Dette publique française et taux d'intérêt
Cette page vise à fournir des données complémentaires sur le lien entre le taux d'intérêt que paie l'État aux créanciers, et la dette publique française. Elle s'intéresse particulièrement à la période depuis les années 1980, pour laquelle les taux d'intérêts sont souvent pointés du doigt comme cause première ou très importante de la dette, en raison de « la loi de 1973 ».
1 Le constat[modifier | modifier le wikicode]
A partir des années 1980, une inflexion est assez visible sur les courbes suivantes. Globalement les recettes commencent à augmenter moins vite, et les dépenses hors intérêt s'y adaptent. En revanche, la part du paiement des intérêts dans les dépenses atteint une ampleur impressionnante. La part des intérêts dans les dépenses de l’Etat, qui représentait moins de 4% au début des années 1980, est multipliée par trois en quinze ans. Elle se stabilise entre 10% et 12% durant les années 2000.
2 Explications différentes[modifier | modifier le wikicode]
2.1 Extrême droite[modifier | modifier le wikicode]
Dans les milieux d'extrême droite, il est courant de renvoyer dos à dos comme responsables des problèmes "les privilégiés d'en haut et les assistés d'en bas". Concernant ceux d'en haut, il s'agit souvent de la dénonciation d'un capital financier, juif de préférence. On retrouve surtout des développements là dessus dans des groupuscules qui cherchent un semblant d'argumentaire (souvent proches de style "complot mondial", "on nous cache tout", etc.). Mais certaines idées courantes sont reprises à l'occasion dans les discours du Front National, comme lorsque Marine Le Pen évoque la loi de 1973 qui aurait soumis la France aux banquiers internationaux et donc serait une cause principale de la dette. Ainsi à l'extrême droite, la loi de 1973 est souvent appelée "loi Pompidou, Giscard, Rothschild", Pompidou ayant été en poste à la banque Rothschild de 1954 à 1958).
2.2 Pour certains antilibéraux[modifier | modifier le wikicode]
La gauche antilibérale (PCF, PG, ATTAC...) a tendance ces dernières décennies a critiquer spécifiquement (et quasi-exclusivement) la forme plus brutale prise par le capitalisme depuis les années 1980, le néolibéralisme. Elle sépare ce tournant néolibéral de la dynamique du capitalisme et explique que ce sont des choix politiques sur lesquels on pourrait revenir pour annuler ces effets, même sans révolution anticapitaliste. Ainsi la dette est expliquée principalement par les "cadeaux fiscaux" faits aux entreprises. Mais le "capitalisme financier" est lui aussi pris particulièrement pour cible. Par exemple, ATTAC et la Fondation Copernic font de la loi de 1973 une des causes principales de la crise de la dette[1].
2.3 La loi de 1973[modifier | modifier le wikicode]
Qu'est ce que cette fameuse loi de 1973 ? C'est une loi qui interdit à la Banque de France de faire marcher "la planche à billet", c'est-à-dire de créer de la monnaie "artificiellement".
Premièrement, il faut rappeler qu'il n'y a pas de rupture majeure en 1973 : avant cette date l'État ne se finançait pas à coup d'emprunts à 0% à la Banque de France (cf courbe du Taux moyen des emprunts plus bas). Pourquoi ? Parce qu'une politique de création monétaire a des inconvénients : principalement, elle comporte un risque d'inflation, car dès qu'il y a plus de monnaie créée que de richesse réelle produite, la monnaie est dévaluée. L'inflation est nuisible à la fois aux créanciers, qui voient leurs taux d'intérêt réels diminuer, mais aussi largement aux prolétaires, qui voient leur salaire réel diminuer (à ceci près que dans les années 1970 en France, les salaires étaient indexés sur les prix).
Cette loi visait en fait à moderniser les marchés financiers en assurant les capitalistes prêteurs qu'ils ne seraient pas floués. C'était alors une tendance générale dans tous les pays impérialistes. La loi de 73 ne fait que retranscrire une loi plus ancienne, celle de 1936. Il n'y a pas eu de changement fondamental en 73. Par exemple les deux emprunts Pinay de 1952 et 1958 avaient un taux d'intérêt de 3,5%.
2.4 Explication marxiste[modifier | modifier le wikicode]
Il y a effectivement un changement de période dans les années 1980. Mais ce sont plutôt les années 45-75 qui ont été exceptionnelles dans l'histoire du capitalisme, donc il s'agit du retour à une domination "classique" du secteur le plus puissant du capitalisme : le capital financier. Donc oui, il y a une part d'usure de la part des grands capitalistes qui prêtent aux Etats, mais un tel niveau de dépense à destination de la rente (plus de 10% des dépenses de l'Etat) était courant au XIXème siècle.
Depuis l'époque de l'impérialisme, la suraccumulation de capital est telle que l'investissement dans les forces productives ("l'économie réelle") est peu rentable, et il y a une forte centralisation du capital dans les mains des "marchés financiers". Cela a nourri beaucoup de colère contre "la finance" dans la petite-bourgeoisie ruinée, notamment dans les années 1930, mais cela n'a pas pour autant fait revenir un "capitalisme d'avant". Que ce soit le New Deal aux États-Unis ou le régime nazi, les gouvernements bourgeois, en défendant le capitalisme, ont défendu la finance.
On peut constater sur le graphe suivante que le taux moyen des emprunts (TME) auquel s'endette l'État français a en effet connu une véritable envolée à partir de 1980. Cette envolée est générale à cette époque : c'est une réponses des marchés financiers à la forte inflation qui a commencé au milieu des années 1970. Cela va être un des moteurs de l'adoption de la doctrine monétariste qui vise à protéger les rentiers de l'inflation, et cette politique (de la Fed, de la BCE...) va engendrer une re-diminution progressive des taux d'intérêts. Il est clair que la dette a beaucoup augmenté du fait du passage de d'un taux de croissance inférieur au taux d'intérêt, ce que l'on appelle l'effet "boule de neige". Mais, d'une part cet effet boule de neige est en dernière analyse une conséquence de la suraccumulation, et d'autre part, même si on évalue ce que serait la dette sans cet effet, on observe une augmentation, due plus directement à la baisse de croissance et de recettes de l'Etat. La cause fondamentale est donc intrinsèque au système capitalisme (suraccumulation) et très peu liée aux différents choix des gouvernements bourgeois (sensiblement les mêmes partout).
L'effet "boule de neige" est le fait que lorsque le taux d'intérêt dépasse le taux de croissance, même un solde primaire à l'équilibre provoque une augmentation de la dette. Ici, l'effet boule de neige est calculé selon :
[math]\displaystyle{ EBN(t)=(r-g)\frac{D_{t-1}}{Y_{t-1}} }[/math] |
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La deuxième courbe (trait foncé) est obtenue en retranchant purement et simplement les intérêts cumulés, c'est-à-dire en sommant seulement les déficits primaires. Ce qui n'a pas grand sens : une dette sans intérêts est inconcevable dans le système capitaliste. On trouve malheureusement des argumentations superficielles qui se contentent de "prouver" que ce qui est mal c'est uniquement les intérêts en traçant ce que serait la dette sans eux.
3 La crise de la dette actuelle[modifier | modifier le wikicode]
Le risque d'envolée du taux d'emprunt est aujourd'hui une des principales préoccupation des Etats bourgeois, particulièrement dans la zone Euro. Lors de l'introduction de l'euro en 2002, les prêteurs considéraient l'ensemble de l'Eurogroupe comme solidaire, et donc leur appliquait des taux d'intérêt faibles (tous notés AAA) et quasi identiques. Mais depuis le début de la crise en 2008, la crainte est très grande sur "les marchés", et face aux tensions intracommunautaires, beaucoup spéculent sur l'avenir des pays fragilisés. On assiste alors à une rapide divergence des "pays périphériques" par rapport aux impérialismes centraux (France et Allemagne). Mais fin 2011, les taux d'emprunt de la France décollent aussi[2], avant même qu'elle perde officiellement son AAA le 13 janvier 2012 (selon Standard&Poor's).
4 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]
- Les finances publiques après la crise, Journées d'études de l'OFCE, mai 2010
- ↑ http://www.france.attac.org/articles/pour-sortir-du-piege-de-la-dette-publique
- ↑ Le Figaro, La France a déjà perdu son AAA, novembre 2011