Domination par la dette

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Siège du FMI à Washington, où le sort de nombreux pays endettés est réglé.

Les pays impérialistes exercent une domination par la dette publique sur de nombreux pays du monde.

1 Domination par la dette[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Processus d'endettement[modifier | modifier le wikicode]

Depuis les années 1970, les États d'Afrique ou encore d'Amérique Latine ont été largement poussés à s'endetter pour importer des marchandises en provenance des centres impérialistes. Rapidement par la suite, les taux d'intérêts se sont envolés (passant souvent de 7% à près de 18%), forçant ces mêmes pays à s'endetter à nouveau ne serait-ce que pour payer les intérêts de la dette...

L'écrasante majorité des pays pauvres sont piégés par la dette : celle-ci ne pourra jamais être remboursée. On estimait la dette du "Tiers-Monde" en 1977 à 77 milliards de dollars. En 1980, elle était à 567 milliards, en 1986 à 1086 milliards, en 1995 à 1520 milliards...

Il y a une dialectique entre la dette et les autres moyens de domination des impérialistes : c'est par leur domination que les Etats industrialisés imposent au Sud les conditions de son endettement, en cet endettement renforce cette domination. Cela prend parfois des formes d'un profond cynisme. Par exemple en 1993, le Vietnam négocie sa réintégration du marché mondial. Les États-Unis réclament alors le paiement de la dette de l'ancien Vietnam du Sud (c'est à dire le gouvernement fantoche géré par les États-Unis eux-mêmes) qui venait des achats d'armements aux États-Unis pour détruire le Vietnam...

1.2 Ponction financière et paupérisation[modifier | modifier le wikicode]

Ce mécanisme d'usure est tel que ces pays ont déjà virtuellement payé plusieurs fois le montant de leur dette initiale : entre 1980 et 1992, ce sont 1 672 milliards de dollars qui ont été versés, pour une dette qui s'élevait en 1980 à 567 milliards...

Les conséquences internes à ces pays sont évidemment nombreuses. Il existe mille liens entre la domination à l'échelle des États, et celle qui soumet de millions de prolétaires ou de paysans à de riches intermédiaires. Ces endettés sont placés dans des conditions proches de l'esclavage, comme le décrit Vandana Shiva :

"Le tiers monde est entraîné dans un état de dépendance, dans un état d'esclavage. C'est une des raisons pour lesquelles les enfants aussi sont prisonniers d'un système d'esclavage. Ce ne sont pas seulement les parents qui deviennent esclaves des grands propriétaires fonciers, les dettes sont transmissibles aux enfants. L'Inde connaît de puissants mouvements pour libérer les enfants de cet esclavage. Pour moi, ceci montre clairement que la dette conduit à un système d'esclavage, qu'il s'agisse d'individus ou de pays et que ce problème ne peut être résolu sans l'annulation de la dette."

Globalement, le renforcement de la pression néocoloniale a conduit à des désastres sociaux innombrables : eau inaccessible[1], dégradations de la santé[2], renvoi des femmes vers le foyer[3]... Cette « libéralisation » piétine concrètement la liberté de millions d'être humains.

1.3 Pouvoir de "négociation"[modifier | modifier le wikicode]

En 1995, Chirac, sur proposition du CNPF (patronat français), propose à 4 pays (Cameroun, Gabon, Côté d'Ivoire, Congo) d'échanger leur dette contre des prises de participation dans les multinationales françaises. Grâce à la véritable laisse que représente la dette, l'impérialisme français est en mesure de pousser ses néocolonies à financer ses patrons...

Durant l'"Algérie française", Total avait installé de nombreux puits de pétrole, qui ont été expropriés lors de l'Indépendance algérienne. Cela représentait effectivement un affaiblissement partiel des intérêts de cette multinationale. Or, en 1996, l'Algérie endettée "rend" à Total ces mêmes puits, en échange de paiements de parts de la dette publique.

1.4 Plans d'ajustement structurels[modifier | modifier le wikicode]

Dans les années 1970-1980, les vieux pays impérialistes vont plus agressivement chercher à pénétrer les marchés des pays décolonisés dans l'après-guerre.

Ces pays avaient souvent mis en place des politique développementistes, basés sur un fort interventionnisme et protectionnisme, (souvent dirigés soit par des mouvements « communistes » - en général des partis nationalistes teintés de stalinisme, soit par des régimes inscrits dans le mouvement des non-alignés).

Les institutions mondiales dominées par les impérialistes, comme la Banque mondiale et le FMI, vont conditionner leurs prêts à des réformes de libéralisation (plans d'ajustement structurels). L'OMC va quant à elle combattre les droits de douane partout dans le monde. Cela va être justifié par l'idéologie néolibérale qui devient alors hégémonique. En dernière instance la raison est le ralentissement économique du capitalisme (lié à la baisse des taux de profit).

La dette des pays du Sud a explosé dans les années 1980, ce qui les pousse régulièrement à demander des prêts au FMI, qui impose à nouveau des plans d'ajustement structurels, alimentant le cercle vicieux.

Par ailleurs le développement relatif de ces pays avait parallèlement fait émerger des classes bourgeoises plus fortes, qui ont pris le dessus et profité du tournant néolibéral pour tourner le dos à la politique « interclassiste », et entreprendre une liquidation des mesures sociales et économiques qui entravaient son enrichissement. Elles ont alors souvent repris le rôle typique de bourgeoisies compradore.

Un livre qui a eu beaucoup de succès aux États-Unis, Confessions of an Economic Hit Man, décrit ce mécanisme bien réel de domination par la dette, mais l'enrobe malheureusement d'éléments de complotisme.

2 Indicateurs économiques[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Dette extérieure[modifier | modifier le wikicode]

La dette extérieure désigne l'ensemble des dettes qui sont dues par un pays, État, entreprises et particuliers compris à des prêteurs étrangers.

Elle ne peut pas être vue comme un indicateur de domination en tant que tel, notamment parce que la dette extérieure tend globalement a augmenter pour tous les pays capitalistes depuis le tournant néolibéral, qui a engendré une situation dans laquelle les États et les entreprises se sont de plus en plus endettés, notamment auprès de financiers, pour maintenir un niveau de consommation et d'investissements important (alors que les taux de profits sont moins élevés que dans l'après guerre). Pour les pays riches, à commencer par les États-Unis qui sont très endettés, cette dette ne pose du tout les mêmes risques de domination que pour les pays pauvres.

Néanmoins, même des pays riches peuvent être touchés par des crises de la dette, comme l'a montré la crise de la zone euro (2009-2017), qui a frappé plus durement les pays de la périphérie de l'UE (Grèce, Irlande, Portugal...) et les a obligé à appliquer des politiques plutôt décidées par la France et l'Allemagne.

Dette extérieure rapportée au PIB.

En 2023, 31% de la dette du gouvernement fédéral des États-Unis était détenue par des non résidents.[4]

En France, la part de la dette publique détenue par des non résidents est passée de 28% fin 1999 (avant la création de la zone euro) à 71% fin 2009, puis à 53% en 2023.[5]

3 Exemples[modifier | modifier le wikicode]

3.1 Pays Pauvres Très Endettés[modifier | modifier le wikicode]

En 1996, le FMI et de la Banque mondiale ont lancé un programme intitulé « Pays Pauvres Très Endettés », officiellement pour aider ces pays.

États entrant dans le programme PPTE en 2021.
  • Pays susceptibles de recevoir un allègement complet de dettes.
  • Pays susceptibles de recevoir un allègement partiel de dettes.
  • Pays éligibles pour l'aide mais ne satisfaisant aux conditions.

3.2 Entre pays du Nord[modifier | modifier le wikicode]

Même si cela n'a pas du tout la même ampleur, des mécanismes de domination existent entre pays du Nord. Par exemple, la crise de la dette en zone euro a révélé un antagonisme entre cœur de la zone euro (Allemagne, France) et périphérie fragilisée (Grèce, Portugal, Irlande, Italie...).

Ainsi on peut distinguer les impérialistes :

  • Les États-Unis détiennent les deux tiers environ de leur dette publique.
  • L'intégration européenne et de l'euro est forte sur le plan financier, ce qui pousse aux prêts mutuels entre capitalistes de l'UE. 60 % de la dette de la France et de l'Allemagne sont détenus en Europe.[6]
  • La dette publique du Japon est détenue très majoritairement par des japonais.

De l'autre côté :

  • La Grèce ou le Portugal ont une dette majoritairement située à l'étranger.

4 Positions politiques[modifier | modifier le wikicode]

4.1 Dette du "Tiers-Monde"[modifier | modifier le wikicode]

Ce mécanisme provoque de tels dégâts qu'il n'est pas totalement passé sous silence dans le monde politique et journalistique. On l'évoque de temps à autre sous le nom de dette du "Tiers-Monde". Lorsque la gauche bourgeoise évoque ce problème, elle le présente comme une "malheureuse faiblesse" qui frapperait les pays "en voie de développement", mais surtout pas comme un processus de domination. Tout ceci est bien logique, puisque les partis comme le PS tiennent aussi de temps à autre les rennes de la machine néocoloniale et impérialiste, et n'ont aucune intention de l'enrayer.

Ceci étant dit, il faut se garder d'un schéma Nord-Sud simpliste : l'Union Européenne elle-même est constitué d'un cœur de puissants impérialismes, France, Allemagne, Grande-Bretagne, Bénélux, et d'une périphérie qui s'avère de plus en plus victime de la crise (Portugal, Irlande, Grèce, Espagne... - les fameux "PIGS").

4.2 Lutte communiste[modifier | modifier le wikicode]

Face à la question de la dette, les communistes révolutionnaires adoptent deux revendications symétriques :

  • au sein des pays endettés : la répudiation de la dette (comme le fit notamment la Russie révolutionnaire en 1917)
  • au sein des pays détenant une grande part des dettes étrangères : l'annulation de la dette (ce qui un internationalisme direct et concret)

5 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  1. Cf. Guerre de l'eau (Bolivie) en 2000
  2. Nicholas Bakalar, Rise in TB Is Linked to Loans From IMF, The New York Times, 22 July 2008
  3. Mohanty, Chandra Talpade (January 2003). "'Under Western Eyes' Revisited: Feminist Solidarity through Anticapitalist Struggles". Signs: Journal of Women in Culture and Society. 28 (2): 499–535.
  4. Congressional Research Service, Foreign Holdings of Federal Debt, June 18, 2024
  5. Vie Publique, Dette publique : qui détient la dette française ?, 12 juin 2024
  6. Le Monde, Qui détient la dette de la France ? , 2011