Révolution yougoslave
La révolution yougoslave est le processus de résistance populaire au nazisme pendant la Seconde guerre mondiale, qui débouche sur une hégémonie des communistes, et à la constitution en 1945 d'une République fédérative socialiste de Yougoslavie (1945-1992).
La prise de pouvoir par Tito se fait sans la volonté de Staline, et son régime est forcé à rompre avec l'URSS. Pour fortifier sa base populaire, Tito va accorder à la fois une certaine autonomie aux nationalités (fédéralisme) et aux travailleur·ses (autogestion), comptant sur le parti-État, parti unique sur tout le territoire de la fédération, pour assurer la stabilité de ce système.
Même si les rapports de force entre différentes entités fédérées sont des enjeux permanents, pendant des décennies le nationalisme sera au second plan, face à l'aspiration au développement socio-économique dans un cadre commun, qui était celui d'un parti unique, mais avec des éléments d'autogestion inédits par rapport aux autres régimes bureaucratiques.
Mais à partir des années 1970, les difficultés économiques font que les clivages nationaux augmentent. Celles-ci éclatent lors de l'effondrement du Bloc de l'Est (1991). Dans un sauve-qui-peut général, des leaders bourgeois unifient autour d'eux des populations sur la base de nationalismes agressifs, en même temps qu'ils mettent fin à ce qu'il pouvait y avoir d'acquis « socialistes ». L'entité serbe, plus nombreuse et militairement plus forte, dirigeait de fait l'armée yougoslave et utilisait la force pour tenter de maintenir l'unité. Mais la République yougoslave éclate (1992) malgré toutes une série de guerres meurtrières (1991-2001). Dans une fuite en avant nationaliste, des populations qui vivaient côte-à-côte depuis des siècles se retrouvent divisées, obligées de fuir, voire victimes d'épuration ethnique.
1 Contexte[modifier | modifier le wikicode]
L'histoire a fait que les Balkans ont connu un brassage important de populations, celles-ci formant une mosaïque complexe. Au 19e siècle, cette région est dominée par des monarchies étrangères (Empire autrichien, Empire ottoman). Dans le sillage du Printemps des peuples, divers mouvements populaires émergent, qui sont alors comme dans le reste de l'Europe tournés vers les revendications démocratiques en même temps que nationales. Cependant la plupart de ces mouvements ont alors conscience de l'hétérogénéité ethnique et ne cherchent pas à plaquer une vision trop réductrice de l'État nation. On met alors en avant l'idée d'une Fédération balkanique. En particulier, les social-démocrates qui s'organisent à la fin du 19e siècle sont porteurs de cette idée.
Mais les mouvements nationalistes réactionnaires prennent aussi leur essor, et les grandes puissances environnantes les attisent largement pour tirer la couverture à eux : l'Empire russe encourage le nationalisme serbe contre l'Empire autrichien, etc. Les guerres des Balkans (1912-1913) sont un avant goût des fièvres nationalistes qui vont éclater à grande échelle avec la Première guerre mondiale. A la fin de la guerre, les grandes puissances redécoupent l'Europe selon leurs intérêts, sans se soucier des volontés des populations des Balkans, ce qui ne va faire qu'alimenter les rancœurs nationalistes.
Economiquement, la Yougoslavie n'était qu'un simple appendice agricole de l'industrie allemande et, dans une moindre mesure, anglaise. L'industrie nationale était sous le contrôle du capital étranger ou en sa possession directe. La participation étrangère dans les secteurs essentiels dépassait largement la moyenne (91 % dans la métallurgie, 78 % dans les industries d'extraction et 73 % dans les branches chimiques). Comme dans tous les pays sous-développés, la consommation industrielle était très faible : 61 % du fer, 75 % du cuivre et 93 % de la bauxite étaient exportés. Pays essentiellement agricole, l'énorme masse du peuple yougoslave était composée de paysans qui, bien qu'en général propriétaires de leurs minuscules lopins, menaient une existence misérable, rançon d'une technique agricole archaïque et de l'aridité des terres, et étaient en fait sous la dépendance des riches propriétaires, des bourgeois des villes et des usuriers.[1]
La bourgeoisie locale était faible et cantonnée dans les industries alimentaires. L'État yougoslave d'entre les deux guerres n'était autre que la dictature de l'État serbe sur les autres peuples minoritaires, appuyé par l'étranger.
2 La guerre et la résistance[modifier | modifier le wikicode]
2.1 Invasion allemande et effondrement de l'État[modifier | modifier le wikicode]
Quand la Seconde guerre mondiale éclate, la Yougoslavie est tiraillée entre les deux camps impérialistes. Elle opte d'abord pour l'Axe, mais, le 27 mars 1941, la signature d'un Pacte de non-agression avec l'Allemagne nazie provoque une série de grandes manifestations qui permirent à la fraction pro-Alliés de s'emparer du pouvoir. La réaction allemande ne se fait pas attendre : attaquée le 6 avril, l'armée yougoslave se vit contrainte de capituler, après une guerre éclair de quelques jours. Le roi Pierre II et le gouvernement s'enfuirent à Londres, et la Yougoslavie disloquée était partagée en trois États « indépendants » sous contrôle allemand ou italien : Serbie, Croatie et Montenegro.
Au moment de l'effondrement de l'État, le Parti communiste yougoslave (PCY) était encore un parti peu connu, peu implanté, et ne comptant que quelques milliers d'adhérents. Deux ans après, il se trouvait à la direction d'une armée tenant tête à près de 300 000 soldats allemands et gouvernait de fait un vaste territoire. Cette progression extraordinaire n'aurait pu se produire sans la disparition pure et simple du pouvoir d'État autre que celui des occupants.
2.2 Le PCY à la tête de la résistance[modifier | modifier le wikicode]
Avec la débâcle militaire, les nationalismes s'exacerbent, notamment l'antagonisme serbo-croate. Dans de nombreuses régions, la guerre prit un caractère ethnique et religieux, opposant Serbes orthodoxes et Croates catholiques. Les victimes des massacres nationalistes se chiffrèrent par centaines de milliers.
La seule résistance bourgeoise, celle des débris de l'armée yougoslave dirigés par le général serbe Mihaïlovitch, ne tardait pas à entrer dans le cycle des massacres et contre-massacres, et finit par combattre bien plus les Croates que les nazis.
Finalement, seul le PCY incarnait une force capable de fédérer autour d'un nationalisme à l'échelle yougoslave. D'autant plus qu'il sut, dans les guérillas, adapter son programme aux sentiments des larges masses paysannes. Dès 1941, il fut l'artisan de la formation des comités populaires, qui permettaient pour la première fois à la paysannerie yougoslave de participer d'une manière active à la vie politique. Avec ce soutien populaire et avec le vide laissé par l'ancien appareil d'État, le PCY a pu pendant la guerre créer une administration et une structure étatique sous son contrôle. Cela donna à Tito le pouvoir d'être le véritable dirigeant nationaliste.
Le PCY mit en place un parlement large appelé le Conseil antifasciste, qui se réunit à Jajce en décembre 1943, et qui décide la formation d'un gouvernement démocratique et populaire, en opposition au gouvernement en exil du roi Pierre II. La rupture est actée entre les deux résistances.
2.3 Prise de pouvoir malgré Staline[modifier | modifier le wikicode]
Cette rupture ne pouvait pas ne pas avoir une répercussion considérable sur le plan international. Pierre II et Mihaïlovitch étaient en effet les protégés de la Grande-Bretagne.
L'URSS de Staline était depuis longtemps devenue une bureaucratie qui imposait une politique non révolutionnaire aux partis communistes, voire contre-révolutionnaire (en Espagne...). Dans le partage des zones d'influence qui se fait entre l'URSS et les puissances occidentales à la fin de la guerre, il était convenu que la Grande-Bretagne aurait un contrôle à 50% sur les affaires de la Yougoslavie. La prise de pouvoir par les communistes n'était donc pas du tout au goût de Staline. On parla même à Moscou de « coups de poignard dans le dos de l'Union Soviétique ». Si Staline n'a pas désavoué publiquement Tito (qui agissait d'ailleurs en toute sincérité vis-à-vis de l'URSS), c'est uniquement parce que l'Angleterre s'était inclinée devant le fait accompli et avait décidé de soutenir le nouveau gouvernement.
Après la formation du gouvernement Tito, les événements se précipitèrent. L'Allemagne a subi de graves défaites à Stalingrad, en Italie, en Afrique du Nord et l'armée des partisans yougoslaves opposés à une armée allemande réduite et affaiblie gagnait du terrain, jusqu'à la victoire totale et la libération complète du territoire national, consacrée par l'entrée des unités de partisans à Belgrade en octobre 1944. La Yougoslavie fut ainsi le seul pays d'Europe Centrale à se libérer de l'occupation allemande par ses propres moyens.
Une République fédérative socialiste de Yougoslavie est mise en place en 1945.
Beaucoup ont voulu voir une différence de doctrine socialiste entre Tito et Staline. Mais en tout cas à l'origine, c'est moins par idéologie que parce qu'ils suivirent avec détermination la logique d'affirmation nationale que les communistes yougoslaves ont pris le pouvoir et pris des mesures socialisantes. Comme dit Kidritch, un des dirigeants yougoslaves : « La première apparition du type socialiste de notre économie n'a pas fait suite à une nationalisation formelle, mais à la confiscation des biens des traîtres à la nation ».
3 Le régime[modifier | modifier le wikicode]
La rupture du régime de Tito avec Staline est consommée en 1947. En représailles, l'URSS impose un blocus à la Yougoslavie, qui a alors besoin de fortifier son soutien populaire.
3.1 Du début des années 1950 jusqu’en 1965[modifier | modifier le wikicode]
Durant cette période, les grands choix stratégiques demeurent étroitement planifiés au niveau central.
L'autogestion qui est mise en place officiellement, est en fait une cogestion partagée entre pouvoirs locaux, direction d’entreprise, collectifs de travailleurs et syndicats. Celle-ci s’exerce alors dans le cadre de contraintes de normes, de prix, de taxes et de crédits qui sont en fait les nouveaux instruments de la planification, à la place des ordres directs : outre les normes imposées dans la répartition du surplus entre les différents fonds de l’entreprise, il peut y avoir “autofinancement” et choix décentralisé d’investissement. Mais il existe des subventions qui incitent à choisir les sources d’énergie nationale, des taxes sur les profits qui limitent les capacités d’autofinancement et rendent l’entreprise tributaire des crédits centraux ; ces derniers peuvent dépendre à leur tour des secteurs jugés prioritaires, le système bancaire étant dans ce cas un instrument d’application du plan.
Les tensions autogestion/État et Républiques/État qui s’expriment durant cette période n’empêchent pas une réelle amélioration du niveau de vie. La victoire contre le fascisme, puis la résistance à Staline, enfin l’amélioration du niveau de vie ont stabilisé le pouvoir du PCY. Le socialisme est traité comme un objectif à atteindre et la société yougoslave fait l’objet d’approches marxistes critiques dont l’influence est prépondérante dans l’intelligentsia et la jeunesse.
Le pays a eu un taux de croissance économique parmi les plus élevés du monde (supérieur à 10% sur toute la décennie). Un des clichés souvent entendus aujourd’hui consiste à faire de l’aide internationale reçue par le régime titiste à l’époque, la cause unique de cette croissance. L’aide reçue par la Pologne dans la décennie 1980 est tout aussi réelle. Mais elle s’est accompagnée d’un creusement de la dette et d’un enfoncement dans la crise. Autrement dit, l’aide n’explique rien. L’essentiel demeure l’usage qu’on en fait, le système où elle opère. Or, jusqu’au milieu des années 1960, la planification plus souple connaît un infléchissement notable qui bénéficie (après 1955) à la consommation et à l’agriculture ; des régions entières connaissent une première industrialisation et les échanges se développent sans endettement majeur.
Mais il est vrai que tout cela s’opère non sans gâchis bureaucratique, investissements de prestige et coûts parfois exorbitants. Au milieu de la décennie 1960, les pressions en faveur d’un accroissement des rapports marchands s’expriment à partir de plusieurs sources, et en fonction de plusieurs types d’arguments.
Pour les partisans du “socialisme de marché”, une autogestion libre des contraintes du plan et de l’État, soumise aux lois de la concurrence, serait plus efficace ; ils peuvent simultanément se faire les défenseurs d’une croissance plus rapide des Républiques riches, impliquant une réduction du rôle redistributif du plan jugé bureaucratique. Le décollage industriel justifie, aux yeux de certains économistes, le relâchement du contrôle du commerce extérieur, afin d’exercer les pressions de la compétition mondiale sur une économie que l’on veut plus productive. Quant aux dirigeants du régime, ils trouvent dans les réformes marchandes le moyen de maintenir un système de parti unique, tout en accordant des droits décentralisés (mesure indispensable pour légitimer leur propre pouvoir…).
3.2 La réforme de 1965[modifier | modifier le wikicode]
Elle a recours à des méthodes capitalistes et aux pressions du marché mondial sur une économie elle-même non capitaliste, où se maintient sous de nouvelles formes le règne du parti unique. Les entreprises autogérées sont libérées des contraintes du plan, mais se voient de plus en plus soumises à la logique de la concurrence entre elles, et face au marché mondial (avec le changement du système de prix et la réduction des subventions). Il y a une augmentation des pouvoirs des entreprises et des Républiques au détriment du Centre (au niveau de l’État et du parti) ; mais la bureaucratie du parti-État parasite et contrôle l’extension des rapports marchands. Ces derniers restent contenus dans un cadre non-capitaliste. Le chômage yougoslave, à cette époque, n’est pas lié à des mécanismes de compression d’effectifs, encore moins de mises en faillite : il est dû à l’insuffisance des investissements et au ralentissement de l’embauche sous le jeu des contraintes marchandes. Les travailleurs peuvent toujours utiliser leurs droits sur l’embauche et le licenciement pour assurer la sécurité du travail. Il n’existe pas de marché du capital ; il n’y a pas de système d’actions ; l’enrichissement sur la base du travail d’autrui est étroitement limité à cinq salariés ; la privatisation illicite est très impopulaire ; le droit de gérer le surplus des entreprises appartient de droit aux conseils ouvriers. Même s’il s’agit d’un droit largement accaparé par les équipes de direction et rendu formel par de multiples limites socio-culturelles ou politiques, il réduit incontestablement l’enthousiasme des investisseurs étrangers : pourtant désormais autorisées, les entreprises mixtes (autorisant jusqu’ à 49% de capital étranger) demeurent marginales.
Globalement, des conflits verticaux (travailleurs/managers) et horizontaux (face aux inégalités dues au marché) se développent de 1968 à 1971. Parallèlement au déploiement des grèves éclatées tournées vers des cibles locales, la critique de la réforme marchande s’exprime politiquement dans le mouvement étudiant de 1968. Outre ses dimensions internationalistes (contre l’intervention américaine au Vietnam), ses revendications sont à la fois anti-bureaucratiques et anti-capitalistes : “autogestion de bas en haut”, “non à la bourgeoisie rouge”, arrêt des privatisations, des privilèges, de la censure, des rapports marchands dans les domaines culturels et de l’éducation notamment, lutte contre les inégalités croissantes.
Mais dans les Républiques riches, les revendications nationales iront en sens inverse, sur le plan socio-économique pour l’accentuation de l’autonomie financière, économique et politique, contre les mécanismes redistributifs identifiés aux pleins pouvoirs de “Belgrade” c’est-à-dire non seulement du “centre”, mais aussi de la Serbie où se localise ce centre. Les écarts de niveaux de vie se creusent. Les grèves s’étendent. Des conflits éclatent entre les pouvoirs républicains et le centre fédéral autour de la question des devises (ceux-ci concernent surtout la Croatie dotée de côtes touristiques).
Pour un même effort de travail, la réforme favorise les acteurs qui se trouvent en bonne position sur le marché ; les autres n’acceptent évidemment pas les règles de ce jeu-là : l’inflation se déploie. Plusieurs logiques de distribution des revenus entrent en conflit : “selon son travail” ou selon les résultats des ventes sur le marché, le tout se combinant avec une distribution selon la position dans l’appareil…
3.3 Le tournant de 1971[modifier | modifier le wikicode]
Après les grèves et le mouvement étudiant de la fin de la décennie, le “printemps croate” de 1971 sera le catalyseur d’un ultime tournant “titiste” : répression des courants libéraux qui incarnaient pourtant, la veille encore, la ligne officielle. Mais aussi répression de toutes les oppositions, qu’elles soient nationalistes ou marxistes ; réaffirmation du “rôle dirigeant du parti” favorisé par le système électoral ; renforcement du rôle de l’armée dans l’appareil d’État – c’est le côté face.
Côté pile, il y a la nouvelle “loi sur le travail associé” et la confédéralisation du système avec la Constitution de 1974. A nouveau, les droits des travailleurs et ceux des Républiques et provinces sont renforcés sous une forme qui répond aux pressions surgies d’en bas : concessions faites après avoir réprimé toute velléité d’organisation indépendante.
Les droits des travailleurs s’étendent dans les "unités de base du travail associé" (ateliers ou entreprises où se forme le revenu de base et où se décident des associations plus larges). On peut dire que la bureaucratie politique centrale s’appuie de fait sur les travailleurs, au détriment des pouvoirs technocratiques des entreprises et des banques qui tendaient à s’autonomiser dans la réforme.
Un nouveau système de planification contractuelle entre “unités de base du travail associé” est codifié, faisant de la propriété celle de tous et de personne, c’est-à-dire n’appartenant ni à l’État, ni aux collectifs d’entreprises, ni aux managers, mais à la “société”. Le système de délégation et de planification s’inspire ainsi des critiques portées par l’opposition de gauche marxiste (réprimée…), mais de façon caricaturale et déformée par l’absence de démocratie réelle. L’absence de transparence du système stimule tous les replis et égoïsmes locaux.
Les revendications des mouvements nationaux sont également prises en compte dans la nouvelle Constitution qui confédéralise largement le système : Tito prépare “l’après-titisme” en introduisant des formes collégiales de direction. Celles-ci doivent respecter la “clé ethnique”, c’est-à-dire une représentation égalitaire des Républiques et provinces quelle que soit leur taille, une rotation annuelle de la présidence, et un droit de veto.
3.4 Endettement des années 1970[modifier | modifier le wikicode]
La croissance se maintient dans la décennie 1970, mais il s’agit d’une croissance fondée sur un endettement intérieur et extérieur considérable. Comme dans de nombreux pays “du sud”, une part très importante de cet endettement provient de la hausse du prix du pétrole (d'autant que la Yougoslavie avait largement renoncé à exploiter son charbon). Elle se voit forcée d’opérer des reconversions douloureuses et lentes. Au moment où le monde capitaliste entre en crise au “centre”, les pays de l’Europe de l’Est et la Yougoslavie recevront, comme les pays de la “périphérie”, d’abondants crédits pour couvrir des importations massives.
Le régime tempère ses dépendances envers le monde capitaliste par des échanges croissants avec les pays du Comecon, le “marché commun” des pays dits “socialistes”. Mais ces échanges sont par essence équilibrés sur des bases de troc, même s’ils sont libellés en devises. Or, si la Yougoslavie exporte facilement vers l’Est, elle y trouve moins de produits à importer.
Le système bancaire est subordonné aux entreprises endettées, ainsi qu’aux pouvoirs locaux et républicains. Le chacun pour soi se développe sans aucun mécanisme de résorption des gâchis. Les régions dotées de traditions industrielles creusent leur écart avec les autres et se tournent de plus en plus vers les échanges avec l’Europe de l’Ouest… Le gros de la dette se creuse vers les pays à monnaie convertible.
La décennie 1970 a donc vu s’accumuler tous les ingrédients d’une crise globale : morale, économique et socio-économique, donc aussi nationale.
3.5 La crise de la décennie 1980[modifier | modifier le wikicode]
La dette est le prix à payer d’une inefficacité intérieure croissante. Mais elle est aggravée par une insertion dans le marché mondial en ordre dispersé, sans contrôle et cohérence d’ensemble par rapport à des choix de développement. La hausse des taux d’intérêt et du dollar dans le contexte d’échanges mondiaux qui se concentrent entre pays riches va transformer la dette en véritable contrainte (ingérence) extérieure sous la pression directe du Fond monétaire international (FMI).
L’autogestion a continué à protéger les entreprises en faillite des fermetures et licenciements. Elle a donc été jugée responsable de l’inefficacité du système par les "experts" néolibéraux. Mais pour eux, et derrière eux pour les créditeurs, les lois du marché signifiaient un État fédéral fort capable de les imposer non seulement contre l’autogestion mais aussi contre les pouvoirs républicains et provinciaux. Ces derniers ont, de leur côté, tenté de consolider leur base en jouant sur la corde nationaliste. Les entités les plus riches comme la Slovénie réclamaient plus d'autonomie pour avoir moins à mutualiser avec les entités plus pauvres.
La crise met donc en cause à la fois l’autogestion et les pouvoirs républicains, au moment même où l’austérité et le remboursement de la dette deviennent les principaux objectifs du gouvernement fédéral.
Parce que les piliers du régime s’effondrent, il y a nécessairement aussi crise du “socialisme”, une crise politique et morale creusée par la corruption, le carriérisme dans l’appareil de l’État-Parti. Ce dernier a réprimé ses intellectuels les plus prestigieux dans la décennie 1970. Au cours des années 1980, les travailleurs le quittent en masse.
4 Éclatement et guerres de Yougoslavie[modifier | modifier le wikicode]
Jusqu’en 1989, la crise yougoslave est d’abord le produit de ses contradictions propres. Les réformes Gorbatchev seront regardées avec un relatif désintérêt dans ce pays où elles ont déjà été appliquées, à maints égards. La Slovénie connaît plus tôt que les autres une certaine démocratisation de la vie politique avec le développement, à la fin des années 1980, de mouvements alternatifs tolérés par les communistes réformateurs. Mais l’éclatement final du/des parti(s)-État en 1989-1990, et l’explosion du pluralisme, sont stimulés par l'effondrement du Bloc de l'Est au tournant de la décennie.
Le pays entre en crise aigüe et ces tensions latentes éclatent en conflits ouverts. Dans un sauve-qui-peut général, des leaders bourgeois unifient autour d'eux des populations sur la base de nationalismes agressifs, en même temps qu'ils mettent fin à ce qu'il pouvait y avoir d'acquis « socialistes ». L'entité serbe, plus nombreuse et militairement plus forte, dirigeait de fait l'armée yougoslave et utilisait la force pour tenter de maintenir l'unité. Mais la République yougoslave éclate (1992) malgré toutes une série de guerres meurtrières (1991-2001). Dans une fuite en avant nationaliste, des populations qui vivaient côte-à-côte depuis des siècles se retrouvent divisées, obligées de fuir, voire victimes d'épuration ethnique.
Au travers de ces guerres et massacres, les nouveaux États qui ont émergé sont de fait plus homogènes ethniquement. Mais il existe encore de nombreux conflits sur les frontières, et de fortes mixités ethniques, en particulier en Bosnie-Herzégovine. Là encore, cela peut déboucher sur plusieurs issues : les mouvements de lutte de classe sont porteurs de solidarités au delà des nationalités contre les exploiteurs, tandis que les nationalistes bourgeois attisent en permanence les ressentiments.[2]
5 Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]
Dossier
- Étude de Catherine Samary dans « Plan, marché et démocratie » (Cahier d'études et de recherche n°7/8, 1988). Reprise dans :
- La révolution yougoslave et l’autogestion, Manière de voir n°106, août - septembre 2009
- Les Grandes phases du système autogestionnaire yougoslave, Association autogestion, avril 2016
Autres
- Lutte ouvrière, Yougoslavie : Le sens d'une évolution, Lutte de Classe n°4 - mai 1967
- Lutte ouvrière, Socialisme et autogestion, Lutte de Classe n°5 - juin 1967
- ↑ Lutte ouvrière, La naissance du titisme, Lutte de Classe n°54 - 27 novembre 1962
- ↑ Les nationalistes poussent la logique du pire en Bosnie-Herzégovine, L'Anticapitaliste, janvier 2022