pas de production ni de répartition organisées des marchandises; il y a anarchie dans la production. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que chaque entrepreneur capitaliste (ou chaque association de capitalistes) produit les marchandises indépendamment des autres. Ce n'est pas la société tout entière qui calcule ce qu’il lui faut, mais tout simplement les industriels, qui font fabriquer avec le seul but de réaliser le plus de profits possible et de battre leurs concurrents sur le marché. C’est pourquoi il arrive parfois qu’on produit trop de marchandises (il s’agit, évidemment, de la situation d’avant-guerre) et qu’on ne peut les écouler, les ouvriers ne pouvant les acheter, faute d’argent. Alors, survient une crise : les fabriques sont fermées, les ouvriers sont jetés sur le pavé.

De plus, l’anarchie dans la production amène la lutte sur le marché; chaque producteur veut enlever à l’autre ses acheteurs, les attirer à lui, accaparer le marché. Cette lutte prend différentes formes, différents aspects, commençant par la lutte entre deux fabricants et finissant par la guerre mondiale entre les Etats capitalistes pour le partage des marchés de l’Univers entier. Il ne s’agit plus là seulement de parties intégrantes de la société capitaliste qui s’accrochent l’une à l’autre, mais bien d’un véritable choc entre elles.

Ainsi, la première cause de la dislocation du capitalisme, c’est l’anarchie dans la production, qui se manifeste par les crises, la concurrence et les guerres.

La deuxième cause de dislocation est la division en classes. Car, la société capitaliste n’est pas, au fond, une seule société, elle est coupée en deux sociétés : les capitalistes d’un côté, les ouvriers et les pauvres de l’autre. Ces deux sociétés se trouvent entre elles en état d’hostilité continuelle, irréconciliable, ininterrompue; hostilité qui se traduit par la lutte des classes. Nous voyons à nouveau que les différentes parties de la société capitaliste, non seulement ne sont pas ajustées l’une à l’autre, mais, au contraire, se trouvent entre elles dans un antagonisme continuel. Le capitalisme s’écroulera-t-il, oui ou non ? La réponse dépend de l’examen suivant : si, observant le développement pris par le capitalisme au cours des temps, nous trouvons que sa dislocation va en diminuant, nous pouvons lui prédire une longue vie; si nous découvrons, au contraire, qu’avec le temps, les différentes parties de la société capitaliste se heurtent inévitablement de plus en plus fort, et que les fissures de cette société doivent non moins inévitablement se changer en abîmes, alors nous pouvons entonner le De Profundis.

Il nous faut donc étudier le développement du régime capitaliste.

  1. Nous parlons ici de la variation des prix indépendamment de la valeur de la monnaie, sans tenir compte si la monnaie est d’or ou de papier ni si elle est plus ou moins abondante. Ces variations peuvent être très grandes, mais alors elles se manifestent sur toutes les marchandises à la fois; elles n’expliquent donc pas les différences de prix entre les marchandises. Par exemple, une grande quantité de papier monnaie a enflé formidablement les prix dans tous les pays. Mais cette cherté n’explique pas encore pourquoi une marchandise coûte plus cher qu’une autre.
  2. 1855-1881. La libération des paysans (abolition du servage) est de 1861. (Note de l’Ed.)