Bourgeoisie comprador

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Robert Hotung, comprador pour les anglais et homme le plus riche de Hong-Kong à la fin du 19e siècle

La bourgeoisie comprador désigne la classe bourgeoise qui, dans les pays dominés, tire sa richesse de sa position d'intermédiaire dans le commerce avec les impérialismes étrangers, par opposition aux bourgeois ayants des intérêts dans le développement de l'économie nationale (bourgeoisie nationale).

1 Origine du terme[modifier | modifier le wikicode]

Le terme "comprador" signifie "acheteur" en portugais. Le mot comprador désignait à l'époque coloniale un autochtone, fondé de pouvoir d'une firme étrangère, qui servait d'intermédiaire dans des opérations financières et marchandes entre les Européens et les autochtones en Asie du Sud-Est, notamment à partir des comptoirs portuguais comme Macao et Guangzhou (Canton) en Chine. Les compradores étaient engagés pour vendre aux locaux les marchandises des occidentaux.

Ces compradores étaient souvent riches. Robert Hotung, un célèbre compradore de la fin du 19e siècle au service du conglomérat commercial britannique Jardine, Matheson & Co. était l'homme le plus riche de Hong Kong à l'âge de 35 ans. Sous la première république de Chine il y eut plusieurs compradores notables, comme Zhang Jiahao de Shanghai et Tong king-sing du Guangdong.

2 Éléments historiques[modifier | modifier le wikicode]

L'importance du clivage entre la bourgeoisie comprador et la bourgeoisie nationale peut éclairer la compréhension de certains événements ou mouvements politiques.

2.1 Début du 20e siècle[modifier | modifier le wikicode]

Le 4e congrès de l’Internationale communiste (1922), qui élabore la tactique du « front unique anti-impérialiste », constate que l’impérialisme « transforme dans tous les pays arriérés la couche supérieure féodale (et en partie semi-féodale, semi-bourgeoise) de la société indigène en instrument de sa domination. […] Ainsi les classes dirigeantes des pays coloniaux et semi-coloniaux n'ont-elles ni la capacité ni le désir de diriger la lutte contre l'impérialisme, à mesure que cette lutte se transforme en un mouvement révolutionnaire de masses. »[1]

Le terme a en premier lieu été utilisé par les marxistes pour décrire la bourgeoisie portuaire d'Amérique Latine, directement liée aux capitaux étrangers.

Il a également été très utilisé pour la Chine. On le trouve par exemple dans un article de Mao de 1926.[2]

Trotski semblait considérer que la bourgeoisie russe d'avant 1917 tendait à être de plus en plus une bourgeoisie compradore, à l'image de celle de la Chine :

« Le système des compradores (intermédiaires commerciaux) en Chine présente le type classique d'une bourgeoisie nationale constituée en agence entre le capital financier étranger et l'économie de son propre pays. Dans la hiérarchie mondiale des États, la Russie occupait avant la guerre une place beaucoup plus élevée que celle de la Chine. Quelle place la Russie aurait-elle occupée après la guerre si la révolution n'était pas venue ? C'est une autre question. Mais l'autocratie russe, d'une part, la bourgeoisie russe, d'autre part, avaient des caractères de plus en plus marqués de compradorisme : l'une et l'autre vivaient et subsistaient de leur liaison avec l'impérialisme étranger, le servaient et ne pouvaient tenir sans s'appuyer sur lui. Il est vrai qu'à la fin des fins elles ne purent résister, même soutenues par lui. La bourgeoisie russe à demi comprador de la finance étrangère avait des intérêts impérialistes mondiaux au même titre qu'un agent rétribué par un pourcentage est intéressé aux affaires de son patron. »[3]

En 1922, l’Égypte obtient une indépendance formelle du Royaume-Uni, mais reste une semi-colonie : présence militaire britannique maintenue, domination directe du capital étranger... La colère gronde parmi les ouvriers, les paysans et la petite-bourgeoisie, surtout après que durant la Grande dépression, les élites décident de supprimer des programmes d'aide au développement qui aidaient la population.[4] Tout cela va alimenter la révolte, notamment du mouvement des officiers libres de Nasser (appuyé plutôt sur la petite-bourgeoisie nationaliste), contre la bourgeoisie compradore, qui débouchera sur la révolution de 1952.

2.2 Développementisme d'après-guerre[modifier | modifier le wikicode]

Dans l'après seconde guerre mondiale, de nombreux pays arrachent leur indépendance par rapport aux puissances colonisatrices. Mais ces pays qui seront bientôt appelés « Tiers-Monde » continuent à subir la domination économique des impérialistes et les ingérences politiques.

Dans les années 1950, quelques pays récemment décolonisés (Inde, Égypte, Yougoslavie, Indonésie...) forment le « mouvement des non-alignés », un ensemble qui réunira des régimes très divers (Cuba, l'Arabie saoudite...) mais ayant en commun de vouloir un rapport de force pour se développer indépendamment des deux blocs (Ouest / Est) de la guerre froide. C'est alors la principale voie qui parle pour le Tiers-Monde, même si bien évidemment, les grandes puissances, en particulier les soviétiques, vont également prétendre œuvrer pour leur développement.

Les gouvernements des pays décolonisés avaient souvent deux caractéristiques communes : une base sociale large (l'alliance paysannerie -classe ouvrière - petite-bourgeoisie qui avait permis les mouvements indépendantistes) et des politiques développementistes[5][6] (pour contenter cette base sociale large). Ces politiques passaient notamment par un interventionnisme d'État assez fort (permis par des gouvernements relativement au dessus des intérêts de classe immédiats - ce que des marxistes ont caractérisé comme bonapartisme sui generis) et du protectionnisme vis-à-vis de la concurrence des puissances impérialistes.

Ce mouvement va se disloquer (même s'il existe toujours formellement) dans les années 1970-1980, sous l'effet de deux facteurs principaux :

  • Les vieux pays impérialistes vont plus agressivement chercher à pénétrer les marchés de ces pays. Les institutions mondiales dominées par les impérialistes, comme la Banque mondiale et le FMI, vont conditionner leurs prêts à des réformes de libéralisation. Cela va être justifié par l'idéologie néolibérale qui devient alors hégémonique. En dernière instance la raison est le ralentissement économique du capitalisme (lié à la baisse des taux de profit).
  • Le développement relatif de ces pays a parallèlement fait émerger des classes bourgeoises plus fortes, qui ont pris le dessus et profité du tournant néolibéral pour tourner le dos à la politique « interclassiste », et entreprendre une liquidation des mesures sociales et économiques qui entravaient son enrichissement. Elles ont alors souvent repris le rôle typique de bourgeoisies compradore.[V 1]

2.3 Période récente[modifier | modifier le wikicode]

Le marxiste égyptien Samir Amin a étudié le rôle des compradores dans l'économie contemporaine dans un ouvrage de 2011[7]. L'économiste indien Ashok Mitra, a accusé les propriétaires et gestionnaires d'entreprises rattachées à l'industrie indienne du logiciel d'être compradore (cette analyse a conduit certains à utiliser l'expression de «dot.compradors»).

De nombreux mouvements nationaux / anti-impérialistes ont voulu s'appuyer sur une alliance des classes populaires et de la bourgeoisie nationale, souvent en brandissant l'étendard du socialisme ou du communisme.

  • le maoïsme
  • le nassérisme[8] ou ce que l'on a appelé le "socialisme arabe" en général
  • le chavisme ou le "socialisme bolivarien" en général

3 Notes  et sources[modifier | modifier le wikicode]

Vidéos

  1. Chaîne Oui d'accord, Le "Mouvement des non-alignés", juin 2022

Textes

  1. Internationale communiste, 4e congrès, Thèses générales sur la question d’Orient, 1922
  2. Mao Zedung, Analyse des classes dans la société chinoise, 1926
  3. Trotski, Histoire de la révolution russe, La Russie tsariste et la guerre, 1930
  4. Gelvin, James L. The Modern Middle East: A History. New York: Oxford University Press, 2008.
  5. Wikipedia, Developmental State
  6. Projet BaSES, L’Etat développementiste
  7. Samir Amin, Maldevelopment: Anatomy of a Global Failure, 2011
  8. “Arab Socialism” and the Nasserite National Movement, A. Sadi, 1963