IV. Deux trajectoires

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1. La majorité falsifie notre histoire.[modifier le wikicode]

Au CEI de décembre 1972, les camarades de la majorité ont adopté une résolution sur l'Argentine où ils mettent sérieusement en cause notre organisation. En quelques lignes de deux thèses est refaite toute notre histoire. Alors qu'aucune documentation n'était apportée et qu'aucune ébauche de preuve de ce qui était affirmé n'était donné, cette « histoire » fut, de manière surprenante, adopté.

Il s'est passé à peu près la même chose quand fut adopté le document européen. En votant pour la stratégie de l'entrisme « sui generis », sans preuves ni documentation, c'est la trajectoire de presque 20 ans des camarades Germain, Frank et Maïtan qui fut approuvée.

La « guérilla » au sein de l'Internationale[modifier le wikicode]

Ces deux votes sont un peu comme la méthode « guérillero » appliquée à la vie interne de notre Internationale : tous les deux ont été faits par surprise, personne n'était au courant qu'il fallait voter pour ou contre l'histoire de notre parti depuis son origine, ni pour ou contre une « stratégie » qui appartenait déjà au passé de notre Internationale. Avec cette méthode, les camarades de la majorité ont établi un très mauvais précédent: voter sur des résolutions historiques, sans aucune sorte de discussion préparatoire ni documentation. De plus, ils ont violé ainsi un des accords de la réunification qui était précisément de ne traiter que des questions concernant notre orientation et pas de celles concernant l'histoire de notre mouvement.

Finalement, en votant sur une question qui n'a rien à voir avec notre politique présente ni avec la situation actuelle de la lutte de classes, les camarades de la majorité ont rompu avec une tradition du mouvement trotskiste. Mais, bien que nous le regrettions, les résolutions que nous commentons ont déjà été adoptées et nous sommes donc obligés, contre notre volonté, de nous y référer.

Les raisons de la majorité pour reconnaître la tendance Posadas comme section officielle

Dans la thèse 13 de la résolution sur l'Argentine sont faites des affirmations ou insinuations gratuites contre notre organisation. Nous les réfuterons sommairement afin de ne pas faire de cette question un livre de deux ou trois tomes. Voyons chacune de ces affirmations.

En 1951, la direction de l'Internationale et le Congrès mondial ont reconnu le groupe Posadas comme section officielle argentine. Se référant à cette reconnaissance, la thèse dit :

« L'élection en faveur de la tendance Posadas fut déterminée fondamentalement sur une base politique : la tendance Moreno se caractérisait à l'époque par une analyse totalement fausse du régime péroniste, et par une attitude sectaire vis à vis du mouvement de masse que le péronisme dirigeait ». (L. Maïtan : "La crise politique et les perspectives de la lutte révolutionnaire en Argentine", BI n°2, p.17).

Il n'y a pas de preuves écrites, mais il n'en fut pas ainsi. Des camarades qui ont abandonné le mouvement et qui sont donc neutres confirmeront tôt ou tard qui dit la vérité. La résolution a raison sur un certain aspect, nous avons eu une position sectaire vis à vis du péronisme.

Mais cela jusqu'en 1948, pas 1951, date de la reconnaissance de Posadas. Tous les documents sur l'histoire de notre parti le signalent.

La véritable politique de la tendance Posadas[modifier le wikicode]

Mais à ce fait, il faut en ajouter d'autres très importants. En premier lieu, la tendance Posadas a milité dans la social-démocratie pro-américaine, sans ouvrier et en marge du mouvement des masses péronistes quand ce mouvement est apparu. En second lieu, notre sectarisme ne nous a pas entraînés jusqu'à méconnaître le mouvement des masses péronistes, au contraire, nous avons été la première organisation de gauche à commencer à travailler, avec succès, dans les syndicats péronistes (ce qui nous a valu d'être accusés de « pro-nazi » par toute la gauche argentine qui, le stalinisme en tête, définissait le péronisme comme un mouvement fasciste). En troisième lieu, la tendance Posadas, constatant notre succès dans le travail au sein des syndicats péronistes, fit un tournant à 180° vers le mouvement syndical péroniste, deux ans après nous. En quatrième lieu, ce tournant de la tendance Posadas fut, dès le début, une capitulation idéologique totale devant le péronisme, une position totalement opportuniste, exactement comme celle qu'ils maintiennent actuellement (aux élections de mars-avril, le groupe Posadas a soutenu le FREJULI et Peron).

Il existait bien une documentation complète de la politique du groupe de Posadas à la date de sa reconnaissance, mais elle ne fut jamais rendue publique par les camarades de la majorité, ni avant ni après le vote de la résolution, car s'ils l'avaient fait les résultats auraient été bien piteux.

La future section officielle a soutenu l'impérialisme contre la Corée du Nord[modifier le wikicode]

A la date de la reconnaissance du groupe Posadas, notre organisation dénonçait de toutes ses forces le gouvernement péroniste pour sa position ultraréactionnaire : il était le premier pays du monde à soutenir l'impérialisme yankee dans son agression contre la Corée du Nord. Le posadisme, pour sa part, soutenait totalement le gouvernement péroniste, disant qu'il avait libéré le pays de l'impérialisme, et faisant une intense campagne d'agitation pour la Corée du Sud et contre la Corée du Nord.

Quand nous avons porté cette question et la documentation correspondante au Congrès mondial, Pablo, rapporteur officiel du SI et en faveur de la reconnaissance de Posadas, expliqua que ce groupe n'était pas reconnu pour ses positions politiques et que même si celles-ci étaient erronées, en ce qui concerne le gouvernement péroniste et la Corée, ce qui comptait était son caractère prolétarien. Ce prétendu caractère prolétarien les rendait disciplinés, alors que nous étions prétendument des petits bourgeois prétentieux, puisque nous défendions nos positions à mort et refusions de reconnaître nos "erreurs". Quelle était cette grande preuve de discipline donnée par Posadas ? : Après avoir reçu une communication du SI contre sa position sur la Corée, il l'a changée instantanément, comme par magie. Cette obéissance souple, acrobatique (appelée « discipline » par le SI) pour retourner sa position à 180° sur la plus importante lutte révolutionnaire du moment dans le monde entier, était la garantie pour que s'accomplisse le véritable objectif du SI: l'unification du trotskisme argentin !

Quelles furent les « virulentes polémiques » que nous avons provoqué dans le Comité International ? Qui avait raison ?[modifier le wikicode]

Passons à la seconde affirmation de la majorité :

« Pendant la période de la scission, le groupe de Moreno se lia au Comité International, mais à plusieurs occasions il prit des positions qui n'étaient pas partagées par les autres composantes du Comité et provoquèrent de virulentes polémiques surtout en Amérique latine. » (idem, p, 17).

Il est absolument certain que quelques-unes de nos positions ne furent pas partagées par le reste du CI et provoquèrent de « virulentes polémiques ». Mais cela n'est pas un péché. Pourquoi les camarades de la majorité ne disent pas quelles étaient ces positions et qui avait raison? Pourquoi cachent-ils ce problème derrière le terme occulte de « virulentes polémiques » ? Nous allons préciser quelles furent ces polémiques dont il existe une abondante documentation.

1) Discussion avec le camarade Luis Vitale pour savoir s'il fallait impulser ou non en Bolivie le mot d'ordre de « Tout le pouvoir à la COB » et aux milices ouvrières et paysannes, et pour savoir si l'armement du prolétariat et de la paysannerie dans des milices subordonnées à la COB était ou non un double pouvoir. Le camarade Vitale pensait que non et nous si. Après une polémique assez forte le camarade Luis Vitale reconnut qu'il avait tort.

2) Discussion avec la tendance dirigée par le camarade Luis Vitale sur le groupe Moller en Bolivie. La tendance Vitale pensait que c'était le groupe le plus progressiste, nous pensions qu'il était révisionniste et la pire variante de notre mouvement. Les camarades de la tendance opposée à la nôtre firent leur autocritique.

3) Discussion infernale avec le même camarade et sa tendance sur le rôle de l'impérialisme yankee: Luis Vitale soutenait qu'il n'était pas agressif et ne colonisait pas l'Amérique latine, nous affirmions que si. Le camarade Vitale fit son autocritique en acceptant nos positions.

4) Discussion très dure avec les lambertistes pour leur lenteur à changer de position sur le soutien au MNA ou au FLN en Algérie.

5) Nouvelle discussion, la plus forte, avec le camarade Vitale sur le castrisme et le rôle de Cuba. Le camarade Vitale pensait que la révolution cubaine n'avait aucune importance, qu'elle ne changeait en rien le rapport de forces et n'ouvrait pas de nouvelle étape dans la lutte de classes en Amérique latine. Nous pensions le contraire.

6) Parallèlement, une autre discussion eut lieu autour de la lutte armée, et de la guerre de guérillas, Luis Vitale soutenait que ce problème n'entrait pas dans le trotskisme orthodoxe, nous disions que si, qu'il fallait intégrer la guerre de guérillas au Programme de transition, dans le cadre général de la lutte armée.

7) Discussion sur notre entrisme dans les 62 organisations syndicales péronistes. Le camarade Vitale soutenait que notre tactique, et principalement de ne pas avoir d'organe indépendant, était opportuniste. Nous soutenions que c'était un entrisme indirect et tactique pour peu de temps dans le mouvement ouvrier péroniste. Nous entrions dans les 62 organisations, une organisation politico-syndicale parce qu'elle regroupait les meilleurs éléments de la classe ouvrière et que c'est par elles qu'étaient dirigées toutes les luttes contre le régime de la « Révolution libératrice » (issu du coup d'Etat pro-impérialiste qui avait renversé Peron). Nous ne devions nous y soumettre à aucune discipline politique nous interdisant d'exprimer publiquement nos positions, la seule exigence était d'accepter formellement la discipline du Conseil supérieur péroniste et de quitter nos vestes dans les réunions syndicales (de là vient le nom de « dépoitraillés » donné aux militants péro­nistes).

Ce sont là toutes les grandes divergences, parfaitement documentées, qui apparurent au CI. Sur 7 discussions, nos adversaires firent leur autocritique sur 3, les faits nous donnèrent raison sur 3 autres (Algérie et les 2 sur Cuba), et nous soutenons que la dernière fut correcte en ce qui concerne notre entrisme dans les 62 organisations péronistes. Mais même si pour cette dernière nous nous étions trompés, comme le disent les camarades de la majorité, avons-nous mal fait en menant ces discussions et en défendant nos positions ? Sommes-nous coupables de ces « virulentes polémiques » qu'elles déchaînèrent ? Les camarades de la majorité connaissent-ils une autre « virulente polémique » que nous n'ayons pas mentionnée ? Si oui, qu'ils nous disent laquelle, ou lesquelles, et apportent la documentation correspondante.

Le contexte de nos erreurs théorico-politiques : nous avons été écartés de l'Internationale pour avoir refusé d'obéir à un dément[modifier le wikicode]

En plus des charges que nous avons vues, il en fut porté d'autres contre nous, de type théorico-politique. Certaines sont formulées dans la lettre de Domingo : « attitude face au mouvement péroniste, rôle éventuel de la classe moyenne, politique d'alliances, caractères du Programme de Transition de 1938, caractérisation de la direction du PC chinois et de la révolution culturelle ». La seule chose que nous pouvons dire c'est que, effectivement, nous avons commis beaucoup d'erreurs théorico-politiques au cours du développement de notre parti et que nous avons fait notre autocritique sur toutes ces erreurs. Mais nous critiquer pour ces erreurs, sans les placer dans le contexte politique dans lequel nous nous développions, est totalement déloyal de la part des camarades de la majorité. Et surtout parce qu'ils furent les responsables de ce contexte politique.

Nous avons dû nous former totalement seuls. Pendant des années et des années, les portes de notre Internationale nous ont été hermétiquement fermées pour un seul et unique « péché » fondamental : nous refusions de capituler devant le dément que les camarades de la majorité avaient désigné comme vice-roi de l'Internationale en Amérique latine, Posadas. Ne pas dire que Posadas a fait partie intégrante de la direction de notre Internationale, avec le soutien sans restriction des camarades Germain, Pablo, Frank et Maïtan; ne pas dire que ce fou a fait ce qu'il voulait pendant des années et des années ; ne pas dire que Posadas a rendu fou tout le trotskisme latino-américain en prenant des positions démentielles et en pratiquant des manœuvres de maniaque ; ne pas dire que ces manœuvres et ces positions eurent le soutien inconditionnel des camarades Pablo, Germain et Frank ; ne pas dire que pour avoir re­fusé d'obéir à un tel délire, on nous écarta de l'Internationale ; ne pas dire tout cela, c'est ne pas situer notre trajectoire - avec ses erreurs théorico-politiques - dans le contexte politique où elle s'est déroulée.

Par ailleurs, ces erreurs théorico-politiques, dont nous avons fait la critique, ne sont pas du tout aussi graves que l'affirme la résolution. Mais comme tout problème théorique, cela mérite une discussion sérieuse et doit être considéré avec l'ensemble de nos apports ; cela ne peut en aucune manière faire l'objet d'une simple énumération en quelques lignes d'une résolution comme l'ont fait les camarades de la majorité.

Qui a lutté contre les déviations opportunistes de notre organisation ?[modifier le wikicode]

Il y a finalement une accusation permanente contre nous: notre capitulation devant le péronisme. Il est totalement certain que, à partir de notre entrisme, et principalement après la publication de « Palabra Obrera », notre organisation a subi de graves déviations opportunistes.

Toutes ces déviations eurent une origine commune : la capitulation devant le péronisme et la bureaucratie syndicale. Bien plus, les tendances capitulatrices furent à la direction de notre organisation pendant longtemps. Mais ceux qui nous en accusent oublient de dire qu'il y eut de grandes luttes de tendances et de fractions contre les tendances capitulatrices devant le péronisme. Ils ne disent pas que les camarades Ernesto Gonzalez et Nahuel Moreno formèrent toutes sortes de fractions et de tendances et écrivirent de nombreux documents internes contre ces tendances qui capitulaient devant le péronisme. Ils ne précisent pas que cette lutte fractionnelle signifia leur mise à l'écart de la direction du parti, les laissant faire tapisserie. Nous avons toute la documentation dont les camarades de l'Internationale peuvent avoir besoin pour le démontrer. Les camarades de la majorité approuvent-ils notre lutte contre les déviations opportunistes et capitulatrices devant le péronisme menées par la vieille direction majoritaire de « Palabra Obrera » ? Ou nous rendent-ils responsables des erreurs et des déviations de cette direction ? Les trotskistes approuvent-ils la lutte de Lénine contre les erreurs opportunistes des vieux bolcheviks, ou le rendent-ils responsable de ces erreurs ?

Une question à laquelle les camarades de la majorité ne peuvent pas répondre[modifier le wikicode]

La réponse à cette question par les camarades de la majorité est très importante, car les tendances guérillériste antérieures ainsi que la dernière (le PRT(C)) se sont nourries précisément de ces vieux secteurs opportunistes. Et c'est encore plus important car notre parti actuel est la conséquence des profondes luttes fractionnelles que nous avons menées contre elles. C'est pour cela que nous estimons impossible, même en hurlant pour l'exiger, que les camarades de la majorité répondent clairement à cette question. S'ils répondent qu'ils n'approuvent pas notre lutte contre les tendances qui capitulaient devant le péronisme, ils doivent soutenir la politique capitulatrice de ces tendances (qu'ils nous attribuent). S'ils répondent qu'ils approuvent notre lutte contre elles, cela les amène à se revendiquer de notre trajectoire en général et de notre parti actuel. C'est pour cela que les camarades de la majorité cachent (car ils les connaissent parfaitement) ces luttes tendancielles et la position que nous avons prise au cours de ces luttes.

Ce document tente de démontrer que toutes les charges politiques concrètes que l'on porte contre nous dans cette dernière période sont fausses. Nous n'entrerons pas dans la discussion à fond de toutes nos erreurs théorico-politiques car, comme nous l'avons dit, une discussion théorique doit être faite d'une manière sérieuse et documentée, et ne peut faire en aucun cas l'objet d'une résolution. Mais il nous reste quelque chose d'important à dire.

Un mérite dont nous sommes fiers: malgré la majorité, nous sommes restés trotskistes[modifier le wikicode]

Malgré toutes les erreurs théorico-politiques, notre parti est aujourd'hui en Argentine le seul parti formé par des cadres trotskistes. Les deux reconnaissances officielles faites par les camarades Germain, Frank, Maïtan et Pablo se sont révélées funestes dès la première occasion pour notre mouvement à l'échelle mondiale. Posadas et le PRT(C) sont aujourd'hui les ennemis mortels de la IVème Internationale. Et la véritable histoire c'est que la seule organisation trotskyste conséquente de ces trente dernières années dans notre pays est la nôtre.

C'est notre plus grand mérite et nous en sommes profondément fiers.

Mais les camarades de la majorité ressemblent à des censeurs et non à des camarades qui sont aujourd'hui dans la même organisation. Ils auraient dû dire : « Le parti argentin a commis au cours de sa trajectoire de nombreuses erreurs théorico-politiques, nous avons eu souvent des divergences avec lui et il reste encore beaucoup de questions politiques concrètes sur lesquelles nous divergeons, mais nous revendiquons totalement sa trajectoire. Nous la revendiquons car, bien que nous nous soyons trompés en reconnaissant Posadas et en isolant ces camarades de l'Internationale (créant ainsi un terrain propice aux erreurs) jusqu'à ce que Posadas devienne l'ennemi de la IV° Internationale ; bien que nous nous soyons encore trompés en reconnaissant le PRT(C) jusqu'à ce qu'il devienne l'ennemi de la IVème lnternationale ; malgré tout cela les camarades du parti argentin sont restés trotskystes et ont défendu à mort notre parti mondial, et aujourd'hui, en plein milieu d'une dure polémique, ils continuent à le défendre. Nous, majorité de l'Internationale, nous avons tout fait pour que les camarades argentins nous tournent le dos ainsi qu'à notre mouvement. Malgré cela, ils sont plus trotskystes que jamais et sont plus fermement que jamais avec la IVème lnternationale, alors que ceux que nous soutenions hier sont devenus nos ennemis. Rien que pour cela, nous revendiquons la trajectoire des camarades argentins ».

Un coup d'œil sur la trajectoire de nos censeurs[modifier le wikicode]

Mais les camarades de la majorité ne disent rien de tout cela. Au contraire, ils se sont érigés en véritables censeurs de notre organisation et sont prêts à nous excommunier. De quel droit politique assument-ils ce rôle ? Est-il certain que les camarades de la majorité ont eu une trajectoire politique impeccable et n'ayant eu que des réussites à la direction de notre Internationale ? Ils doivent le croire car, contrastant avec notre scrupulosité presque maniaque à découvrir nos propres erreurs et à nous critiquer publiquement, nous ne connaissons aucune autocritique importante faite par les camarades de la majorité.

Cependant, il est curieux que la résolution politique de décembre 72 que nous commentons ici ne touche pas notre politique face aux grands faits de la lutte de classes internationale. C'est vraiment dommage car, pour les marxistes, le critère qui définit le mieux le caractère de l'orientation d'une organisation ou d'une tendance est justement sa politique internationale. C'est dommage également parce que les problèmes que connaissent le mieux les nouveaux camarades qui sont entrés dans l'Internationale (la grande majorité de ses cadres) sont précisément les problèmes internationaux, étant donné que la discussion sur les problèmes nationaux exige une longue explication de la multitude de facteurs, peu connus par les camarades de la base de l'Internationale, qui déterminent à chaque moment une réponse politique adéquate.

Nous affirmons qu'il n'y a pas de meilleure façon pour démontrer l'opportunisme d'une organisation que de signaler ses capitulations devant les grands événements internationaux. Et nous affirmons également que, pour la majeure partie de ces grands événements, les camarades de la majorité de l'Internationale se sont trompés dans l'analyse, la caractérisation, les prévisions et les orientations. Nous affirmons que dans la grande majorité des cas, l'orientation que nous avons proposée fut correcte tandis que nos censeurs, les camarades Germain, Frank, Maïtan et compagnie tombaient dans l'opportunisme. C'est ce que nous allons démontrer.

2. La trajectoire de la majorité : des pronostics apocalyptiques et des conclusions politiques erronées.[modifier le wikicode]

Le document européen de la majorité prédit que viendra une période de « 4 ou 5 ans avant que ne se produisent des batailles décisives ». Et dans tous les documents de la majorité - mais surtout dans ceux du camarade Germain - on prévoit l'avenir avec des comparaisons relatives au fascisme ou au nazisme. Pour les camarades de la majorité, si nous ne comprenons pas leur stratégie, nous courons le risque de voir le fascisme triompher en Amérique latine et dans le monde. Par contre, si nous y adhérions, nous ne tomberions pas dans ses griffes sans au moins lutter. Cette véritable manie pour les pronostics erronés est une constante de la trajectoire politique du camarade Germain et des dirigeants les plus connus de la majorité. Pour corroborer cette affirmation, nous sommes obligés de faire un peu d'histoire.

Quelques faits importants de ces 25 dernières années[modifier le wikicode]

Si nous avions à signaler les faits les plus importants de l'économie et de la politique de ces 25 dernières années, nous sommes sûrs que parmi eux figureraient ceux-ci :

1) Le "boom" économique impérialiste d'après-guerre et la colossale renaissance de l'économie capitaliste allemande ;

2) La transformation de l'Europe de l'Est en Etats ouvriers « déformés » ;

3) La révolution chinoise ;

4) La politique permanente de coexistence pacifique de l'URSS avec l'impérialisme. L'impossibilité pour l'impérialisme de faire une guerre mondiale dans les années 50 ;

5) La trajectoire et le caractère stalinien des PC chinois et yougoslave. La nécessité, par conséquent, de la révolution politique et de la construction de partis trotskystes dans ces deux pays ;

6) L'aiguisement de la lutte de classes dans le monde colonial jusqu'à des soulèvements dans de nombreux pays (Algérie, Congo, etc.) ;

7) La révolution cubaine et ses répercussions à l'échelle mondiale ;

8) L'agression de l'impérialisme américain contre la Corée et dernièrement contre le Viêt-nam ;

9) La naissance d'un mouvement anti-guerre international contre l'intervention de l'impérialisme américain au Viêt-nam, avec un soutien important dans la population des Etats-unis ;

10) La radicalisation de la jeunesse dans le monde entier ;

11) La montée du mouvement des masses en Europe à partir du milieu des années 60, avec son épicentre en France, en Irlande du Nord, en Grèce et en Espagne ;

12) La lutte armée, avec des caractéristiques de guerre civile dans deux pays latino-américains (après Saint Domingue), Bolivie et Chili ;

13) La fin sanglante de l'expérience réformiste d'Allende au Chili.

Tous ces faits sont mieux connus par les camarades de l'Internationale que les problèmes tactiques nationaux. Les camarades de la majorité commettent une « erreur » en ne tentant pas de démontrer notre opportunisme et nos erreurs de méthode au moyen de ces exemples. Et c'est dommage car sur nombre de ces points cruciaux nous avons eu de profondes divergences. Sur d'autres, notre mouvement dans son ensemble a eu apparemment une appréciation commune. Dernièrement, certains documents de la majorité nous en font douter, mais laissons de côté ceux-ci et voyons les analyses sur lesquelles nous avons critiqué ou divergé de la majorité.

A) Le "boom" économique d'après-guerre et la colossale renaissance de l'économie capitaliste allemande[modifier le wikicode]

Pour les années 46-48, la majorité de notre mouvement, Pablo et Germain en tête, soutenait que l'impérialisme américain allait vers sa plus grande crise économique et que l'économie européenne resterait dans la stagnation et le marasme :

« La renaissance de l'activité économique des pays capitalistes affectés par la guerre, en particulier les pays d'Europe continentale, sera caractérisée par un rythme particulièrement lent, qui la maintiendra pour longtemps à un niveau proche de la stagnation et du marasme. ». « L'économie nord-américaine étant la seule qui puisse satisfaire les besoins immédiats du marché mondial, elle pourra connaître un développement relatif qui stimulera le plein fonctionnement de son appareil productif ». « Cependant, les capacités limitées du marché intérieur et mondial s'opposeront dans un bref délai à cet accroissement de la pro­duction. ». « Les Etats-unis s'achemineront vers une nouvelle crise économique, plus profonde et plus étendue que celle de 29-33, dont les répercussions ruineront l'ensemble de l'économie capitaliste mondiale ».

Pour la même époque, Germain et ses amis prévoyaient que l'Allemagne resterait un pas en arrière, et ils s'opposaient énergiquement « aux plans destinés à transformer le centre industriel de l'Europe en un semi-désert agricole... » (QI, avril-mai 46).

Deux ans plus tard, en plein début d'application du plan Marshall, ils insistaient sur :

« On doit considérer que la politique souhaitée et appliquée de manière conséquente (du plan "Morgenthau" aux accords de Potsdam) par les vainqueurs a été celle de la destruction partielle de ce potentiel, de la transformation du peuple allemand en un "peuple de bergers" et de l'élimination définitive de sa puissance industrielle ». ("La ruine de l'économie allemande", Ernest Germain, QI, janvier 48, p.31).

Dans ce même article, pour que personne ne pense qu'il se limitait à nous décrire les plans de l'impérialisme pour l'Allemagne, le camarade Germain nous lançait un autre de ses célèbres pronostics :

« La tendance du mouvement économique est, en conséquence, nettement celle d'une dissolution du marché capitaliste "classique" et d'une paupérisation progressive et, paralysée par le démembrement de son propre corps, l'économie allemande ne pourra pas se réanimer sensiblement, malgré les injections d'oxygène que lui pratique l'impérialisme nord américain ». (Id. p.35)

Pour 1948, presque un an après le début du plan Marshall, le camarade Germain proposa un projet de résolution sur l'Allemagne au IIème Congrès mondial. Il y disait que l'Allemagne allait être réduite à devenir un pays arriéré à caractère agricole.

Contre ces conceptions fatalistes sur l'économie impérialiste se forma dans notre Internationale, entre 46 et 48, une tendance constituée par la majorité anglaise et notre parti. Entre autres documents, nous pouvons citer le premier qui donna naissance à la tendance :

« Tous les facteurs, à l'échelle mondiale et européenne, indiquent que l'activité économique en Europe occidentale pour la prochaine période ne peut pas être caractérisée par la "stagnation et le marasme" mais comme une période de récupération et de développement. » (QI, décembre 46, p.46)

La résolution que nous proposions en tant que tendance au IIème Congrès fut repoussée au profit de la ligne du camarade Germain ci-dessus. Ce ne fut pas le cas de son projet sur l'Allemagne qui fut rejeté par le Congrès grâce à une motion contre de Pablo, Roura et Moreno. Nous citons tous ces faits car, a l'exception de la discussion entre défensistes et anti-défensistes, la lutte tendancielle la plus importante d'avant-guerre jusqu'au II° Congrès mondial fut cette polémique sur les perspectives économiques.

(Il est bon de préciser que, malgré notre accord avec la majorité anglaise sur ce problème, nous ne formions aucune tendance politique avec eux. Bien plus, nous avons voté pour la politique d'entrisme dans le travaillisme de la minorité anglaise - formée des partisans de Pablo-Germain -. Nous avons voté cela pour des raisons distinctes de celles de ces camarades: parce que nous pensions que c'était l'orientation correcte pour l'étape de paix sociale qui s'ouvrait dans le mouvement ouvrier anglais, comme conséquence de la trahison travailliste et de la reconstruction économique.).

B) La transformation de l'Europe de l'Est en Etats ouvriers « déformés »[modifier le wikicode]

En 46, Germain et ses amis soutenaient que la bureaucratie soviétique, par « nature de classe » défendait la « propriété privée » et le « capitalisme d'Etat » dans l'Europe de l'Est. En avril 46, ils définirent ainsi la politique de la bureaucratie soviétique :

« (...) « inhérente à sa nature de classe », comme la tentative de combiner d'une certaine manière le régime de la propriété privée avec un régime de capitalisme d'Etat, une fois assuré son propre contrôle sur l'Etat » (QI, décembre 46, p.39).

C'est ainsi que la direction de notre Internationale (Pablo, Germain et Frank) défendit la thèse selon laquelle, sans mobilisation révolutionnaire des masses, il ne pouvait y avoir de changement de structure dans les pays de l'Europe de l'Est.

En 48 se produisit, sans que nous l'ayons prévu ni compris, ce changement de structure dans le glacis, réalisé par la bureaucratie soviétique. Cela provoqua un choc profond dans nos rangs : Pablo, Hansen, avec nous, commencèrent une lutte théorique pour démontrer qu'étaient nés de nouveaux Etats ouvriers « déformés », principalement en Yougoslavie - où ce fut le produit du mouvement des masses -. Le dirigeant de l'autre tendance fut le camarade Germain qui s'accrocha aux caractérisations que nous avons résumées plus haut, soutenant que les Etats de l'Est de l'Europe n'étaient pas ouvriers mais restaient capitalistes. Ce n'est qu'après une ardente polémique que le camarade Germain s'autocritique et changea de position.

C) La politique permanente de coexistence pacifique de l'URSS avec impérialisme. L'impossibilité pour l'impérialisme de déclencher une guerre mondiale.[modifier le wikicode]

Les camarades de la majorité soutenaient que la guerre mondiale allait se produire inévitablement avant 1954.

« C'est précisément pour cette raison - disait le camarade Germain en 51 - que l'impérialisme s'est lancé dans la préparation militaire de la guerre, pour la faire le plus vite possible, dès que son appareil militaire aura atteint un certain niveau (au plus tard d'ici deux à trois ans). Aucune victoire révolutionnaire internationale, sauf celle de la révolution nord-américaine, ne peut empêcher cette marche vers la guerre de Wall Street... C'est précisément parce qu'existe cette polarisation particulière de force ou faiblesse extrême du capitalisme international, puissance suprême du capitalisme nord-américain, que la guerre est devenue inévitable, car la bourgeoisie nord-américaine a compris que, d'attendre plus longtemps après l'achèvement de son programme actuel d'armement, elle court le danger d'introduire la crise révolutionnaire dans son propre bastion ». ("Faux-fuyant et confusion ou de l'art de couvrir la retraite", Bulletin de La Vérité, juillet 51, p.5 et 7).

Nous soutenions contre Germain que :

« Il n'est pas vrai que l'impérialisme ait une seule possibilité : la guerre mondiale dans un ou deux ans, comme le croient des marxistes pressés. Mais qu'il le fasse ou non dépend de nombreux facteurs, dont l'un des plus importants est que la direction des Etats non capitalistes, surtout le Kremlin, est fermement disposée à un accord avec l'impérialisme. Cette possibilité est toujours ouverte, étant donné le caractère contre-révolutionnaire et opportuniste de la bureaucratie qui domine l'URSS et de celle qui domine la Chine. Nous pensons que placée devant le dilemme: ou perdre ses privilèges en aidant ou en faisant des concessions au mouvement des masses, ou sauver ses privilèges en pactisant avec l'impérialisme, cette bureaucratie ne peut que choisir le pacte avec l'impérialisme ». (Frente proletario, 5 décembre 53). « Dans ces conditions générales, il devient impossible à l'impérialisme yankee de mener ou déclarer aujourd'hui la guerre mondiale. » (FP, 12 décembre 53).

D) La trajectoire stalinienne des PC chinois et yougoslave. La nécessité de la révolution politique et de partis trotskystes[modifier le wikicode]

En 54, le camarade Germain pensait que les partis communistes chinois et yougoslave avaient cessé d'être staliniens pour devenir centristes et qu'ils « se rapprochaient du marxisme révolutionnaire ». Écoutons les propres paroles de l'auteur faisant cette caractérisation :

« Spontanéité des masses, direction empirique, premiers progrès de la conscience vers le marxisme révolutionnaire : c'est ce qui caractérise la première phase de la vague révolutionnaire mondiale. Ces trois caractéristiques peuvent être résumées en une seule formule : la première phase de la révolution mondiale est la phase du centrisme. Le terme est imprécis et vague, il réunit de fait tous les phénomènes politiques ouvriers au-delà du réformisme et du stalinisme traditionnel et en deçà du marxisme révolutionnaire. Dans ce cas, Tito et Mao Tsé Toung, Bevan et les dirigeants des courants du parti socialiste japonais de gauche, les dirigeants du 17 juin 53 et ceux de la grève de Vorkouta, les premiers dirigeants des courants d'opposition de gauche dans les partis communistes de masse (Marty, Crispim, etc.) trouvent leur place dans cette réunion hétéroclite du centrisme ». « Il s'agit en réalité d'un centrisme complètement différent du centrisme des années 30, du centrisme de tendances qui s'écartaient du marxisme révolutionnaire pendant le recul de la révolution. Il s'agit au contraire d'un centrisme de tendances qui se rapprochent du marxisme révolutionnaire sous la pression du progrès de la révolution ». (QI, juillet-août 54, p.41).

Cette analyse des partis s'étendit aux Etats respectifs et à notre politique, la conclusion étant évidente: en Yougoslavie et en Chine, la révolution politique et la construction de partis trotskystes n'étaient pas posées.

« Comme le parti communiste chinois et, dans une certaine mesure, le parti communiste yougoslave sont en réalité des partis centristes bureaucratiques, mais qui se trouvent toujours sous la pression de la révolution dans leur pays, nous n'appelons pas le prolétariat de ces pays à construire de nouveaux partis révolutionnaires ou à préparer la révolution politique dans ces pays ». (QI, n° spécial, Décembre 54, p54).

Nous allons donner à ce point un peu plus d'importance qu'aux autres car, tandis que sur la terrain national les camarades de la majorité se spécialisaient dans les attaques contre notre entrisme dans les 62 organisations, sur le terrain international ils centraient leurs attaques sur notre caractérisation et notre politique vis à vis du maoïsme. Nous ne comprenons pas bien les raisons de ces attaques car, à la différence de la majorité qui voyait le maoïsme évoluer vers le marxisme, nous avons toujours soutenu d'une manière systématique qu'il était un courant petit-bourgeois et bureaucratique qui ne pouvait pas s'assimiler au marxisme révolutionnaire.

Pour ne pas ennuyer par trop de citations, nous nous arrêterons seulement sur celles qui sont liées à la période de notre unification avec le FRIP dirigé par Santucho, la période la plus attaquée par les camarades de la majorité. Pour nous unifier avec Santucho, nous posions comme condition sine qua non l'acceptation de la part de ces camarades de nos thèses internationales de 1963. Ces derniers acceptèrent ces thèses :

« Le maoïsme est qualitativement différent du trotskisme car il ne reconnaît pas dans son programme et son activité l'essence du trotskisme : la lutte pour la dictature du prolétariat à l'échelle mondiale, une stratégie, un programme et une organisation mondiale ». (Thèses inter­nationales, P.O. 1963).

Notre position, tirée comme toujours hors de son contexte, peut avoir apporté la confusion pour les camarades de la majorité sur notre caractérisation du maoïsme : nous appelons le parti communiste chinois, tout comme les PC yougoslave et cubain, « révolutionnaire », car nous pensons que la Chine, Cuba et la Yougoslavie, entrent dans la définition de Trotski selon laquelle, dans certains pays et dans des cas exceptionnels, il peut arriver que la situation objective sans issue pousse les partis petits-bourgeois à prendre le pouvoir, rompre avec les exploiteurs et instaurer des gouvernements ouvriers et paysans. Pour définir ces partis petits-bourgeois qui ont fait la révolution, nous prenons le qualificatif de « révolutionnaires » utilisé par le IIème et le IVème Congrès de l'IC pour définir les mouvements nationalistes bourgeois ou petit-bourgeois qui luttaient contre l'impérialisme. Ceux qui collaboraient avec l'impérialisme, l'IC les dénommait « mouvements nationalistes réformistes ». Mais même dans le cas où nous aurions mal utilisé ce qualificatif, nous n'avons jamais dit comme les camarades de la majorité que ces partis pouvaient se rapprocher du marxisme révolutionnaire, mais exactement le contraire.

La seconde question est de savoir si la révolution politique était posée en Chine et en Yougoslavie. Nous avons déjà vu que pour les camarades de la majorité elle n'était pas posée. Nous pensions que si. Nous faisions une distinction entre le caractère de ces gouvernements et celui de la Russie, ainsi que dans les étapes de la révolution politique qui étaient posées dans chacun de ces pays :

« L'Etat chinois n'est pas comme celui de la Russie, le produit d'une économie et d'un Etat socialiste conquis par les masses dont le pouvoir et le contrôle économique leur a été arraché par la bureaucratie contre-révolutionnaire. Ce n'est pas une unité hautement contradictoire de la révolution et de la contre-révolution comme en Russie mais le produit d'un processus révolutionnaire unique, incomplet, qui n'a pas donné naissance à des organismes de pouvoir ouvrier et à des partis et dirigeants marxistes révolutionnaires. La Chine comme l'Indochine, la Corée et Cuba, et peut-être la Yougoslavie et la Pologne, sont des processus révolutionnaires encore en transition, dynamiques, au sein d'un processus révolutionnaire mondial permanent. C'est de là que vient notre définition d'Etats ouvriers en transition avec des gouvernements dictatoriaux révolutionnaires ouvriers et paysans, soit petits-bour­geois. » (Thèses déjà citées).

Concrètement, nous mettions un signe égal entre Cuba et la Chine. En insistant sur les différences entre ce dernier pays et l'URSS, nous disions :

« Nous pensons que la caractérisation diamétralement opposée des deux gouvernement et Etats doit nous amener à un ajustement très soigneux de la théorie et du programme de la révolution politique pour ces deux pays. Avant tout, nous devons signaler que la dynamique et les étapes de la révolution politique devront inévitablement refléter la profonde différence de structure de ces deux pays et gouvernements. »

Ensuite, nous essayions de préciser la situation en Chine et en Indochine :

« Jamais n'a été précisé le caractère que prendra le processus de la révolution politique en Chine et en Indochine... Concrètement, ces pays connaissent une étape politique de transition entre les révolutions de février, déjà accomplies, et les révolutions d'octobre débouchant sur la dictature du prolétariat. Cette étape est posée avec une dynamique très lente à cause de l'inexistence des organismes subjectifs et objectifs de la dictature du prolétariat : les organismes de pouvoir, les partis et les dirigeants marxistes révolutionnaires. » (Thèses citées).

Enfin nous résumions toute notre position de la manière suivante :

« La révolution politique posée en Russie est qualitativement différente de celle posée en Chine. Dans la première, nous avançons la liquidation urgente, immédiate et massive du régime gouvernemental actuel. Dans l'autre, le développement de la révolution en cours, au travers duquel se différencie et se développe le pouvoir ouvrier qui nous permettra de poser à une nouvelle étape la dictature du prolétariat, à travers la lutte et la poursuite du développement objectif et subjectif des éléments qui la rendent possible ».

Sur cette question également, nous ne voyons toujours pas la raison des attaques faites par les camarades de la majorité: nous pensions qu'il fallait faire la révolution politique dans les Etats ouvriers « déformés » comme la Chine et eux non. Il est vrai que nous avons confondu la lutte pour la démocratie ouvrière, c'est-à-dire la révolution politique, avec l'expression dictature du prolétariat. Mais nous avons bien affirmé que la révolution politique en Chine allait se faire d'une manière différente et avec des mots d'ordre différents qu'en Russie.

Pour terminer, la troisième question sur laquelle on nous attaque est celle d'avoir soutenu que les maoïstes sont de grands théoriciens et praticiens de la guerre de guérillas rurale et que quelques-uns de leurs enseignements militaires doivent être intégrés au Programme de transition (de la même manière que Lénine intégra les enseignements d'un courant petit-bourgeois, les populistes, à sa conception du parti).

Sur ces trois questions théoriques, le caractère des PC chinois, yougoslave et cubain; le problème de la révolution politique et de ses étapes dans les Etats ouvriers « déformés » et le problème de la guerre de guérillas par rapport au programme trotskyste, notre Internationale n'a toujours pas une réponse théorique totalement satisfaisante. Nombre de nos affirmations sont discutables. Est-il correct de qualifier de « révolutionnaires » les partis petits-bourgeois qui font la révolution ? Est-il certain qu'il y ait eu une étape démocratique de février en Chine, en Yougoslavie et à Cuba ? Peut-on faire la même définition de Cuba, de la Chine et de la Yougoslavie ? Devons-nous intégrer la guerre de guérillas rurale au Programme de transition ? Comment le faire ?

Toutes ces questions théoriques restent posées et nos anciens apports sont là pour être discutés dans l'élaboration d'une réponse théorique, scientifique et définitive. Mais, pour revenir à l'histoire, il y a deux faits certains: les camarades de la majorité affirmaient que les PC chinois et yougoslaves se rapprocheraient du marxisme révolutionnaire et nous affirmions que c'étaient des courants petits-bourgeois bureaucratiques qui ne pouvaient pas le faire pour une simple raison de classe ; les camarades de la majorité affirmaient que la révolution politique n'était pas posée en Chine ni en Yougoslavie, et nous maintenions que si.

E) La montée du mouvement des masses en Europe au milieu des années 60 avec pour épicentre la France, l'Italie, l'Irlande du Nord, la Grèce et l'Espagne[modifier le wikicode]

Germain et ses amis soutenaient qu'il n'y aurait pas de problèmes importants en France et en Italie en 68 et 69. Voyons comment ils se préparaient à intervenir dans le célèbre Mai français :

« En Europe capitaliste, les problèmes les plus importants se situent d'une part dans le pays capitaliste le plus vieux, l'Angleterre, et d'autre part en Espagne et en Grèce, car l'aggravation de la situation économique en Europe, où le nombre de chômeurs atteint actuellement 3 millions, a réduit la marge de manœuvre du capitalisme dans les pays les plus pauvres ». (Résolution du CEI, février 68).

Loin de ce terrain d'actions, la minorité n'avait pas prévu ce qui pouvait arriver. Ce fut sans doute une de nos carences. Mais que peuvent argumenter les camarades de la majorité ? Quel nom donne-t-on à ceux qui n'ont pas su prévoir les faits qui ont modifié d'une manière spectaculaire la réalité dans laquelle ils étaient eux-mêmes plongés, à quelques semaines près ? Que dire de théoriciens qui vivent en faisant des pronostics pour 4 ou 5 ans et qui ne savent pas le faire pour 2 ou 3 mois ? Et dire qu'ils nous ont critiqué pour ne pas avoir prévu la situation argentine avec un ou deux ans d'avance !

F) La lutte armée à caractère de guerre civile dans deux pays d'Amérique latine (depuis Saint Domingue) : la Bolivie et le Chili[modifier le wikicode]

Germain et ses amis disaient en 71 qu'il y aurait une lutte armée dans toute l'Amérique latine, sauf en Bolivie et au Chili. La majorité a insisté maintes fois que pour tout notre continent était posée la lutte armée. Pratiquement, il n'y avait pas de pays où ne devait pas être appliquée la stratégie de la lutte armée si chère au camarade Germain. Toutefois, en 71, elle n'était pas selon eux à l'ordre du jour dans deux pays. Moins de deux mois avant la chute de Torrez, le camarade Frank affirmait :

« En ce moment, et nous ne savons pas pour combien de temps, la lutte armée n'est pas à l'ordre du jour au Chili et en Bolivie. » (Letter to the 1971 SWP Convention, 26-7-1971, IIB).

Quand commença le gouvernement Torrez, le camarade Hugo Blanco, exprimant l'opinion de la minorité, disait l'opposé :

« Il faut un travail léniniste non seulement au Pérou, dont nous nous Occupons personnellement, mais aussi en Bolivie et au Chili qui sont ou peuvent être au bord de la lutte armée. » (Letter to L. Maïtan, Discussion on latin América, 68-72, p.7).

G) La fin sanglante de l'expérience réformiste d'Allende au Chili[modifier le wikicode]

Germain et ses amis soutenaient en 71 qu'Allende et l'impérialisme avanceraient d'un commun accord vers la variante démocratique. L'article du camarade Mandel « Impérialisme et bourgeoisies nationales en Amérique latine » illustre le mieux la caractérisation faite par les camarades de la majorité des gouvernements nationalistes latino-américains et leurs relations avec l'impérialisme :

« C'est dans cette modification des intérêts économiques qu'il est nécessaire de chercher l'explication de l'étrange complaisance que l'impérialisme a manifestée jusqu'à présent par rapport aux nationalisations du général Velazco, du général Ovando et même celles préparées par Allende. "Indemnisez et permettez le réinvestissement dans les secteurs manufacturiers de votre pays : c'est tout ce que nous de­mandons !" ». « Le réformisme militaire, en tant que dernier rempart contre la "subversion castriste" ou "anarchiste", c'est la ligne straté­gique que l'impérialisme américain paraît avoir adoptée depuis le rapport Rockefeller » (article reproduit dans R de A, juillet-octobre 71).

Et en particulier, se référant au gouvernement Allende, "la Gauche", un organe étroitement lié au camarade Germain, disait :

« Nationaliser les mines de cuivre a été la plus spectaculaire de ces mesures. Mais ce type d'actions n'est déjà plus un affront fait aux impérialistes. En vue du danger toujours croissant de la révolution en Amérique latine, qui menace de renverser définitivement leurs intérêts, les impérialistes ont décidé - depuis le tournant de Rockefeller - de moderniser leurs formes de pénétration dans cette zone. ». « Maintenant l'impérialisme se retire de l'extraction de matières premières, qui était la principale façon et la plus grossière de voler le tiers-monde. Un tel virage permet une apparente libéralisation de l'économie et une vie... pour des secteurs limités bien sûr. C'est pour cela que l'atmosphère semble s'assouplir en Amérique latine. L'impérialisme a de nouvelles perspectives. Les régimes militaires "de gauche" vont vent en poupe. Et dans cette perspective, Allende pourrait très bien offrir une variante démocratique qui soit parfaitement en accord avec les projets de développement que le néo-impérialisme a pour l'Amérique latine. » ("la Gauche", 861-71).

Tandis que la majorité faisait ce type de caractérisation, nous écrivions exactement le contraire :

« Au moment où la bourgeoisie chilienne s'unifie derrière le gouvernement Allende au sujet de l'expropriation des mines de cuivre, une situation de grande tension avec les Etats-unis est en train de se créer. » ("La Verdad", 27-10-71). « La poursuite de la montée du mouvement ouvrier et paysan au Chili, les manœuvres et pressions de la bourgeoisie contre les concessions populistes d'Allende et celles de l'impérialisme contre les mesures nationalistes font monter la pression de la chaudière, malgré les bonnes paroles du gouvernement et le frein qu'exercent les partis réformistes et la bureaucratie syndicale. » (L.V. 10-11-71). « La seule voie vers le socialisme pour les travailleurs chiliens est celle de la révolution. L'avant-garde ouvrière, étudiante et paysanne, sans faire de concessions au réformisme de l'Unité populaire, doit développer sa mobilisation et l'organisation des masses pour leurs revendications économiques et politiques. Sur cette base et avec les méthodes de la lutte de classes, elle doit être en première ligne pour la défense du gouvernement Allende contre les attaques de la droite et le coup d'Etat bourgeois impérialiste, sans accorder la moindre confiance dans la direction d'Allende. C'est la seule méthode qui garantira les conquêtes, celle d'Allende prépare les défaites à la Peron ou à la Torrez. » (L.V. 15-12-71).

L'heure du bilan est arrivée : les dirigeants actuels de la majorité ont la responsabilité de la plus grande partie des erreurs[modifier le wikicode]

Nous avons donné les points les plus importants sur lesquels existaient des divergences entre la majorité et nous. Il serait déloyal de notre part de nier que, parmi les erreurs monumentales, les camarades de la majorité ont eu quelques succès importants, comme leur propagande et leur activité dans le processus de la lutte de libération algérienne ou comme le fait d'avoir soutenu dès le début, à peine reçues les premières nouvelles de son existence, la guérilla castriste à Cuba, tout comme leur dénonciation de l'agression américaine contre la Corée et le Viêt-nam, la reconnaissance de la nouvelle avant-garde de la jeunesse, etc... Parmi ces succès, certains ne furent pas complets, la politique de l'entrisme "sui generis" s'est également reflétée en eux (moins à Cuba où nous n'avions rien qu'en Algérie où existait un groupe de notre Internationale). En Algérie, cette politique s'est exprimée dans le changement de l'axe de l'entrisme, ce n'était plus dans le stalinisme comme à l'échelle mondiale, mais dans le FLN. Le résultat fut la capitulation politique devant ce mouvement petit-bourgeois, dont nos camarades finirent par être une sorte de conseillers, sans que notre participation au processus algérien ne réussisse à gagner, ce qui était le minimum, la construction d'une forte section de notre Internationale.

Pour retracer cette histoire, nous avons illustré chacun de ces chapitres par la documentation correspondante. Nous avons rempli ainsi une exigence méthodologique fondamentale que la majorité n'a pas remplie en faisant circuler dans notre Internationale de fausses versions de l'histoire de notre organisation et de sa propre trajectoire.

Cependant, bien que tout soit documenté - et que nous puissions communiquer à la demande une plus ample documentation - nous ne tomberons pas dans la seconde erreur méthodologique des camarades de la majorité, nous ne soumettrons pas au vote d'un organisme de notre Internationale cette histoire de la trajectoire de la majorité, comme ils l'ont fait par surprise et sans documentation pour l'histoire de notre organisation. Si notre Internationale prétend rester le parti mondial révolutionnaire de la classe ouvrière, il devra revenir à la tradition selon laquelle ne sont soumis au vote que les résolutions politiques qui arment tous nos cadres pour la lutte de classes, jamais des bilans historiques de trajectoire politique d'une tendance ou d'une organisation.

L'objectif de ce chapitre était de démontrer sur quels points nous avions des divergences, qui avait tort et qui avait raison pendant plus de 25 ans de luttes pour la construction de l'Internationale. Les nouveaux cadres de notre mouvement sont maintenant en condition de faire ce bilan, et ce bilan indique que le gros des erreurs a été fait par les camarades qui aujourd'hui dirigent la tendance majoritaire. Le moment est venu de se demander la raison de tant d'erreurs.

3. L'impressionnisme est la cause de toutes ces erreurs.[modifier le wikicode]

A quoi sont dues ces erreurs ? Voyons les raisons possibles.

A) Pendant les années 46-48, les journalistes disaient que l'Europe et l'Allemagne étaient épuisées par la guerre et qu'il existait un plan Morgenthau pour maintenir l'Allemagne dans l'arriération. Le camarade Germain écrivit les barbaries que nous avons vues, parce qu'il croyait sincèrement à l'efficacité des plans de l'impérialisme, en particulier du plan Morgenthau. Il ne pensait pas comme nous (et n'importe quel bon marxiste) que les plans "rationnels", subjectifs de l'impérialisme dans le domaine économique ne s'accomplissent que rarement ou jamais, car ce sont les lois « irrationnelles » objectives du capitalisme et de l'impérialisme qui triomphent. Au contraire, le camarade Germain traduisit dans un langage marxiste sa croyance dans les plans de l'impérialisme et tira sa conclusion générale que l'Europe était condamnée à la stagnation et au marasme, et l'Allemagne à être un pays agricole.

B) Le stalinisme, face à la montée des masses, s'efforçait de se concilier avec l'impérialisme et le capitalisme dans l'Europe de l'Est. C'était son « plan ». Mais les plans de la bureaucratie non plus ne peuvent pas se réaliser au-dessus des lois objectives de la lutte de classes. Le camarade Germain, oubliant le caractère social de la bureaucratie, en tira la conclusion que c'était une « propriété éternelle » de la bureaucratie stalinienne que de se concilier avec le capitalisme et la propriété privée dans l'Europe de l'Est. Cette position révisait totalement l'analyse trotskyste, l'analyse sociale de la bureaucratie. Celle-ci, en tant que bureaucratie d'un Etat ouvrier (et justement pour des raisons « inhérentes à sa nature sociale ») ne pouvait pas cohabiter (ni se combiner) avec la « propriété privée », ni encore moins avec le capitalisme (d'Etat ou privé) et l'impérialisme dans les pays où était entrée l'armée rouge.

C) Ensuite vint la guerre froide et l'Amérique du Nord s'armait jusqu'aux dents pour attaquer l'URSS, et tous les journaux du monde disaient que seul un miracle pourrait éviter la 3° guerre mondiale. Le camarade Germain, en accord avec la position de Pablo, oublia un détail (le même qu'oubliaient les journalistes bourgeois dans leurs analyses descriptives et mécanistes) : la lutte de classes à l'échelle mondiale. Et il lança la théorie de l'inévitabilité de la guerre, quand le plan (un nouveau « plan » apparaît ici !) d'armement des Etats-unis serait prêt. La lutte de classes dans son ensemble était impuissante pour influencer ce « plan » impérialiste. Tout comme les journalistes bourgeois, pour Germain seul un miracle (la révolution nord-américaine) pouvait empêcher la guerre mondiale à court terme.

D) Tito avait rompu avec l'URSS et Mao avait dirigé une grande révolution, la plus grande depuis la révolution russe. Il fallait donner une explication à ces phénomènes. Le camarade Germain oublia que, pour les trotskystes, la direction petite-bourgeoise ou bureaucratique qui, poussée par les circonstances, dirige une mobilisation (d'une grève à la prise du pouvoir) ne cesse pas pour autant d'être petite-bourgeoise ou bureaucratique. Et il appliqua une position révisionniste, ce qui est une constante pour les camarades de la majorité (comme l'ont démontré exhaustivement les camarades du SWP) et que nous pouvons résumer ainsi : « tout parti réformiste et toute bureaucratie qui mène les masses au pouvoir cesse d'être réformiste ou bureaucratique ». La conclusion du camarade Pablo, soutenu par Germain, fut que Tito, Mao et leurs partis avaient cessé d'être bureaucratiques et staliniens et se rapprochaient du marxisme révolutionnaire et que par conséquent, la révolution politique n'était pas à faire en Yougoslavie et en Chine. Aujourd'hui, les camarades de la majorité recommencent à avancer la même conception révisionniste des années 51-56 par rapport à la Chine. Et ainsi, Pablo et ses amis bouclèrent le cercle de leurs analyses de la grande vague révolutionnaire d'après-guerre, sans avoir fait un seul pronostic sérieux correct.

E) Mais la nouvelle montée européenne qui avait commencé dans les années 60 arriva et le camarade Germain, lecteur assidu des rapports économiques et partisan de transposer ces rapports dans ses conclusions, ne fut pas meilleur qu'auparavant. Comme la pire situation économique existe en Angleterre, en Espagne et en Grèce, ces trois pays sont ceux qui doivent affronter les « problèmes les plus importants ». Il répéta ainsi l'erreur économiste de 51, lorsqu'il basait son pronostic de l'éclatement de la guerre sur le plan d'armement nord-américain et non sur la lutte de classes.

Le camarade Germain, au lieu de prendre la lutte de classes dans son ensemble et le facteur économique comme un des éléments importants à tenir en compte, prend le facteur économique comme fondamental et pratiquement unique. S'il avait utilisé la méthode marxiste, il se serait rendu compte de plusieurs facteurs : le mouvement étudiant pouvait éclater à n'importe quel moment ; la France venait de résoudre des problèmes coloniaux aigus (comme la guerre d'Algérie), qui se combinaient avec la guerre du Viêt-nam ; il y avait une tradition de gauche dans le mouvement étudiant et, en dernière instance, la nouvelle montée devait renouer avec les anciennes expériences ; les mouvements ouvriers et révolutionnaires français et italiens avaient été les plus puissants dans l'immédiat après-guerre et logiquement ils devaient renouer avec ce passé. Le camarade Germain n'a pas vu tout cela quand il s'est lancé dans son pronostic européen de février 68, dans la résolution du CEI.

F) La montée du mouvement étudiant européen remplit nos rangs d'enthousiastes admirateurs de la guérilla guévariste et du Cuba de Fidel Castro, et autour de nous les thèses guévariste devinrent à la mode. Une thèse guévariste soutient que, plus un régime est réactionnaire, meilleures sont les conditions pour la lutte armée, et que, à l'inverse, plus il est démocratique plus ces conditions se dégradent jusqu'à leur pratique disparition. Poursuivant leur tradition de suivre et faire suivre à notre Internationale les modes qui apparaissent dans l'intelligentsia et le mouvement étudiant européen, les camarades de la majorité transposèrent cette thèse guévariste dans nos rangs. C'est ainsi que Frank écrivit au nom de la majorité du SU la lettre au SWP, où il affirmait que les seuls pays latino-américains où il n'y avait pas de possibilités de lutte armée étaient la Bolivie et le Chili, où il existait « par hasard » à ce moment-là des régimes laissant de larges marges démocratiques. Un pronostic opposé vertigineusement à ce qui se produisit.

G) Enfin, l'apparition de régimes nationalistes bourgeois prit le camarade Germain et ses amis au dépourvu. Ils venaient de dire qu'il n'y avait pas de perspectives pour des régimes répondant à ces caractéristiques et faisant des concessions démocratiques et économiques aux masses. Quand ceux-ci firent leur entrée en scène et que les journalistes bourgeois commencèrent à parler d'eux, ils ne purent faire moins que d'accepter leur existence.

Mais comment les expliquer ? La minorité le faisait sur la base des tensions entre les bourgeoisies nationales, l'impérialisme et la pression de la montée du mouvement des masses. La majorité ne pouvait pas se satisfaire de ces simples raisons fondées sur la situation de la lutte de classes. Elle recourut donc à l'étude érudite de plans, dans ce cas là ceux de l'impérialisme, le « rapport Rockefeller » et elle en tire la nouvelle catégorie du « réformisme militaire » et en déduisit que ces gouvernements réformistes et en particulier celui d'Allende, « pouvaient très bien offrir une variante démocratique qui entre parfaitement dans les projets de développement du néo-impérialisme pour l'Amérique latine ». Il est dommage pour les auteurs d'un tel pronostic, et bien plus pour les masses chiliennes et Salvador Allende, que l'impérialisme n'ait pas fait autant de cas du « rapport Rockefeller » que les camarades de la majorité.

Notre proposition : une déclaration commune de Germain et Moreno[modifier le wikicode]

Nous sommes loin de vouloir convaincre les nouveaux camarades que nous n'avons pas commis d'erreurs ou de vouloir faire voter une résolution justifiant toute notre politique passée. Posadas s'est toujours moqué du fait que, dans nos rapports oraux ou écrits sur notre parti, nous nous attardions tristement sur les erreurs que nous avions faites, afin d'en tirer une conclusion. Nous étions une direction isolée, neuve, inexpérimentée au début, et qui en toute logique ne pouvait pas ne pas commettre d'erreurs. Pour nous, il s'agissait ainsi d'en faire de moins en moins.

Mais ce qui nous distingue de l'actuelle majorité, c'est cette reconnaissance de nos erreurs et le fait que celles-ci n'ont pas un caractère systématique.

C'est pour cela que nous proposons un accord à notre cher camarade Germain, compagnon de 25 ans dans cette dure lutte pour construire notre Internationale: faisons une déclaration commune en direction des nouveaux cadres de l'Internationale. Dans celle-ci nous devrions dire : nous vous conseillons d'étudier sans égards toutes nos positions passées, bourrées d'erreurs de toutes sortes. Nous le faisons car nous ne voulons pas que vous répétiez ces erreurs, et parce que c'est de notre trajectoire que nous sommes fiers, pas de telle ou telle position. Nos erreurs avaient une raison profonde, nous sommes une direction qui s'est construite non pas au cours d'une grande montée du mouvement des masses dans nos différents pays, mais au cours du boom économique, de la guerre froide et d'un recul.

Le camarade Germain accepte-t-il cette proposition ? S'il est d'accord, nous lui faisons une concession, il peut ajouter dans le post-scriptum de la déclaration une précision : « je précise que le camarade Moreno a dit au cours de sa vie politique un peu plus de stupidités que moi ». Et bien que nous pensions que c'est faux, nous nous engageons à ne pas former de tendance ni de fraction pour le démentir.