Moyen-Âge japonais
Le Moyen-Âge au Japon est généralement considéré comme allant de la période de Kamakura (1185–1333) jusqu'au 16e siècle.
1 Infrastructure[modifier | modifier le wikicode]
1.1 L'agriculture[modifier | modifier le wikicode]
Comme toute société pré-capitaliste, l'essentiel de la population japonaise travaillait la terre, et le pouvoir des classes supérieures reposait avant tout sur le contrôle de la rente foncière.
La base de l'agriculture était le riz. C'était sur la récolte des rizières qu'étaient effectués les prélèvement des dominants.
A partir du milieu du 13e siècle, sur les rives de la mer intérieure de Seto où le climat est favorable, apparaît le système de la double récolte annuelle : les paysans ont appris à combiner la riziculture inondée et les cultures céréalières. On inonde la rizière fin mai début juin pour repiquer le riz qu’on récolte à l’automne en octobre. On assèche aussitôt les parcelles pour y semer du blé. En effet, loin d’épuiser la terre, le riz l’enrichit et la rend disponible pour une seconde récolte. Le blé/orge est moissonné fin mai avant l’inondation des terres. Les paysans réussissent aussi à faire venir, cette fois sur les terres non inondables, des légumes secs comme le soja, les pois, les haricots, les fèves à l’automne après la récolte des céréales. Cette ingéniosité des paysans japonais (qui fait au 15e siècle l’admiration de voyageurs coréens) a sans doute été stimulée par le fait que les seigneurs, concentrés sur les rizières (qu'ils faisaient cadastrer précisément), étaient peu regardants sur les autres cultures.
Peu de données sont disponibles, mais la période médiévale a été une période de hausse des rendements agricoles au Japon :
A l’époque de Kamakura [1185–1333], il est question dans plusieurs domaines de taux de perception de la redevance annuelle de l’ordre de trois to (trois fois dix-huit litres à peu près) par tan (environ dix ares) de terre, et ceci correspond à des chiffres de l’ordre de 20 à 30 % de la récolte. Au XIVe siècle, des taux de cinq to sont fréquents. Or, d’autres sources attestent l’enrichissement relatif des paysans. Cet accroissement du montant de la rente foncière conjugué à une amélioration globale du niveau de vie dans les campagnes ne peut s’expliquer que par une augmentation de la productivité du travail paysan.[1]
La différenciation sociale a connu des évolutions, en fonction de l'enrichissement de couches paysannes et des revirements de solidarité. La couche supérieure des paysans, les myôshu, avait une position intermédiaire, tantôt solidaire de la communauté paysanne, tantôt ralliée aux intérêts des exploiteurs dont elle finissait par faire partie. Certains d'entre eux se sont même mis à s'armer et à monter à cheval, devenant des jizamurai (couche inférieure des samurai).
1.2 Le développement du commerce[modifier | modifier le wikicode]
Le commerce se développe tendanciellement au cours du Moyen-Âge. Ce phénomène est commun à l'Extrême orient, mais c'est au Japon qu'il sera le plus fort.
Les axes et moyens de communication se multiplient, et une véritable bourgeoisie urbaine émerge à Kyôto mais aussi dans les ports du Japon occidental, comme Hakata à Kyûshû. Au 15e siècle le trafic dans la mer Intérieure de Seto est équivalent à celui de la mer Baltique à l'apogée de la Ligue hanséatique. A Okinawa, un petit État marchand se développe, centré sur le commerce maritime international. La ville portuaire de Sakai a aussi connu un véritable essor commercial et artisanal, finissant par être gérée par une oligarchie bourgeoise (un conseil de marchands) à partir des années 1470. Les missionnaires chrétiens qui la visitèrent au 16e siècle firent aussitôt la comparaison avec Venise. Une classe bourgeoise émerge : marchands, prêteurs, brasseurs de saké, prêteurs usuriers (dit dosô, du nom des hangars en pisé où les prêteurs stockaient des marchandises) dont certains moines. Un nouveau mot, utokunin, naît au début du 15e siècle, pour désigner ces riches qui ne sont ni guerriers ni paysans.
En conséquence, l'utilisation de la monnaie se répand. A l'origine, étant donné l'absence d’État centralisé capable de battre monnaie, les pièces utilisées sont des pièces de monnaie chinoises en cuivre introduites par les bateaux marchands. Ce n'est qu'à la fin du 16e siècle que des monnaies japonaises commenceront à être frappées.
Le commerce international entre l'archipel et le continent, qui était dominé par les jonques chinoises, se retrouvera dominé par les Japonais à partir du milieu du 15e siècle, en raison de plusieurs facteurs :
- des pirates japonais (wakô) font régner une menace permanente, notamment ceux de l’île de Tsushima,
- l'essor interne des marchands japonais,
- à l'inverse, à partir de la dynastie des Ming (1368), l’État chinois bride les marchands qu'il voit comme une menace, et prend le monopole du commerce extérieur, réduisant nettement les convois de marchands, et interdisant aux sujets chinois de se rendre dans les ports étrangers.
Les bateaux japonais s'améliorent, passant d'une trentaine de tonneaux à 150 tonneaux entre le début et la fin du 14e siècle. Ils savent mieux utiliser les vents selon les saisons et commencent à se servir de compas. Vers le milieu du 15e siècle, les plus grosses jonques jaugent même 250 tonneaux, mais elles sont encore rares. Malgré ces progrès, les jonques chinoises à haut bord restent au 16e siècle les meilleurs bâtiments des mers orientales, avant d’être à leur tour surclassées dans la seconde moitié du 16e siècle par les navires portugais.
A partir du règne de Ashikaga Yoshimitsu (1368 à 1394), le shôgunat tire désormais la plus grande partie de ses ressources des activités commerciales. Yoshimitsu a réussi à obtenir de l'Empereur chinois, ayant été reconnu « roi du Japon » par ce dernier (donc formellement vassalisé), un droit de commercer via le port de Ningbo. Les Japonais exportent de l’or, du soufre et des sabres, et reviennent avec des céramiques, cotonnades et soieries qu’ils revendent avec des bénéfices colossaux. Le commerce international se développe aussi beaucoup avec la Corée, ou de façon plus lointaine avec la Malaisie, Sumatra...
1.3 L'artisanat[modifier | modifier le wikicode]
En parallèle du développement relativement important du commerce, l'artisanat est également florissant. Les Japonais ont mis au point des techniques de soufflerie qui leur permettent de produire dans les fours des chaleurs inconnues ailleurs. Les sabres japonais étaient très réputés et exportés massivement, notamment en Chine.
Lorsque les premières armes à feux des portugais sont aperçues (1543), les Japonais ne restent pas passifs. Les artisans de Tanegashima, du monastère du Negoro-ji, de Sakai et d’ailleurs se voient immédiatement confier l’étude de ces étonnantes armes à feu. Dès 1545, on fabrique des fusils au Japon.
1.4 Luttes de classes croisées[modifier | modifier le wikicode]
L'exploitation de la paysannerie prenait des formes différentes selon l'évolution des différentes classes dirigeantes et selon les périodes de conquêtes ou de paix relative.
Les paysans s'appuyaient sur les rivalités entre classes dirigeantes. Ainsi, alors que la période de Kamakura voit la montée en puissance du shôgunat et de ses intendants locaux qui voulaient prélever de nouvelles taxes, les paysans faisaient souvent appels aux seigneurs locaux traditionnels dont dépendaient leurs domaines (aristocrates liés à l'Empereur ou monastères bouddhistes), ces derniers trouvant à intérêt à leur tour à utiliser la paysannerie pour limiter le pouvoir shogunal.
Entre le 14e et le 15e siècle, les paysans gagnent en rapport de force. Ils forment souvent des coalitions, des « ligues de gens du domaine » (shôke no ikki). Ils déposent chez le seigneur une pétition mentionnant leurs doléances et leurs revendications. Ils réclament la baisse ou l’exemption des redevances annuelles, de telle corvée, de telle taxe, invoquant des ravages de la guerre ou des intempéries. Parfois ils exigent la démission d’un fonctionnaire seigneurial qui se comporte au mépris des lois et des coutumes.
Comme exemple du rapport de force paysan, particulièrement dans le Kinai (centre du Japon), on peut évoquer le domaine Yano appartenant au monastère Tô-ji, près de Kyôto :
- En 1359, les paysans demandent une exemption de 50 % des redevances. Le monastère est contraint d’accepter.
- En 1361, le Tô-ji accepte d’accorder une remise de vingt koku de riz sur la redevance annuelle.
- En 1362, les paysans obtiennent une exemption d’un tiers sur le produit des rizières et une exemption totale sur les champs secs.
- En 1363, ils exigent de nouveau une exemption et en obtiennent une de dix-sept koku. En 1364, quinze koku et ainsi de suite pendant les trois années qui suivent.
En 1437, dans le domaine de Kuze appartenant aussi au Tô-ji, les paysans se rendent en masse au monastère, ce qui est une véritable manifestation de grévistes. Ils obtiennent une baisse des taxes de 25%.
Un des moyens de lutte des paysans japonais était la menace de quitter purement et simplement le domaine, pour aller s'installer ailleurs, menace parfois mise à exécution. L'émiettement de l'autorité étatique rendait aussi cela possible.
De leur côté, les petits guerriers locaux formaient aussi des ligues (ikki), se prêtant serment de soutien mutuel, tant face aux risques d'invasion (importants au Moyen-Âge), que face aux menaces paysannes. Certains pactes font expressément état de la nécessité de poursuivre les paysans qui déguerpissent, incapables de payer les redevances et qui cherchent à se réfugier sur une autre terre. Dans ce cas, les seigneurs membres de la ligue doivent les arrêter et les faire remettre à leur seigneur d’origine.
A la fin du 14e siècle, pour la première fois, les revenus fonciers des couches guerrières dépassent ceux de l'ancienne noblesse. C’est sous Ashikaga Yoshimitsu (1368 à 1394) que se multiplient les invasions de domaines nobles par les guerriers, et que les gouverneurs obtiennent le droit de percevoir la moitié de la taxe foncière des domaines.
Un des motifs de révolte fréquent était aussi l'endettement. Avec le développement des prêteurs d'argent apparaît aussi une nouvelle source de ponction des paysans et des fermiers myôshu. Quand ceux-ci ne peuvent plus faire face aux prélèvements des dominants, ils s'endettent, et vendent parfois leurs terres, ce qui opérant peu à peu un transfert de terre tend à la concentration aux mains de ceux qui ont un capital usuraire / commercial. Régulièrement, des révoltes de masse obtiennent des autorités ce que l'on appelait des édits dits de « gouvernement bienveillant » (tokusei), qui permettaient aux anciens propriétaires de récupérer leurs biens vendus ou hypothéqués, parfois avec des décennies de rétroactivité. Le tokusei était aussi utilisé comme récompense des shogun vis-à-vis des guerriers même les plus humbles s'étant battus à ses côtés.
Par exemple le shôgunat proclame en 1297 un édit tokusei qui a considérablement frappé les esprits pour les siècles suivants. Elle consiste en une sorte d’amnistie accordée par l’autorité publique – en l’occurrence le shôgunat – à ceux qui ont contracté des dettes et ont dû hypothéquer ou vendre leurs biens. Les domaines des vassaux liges qui ont été vendus ou hypothéqués durant les vingt années précédentes (soit depuis 1278) seront rendus à leur ancien propriétaire.
En 1428, une immense révolte de paysans et petits guerriers embrase le Kinai. Des paysans détruisent les hangars dosô, les maisons des brasseurs de saké et les temples, s'emparent de biens qu'ils estiment leur revenir. De nombreux prêteurs sont contrains d'annuler les dettes, comme le monastère du Kôfuku-ji à Nara. Un nouveau tokusei rétroactif sur 20 ans est pris en 1441. Dans le siècle qui suit la première révolte de 1428, l’historien Nakamura Kichiji dénombre 144 soulèvements, les trois quarts dans le Kinai. Car dans cette région (centre du Japon), d'une part la productivité agricole est élevée (double et parfois triple récolte), d'autre part le développement marchand draine les richesses des paysans vers les prêteurs, eux-mêmes patronnés par les grandes institutions religieuses (mont Hiei, temples de Nara ou les monastères zen). Avec ces capitaux nouvellement formés, ces nouveaux riches réinvestissent en achetant les terres des paysans ou des petits guerriers des environs de la capitale.
Le Japon reste très rural à l'exception de Kyôto et des grands ports comme Sakai. Néamoins dans cette ville on retrouve les divisions classiques de la proto-bourgeoisie urbaine. L'essor de la vie urbaine prend un nouveau départ en particulier après les ravages des guerres d’Ônin (en 1467-1469, entre le tiers et la moitié de la ville brûle). Une grande partie de la noblesse a quitté la capitale, l'insécurité est omniprésente, et le shôgunat apparaît impuissant à maintenir l'ordre. Cela va favoriser des formes d'auto-organisation. La ville même se couvre de postes de garde et de palissades en bambou dans un effort collectif, et avec une forte organisation par quartier.
A cette époque apparaît aussi tendanciellement une unité des différentes classes urbaines et un clivage ville-campagne, qui s'exprime notamment par :
- la diffusion comme religion commune de la secte de la Fleur du Lotus (hokke) ;
- l'hostilité aux mouvements paysans menés par la secte ikko.
Mais là où le développement urbain commençait à prendre une grande ampleur, les antagonismes de classe s'aiguisaient.
Ainsi au milieu du 16e siècle des conflits apparaissent à Kyôto entre le conseil des sôdai (sortes de patriciens, pour la plupart de riches marchands) et les citadins organisés en sections, les machishû. Les sôdai cherchent à obtenir des privilèges. Il s’agit pour la plupart de propriétaires qui louent les maisons dans lesquelles vivent les habitants. Ils entretiennent avec ces derniers des rapports de domination semblables à ceux qu’entretiennent les jizamurai avec les paysans. A Kyôto, le mouvement pour l’autonomie urbaine porte au pouvoir politique sur la cité ceux qui détiennent déjà le pouvoir économique. Mais l’unité sociale urbaine se reforme lorsque la menace extérieure d'Oda Nobunaga apparaît au début des années 1570.
2 Superstructure[modifier | modifier le wikicode]
Le développement marchand est aussi la cause d'évolution dans les représentations de l'époque.
2.1 Les États concurrents[modifier | modifier le wikicode]
Durant toute la période du Moyen-Âge, l'ancien pouvoir impérial, affaibli mais encore source de légitimité, coexiste avec le shôgunat. Non seulement les deux sphères de pouvoir sont régulièrement en conflit, mais le pouvoir shogunal, même s'il tend à éclipser l'ancienne noblesse de cour à mesure de l'essor des guerriers, est sans cesse divisé et peine à contrôler tout le territoire.
A partir du milieu du 16e siècle, les communes paysannes du Japon central (organisées en ligues par la secte ikkô) deviennent les instruments de la lutte contre les seigneurs de la guerre, qui renforcent leur pouvoir dans les provinces périphériques, où les communes villageoises étaient mal organisées.
Ces seigneurs de la guerre, notamment Oda Nobunaga, écraseront finalement les communes paysannes à la fin du 16e siècle, et mettront au pas les organisations de quartier de Kyôto. Cette période voit à la fois une très brutale répression de formes d'autonomie populaire (qui a été décrite comme une contre-révolution sociale par beaucoup d'historiens) et l'édification d'un nouvel État qui unifie durablement le Japon, met fin aux guerres permanentes, et pose aussi les bases d'une culture commune et d'un marché intérieur (unification des formes d'exploitation agricole, des poids et mesures...).
Sous l'époque Edo (1603–1868), le shôgunat des Tokugawa sera l'équivalent d'une monarchie absolue (d'où l'idée que cette époque n'appartient plus au Moyen-Âge, bien que la féodalité subsiste formellement), l'empereur étant réduit à un pur rôle symbolique.
2.2 La religion[modifier | modifier le wikicode]
D'assez fortes différences existent entre la façon dont les institutions religieuses se sont développées dans des pays comme le Japon et la Chine. Il n'y a pas eu de domination exclusive d'un clergé comme cela a pu être le cas avec l’Église catholique en occident. Dès son origine, le bouddhisme est divisé en chapelles, cohabite de façon fluide avec les différentes cultes shintoistes, et seuls les courants les plus extrémistes sont persécutés.
Cependant, le Japon médiéval a aussi connu des formes de dissidences religieuses populaires, avec des ressorts que l'on peut comparer aux phénomènes occidentaux (différentes variantes, bourgeoises ou paysannes, d'hérésies, de millénarisme et de protestantisme). Parmi les principaux monastères, on assistait à de l'accumulation de pouvoir économique et militaire, de la corruption, et des mœurs sexuelles apparaissant comme de la débauche aux yeux des masses.
On peut citer le cas de l'essor des mouvements amidistes dans la première moitié du 13e siècle :
- Le moine Hônen, à partir de 1175, se met à prêcher à Kyoto que le salut est possible pour tous du fait de l'infini miséricorde d'Amida (le nom du Bouddha censé accueillir les humains dans la Terre Pure), à condition d'avoir une vraie foi, ce qui se manifestait par des récitations, etc. L'homme ordinaire était incité à manifester sa foi, ce qui rompait avec le bouddhisme centré sur l'étude prôné dans les monastères. Son succès provoque la colère de ces derniers, notamment des moines de Nara et du mont Hiei. Hônen est alors exilé, ce qui ne fera que contribuer à la diffusion de la nouvelle école, l'école de la Terre pure (Jôdoshû), qui sera fondée par les disciples de Hônen.
- Shinran, un de ses disciples remet en question l'enseignement de Hônen après sa mort (1212), en le radicalisant. Répéter sans cesse le nom d'Amida comme une amulette, ne serait-ce pas douter de lui ? Un sourd-muet qui serait incapable de faire les récitations serait-il abandonné ? Il s'intéresse aux pauvres, aux déshérités, aux criminels. Il affirme de façon provocatrice : « même les bons iront au paradis, alors, à plus forte raison, les méchants ». Plus encore que Hônen, Shinran considère que tout monachisme est inutile, et refuse toute église (même si ses disciples, trahissant ce précepte, fonderont la Véritable école de la Terre pure - Jôdo shinshû).
- D'autres sont issus de milieux populaires et par là même arrivent mieux à influencer les masses, contrairement aux réformateurs comme Hônen et Shinran qui sont issus de la noblesse. Mais cela prend des formes différentes. Par exemple, Ippen diffuse des rituels de danses mystiques calquées sur les danses paysannes, et s'appuie sur un fort syncrétisme avec les cultes shinto. Les danses de masses pauvres et de lépreux qui se répandent inquiètent fortement les autorités. De son côté Nichiren développe une vision rigoriste en rupture avec tout le bouddhisme passé, et prône un État théocratique (alors que les religieux ont toujours été distincts) défendant une seule vraie religion et s'occupant du peuple.
En réaction, le bouddhisme orthodoxe connaît des mouvements de réforme internes, comme celui mené par Ninshô. Cependant celui-ci finit par accumuler encore plus de richesses au nom de la construction d'un appareil dédié à la charité (il prête de l'argent avec intérêt et finit par se faire détester comme usurier, il construit des ponts mais s'enrichit en levant des taxes pour les emprunter...).
De son côté le bouddhisme Zen se développe plutôt parmi l'élite guerrière du shôgunat, qui apprécie sa simplicité et l'absence de nécessité d'études.
Les formes d'auto-organisation et d'autodéfense des paysans formant des ligues entre le 14e et le 15e siècle, se font d'abord sans idéologie unifiée, même s'il faut noter que les communautés villageoises ont souvent structuré leur ikki à l'occasion de leurs regroupements sur les lieux de cultes shintoistes locaux (rendus aux esprits kami).
La secte ikko inspirée de Shinran sera la principale expression religieuse des grandes révoltes paysannes à partir de la moitié du 15e siècle. Entre 1457 et 1499, Rennyo, huitième pontife de la secte, va faire de son mouvement religieux une véritable Église qui encadre de grandes masses de fidèles, surtout des paysans et des petits guerriers. Persécuté par les moines du mont Hiei, Rennyo écrit ses consignes depuis son exil, en particulier :
- organiser les fidèles à l'échelle des villages, autour d'un lieu de pratique (dôjô), en recrutant y compris parmi les paysans en dessous des myôshu, en incluant les femmes ;
- enseigner la loi du Bouddha de manière à la rendre compréhensible parmi les gens du peuple sans éducation et, pour cela, rédiger des prêches en langue simple (sans utiliser les idéogrammes) ;
- enseigner qu’invoquer le bouddha Amida permet la réalisation du bonheur dans l’au-delà.
En gagnant massivement les communes paysannes et leurs jizamurai, qui s'étaient déjà largement émancipés des nobles et intendants shogunaux, Rennyo se trouve à la tête d'une grande puissance. D'autant plus que sa secte prélève une dîme, qui est d'abord volontairement versée (notamment car elle était plus faible que les anciens prélèvements). La secte s'institutionnalise peu à peu, avec à son sommet une bureaucratie qui s'éloigne des principes initiaux, même si l'édifice se maintient, notamment grâce à la force de l'égalitarisme combattant entretenu par le bas clergé (constitué des jizamurai essentiellement).
La bourgeoisie urbaine trouvera son idéologie en particulier dans la secte hokke (qui hérite de Nichiren), qui prône l’importance de la réussite en ce bas monde, idée qui coïncide avec l’idéologie du profit des marchands et des artisans.
Outre leur fanatisme, les deux sectes ikkô et hokke ont en commun leur hostilité aux seigneurs féodaux. Si la secte ikkô se développe surtout dans les campagnes, parce qu’elle a pour slogan principal le refus des charges, corvées et redevances imposées par les seigneurs, la secte hokke, elle, rejette catégoriquement les redevances féodales et réclame l’abolition des taxes urbaines.
2.3 Autres aspects idéologiques[modifier | modifier le wikicode]
Idéologiquement, les édits de « gouvernement bienveillant » (tokusei) qui restituaient aux vendeurs leurs biens sans compensation paraissent aujourd'hui choquants à travers le prisme de l'idéologie bourgeoise. Pourtant dans le japon médiéval, c'est l'idée que la terre commence à être considérée comme une marchandise qui choquait. La terre a été défrichée, mise en valeur, cultivée chaque année par des familles qui ont vécu dessus depuis des temps anciens. Certains ont les tombes de leurs ancêtres dessus. Vendre un domaine, une terre, c’est couper le lien qui unit l’individu à ses ancêtres. Le retour à l’ordre ancien, la restauration du propriétaire primitif dans ses droits résonnait alors avec le bon sens coutumier. Le tokusei était donc justifiée par bien plus qu’une amnistie sur les dettes, c’est le retour à une vertu oubliée, celle qui régnait autrefois. C’est le sens de l’idéogramme toku dans tokusei qui signifie la vertu. Ce « retour à la vertu » était par ailleurs censé éloigner des malheurs (tremblement de terre, invasions mongoles...).
2.4 Formes d'art et de culture[modifier | modifier le wikicode]
Avec l'essor de la bourgeoisie dans les villes de Kyôto et de Sakai apparaissent aussi de nouvelles formes d'art, dans lesquelles on peut voir des proximités avec les innovations artistiques des Pays-Bas bourgeois.
Les artistes s'éloignent des représentations dominées par les figures du Bouddha. Ils s’adonnent à l’art du thé ou des fleurs, peignent des représentations de la nature.
Les années 1470-80 marquent à la fois l’effondrement du shôgunat Ashikaga et celui de la noblesse de cour, et le début de la culture Higashiyama (fin 15e siècle). Théâtre nô, art des fleurs et des jardins secs, architecture, cérémonie du thé... cette culture est considérée comme le creuset de la culture nationale japonaise « traditionnelle » (la culture des élites ayant été, jusqu'alors, dominée par la culture chinoise).
3 Historiographie[modifier | modifier le wikicode]
Dans le Capital (écrit juste avant la Révolution Meiji), Marx écrit en passant que « Le Japon, avec son organisation purement féodale de la propriété foncière et sa petite culture, offre donc, à beaucoup d'égards, une image plus fidèle du moyen âge européen que nos livres d'histoire imbus de préjugés bourgeois. »[2]
4 Références[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ Pierre-François Souyri, Histoire du Japon médiéval, 2013
- ↑ Karl Marx, Le Capital, Livre I, Chapitre XXVII, 1867