Économisme (Russie)

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Le courant « économiste » en Russie était une des sensibilités des débuts de la social-démocratie. Il était représenté par les journaux Rabotchaïa Mysl et Rabotchéïé Diélo et il était une des cibles des attaques du groupe de l'Iskra (Plékhanov, Lénine, Martov...). On parle aussi de dérive économiste plus largement, dans d'autres contextes historiques.

1 Historique

1.1 Contexte

Dans les dernières années du 19e siècle, le marxisme se diffuse en Russie, et des groupes « social-démocrates » se forment dans divers endroits, avec des visions politiques et des priorités assez différentes. La répression tsariste rend difficile la diffusion d'une propagande et a fortiori la coordination d'un parti.

Une première tentative d'unification des marxistes a lieu avec le congrès de Minsk (1898), mais réunit peu de personne et les délégués sont aussitôt arrêtés. Un groupe de marxistes se réunit dans le milieu des émigrés russes en Europe, et décide de fonder un journal politique devant servir de point de ralliement pour la social-démocratie russe, l'Iskra. La rédaction regroupe des anciens comme Plékhanov, et des jeunes comme Lénine et Martov.

L'Iskra attache beaucoup d'importance à la lutte idéologique pour une doctrine marxiste cohérente et équilibrée, et dans ce but elle polémique contre les autres courants du socialisme (populisme, terrorisme, anarchisme...) et contre diverses variantes de marxisme, comme les « économistes ».

« Jusque vers 1890, la social démocratie resta un courant d'idées, sans lien avec le mouvement ouvrier de masse en Russie. Après 1890, la poussée sociale, l'effervescence et le mouvement gréviste des ouvriers firent de la social démocratie une force politique active, indissolublement liée à la lutte (économique aussi bien que politique) de la classe ouvrière. Or, à cette même époque, commence la scission de la social démocratie en “ économistes ” et “ iskristes ”.  »[1]

1.2 Les économistes russes

Dans beaucoup de cercles social-démocrates, une vision particulière du marxisme se manifestait. Des militants soutenaient qu'il fallait lutter principalement pour les  « revendications économiques » ( l'amélioration des conditions de vie immédiate des ouvriers, salaires, conditions de travail...), et laisser les « revendications politiques » à la bourgeoisie libérale.

Ils furent rapidement appelés les « économistes ». Ils écrivaient dans les journaux Rabotchaïa Mysl et Rabotchéïé Diélo.

« Le journal Rabotchaïa Mysl et la revue Rabotchéié Diélo [...] étaient les porte-parole de l'économisme, minimisaient l'importance de la lutte politique [...]» [2]

Le courant économiste trouvait en partie sa justification théorique dans le « marxisme légal », un courant véhiculant une vision académique et non subversive du marxisme, toléré par le régime (d'où son nom). Ils avaient en commun d'invoquer l'état arriéré de la masse des ouvriers en Russie, et de limiter les objectifs du mouvement ouvrier, sans tâches politiques indépendantes ni objectif révolutionnaire.

Les militants de ce courant, comme les autres social-démocrates, militaient avec les moyens du bord et dans de grandes difficultés organisationnelles (du « travail artisanal »). Mais pour les iskristes, la conception économiste était un obstacle à la création d'un parti efficace, en raison de sa théorisation de la priorité au local, au « concret », etc.

« Le manque de préparation pratique, de savoir-faire dans le travail d'organisation nous est réellement commun à tous, même à ceux qui dès le début s'en sont toujours tenus au point de vue du marxisme révolutionnaire. Et certes, nul ne saurait imputer à crime aux praticiens ce manque de préparation. Mais ces “méthodes artisanales” ne sont pas seulement dans le manque de préparation; elles sont aussi dans l'étroitesse de l'ensemble du travail révolutionnaire en général, dans l'incompréhension du fait que cette étroitesse empêche la constitution d'une bonne organisation de révolutionnaires; enfin - et c'est le principal - elles sont dans les tentatives de justifier cette étroitesse et de l'ériger en “théorie” particulière c'est à dire dans le culte de la spontanéité, en cette matière également.  »[3]

1.3 La critique de Lénine et de l'Iskra

L'Iskra dénonçait la position économiste comme de l'opportunisme, mettant la classe ouvrière à la remorque de la bourgeoisie, et défendaient ainsi l'importance de construire le POSDR comme parti de classe indépendant.

Lénine écrit en 1901 un texte qui deviendra célèbre, Que Faire ?, dans lequel il résume la ligne de l'Iskra, en vue du 2e congrès du POSDR qui est aura lieu en juillet 1903. Pour Lénine, la lutte pour développer au sein du prolétariat une idéologie social-démocrate (c'est-à-dire à l'époque, marxiste révolutionnaire), est fondamentale :

« Du moment qu'il ne saurait être question d'une idéologie indépendante, élaborée par les masses ouvrières elles-mêmes au cours de leur mouvement, le problème se pose uniquement ainsi : idéologie bourgeoise ou idéologie socialiste. Il n'y a pas de milieu ([...] dans une société déchirée par les antagonismes de classes, il ne saurait jamais exister d'idéologie en dehors ou au dessus des classes). C'est pourquoi tout rapetissement de l'idéologie socialiste, tout éloignement vis-à-vis de cette dernière implique un renforcement de l'idéologie bourgeoise. On parle de spontanéité. Mais le développement spontané du mouvement ouvrier aboutit justement à le subordonner à l'idéologie bourgeoise, Il s'effectue justement selon le programme du Credo, car le mouvement ouvrier spontané, c'est le trade-unionisme, la Nur-Gewerkschaftlerei; or le trade-unionisme, c'est justement l'asservissement idéologique des ouvriers par la bourgeoisie. C'est pourquoi notre tâche, celle de la social-démocratie est de combattre la spontanéité, de détourner le mouvement ouvrier de cette tendance spontanée qu'a le trade-unionisme à se réfugier sous l'aile de la bourgeoisie, et de l'attirer sous l'aile de la social-démocratie révolutionnaire. »[3]

Pour appuyer la nécessité de cette intervention politique, Lénine cite Kautsky, qui venait d'écrire dans Neue Zeit que la classe ouvrière ne pouvait parvenir spontanément qu'à une conscience de type syndical (« trade-unioniste »), et que la conscience révolutionnaire (« social-démocrate ») devait être apportée de l'extérieur par des intellectuels bourgeois. Kautsky polémiquait alors contre Bernstein, qui disait que « le mouvement est tout, le but n'est rien ».

Il écrit également, au sujet de la conscience de classe véritable :

« La conscience de la classe ouvrière ne peut être une conscience politique véritable si les ouvriers ne sont pas habitués à réagir contre tous abus, toute manifestation d'arbitraire, d'oppression, de violence, quelles que soient les classes qui en sont victimes, et à réagir justement du point de vue social-démocrate, et non d'un autre. La conscience des masses ouvrières ne peut être une conscience de classe véritable si les ouvriers n'apprennent pas à profiter des faits et événements politiques concrets et actuels pour observer chacune des autres classes sociales dans toutes les manifestations de leur vie intellectuelle, morale et politique, s'ils n'apprennent pas à appliquer pratiquement l'analyse et le critérium matérialistes à toutes les formes de l'activité et de la vie de toutes les classes, catégories et groupes de la population. Quiconque attire l'attention, l'esprit d'observation et la conscience de la classe ouvrière uniquement ou même principalement sur elle-même, n'est pas un social-démocrate; car, pour se bien connaître elle-même, la classe ouvrière doit avoir une connaissance précise des rapports réciproques de la société contemporaine, connaissance non seulement théorique... disons plutôt : moins théorique que fondée sur l'expérience de la vie politique. Voilà pourquoi nos économistes qui prêchent la lutte économique comme le moyen le plus largement applicable pour entraîner les masses dans le mouvement politique, font oeuvre profondément nuisible et profondément réactionnaire dans ses résultats pratiques. [...] Ces révélations politiques embrassant tous les domaines sont la condition nécessaire et fondamentale pour éduquer les masses en vue de leur activité révolutionnaire. »[3]

Selon Lénine, les « économistes » et les « terroristes » ont en commun de tout miser sur la spontanéité des masses (« spontanéisme »).

2 Notes et sources