Coup d'État
Un coup d'État est un renversement du pouvoir par une personne investie d'une autorité, de façon illégale et souvent par la violence[1][2]. Un putsch est un coup d'État réalisé par la force des armes.
On distingue souvent la révolution du coup d'État, car celle-ci s'appuie sur un large processus de mobilisation populaire.
Le terme d'insurrection est intermédiaire : il évoque davantage la mobilisation spontanée des masses populaires, mais il peut parfois être employé dans un sens proche de coup d'État.
D'un point de vue historique, et y compris dans l'époque contemporaine, le coup d'État a été l'un des moyens les plus fréquemment utilisés pour accéder au pouvoir[3].
1 Caractéristiques[modifier | modifier le wikicode]
1.1 Prise des organes centraux du pouvoir[modifier | modifier le wikicode]
La technique de base du coup d'État consiste à s'emparer des organes centraux de l'État ou à les neutraliser, en occupant leurs lieux de fonctionnement qui sont aussi les lieux symboliques du pouvoir. C'est ainsi que procéda Napoléon Bonaparte, lors de son coup d'État du 18 brumaire. Disposant de l'appui de l'armée, il lui fallait contrôler le pouvoir civil. Or, sous le Directoire, la France disposait d'un exécutif tournant formé de 5 directeurs qui se succédaient, à tour de rôle, pendant des périodes limitées à quelques semaines, si bien qu'il ne suffisait pas de contrôler cet exécutif tournant, car la réalité du pouvoir civil résidait dans un parlement affaibli lui-même par sa division en deux chambres. C'est pourquoi Bonaparte, en accord avec deux directeurs, Sieyès et Ducos, se préoccupa surtout de disperser ce parlement, dont l'une des chambres, le Conseil des Cinq-Cents, était présidée par son frère Lucien Bonaparte. Mais au lieu d'annoncer brièvement sa prise de pouvoir aux parlementaires, Bonaparte trouva le moyen de s'égarer dans un discours ampoulé, et se fit assaillir par plusieurs élus. Si bien que le coup d'État ne fut sauvé que par son frère, qui ordonna aux grenadiers de rétablir l'ordre en dispersant les élus récalcitrants. Bonaparte constitua alors un Conseil exécutif de 3 membres composé de lui-même, de Siéyès et de Ducos, que le Conseil des Anciens transforma le lendemain en Commission consulaire exécutive.
Mais il ne suffit pas de s'emparer des organes centraux de l'État. Il faut aussi arrêter les gouvernants, faute de quoi il leur sera loisible d'organiser une riposte.
1.2 Préparatifs secrets[modifier | modifier le wikicode]
Le secret, non seulement vis-à-vis de l'extérieur mais aussi vis-à-vis des autres comploteurs, constitue la première arme des putschistes, celle sans laquelle les meilleures préparations risquent de s'effondrer.
Ainsi, l'une des raisons de l'échec du putsch de Kapp à Berlin en 1920, fut-elle le manque de discrétion du général von Luttwitz, chef militaire de l'opération, qui alla présenter le soir du un ultimatum aux gouvernants socialistes, et leur laissa 48 heures pour se retourner, avant de déclencher le putsch militaire annoncé, dans la nuit du au . Les ministres socialistes prirent le large avant l'arrivée du corps franc Ehrhardt. Après quoi, une fois réfugiés en province, ils appelèrent avec succès la population à une grève générale dont le succès leur permit de reprendre le pouvoir.
C'est ainsi que, lors de la préparation du putsch du à Alger (destiné à permettre le succès de l'Opération Torch), le jeune chef des groupes d'action d'Alger, José Aboulker, refusa, bien qu'il lui fît confiance, de donner à Henri d'Astier de La Vigerie, responsable de la conjuration pour l'Afrique du Nord, les noms de ses chefs de groupes avant les deux derniers jours précédant l'action. Lorsque les patriotes passèrent à l'action, la surprise fut si totale que ces 400 civils mal armés, commandés par leurs officiers de réserve, réussirent à neutraliser, à eux seuls, le corps d'armée vichyste d'Alger. En effet, les autorités vichystes, libérées au bout de quelques heures, s'efforcèrent, sans même y parvenir, de reconquérir complètement la ville au lieu d'attaquer les forces alliées sur les plages. Si bien que ces dernières purent débarquer sans résistance, encercler Alger et capturer ce grand port intact le soir même du débarquement.
1.3 Régularisation des prises de pouvoir[modifier | modifier le wikicode]
À l'occasion d'un coup d'État, un « vide » constitutionnel et institutionnel apparaît. Il est donc nécessaire, généralement, de régulariser ce vide en fondant une nouvelle Constitution, permettant ainsi l'exercice d'un nouveau pouvoir constituant originaire.
C'est ainsi que la Commission consulaire exécutive présidée par Bonaparte présenta, le 22 frimaire, son projet de constitution consulaire aux deux Conseils des Anciens et des Cinq-Cents qui l'entérinèrent, faisant ainsi entrer le nouveau régime dans la légalité. La prise de pouvoir de De Gaulle en 1958, qui s'apparente sous certains aspects à un coup d'État, a conclu à la fondation de la Constitution de 1958, en vigueur en France.
Une autre solution de régularisation d'un coup d'État peut être trouvée par un plébiscite, comme ceux de Napoléon III, ou par des élections. Ainsi, leur action politique se retrouve légitimée a posteriori. Toutefois, cette solution se déroule souvent après l'établissement d'une nouvelle Constitution, de manière autoritaire, sans recours au suffrage universel et au principe démocratique.
1.4 Nouvelles cibles des coups d'État modernes[modifier | modifier le wikicode]
À la prise des bâtiments publics, sièges des organes du pouvoir, s'est ajouté la prise de contrôle des médias : la presse lors du coup d'État du en France, la radio, dont la détention peut permettre de donner à la population des informations propres à décourager toute tentative de riposte au coup d'État, puis la télévision.
En outre dans la période moderne, les auteurs de coups d'État ont pris l'habitude de couper ou d'accaparer les moyens de communication (téléphone, télégraphe), les arsenaux, les gares, etc. Mais le contrôle des communications téléphoniques joua surtout un rôle essentiel
Par exemple, lors du putsch du à Alger, en coupant le réseau téléphonique normal, l'état-major rebelle, qui s'était installé au Commissariat central, prit le contrôle du réseau officiel, seul maintenu en service. Ainsi put-il suivre de là l'occupation des points stratégiques par les résistants entre 0 h 30 et 1 heure du matin, et garda-t-il ensuite le contact avec leurs chefs de groupe pendant toute l'opération. Mais surtout, c'est par ce réseau officiel, rendu seul utilisable, que les chefs de la résistance reçurent les appels alarmés des personnalités vichystes, réveillées par le duel d'artillerie du port survenu vers 3 heures du matin. Les résistants les convoquèrent alors au Commissariat central en leur faisant croire qu'on les y attendait pour organiser la résistance aux Alliés.
1.5 Auteurs de coups d'État[modifier | modifier le wikicode]
Les coups d'État sont habituellement effectués par des militaires contre des gouvernants civils, par exemple Augusto Pinochet au Chili.
Les putschs effectués par des civils ont généralement échoué, comme le Putsch de la Brasserie tenté par Adolf Hitler à Munich en 1923. Il y a au moins une exception, celle du putsch du à Alger, mais les 400 civils algérois, commandés par un étudiant de 22 ans, José Aboulker, furent soutenus par des officiers de réserve et quelques officiers d'active, comme les colonels Jousse et Baril.
Les auteurs des coups d'État appartiennent le plus souvent, eux-mêmes, à l'appareil d'État, comme ce fut le cas de Siéyès, Barras et Bonaparte. Certains coups d'État ont été organisés en Afrique par des individus soupçonnés de travailler pour les services secrets d'anciennes puissances coloniales, comme Bob Denard, afin de mettre en place un gouvernement qui leur soit plus favorable.
En France en 1981, alors que l'union de la gauche derrière Mitterrand était sur le point d'arriver au pouvoir (pour la première fois depuis 23 ans), certains craignaient un coup d'Etat de l'armée et de l'extrême droite. La victoire électorale de 1981 fait disparaître cette crainte.[4] Mais paradoxalement, la déception des milieux populaires par la gauche va créer les conditions d'une montée inexorable du FN.
2 Accueil réservé aux coups d'État[modifier | modifier le wikicode]
La prise du pouvoir par un coup d'État est loin d'être garantie si la population est très hostile au nouveau pouvoir, ou si des puissances étrangères décident d'intervenir.
2.1 Opinion publique[modifier | modifier le wikicode]
La population française fut majoritairement révolutionnaire et en faveur de la République en 1789-1793, mais le processus révolutionnaire lui-même (avec la Terreur, les guerres, l'effondrement économique...) conduisit à éroder le soutien populaire au fil du temps. C'est pourquoi après Thermidor, la réaction l'emporte progressivement, d'abord sous des formes républicaines de moins en moins démocratiques. De nombreux conflits entre groupes politiques ont encore lieu, mais les masses plébéiennes, lasses, ne soutiennent plus les Républicains radicaux. Un désir de retour à l'ordre l'emporte au sein de la bourgeoisie, de la paysannerie et de la petite-bourgeoisie. C'est pour cela que le coup d'État de Bonaparte du 18 brumaire a été bien accueilli.
Le putsch des généraux d', perpétré par quatre généraux connus, bénéficiait lui aussi de l'appui d'une partie de l'opinion, celle de l'Algérie française, mais pas au-delà car les Français de métropole, consultés précédemment par Charles de Gaulle sur l'autodétermination de l'Algérie, s'étaient prononcés massivement en faveur de sa politique (seule l'extrême droite appelait alors à un putsch contre De Gaulle[5]). En outre, dans les forces d'Afrique du Nord elles-mêmes, les soldats du contingent métropolitain qui disposaient de nombreuses radios portatives, reçurent directement l'appel prononcé par de Gaulle contre les généraux et refusèrent de suivre leurs supérieurs dans la rébellion.
En sens inverse, le putsch de 1942, à Alger également, a été accompli certes en accord avec la majorité des Français de métropole devenus non collaborationnistes, mais aussi en partie contre l'opinion locale, en majorité pétainiste sinon collaborationniste. Le coup n'en a pas moins réussi grâce au contexte international.
2.2 Ingérence étrangère[modifier | modifier le wikicode]
Des pays étrangers peuvent décider d'intervenir militairement contre le nouveau pouvoir, en particulier des puissances impérialistes qui s'estiment menacées dans leurs intérêts.
C'est pourquoi l'un des premiers actes des auteurs modernes de coup d'État est souvent d'affirmer que tous les accords internationaux seront respectés.
Le putsch du , déclenché contre les aspirations du milieu local, n'a réussi que grâce au contexte international, c’est-à-dire celui de l'opération Torch, sur le point de se produire, ce dont les comploteurs étaient informés depuis quelques jours.
La guerre froide a été une donnée majeure pendant des décennies pour le succès ou non d'un coup d'État. Lors coup d'État stalinien de Prague en 1948, les puissances occidentales ne sont pas intervenues parce que la Tchécoslovaquie était située dans la zone d'influence soviétique, telle que définie au sortir de la Seconde guerre mondiale.
3 Socialisme et coup d'État[modifier | modifier le wikicode]
Lors de la Révolution française, les Montagnards utilisaient des pratiques de Terreur appuyées sur l'auto-activité des masses sans-culottes. C'est de cette mobilisation des masses populaires qu'ils tiraient leur rapport de force face à la contre-révolution. Mais les républicains radicaux de la Montagne étaient loin d'avoir un lien organique avec les masses plébéiennes. La compréhension de ces rapports échappait à la plupart des acteurs de la Révolution. Si bien que beaucoup de républicains ont ensuite tenté des insurrections contre la vague montante de la réaction, dans un contexte défavorable. C'est le cas y compris des républicains proto-communistes autour de Babeuf.
Encore au 19e siècle, on trouvait des socialistes / communistes comme Blanqui qui misaient avant tout sur une conspiration débouchant sur un coup d'État, pour établir une vraie République sociale. Vers la fin du 19e siècle, cette pratique a beaucoup reculé du côté socialiste, car il apparaissait clair que le rapport de force de l'État est écrasant en temps de paix sociale. Les idées social-démocrates et marxistes sont devenues majoritaires, celles-ci mettant au centre l'auto-organisation de la classe ouvrière.
Trotski résumera cela :
« La conspiration est ordinairement opposée à l'insurrection comme l'entreprise concertée d'une minorité devant le mouvement élémentaire de la majorité. Et en effet : une insurrection victorieuse, qui ne peut être que l’œuvre d'une classe destinée à prendre la tête de la nation, par sa signification historique et par ses méthodes, est profondément distincte d'un coup d’État de conspirateurs agissant derrière le dos des masses. »[6]
Cependant, cela ne signifiait pas pour Trotski qu'il n'y avait pas de violence dans une révolution, et cela ne signifiait pas non plus qu'il ne pouvait pas y avoir quelques préparatifs secrets dans une insurrection, du moment que ceux-ci servent et s'inscrivent clairement dans une dynamique populaire.
4 Vocabulaire[modifier | modifier le wikicode]
L'historien Albert Vandal définissait le coup d'État par : « un acte violent d'une partie des pouvoirs publics contre l'autre ». Cette définition s'appuie sur l'observation de trois « coups d'État », celui du 18 fructidor de l'an V, celui du 18 brumaire de l'an VIII et celui du . En effet ces trois coups ont été menés par le pouvoir exécutif contre le pouvoir législatif[2]. Il est également à noter que lors du coup d'État du 22 floréal de l'an VI mis en œuvre par le Directoire et les Conseils contre le corps électoral, les candidats, nettement battus aux élections pour les Cinq-cents, furent cependant, en vertu d'une loi spéciale, déclarés élus à la place de leurs adversaires.
Le mot putsch, d'origine suisse allemande, précise que le coup d'État s'opère par la force armée. Il est communément utilisé en français, plus rarement en anglais qui utilise la formule française ou sa version abrégée, coup. Le terme putsch, qui provient du Züriputsch de 1839, a été popularisé par les coups d'État manqués de 1920 et 1923 en Allemagne (putsch de Kapp à Berlin et putsch de la Brasserie à Munich). L'expression « coup d'État » est passée notamment en indonésien (kudeta) et en japonais (クーデター, kūdetā).
Le terme pronunciamiento, repris de l'espagnol, désigne quant à lui une déclaration publique des chefs militaires, qui annoncent ne plus soutenir le gouvernement. La différence avec le coup d'État est que généralement, les militaires visent à provoquer une alternance pacifique, sans prendre le pouvoir pour eux-mêmes. Pour désigner le coup d'État en espagnol, on parle de golpe de Estado, ou simplement golpe.
5 Notes et références[modifier | modifier le wikicode]
- ↑ Voir le Cornu et le lexique de droit constitutionnel de MM. Avril et Gicquel
- ↑ 2,0 et 2,1 Brichet, Olivier. Auteur du texte, « Étude du coup d'État en fait et en droit : thèse pour le doctorat / présentée... par Olivier Brichet... ; Université de Paris, Faculté de droit », sur Gallica, (consulté le 31 octobre 2018)
- ↑ (es) Javier Fernández López, Militares contra el Estado : España siglos XIX y XX, Madrid, Taurus, , 1re éd., 303 p. (ISBN 84-306-0495-2), p. 245. Il remarque ainsi que « en 1980, plus de la moitié des gouvernements du monde l'étaient devenus grâce à ce procédé. »
- ↑ Nicolas Lebourg, Les médias, l'énarchisation du FN et la diabolisation de l’adversaire, Slate, 6 juin 2014
- ↑ Par exemple la Fédération des étudiants nationalistes.
- ↑ Léon Trotski, Histoire de la révolution russe - 44. L'art de l'insurrection, 1932
5.1 Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]
- Curzio Malaparte, Technique du coup d'État (1re édition française en 1931), Paris, Édition 10/18, 1964
- Donald J. Goodspeed, Six coups d'État, Paris, Éd. Arthaud, 1963
- Edward Luttwak, Le Coup d'État : manuel pratique, Paris, Éd. Robert Laffont, 1969
- « À l'heure du coup d'État », Parlement(s) : Revue d'histoire politique, n°12, 2009 (disponible sur le portail Cairn).
- Patrick Lagoueyte, Les Coups d'État. Une histoire française, CNRS éditions, 2021.