V. Les stratégies décennales

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1. Théorie, stratégie et tactique.[modifier le wikicode]

Ce qui caractérise Germain et ses camarades de la majorité, c'est qu'ils se donnent une ligne, une orientation et des mots d'ordre pour des événements futurs. Ils préfèrent regarder leur boule de cristal et élaborer des réponses à des événements qui se passeront dans l'avenir, plutôt que de chercher une réponse politique révolutionnaire aux faits présents de la lutte de classes. Cette préférence a deux défauts: en premier lieu, à force de regarder l'avenir, ils restent en général sans réponse (ou avec une réponse incorrecte) face au présent; en second lieu, même pour l'avenir leurs réponses sont inutiles car, comme nous l'avons vu, les prédictions qu'ils font et les tactiques qu'ils proposent s'avèrent erronées dans leur écrasante majorité.

Les « stratégies » à long terme du camarade Germain[modifier le wikicode]

De plus, cette façon d'agir du camarade Germain et de ses amis de la majorité devient une véritable manie quand ils se donnent des stratégies à long terme. Cela fait 4 ans au moins qu'ils ont la stratégie de « la lutte armée » pour l'Amérique latine (et ils précisent qu'elle est encore valable pour plus tard). Auparavant, c'était la stratégie de l'entrisme « sui generis » pour le monde entier (et cela dura 17 ans !).

Pour justifier ses deux dernières stratégies décennales, la « lutte armée » en Amérique latine et le « travail sur l'avant-garde » en Europe, Germain donne une version de l'histoire de notre mouvement et tente de la faire approuver par les jeunes cadres de notre Internationale au prochain Congrès mondial. Par ailleurs, Germain dit qu'il existe une polémique dans l'avant-garde autour de la lutte armée (ce qui est vrai) et que nous devons nous prononcer sur ce sujet en soutenant une des deux positions (ce qui n'est pas certain).

Sur toutes ces questions, Germain confond trois éléments de base de la politique révolutionnaire : théorie, stratégie et tactique. Si nous confondons tout, nous n'irons pas loin. Il faut avant tout distinguer soigneusement une théorie d'une stratégie, ainsi que cette dernière d'une tactique. L'objectif stratégique est celui qui est à long terme, les tactiques sont les moyens pour arriver à cet objectif. La théorie n'est ni l'un ni l'autre, car elle est liée aux lois générales du processus historique et non aux objectifs à long terme (stratégiques), ni aux moyens pour l'atteindre (tactiques). Entre ces trois éléments, théorie, stratégie et tactique, il y a des liaisons étroites, profondes, non pas mécaniques ni directes, mais dialectiques.

La théorie et le parti révolutionnaire[modifier le wikicode]

Commençons par la théorie. Nous pouvons avoir des divergences avec le camarade Mandel sur ses analyses économiques, tout en étant d'accord avec lui sur l'objectif stratégique consistant à mobiliser les masses et à construire des partis bolcheviques pour balayer l'impérialisme et le capitalisme afin d'instaurer la dictature du prolétariat. Cet accord stratégique ne signifie pas que nous coïncidions à tout moment sur les différentes théories élaborées et abandonnées au cours de ce processus qui culmine avec la prise du pouvoir et la construction du socialisme.

Le rapport entre théorie, stratégie et tactique existe mais il ne se manifeste pas d'une façon immédiate ni directe. Le parti, dans ses congrès, n'adopte pas des théories mais des lignes politiques dont découlent des stratégies et des tactiques. Le parti ne s'identifie avec une théorie que lorsque celle-ci a été confirmée par les événements. C'est le cas de l'identification de notre Internationale et de ses sections avec la théorie de la révolution permanente, qui n'est ni une stratégie ni une tactique mais une loi générale de la révolution et du mouvement des masses, à l'étape de transition du capitalisme au socialisme que nous sommes en train de vivre.

Stratégie et tactique : deux termes relatifs[modifier le wikicode]

Passons maintenant au problème des stratégies et des tactiques. Ces deux termes sont relatifs. Dans une étape de recul du mouvement ouvrier, nous pouvons avoir la stratégie de développer des luttes syndicales défensives. La tactique adéquate à cette stratégie peut être par exemple la grève, plutôt que d'autres tactiques comme l'occupation d'usine. Mais la grève est une stratégie par rapport à un moyen, une tactique : l'organisation de piquets de grève de défense, par exemple. Et les piquets deviennent une stratégie par rapport à la tactique employée pour les créer (publics et élus en assemblée générale, ou clandestins et désignés en secret par le comité de grève). Et la stratégie elle-même, par laquelle nous avons commencé, le développement des luttes syndicales défensives, devient une tactique par rapport à notre objectif stratégique qui est d'obtenir des victoires importantes afin de passer de l'étape de recul à une étape de montée du mouvement ouvrier.

Les trotskystes ont deux seules stratégies à long terme : la mobilisation des masses et la construction du parti[modifier le wikicode]

Comme Germain ne voit pas les choses de cette façon, il ironise sur le fait que nous ayons employé le mot stratégie pour une courte période. Mais l'axe de notre polémique avec Germain concerne les stratégies à long terme. Ce que nous pouvons dire c'est que, à long terme, il y a pour les trotskystes deux stratégies fondamentales à l'échelle nationale et internationale : prendre le pouvoir avec la classe ouvrière pour commencer à construire le socialisme ; et construire le parti, seul outil pour le faire. Par rapport à ces objectifs stratégiques, tout le reste est tactique, même si nous l'appelons stratégie. Pour construire le parti et prendre le pouvoir, nous pouvons et nous devons utiliser la tactique adaptée à chaque moment : faire de l'entrisme, participer aux élections, impulser le front unique révolutionnaire, lancer des mots d'ordre de pouvoir, avancer la lutte armée, lancer des mots d'or­dre défensifs, etc... Toutes les tactiques sont valables, à la condition d'être adéquates au moment concret, actuel, présent de la lutte de classes et de servir alors à impulser la mobilisation des masses et la construction du parti. Mais les tactiques se dévalorisent et deviennent inadéquates au fur et à mesure qu'évolue la situation de la lutte de classes. Elles ne doivent jamais être adoptées pour de longues périodes, elles ne deviennent jamais des stratégies à long terme.

Le bolchevisme se caractérise par l'utilisation de tous les moyens et tactiques utiles à la stratégie de construction du parti et à la prise du pouvoir. Les autres courants du mouvement ouvrier sont caractérisés par l'opposé : ils confondent stratégie et tactique et élèvent cette dernière au rang de stratégie permanente. Et c'est pour cela que l'histoire du bolchevisme est une lutte constante pour imposer les moyens et les tactiques adaptés à chaque moment de la lutte de classes contre les différents courants qui ont un seul moyen ou tactique transformé en stratégie. Le bolchevisme a lutté contre les terroristes mais a su utiliser la terreur ; il a lutté contre les syndicalistes, mais a su utiliser le travail syndical ; il a lutté contre les parlementaristes, mais a su utiliser le parlement ; il a lutté contre les anarchistes, mais a su détruire l'Etat bourgeois ; il a lutté contre les guérilléristes, mais a su faire la guérilla ; il a lutté contre les spontanéistes, mais a su diriger les mobilisations spontanées du mouvement des masses. Et pourquoi a-t-il fait tout cela ? Pour construire le parti bolchevique et mobiliser les masses vers la prise du pouvoir.

Un exemple illustratif : un piquet de grève[modifier le wikicode]

Quand le camarade Germain tente systématiquement de ridiculiser le camarade Hansen, en disant qu'on ne peut pas dire à un ouvrier en grève (qui doit faire un piquet) que notre « stratégie est de construire le parti », il démontre qu'il ne comprend rien à rien. Si quelqu'un dit aux ouvriers qui font des piquets de grève que notre stratégie est de construire le parti, il oppose de fait la construction du parti à l'existence des piquets de grève, car cela signifierait que seuls ceux qui sont d'accord avec la construction du parti peuvent participer au piquet de grève. Ce serait un pédant qui confond une situation concrète, un moyen, une tactique avec une stratégie générale.

Mais cette erreur est moins grave qu'une autre: dire aux ouvriers que notre stratégie est de faire des piquets de grève et que l'axe fondamental de notre activité pendant 10, 15 ou 20 ans sera de faire des piquets de grève. Nos tactiques changent à mesure que change la situation de la lutte de classes, et si nous disons aux ouvriers qu'ils devront se consacrer à faire des piquets de grève pendant 10 ans, nous les trompons et les désarmons face à ces changements.

Que devons-nous faire ? Tout d'abord nous mettre à la tête de ce piquet de grève, après avoir été reconnus comme les meilleurs militants (à condition qu'il s'agisse du piquet d'une grève massive des travailleurs et non un piquet organisé par la seule avant-garde en marge des masses). Ensuite, nous devons expliquer à ces ouvriers d'avant-garde que si aujourd'hui ils font un piquet de grève, demain la lutte de classes les amènera à organiser une manifestation, ou à défendre l'usine occupée, organiser des milices ouvrières, faire de la propagande ou se présenter aux élections, parce que la lutte contre le patronat ne commence ni ne finit avec cette grève, mais a commencé il y a plus d'un siècle et se terminera quand la classe ouvrière prendra le pouvoir et construira le socialisme. Puis nous dirons que pour y arriver, il faut un parti qui dirige tous les travailleurs, comme eux dirigent leurs camarades d'usine, et que nous sommes en train de construire ce parti et les invitons à le rejoindre. Si nous avons su être les militants les plus dévoués du piquet de grève, si nous avons su expliquer notre politique, nous gagnerons ces ouvriers d'avant-garde qui participent au piquet de grève. Et qu'est-ce que cela signifie sinon construire le parti ?

L'erreur la plus grave : transformer une tactique en une stratégie pour dix ans[modifier le wikicode]

Il ne faut pas confondre une stratégie avec une tactique, mais il est beaucoup plus grave de confondre un moyen ou une tactique (faire un piquet de grève, se préparer à la lutte armée, faire de l'entrisme) avec une stratégie pour dix ans, historique, c'est-à-dire transformer une tactique en quelque chose de plus qu'une stratégie, presque en un principe. Si les ouvriers ne voient que la nécessité de faire une de ces tâches, et que nous ne leur disions pas que cette tâche est conjoncturelle, tactique, et qu'ils doivent se préparer à d'autres tâches, si nous faisons comme Germain qui transforme cette tâche en une stratégie pour dix ans, nous faisons du suivisme par rapport à la conscience des masses. C'est ce qu'a fait le camarade Germain avec l'entrisme « sui generis », en faisant du suivisme par rapport aux partis communistes, il faisait du suivisme par rapport à la conscience des masses, même si c'est indirectement et en dernière instance. Actuellement, c'est encore plus grave, nous faisons du suivisme non pas par rapport à la conscience des masses, mais ce qui est pire, à son avant-garde.

La stratégie de « lutte armée » de la majorité expliquée par le camarade Frank[modifier le wikicode]

Dans sa polémique avec la minorité sur la « stratégie de la lutte armée » adoptée au IXème Congrès mondial, le camarade Frank a démontré quelle est précisément la politique de la majorité. Dans sa lettre à la Convention du SWP, il énonce correctement notre conception : pour la minorité...

« (...) la majorité de l'Internationale, en adoptant la stratégie de la lutte armée pour l'Amérique latine, renonce à la construction du parti révolutionnaire... »

C'est exactement ce que nous pensons de la majorité. Mais ensuite, le camarade Frank fait un autre résumé déjà moins fidèle à notre position :

« Le dilemme lutte armée contre construction du parti n'existe pas pour nous. Nous pouvons dire la même chose du dilemme syndicaliste "grève générale" contre "construction du parti" ».

Là, le camarade Frank « oublie » le mot le plus important : « stratégie ». Il n'existe effectivement aucun antagonisme entre lutte armée, grève générale ou toute autre tactique, et construction du parti, à condition que nous les prenions comme des tactiques. La lutte armée, la grève générale ou toute autre tactique s'opposent à la construction du parti dès que l'on prétend les ériger en stratégie permanente pour toute une étape.

Toute tactique érigée en stratégie à long terme s'oppose à la construction du parti[modifier le wikicode]

Comment s'opposent-elles ? C'est très simple : si un camarade posait comme stratégie centrale permanente la grève générale, nous tous - majorité et minorité - l'accuserions de syndicalisme. S'il posait comme stratégie centrale permanente la participation aux élections, nous l'accuserions tous d'électoralisme. Quand on parle de « lutte armée », cet accord éclate. Les camarades de la majorité sont indignés car nous les avons accusés de guérillérisme et du fait que leur stratégie était opposée à la construction du parti; ils ont pourtant adopté la « guérilla rurale » comme stratégie centrale et permanente pour toute une étape. Maintenant, ils nous disent qu'ils n'ont pas adopté la « guérilla rurale » mais la « lutte armée ». Pour nous, en tant que stratégie centrale pour toute une étape, la « stratégie de lutte armée » est plus dangereuse que la stratégie guérillériste, car elle comprend trois sortes de déviations : terrorisme, guérilla urbaine et guérilla rurale. Et n'importe laquelle de ces déviations, élevée au rang de « stratégie » est contraire à la construction du parti.

Les camarades Germain, Frank et ceux de la majorité ont fait plusieurs fois cette erreur d'ériger une tactique en stratégie pour toute une étape. Hier, ils ont choisi de suivre l'arriération des masses dirigées par le stalinisme, aujourd'hui, ils suivent l'arriération de l'avant-garde influencée par la guérilla castriste. Hier c'était l'entrisme « sui generis », aujourd'hui c'est la « lutte armée » pour l'Amérique latine et le travail essentiellement centré sur « l'avant-garde de masse » pour l'Europe. Face à cela, nous disons que les bolcheviks et les trotskystes ont une stratégie à long terme et une seule : la construction du parti qui mobilise les masses et les dirige vers la prise du pouvoir.

Transformer les tactiques en stratégies à long terme c'est aller logiquement contre la construction du parti. Les guévaristes l'ont montré clairement. Si la IVème Internationale persiste à transformer la guerre de guérillas en stratégie à long terme, cela se terminera par la liquidation des secteurs qui l'appliquaient, comme cela s'est passé en Bolivie et en Argentine, et peut se terminer par la liquidation de la IVème Internationale elle-même.

2. L'histoire de l'entrisme « sui generis ».[modifier le wikicode]

L'exemple le plus typique de la conception de Germain d'une politique établie pour un avenir hypothétique et de la transformation d'une tactique en stratégie à long terme, a peut-être été l'entrisme « sui generis ». Selon la résolution majoritaire sur l'Europe, qui tente de justifier cette stratégie, elle consista en ceci :

L'entrisme selon la version 73 de la majorité[modifier le wikicode]

« La tactique entriste de construction du parti révolutionnaire partait de l'hypothèse selon laquelle le processus de radicalisation - il s'agissait de la formation d'une nouvelle avant-garde massive - se produirait essentiellement au sein des organisations de masse traditionnelles. Cette hypothèse eut une réelle validité dans les pays capitalistes européens pendant la période qui va du début des années 50 aux années 60. »

« L'erreur commise dans la conception de la tactique entriste ne se référait pas à la perspective objective - dont les événements ont confirmé la validité - mais à une sous-estimation du rapport numérique entre nos propres forces et celles que notre mouvement aurait pu amener à rompre avec les partis de masse, dans une situation sociale où les tensions révolutionnaires ne s'étaient toujours pas révélées. » ("La construction des partis révolutionnaires en Europe capitaliste", p.20).

Cette nouvelle version des analyses et prévisions qui furent la base de la tactique entriste (qui ne fut pas une tactique puisqu'elle dura ni plus ni moins que 17 ans) n'a rien à voir avec l'analyse et les prévisions qui furent faites quand elle fut adoptée au début des années 50. Il résulte de cette version que l'erreur fut simplement un mauvais calcul de notre « rapport numérique » avec les tendances que nous pouvions « amener à rompre avec les partis (opportunistes) de masse ». Mais pour le reste, « les événements ont confirmé la validité » de la « perspective objective », puisque le « processus de radicalisation » et de « formation d'une nouvelle avant-garde massive » devaient se faire « dans le sein des organisations traditionnelles » pendant une période où « les tensions révolutionnaires ne s'étaient toujours pas révélées ».

N'a-t-il jamais été dit que "la guerre mondiale à court terme est inévitable ?[modifier le wikicode]

Il est absolument faux de dire que lorsque la tactique entriste fut votée, aient été faites ces prévisions et cette analyse.

Est-il vrai que l'on prévit une période sans « tensions révolutionnaires » ? Rien de plus faux : nous avons déjà vu que l'on prévit que la guerre mondiale était inévitable à court terme et que celle-ci provoquerait une guerre civile. Rien de plus opposé à l'absence de « tensions révolutionnaires ». Cette nouvelle version de l'histoire vise à confondre: elle ne mentionne pas la guerre inévitable entre l'URSS et l'impérialisme comme la principale prémisse objective qui justifia la tactique entriste.

Jamais ne fut voté l'entrisme pour rompre les partis opportuniste[modifier le wikicode]

Est-il vrai que la tactique entriste fut adoptée en prévision de la « formation d'une nouvelle avant-garde massive » au sein des « organisations traditionnelles » et pour amener ces secteurs radicalisés à « rompre avec les partis de masse » ? Faux, encore une fois. Il est vrai que l'on pronostiquait la naissance de tendances centristes, mais il est faux de dire que l'entrisme eut pour objectif de les faire « rompre avec les partis de masse ». L'entrisme « suis generis » fut adopté, essentiellement sur la base de la caractérisation que les partis opportunistes, dans leur ensemble, allaient évoluer objectivement vers des positions centristes et une orientation révolutionnaire. Voyons ce qui était dit quand fut adopté cette tactique et non ce que l'on invente maintenant, 23 ans après, pour la justifier. Par rapport aux partis communistes, il était dit:

« C'est parce que ce mouvement se trouve par ailleurs placé dans des conditions telles, à cause de l'évolution de la situation internationale vers la guerre contre-révolutionnaire de l'impérialisme uni, que, indépendamment des plans et de la volonté de sa direction bureaucratique au service de la politique du Kremlin, il se verra forcé, obligé à se radicaliser (...) à ébaucher pratiquement une orientation révolutionnaire et à agir en cas d'une guerre avec les armes à la main pour le pouvoir ».

Et comparant cela avec l'entrisme proposé par Trotski :

« (...) aujourd'hui, il ne s'agit pas exactement du même type d'entrisme. Nous n'entrons pas dans ces partis pour en sortir rapidement. Nous y entrons pour y rester longtemps, comptant sur la très grande possibilité qui existe de voir ces partis, placés dans de nouvelles conditions, développer leurs tendances centristes qui dirigeront toute une étape de la radicalisation des masses et du processus objectif et révolutionnaire dans leurs pays respectifs ». (Lettre du SI au CC du PCI français, 14 janvier 1951).

Où est l'orientation consistant à amener les tendances centristes à rompre avec les partis opportunistes de masse ? Il est dit ci-dessus et très clairement que ces partis développeront « leurs tendances centristes » qui « dirigeront toute une étape » de « processus objectif et révolutionnaire », et que c'est pour cela que nous devons y entrer. Même plus, il est dit que notre entrisme n'est pas celui que préconisait Trotski pour une brève période, mais que nous entrons « pour rester » dans les partis opportunistes pour « longtemps ». Cela veut dire que parmi nos projets n'existe pas celui de faire rompre les tendances centristes, car si c'était le cas nous y entrerions pour un bref délai, juste nécessaire pour gagner ces tendances à nos positions et les entraîner dans notre sortie.

Pourquoi ne parle-t-on pas de Tito et Mao ?[modifier le wikicode]

Quelles étaient les tendances de gauche qui, selon cette nouvelle version de l'entrisme « sui generis » allaient naître dans les partis opportunistes ? Selon le document européen de la majorité, c'étaient :

"(...) la gauche bevaniste et, plus tard, la tendance Cousins dans le parti travailliste, les JC et la tendance Ingrao dans le PC italien, les tendances d'opposition et l'UEC dans le PC français, la gauche social-démocrate dans la SFIO qui donna naissance au PSA et au PSU, la tendance Renard au sein du mouvement ouvrier belge, la gauche syn­dicale et l'opposition communiste au Danemark qui donnèrent naissance au SF. etc... » ("La construction des partis révolutionnaires..."p .20).

Mais c'est encore une falsification de ce qui était dit lors de l'adoption de la tactique entriste. Il est vrai qu'à cette époque on parlait également de Bevan, mais il n'est pas moins vrai, comme nous l'avons déjà cité dans le chapitre antérieur, que « Tito et Mao Tsé Toung trouveront leur place » dans ce « centrisme de tendances qui se rapprochent du marxisme révolutionnaire ». Pourquoi ne parle-t-on pas aujourd'hui des partis communistes chinois et yougoslave parmi les tendances de gauche qui, selon les camarades de la majorité, furent prévues correctement et « confirmées par les événements » ? Pourquoi cache-t-on aux jeunes cadres de l'Internationale que dans la conception qui donna lieu à la tactique entriste on soutenait que Tito et Mao se rapprochaient du marxisme révolutionnaire et que donc, comme nous l'avons déjà cité, « nous n'appelons pas le prolétariat de ces pays (Chine et Yougoslavie) à construire de nouveaux partis révolutionnaires ou à préparer une révolution politique » ? Pourquoi ne dit-on pas que nous n'appelions pas non plus le prolétariat des pays capitalistes à construire des partis trotskystes, mais que pendant 17 ans nous leur avons dit de rester dans ses partis opportunistes ?

Quel est le bilan de 17 années de travail sur le centrisme de gauche ?[modifier le wikicode]

Et qu'est-il arrivé à ces tendances de gauche ? Il serait correct, après avoir travaillé 17 ans avec ces tendances, de faire un bilan de notre activité. Pourquoi ne fait-on pas une analyse de la dynamique que nous avons si « correctement prévue » ? Pourquoi ne dit-on pas combien parmi elles, sous notre influence, se sont « rapprochées du marxisme révolutionnaire » ? Pourquoi n'informe-t-on pas sur les avancées politiques et organisationnelles du trotskysme qui a travaillé avec elles ? Combien de cadres avons-nous gagné ? Quels secteurs du mouvement des masses avons-nous réussi à diriger, ou avons-nous liés au trotskysme grâce à notre rapport avec ces tendances ?

Le castrisme : un « oubli » significatif[modifier le wikicode]

Mais le pire de l'affaire, c'est que l'on ne mentionne pas dans toute cette nouvelle version de l'entrisme « sui generis » l'avant-garde de « masse » la plus importante et la plus progressiste des années 60 : le castrisme. Ce silence sur le castrisme est étrange, car il s'agit de l'élément décisif, presque fondamental, qui a changé le rapport de forces au sein de l'avant-garde de masse. La raison de ce silence n'est pas difficile à découvrir. Selon le document de la majorité, une des « perspectives objectives » dont « les événements confirmèrent la validité » était que la « formation d'une nouvelle avant-garde massive » se produirait essentiellement « au sein des organisations de masse traditionnelles ». Et le castrisme est l'« événement » qui non seulement n'a pas confirmé, mais a infirmé totalement la validité de cette « perspective objective ».

La radicalisation « dans les organisations traditionnelles » s'est-elle faite en Europe après 1960 ? Où s'est formée la nouvelle avant-garde spontanéiste de 68 ? Dans ou hors des organisations traditionnelles ? N'est-ce pas un processus combiné qui s'est manifesté surtout à l'extérieur de ces organisations ? Dans toutes les manifestations de cette époque-là, on voyait le portrait du Ché Guevara. D'où sortaient ces jeunes d'avant-garde qui brandissaient ces portraits ? Des organisations traditionnelles ? Des partis staliniens et social-démocrates ?

Les camarades de la majorité montrent que cette « hypothèse » d'une avant-garde massive naissant au sein des organisations traditionnelles, « eut une réelle validité dans les pays capitalistes d'Europe » dans les années 50-60. A part l'avant-garde castriste, qui est née essentiellement en dehors de ces organisations, quelle autre « avant-garde massive », née au cours de cette période et radicalisée au sein des organisations traditionnelles et devenue tendance révolutionnaire, peuvent nous nommer les camarades de la majorité ? Absolument aucune. C'est là la raison de leur silence sur le castrisme.

Premier bilan : 17 ans d'erreurs[modifier le wikicode]

Si les camarades de la majorité avaient fait un véritable bilan des tendances centristes de gauche nées à l'intérieur et à l'extérieur des organisations traditionnelles, sans « oublier » le castrisme, ils seraient arrivés à la conclusion que même avec la politique de centrer l'inter­vention sur ces tendances, le plus correct aurait été de ne jamais appliquer la tactique de l'entrisme. Notre travail aurait dû se faire sur l'avant-garde et le mouvement influencé par le castrisme, apparu fondamentalement dans le mouvement étudiant et dans la périphérie des partis opportunistes, mais pas dans leur sein.

Peut-on adopter l'entrisme pour une longue période ?[modifier le wikicode]

Après avoir terminé cette série de justifications pour les 17 ans d'entrisme, les camarades de la majorité laissent cependant sans réponse une question qui est dans le fond beaucoup plus importante : peut-on adopter une tactique entriste pour une longue période ? Le trotskysme et le léninisme permettent-ils de rester 17 ans dans des partis opportunistes ? Absolument pas. Même si les conditions que donnaient Pablo et ses amis en 52, ou celles que donne la majorité aujourd'hui, étaient réelles, on ne peut pas adopter une tactique entriste « pour toute une étape », pour rester « longtemps » dans les partis opportunistes, comme l'a alors fait le SI en l'appliquant pendant 17 ans.

Le parti révolutionnaire doit agir d'une manière publique et indépendante pour pouvoir postuler comme direction alternative[modifier le wikicode]

La première raison, fondamentale, de ne pas adopter une tactique entriste à long terme, est la nécessité de préserver le parti trotskyste comme courant bien délimité par rapport à ceux qui existent dans le mouvement ouvrier. Le parti révolutionnaire ne doit jamais perdre son indépendance publique, politique et organisationnelle, car elle lui permet de se différencier clairement aux yeux des masses des partis opportunistes ou centristes et des secteurs ultra-gauche.

La raison de ce principe sacré pour le léninisme et le trotskysme n'a rien à voir avec une conception de type moral ni avec le fétichisme des sectes pour lesquelles l'essentiel de la politique révolutionnaire est de se différencier par rapport aux autres et non pas de mobiliser les masses. C'est une raison très profonde : la ferme conviction, basée sur une analyse scientifique, que c'est seulement sous la direction du parti trotskyste que la classe ouvrière et les masses parviendront à prendre le pouvoir.

Pour gagner la direction des masses, il est fondamental de participer en tant qu'avant-garde dans chacune de leurs luttes, en tant que parti organisé d'une manière indépendante, avec sa propre politique, ses propres réponses à chaque situation, ses propres mots d'ordre et son propre programme. Ce n'est qu'ainsi que les masses verront qu'il existe une organisation qui donne, en tant que telle, une ligne politique distincte de celles des organisations opportunistes. Le parti doit constamment se présenter publiquement avec son programme comme une alternative révolutionnaire face aux partis et aux programmes réformistes, car c'est le seul moyen pour que le parti apparaisse aux yeux des masses et de l'avant-garde comme une direction alternative possible.

Autrement dit, au cours de leurs luttes, les masses font l'expérience des organisations opportunistes, mais cela ne suffit pas pour les amener à rompre avec elles et à rejoindre le marxisme révolutionnaire. Pour le faire, elles doivent être accompagnées tout au long de cette expérience par le parti révolutionnaire. Le mouvement ouvrier n'acceptera notre direction que s'il nous a vus à ses côtés pendant de longues années et a pu connaître notre organisation, notre politique et notre programme et les confronter dans chaque lutte avec les autres organisations, politiques et programmes.

C'est la seule manière d'arracher les masses ou leur avant-garde aux griffes des directions opportunistes. Aucun ouvrier ou étudiant d'avant-garde ne rompra avec son parti s'il ne connaît pas une meilleure organisation à laquelle adhérer, en qui il peut avoir confiance, par les preuves qu'elle a données dans la lutte. Il ne le fera pas pour la simple raison qu'il préfère rester dans une mauvaise organisation que rompre avec elle et rester inorganisé. Et pour qu'il connaisse notre organisation, notre politique et notre programme et qu'il ait confiance en elle, nous devons avoir lutté à ses côtés pendant des années en tant qu'organisation publique avec un programme et une politique clairement différents de celui des organisations opportunistes.

Pablo et ses amis étaient liquidationnistes du parti révolutionnaire

Cela ne pouvait pas être ignoré de Pablo et ses amis. C'est pour cela que, afin de justifier l'entrisme à long terme, il leur fut nécessaire de réviser tout le bagage scientifique du marxisme contemporain, qui affirme que sans parti révolutionnaire il ne peut y avoir de révolution. C'est ainsi qu'ils ont découvert que, grâce à la fameuse guerre mondiale inévitable, ce seraient les partis staliniens et social-démocrates, devenus partis centristes de gauche, qui dirigeraient la révolution. La nécessité du parti trotskyste était ainsi éliminée et le maintien de l'entrisme pendant 17 ans dans les partis opportunistes ainsi expliqué.

L'entrisme est une tactique pour des situations exceptionnelles[modifier le wikicode]

Cette règle sacrée qui nous impose de maintenir notre activité publique et indépendante a comme toute règle son exception : c'est le cas de la tactique entriste. Mais dans la dialectique du normal et de l'exception c'est le normal qui prime. Cela signifie que ce moment exceptionnel où nous perdons notre délimitation publique comme courant du mouvement ouvrier pour faire de l'entrisme, est subordonné aux règles du parti révolutionnaire.

Concrètement, l'entrisme est une tactique qui ne se justifie que lorsqu'elle est utile au parti révolutionnaire indépendant, qu'après être « entré », il « sort » avec de meilleures conditions d'être reconnu et clairement délimité des autres organisations. C'est une tactique qui, dans des circonstances exceptionnelles, aide à la construction du parti et jamais à amener une autre organisation ou des tendances centristes à un prétendu cours vers la prise du pouvoir.

Nous avons vu que les deux seules stratégies à long terme des trotskystes sont la mobilisation des masses vers la prise du pouvoir et la construction du parti. Il y a des moments exceptionnels où il est particulièrement difficile de se lier au mouvement des masses et de gagner des militants pour le parti en travaillant comme organisation indépendante. Ce sont ces moments qui rendent la tactique de l'entrisme nécessaire. Dans cette analyse, nous avons déjà donné les deux seuls objectifs que doit avoir cette tactique : entrer dans un parti opportuniste pour y gagner des cadres évoluant vers la gauche (tendances centristes de gauche) ou pour mieux nous lier au mouvement des masses.

L'entrisme ne peut être adopté que pour de courtes périodes[modifier le wikicode]

Avec l'un ou l'autre de ces objectifs, l'entrisme est une tactique qui ne peut être adopté que pour de courtes périodes. Si nous les pratiquons pour nous lier au mouvement des masses, l'entrisme doit se terminer dès l'obtention du minimum d'insertion qui nous permette de continuer notre activité publique et indépendante. Mais même dans ce cas, il faut pratiquer cet entrisme dans des organisations qui nous permettent d'intervenir comme fraction publique à court terme. Et cela même diminue le délai de notre entrisme, car il n'y a pas d'organisation opportuniste qui puisse permettre qu'intervienne longtemps en son sein une fraction trotskyste qui tôt ou tard deviendra publique.

Mais que se passe-t-il si nous faisons de l'entrisme pour travailler en direction de tendances centristes, comme le disent aujourd'hui les camarades de la majorité ? Dans ce cas-là également, l'entrisme est fait pour une courte période, à cause du caractère même du centrisme. Il existe un premier type de centrisme, celui qui va vers la droite, du marxisme vers l'opportunisme, c'est le cas de la bureaucratie stalinienne. Nous ne pouvons pas travailler sur ce centrisme, sa dynamique étant contre-révolutionnaire, nous ne pouvons rien en tirer. Il existe un second type de centrisme, celui qui va de l'opportunisme vers le marxisme, vers la gauche. C'est sur ce centrisme-là que nous pouvons intervenir.

Mais ce centrisme, en tant que phénomène progressif, est un phénomène dynamique, non cristallisé, qui ne peut pas maintenir longtemps une dynamique progressive vers le marxisme révolutionnaire. Son trajet des positions opportunistes vers les positions trotskystes doit être rapide. Si nous le gagnons à notre politique, si nous parvenons à le faire passer du centrisme au trotskysme, nous avons avancé; mais si nous n'y parvenons pas, s'il se cristallise en tant que centriste, il est irrécupérable et cesse d'être un secteur sur lequel nous pouvons développer notre activité. C'est cette dynamique qui explique également que pour travailler sur les tendances centristes, notre entrisme doit être à court terme, juste le temps nécessaire pour qu'il se définisse comme trotskyste; soit nous le gagnons, soit il se cristallise comme centriste et nous l'abandonnons à son sort.

Mais encore une fois, ce ne fut pas le cas de l'entrisme « sui generis ». Quand cette tactique fut adoptée, il ne s'agissait pas de gagner les tendances centristes au trotskysme, mais de les diriger et les obliger ou les aider à prendre le pouvoir, sans qu'elles cessent pour autant d'être centristes. C'est ce qui explique le « long terme » adopté pour cet entrisme et les 17 années pendant lesquelles il fut appliqué.

Selon le SI, les tendances centristes pouvaient diriger toute une étape de la révolution, sans devenir nécessairement trotskystes. En 17 ans, elles ont largement eu le temps de se cristalliser comme centristes, mais ce n'était pas un obstacle pour Pablo et ses amis : l'entrisme « sui generis » devait permettre que le centrisme cristallisé fasse la révolution.

L'entrisme préconisé par Trotski dans les années 30[modifier le wikicode]

Quelle profonde différence avec l'entrisme préconisé par Trotski dans les années 30. Il n'eut jamais pour objectif de diriger des tendances centristes, ses deux seuls objectifs étaient de gagner rapidement des cadres trotskystes et d'insérer le trotskysme dans le mouvement des masses. Il proposait de sortir de l'entrisme dès qu'était faite une avancée sur la voie de la transformation de petits groupes de propagande en de véritables partis révolutionnaires, avec beaucoup plus de camarades qu'avant et capables d'influencer, eux-mêmes et sans intermédiaires, une fraction même petite du mouvement des masses.

L'entrisme de Trotski possède donc une profonde différence avec celui de Pablo et ses amis, principalement sur le délai pour lequel est adoptée cette tactique entriste. Pour Trotski, ce délai devait nécessairement être bref : juste le temps indispensable pour gagner une insertion minimum dans le mouvement des masses et pour gagner des cadres pour le trotskysme, en travaillant sur le centrisme de gauche pendant le bref délai où il ne s'est pas encore cristallisé en tant que centrisme permanent. Pour Pablo et ses amis, ce délai devait être très long: le temps nécessaire pour gagner, par une voie indirecte, la direction des partis staliniens et réformistes qui, sans cesser d'être centristes, allaient faire la révolution.

Bilan final : l'entrisme eut des résultats funestes pour le trotskysme[modifier le wikicode]

Les résultats de la longue stratégie entriste « sui generis » furent catastrophiques pour la fraction pabliste. La majeure partie des militants capitula devant les organisations dans lesquelles elle faisait de l'entrisme et les dirigeants capitulèrent devant l'opportunisme et rompirent avec notre mouvement. C'est ainsi qu'ils sortirent de cette période beaucoup plus faibles que lorsqu'ils y étaient entrés, avec beaucoup moins de cadres, et bien moins liés au mouvement des masses qu'auparavant. La majeure partie des cadres des deux sections les plus importantes, celles de Ceylan et de Bolivie, rompirent avec le trotskysme par la droite: dans la première, ils collaborèrent avec un gouvernement bourgeois et furent expulsés de notre Internationale; la seconde se divisa en trois ailes : celle de Moller capitula devant le MNR bolivien, celle de Lora capitula devant le stalinisme et celle de Gonzalez est toujours dans l'Internationale. Une autre des sections importantes, le posadisme argentin, a rompu également avec l'Interna­tionale par la droite et entraîné la plus grande partie de ses cadres latino-américains. Les autres sections sortirent pratiquement détruites de l'entrisme, sans cadres, sans militants et sans tradition de parti.

Ce fut le résultat de la stratégie décennale de l'entrisme « sui generis ». Et c'est ce que l'on demande aux jeunes cadres européens d'approuver aujourd'hui ! On leur demande d'approuver une position selon laquelle la guerre était inévitable, selon laquelle les partis staliniens allaient ébaucher « une orientation révolutionnaire » et lutter pour le pouvoir « les armes à la main », selon laquelle il fallait entrer pour 17 ans dans les partis staliniens, renoncer pendant 17 ans à construire des partis trotskystes. On leur demande d'approuver comme un grand succès la destruction de toutes nos sections européennes, et le fait d'avoir poussé dans les bras de l'ennemi de classe ce du réformisme les militants ceylanais, boliviens et argentins. Ce vote doit prouver quels sont les bons révolutionnaires dans notre Internationale !

3. Une conséquence de l'entrisme « sui generis » : le révisionnisme sur les partis staliniens et la révolution politique.[modifier le wikicode]

La stratégie décennale de l'entrisme « sui generis » a également une conséquence sur les analyses et les caractérisations faites par le trotskysme des partis staliniens et de la révolution politique dans les Etats ouvriers. Nous avons déjà vu que, en ce qui concerne la Chine et la Yougoslavie, Pablo et ses amis avaient abandonné, pour l'entrisme « sui generis », la tâche de construire des partis trotskystes et de réaliser la révolution politique. Mais la question n'en reste pas là. Elle s'aggrave avec la révision du programme traditionnel du trotskysme, en ce qui concerne les partis staliniens « purs » (directement dépendants de la bureaucratie soviétique), y compris le PC de l'URSS, et la révolution politique dans les Etats ouvriers de l'Est de l'Europe et la Russie elle même.

Qui avait raison : Pablo ou Trotski ?[modifier le wikicode]

Nous commencerons par les partis communistes des pays capitalistes.

Comme nous l'avons vu, Pablo et ses amis prédisaient une guerre impé­rialiste contre l'URSS et en déduisirent que les partis communistes allaient « ébaucher pratiquement une orientation révolutionnaire », « agir en cas de guerre les armes à la main pour le pouvoir » et diriger « toute une étape du processus révolutionnaire dans leurs pays respectifs ».

A la fin des années 30, avec le commencement de la seconde guerre mondiale, il existait des possibilités de guerre contre l'URSS et de montée du mouvement des masses dans certains pays. C'est-à-dire une situation très similaire à celle imaginée par Pablo et Germain pour les années 50. Cependant, Trotski en tira une conclusion totalement opposée à la leur. Pour Trotski, il fallait intervenir publiquement et d'une manière indépendante. Qui s'est trompé ? Trotski dans les années 30 ou Pablo dans les années 50 ?

L'argumentation de Trotski[modifier le wikicode]

Trotski argumente sa position de la manière suivante :

« Le centrisme bureaucratique, malgré tous ses zigzags, a un caractère extrêmement conservateur qui correspond à sa base sociale : la bureaucratie soviétique. Après dix ans d'expérience, nous sommes arrivés à la conclusion que le centrisme bureaucratique ne se rapproche pas et qu'il est incapable de se rapprocher du marxisme, du rang duquel il est sorti. C'est précisément pour cela que nous avons rompu avec l'Internationale Communiste. » (Writings, 1933-34, Pathfinder, p.85).

Comme nous le voyons, la question ne se limite pas à une analogie historique. Si Pablo a eu raison, Trotski s'est trompé, « après dix ans d'expérience », en caractérisant le stalinisme comme « extrêmement conservateur » et « incapable de se rapprocher du marxisme ». Si Pablo et ses amis ont eu raison, nous devons donc changer toutes les caractérisations trotskystes sur la bureaucratie stalinienne puisque, placée dans certaines situations objectives, celle-ci peut se transformer en un centrisme progressif, de gauche, capable de se rapprocher du marxisme et de lutter pour le pouvoir, en abandonnant son caractère « extrêmement conservateur ».

Fut-il une erreur de fonder la IVème Internationale ?[modifier le wikicode]

En dernière instance, cette analyse nous fait reculer à l'époque antérieure à la fondation de la IVème Internationale. Pendant « dix ans », le trotskysme a fait l'expérience de tenter de modifier de l'intérieur, en tant que fraction du mouvement communiste, les caractères bureaucratiques de l'Internationale et des ses sections nationales. Et il n'y est pas arrivé. Pendant « dix ans », Trotski a refusé de fonder la IVème Internationale, car il pensait que l'on pouvait récupérer la IIIème. Il n'y est pas arrivé. Avec la victoire du fascisme en Allemagne à cause de la politique stalinienne, Trotski termina ses « dix ans » d'expérience et décida de rompre avec la IIIème et de fonder la IVème, parce qu'il caractérisait le processus contre-révolutionnaire du stalinisme comme irréversible. Selon l'analyse de Pablo, menée jusqu'à ses ultimes conséquences, Trotski non seulement s'est trompé dans sa caractérisation, mais il s'est trompé également en fondant la IVème Internationale. Il a eu une attitude pressée, étant donné que 13 ans plus tard fut découvert le rôle révolutionnaire que les partis de la IIIème Internationale pouvaient remplir, à condition d'être placés dans une situation objectivement favorable. Et ces analyses furent adoptées et défendues par les dirigeants actuels de la tendance majoritaire.

Les conditions changent mais la stratégie reste[modifier le wikicode]

C'est sur la base de ces analyses que fut adoptée la ligne entriste « sui generis ». Les faits ont démontré que les prévisions comme les caractérisations étaient fausses. Pas une seule des prémisses imaginées par Pablo ne s'est réalisée. Il n'y a pas eu de guerre mondiale ni même de menace réelle. Il n'y a pas eu non plus de guerre civile, ni de lutte pour le pouvoir, ni de montée des masses, ni l'apparition de tendances centristes majoritaires au sein des partis staliniens. Au contraire, au lieu de lutter contre l'impérialisme, l'URSS a envahi l'Allemagne de l'Est puis la Hongrie. Et elle a reçu pour cela le soutien des partis communistes qui, selon Pablo et ses amis, allaient lutter pour le pouvoir dans leurs pays et ébaucher une ligne révolutionnaire. Cependant, l'entrisme continua. Les conditions avaient changé, ou plutôt étaient radicalement différentes de celles qu'avait imaginées Pablo, alors secrétaire de la IVème Internationale, mais la « stratégie » adoptée pour un temps indéfini se poursuivit.

Le prétendu cours vers la gauche des partis staliniens amena Pablo et ses amis à ne pas prévoir la lutte des ouvriers de l'Allemagne de l'Est et de Hongrie, puis de la Pologne. C'était inévitable. Avec le stalinisme virant à gauche dans le monde entier, quel besoin avaient les travailleurs des Etats ouvriers de faire la révolution politique ? Mais les premiers signes de la révolution politique se manifestèrent et Pablo et ses amis, conséquents avec l'entrisme « sui generis », élevèrent leur caractérisation du stalinisme au niveau programmatique.

Un programme réformiste pour la révolution politique[modifier le wikicode]

Nous ne voulons pas traiter ici de la question du mot d'ordre qu'il fallait avancer pour l'agitation en URSS après la mort de Staline. Ce fait ouvrait évidemment une période dans laquelle les trotskystes russes devaient écouter soigneusement le mouvement des masses pour trouver les mots d'ordre précis afin de le mobiliser. Mais les mots d'ordre que l'on avance de manière tactique sont une chose, et le programme de la révolution politique en est une autre, très différente. Ce programme n'avait pas à changer parce que Staline était mort, mais au contraire, il devenait plus actuel que jamais. Cependant, l'entrisme « sui generis » continua à faire des siennes. Quand la révolution politique devint un fait incontestable, démontré par les luttes du prolétariat allemand et annonçant celles des hongrois et des polonais, Pablo et ses amis se trouvèrent obligés d'élaborer un programme pour cette lutte. Et, en juxtaposant la révolution politique à la caractérisation du stalinisme comme virant à gauche, le mélange ne pouvait donner qu'un programme réformiste pour toute l'Europe de l'Est et l'URSS :

« Voici le programme de la révolution politique qui est actuellement à l'ordre du jour, tant en URSS que dans les démocraties populaires :

- de véritables organes de double pouvoir, élus démocratiquement par les masses travailleuses, qui exercent un contrôle effectif sur l'Etat, à tous les niveaux y compris le gouvernement ; - démocratie réelle des partis communistes ; - légalisation de tous les partis ouvriers ; - autonomie complète des syndicats par rapport à l'Etat, y compris l'Etat ouvrier ; - élaboration du plan économique par les ouvriers, pour les ouvriers. » (Déclaration du SI, 25 juin 1953, QI juillet 53, p.19-2O).

Et les trois mots d'ordre fondamentaux étaient :

« A bas le capitalisme et la guerre contre-révolutionnaire qu'il prépare ! Vive la démocratie prolétarienne ! Vive la renaissance socialiste de l'URSS, des démocraties populaires et du mouvement ouvrier international ! » (Id.).

Ce programme n'appelle pas au renversement révolutionnaire de la bureaucratie, il ne la désigne même pas par son nom; il ne lutte pas contre ses privilèges matériels, et ne pose pas le droit à l'autodétermination nationale des pays de l'Est de l'Europe et de l'Ukraine. Ce programme avance la « démocratisation réelle des partis communistes », cela signifie qu'il n'avance pas la nécessité de construire des partis trotskystes pour diriger la révolution politique.

C'est un programme réformiste et non révolutionnaire. Il ne s'agit pas de savoir si les mots d'ordre sont bons ou mauvais, mais du système, de l'articulation entre les mots d'ordre. En n'avançant pas le renversement de la bureaucratie par une révolution des masses soviétiques et la nécessité d'un parti trotskyste, les mots d'ordre deviennent réformistes et non révolutionnaires.

Le programme révolutionnaire des trotskystes orthodoxes[modifier le wikicode]

Ce programme réformiste n'a rien à voir avec notre Programme de transition :

« A bas les privilèges de la bureaucratie ! A bas le stakhanovisme ! A bas l'aristocratie soviétique, avec ses galons et ses décorations ! Egalité des salaires pour tous les types de travaux ! La bureaucratie et la nouvelle aristocratie doivent être chassée des soviets ! Dans les soviets, il n'y a place que pour les ouvriers, les membres de la base des kolkhoses, les paysans et les soldats rouges ! » « Légalisation des partis soviétiques ; les ouvriers et les paysans décideront par eux-mêmes et par leur libre suffrage quels partis seront considérés comme partis soviétiques ».

Suivent une série de mots d'ordre sur l'économie planifiée, les kolkhoses et la politique internationale (« A bas la diplomatie soviétique ») et cela se termine par :

« Il est impossible de réaliser ce programme sans renverser la bureaucratie qui se maintient par la violence et la falsification. Seul le soulèvement révolutionnaire victorieux des masses opprimées pourra régénérer le régime soviétique et assurer la marche en avant vers le socialisme. Seul le parti de la IVème Internationale est capable de diriger les masses soviétiques vers l'insurrection. A bas la clique bonapartiste de Caïn Staline ! Vive la démocratie soviétique ! Vive la révolution socialiste internationale !" (Programme de Transition, Accion Obrera, p.42-43).

4. Une conséquence tragique : la Bolivie en 1952-55.[modifier le wikicode]

Si un jeune trotskyste essaie d'étudier l'histoire de notre mouvement faite par le camarade Frank, il aura des difficultés presque insurmontables pour savoir quelle fut notre orientation en Bolivie. Bien que notre action y ait été la plus importante de notre Internationale pendant des années (avec Ceylan), selon les déclarations mêmes de Pablo et ses amis, un secret jalousement gardé entoure son histoire. On dirait qu'une section importante comme celle de la Bolivie n'a jamais existé.

La raison de cette conspiration du silence est très simple : il y eut en Bolivie la plus grande, la plus parfaite, la plus classique révolution ouvrière de notre époque. Elle eut une forte influence dans notre Internationale et il s'y est exprimé, dans sa forme la plus claire, le terrible danger que comporte la « stratégie » de l'entrisme « sui generis ». Mais assez de qualificatifs, voyons les faits.

L'échec du nationalisme bourgeois[modifier le wikicode]

La Bolivie connaissait une situation analogue à celle de l'Argentine péroniste mais sans les bases économiques qui permirent l'épanouissement du péronisme. La Bolivie est un pays très pauvre avec un prolétariat minier très fort et concentré à Oruro et La Paz, un prolétariat industriel et une petite bourgeoisie presque totalement concentrés dans la ville la plus importante, La Paz.

La tentative par la bourgeoisie d'instaurer un gouvernement bonapartiste militaire, soutenu par le mouvement ouvrier afin de résister aux pressions américaines, comme cela s'était fait en Argentine avec le péronisme, échoua du fait de la condition misérable de l'économie bolivienne. En Argentine, ce projet bourgeois eut le vent en poupe grâce à son exceptionnelle place commerciale et financière (la 3ème place mondiale dans l'après-guerre), et Peron put faire de grandes concessions économiques aux masses et acquérir ainsi un grand prestige à leurs yeux. En Bolivie, par contre, la situation économique déplorable enleva toute marge de manœuvre au gouvernement bourgeois et celui-ci ne put pas faire de grandes concessions. La croissance du prestige du trotskysme fut massive et fulgurante.

Le trotskysme gagne une influence de masse[modifier le wikicode]

Les trotskystes boliviens devinrent ainsi une direction d'un grand prestige politique dans le mouvement ouvrier et des masses boliviennes, sans réussir toutefois à consolider cette influence au niveau organisationnel - les organes officiels de notre Internationale l'ont reconnu plusieurs fois - et notre influence se refléta dans les faits mêmes de la lutte de classes. Les fameuses Thèses de Pulacayo, la base programmatique du mouvement syndical bolivien, en sont un bon exemple : En no­vembre 46, à Pulacayo (une ville minière), se réunirent les délégués de toutes les mines de Bolivie, qui adoptèrent à l'unanimité les thèses élaborées par les trotskystes, rejetant celles du MNR et des staliniens. Ces thèses, qui s'intitulaient « Programme de revendications transitoires », avançaient parmi d'autres ces positions : 1) salaire minimum vital et échelle mobile des salaires 2) semaine de 40 heures et échelle mobile des heures de travail 3) occupation des mines 4) contrat collectif 5) indépendance syndicale 6) contrôle ouvrier des mines 7) armement des travailleurs 8) caisse de grève 9) réglementation des aliments de base 10) suppression du travail contractuel. Ce programme, et particulièrement la partie concernant l'armement du prolétariat dans des milices ouvrières, fut popularisé massivement par le trotskysme et l'organisation syndicale des mineurs pendant six ans, jusqu'à la révolution de 52.

Après cette fantastique victoire trotskyste parmi les mineurs, un bloc ou front ouvrier se constitua pour la présentation de candidats aux élections. Alors que 90% de la population bolivienne ne votait pas à ce moment-là (seuls pouvaient voter ceux qui savaient lire et écrire), le bloc ouvrier gagna dans les districts miniers et obtint un sénateur et 5 députés. Le plus grand leader trotskyste, Guillermo Lora, fit avec d'autres camarades une violente utilisation du parlement bourgeois en attaquant l'armée et en préconisant la nécessité de la détruire et d'imposer les milices ouvrières.

La révolution bolivienne[modifier le wikicode]

En 51, il y eut des élections présidentielles et le MNR les gagna, mais il ne put pas accéder au gouvernement, car face à cette victoire les militaires firent un coup d'Etat et instaurèrent un régime dictatorial, extrêmement répressif. Le 9 avril 1952, la police et un secteur de l'armée, en accord avec la direction du MNR tentèrent un contrecoup d'Etat, mais ils échouèrent et leur chef militaire se réfugia dans une ambassade. La police, se voyant vaincue par les militaires, remit des armes aux travailleurs des usines et au peuple de La Paz, pour qu'ils résistent à la contre-offensive militaire. Pendant ce temps, les mineurs commencèrent à descendre sur La Paz et, après s'être emparés d'un train militaire plein d'armements, ils liquidèrent totalement l'armée bolivienne. A La Paz, par exemple, les travailleurs battirent totalement 7 régiments (la base de l'armée bolivienne) et prirent toutes les armes. Le gouvernement dictatorial tomba et un gouvernement du MNR prit sa place.

Les milices ouvrières et paysannes étaient les seules forces armées en Bolivie après le 11 avril 1952 et elles étaient dirigées, en majeure partie, par les trotskystes. Ce n'est que le 24 juillet, plus de 3 mois après, que le gouvernement décréta la réorganisation de l'armée.

Nos camarades trotskystes, en s'appuyant sur les milices armées ouvrières et paysannes - entre 50 et 100 000 hommes (les milices paysannes à elles seules en avaient 25 000) - et sur les organisations syndicales fondèrent et organisèrent la Centrale Ouvrière Bolivienne (COB), qui regroupa toutes les milices et toutes les organisations ouvrières et paysannes de Bolivie.

Le mot d'ordre de Pablo : « Tout le pouvoir au MNR ! »[modifier le wikicode]

Face à cette situation, unique dans ce siècle - une révolution qui liquide l'armée bourgeoise et organise sa propre armée prolétarienne, avec une direction et un programme trotskyste -, que font Pablo et ses amis ? Ils appliquèrent une de leurs tactiques décennales : l'entrisme. Cette ligne était imposée à l'échelle mondiale, et là où il n'y avait pas de parti stalinien, on le remplaçait par des partis socialistes ou bourgeois nationalistes, puisque c'est d'eux que naîtraient les tendances centristes qui allaient diriger la révolution. Voici les prévisions de Pablo et ses amis en 51 :

« Par ailleurs, en cas de mobilisation des masses sous l'impulsion ou l'influence prépondérante du MNR, notre section doit soutenir de toutes ses forces le mouvement, ne pas s'abstenir mais au contraire intervenir énergiquement en vue de l'amener le plus loin possible, y compris jusqu'à la prise du pouvoir par le MNR, sur la base du programme progres­siste de front unique anti-impérialiste. » (3°Congrès de la IVème Internationale : tâches générales et spécifiques du mouvement prolétarien marxiste révolutionnaire en Amérique latine, QI août 51)[1].

Pas un seul mot sur le mouvement ouvrier et ses organisations de classe, les syndicats et les futures milices et soviets ! Le camarade Pablo proposait cela tout en définissant le MNR comme un parti de la basse bourgeoisie minière, c'est-à-dire comme un parti bourgeois. Donc, selon Pablo, nous ne devions pas utiliser les mobilisations pour démasquer le MNR, pour dénoncer son rôle inévitable, en dernière instance, d'agent de l'impérialisme. Nous ne devions pas lui opposer les organisations de classe, les futures milices ou soviets. Au contraire, nous devions le pousser à « prendre le pouvoir ». Et il déguisait cette capitulation devant un parti nationaliste bourgeois derrière le programme du front unique anti-impérialiste.

En réalité, cette politique allait directement contre la tactique de front unique anti-impérialiste. La base fondamentale de cette tactique consiste à proposer des actions communes qui démasquent les hésitations et les trahisons de bourgeoisies nationalistes; et son objectif est de gagner l'indépendance politique du mouvement ouvrier par rapport à ces directions bourgeoises. L'autre face, encore plus grave, de cette dénaturation de la tactique de front unique anti-impérialiste est le renoncement à la lutte pour l'organisation et la politique indépendante des travailleurs. Pablo proposait au mouvement ouvrier de suivre un parti bourgeois, ce qui est exactement le contraire de l'objectif de cette tactique.

La capitulation totale : "gouvernement commun" du MNR et des trotskystes[modifier le wikicode]

Cette capitulation totale, exprimée dans un autre paragraphe de la résolution, dégage une odeur nauséabonde :

« Si contradictoirement, dans le cours de ces mobilisations des masses, notre section constate qu'elle dispute au MNR son influence sur les masses révolutionnaires, elle avancera le mot d'ordre de gouvernement ouvrier et paysan commun aux deux partis, toujours sur la base du même programme, gouvernement s'appuyant sur les comités ouvriers et paysans et sur les éléments révolutionnaires de la petite bourgeoisie. » (id.p.56).

Autrement dit, si nous commençons à battre le MNR à la tête du mouvement des masses, nous n'avons pas à mener cette tâche jusqu'au bout mais nous devons proposer un gouvernement partagé entre le MNR et nous. Ce gouvernement en toute logique ne devait pas être celui des comités ouvriers et paysans, puisqu'il devait « s'appuyer » sur eux.

Pour arriver à une telle position, Pablo a dû réviser la position léniniste sur le gouvernement ouvrier et paysan. Lénine était d'accord pour impulser la prise du gouvernement par les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires (quand le parti révolutionnaire n'avait pas encore les forces pour le faire), mais il affirma catégoriquement que l'on ne doit jamais faire un gouvernement commun (et il n'entra pas dans le gouvernement kérenskyste des mencheviks et socialistes-révolutionnaires). L'essence de la position léniniste était de se maintenir hors du gouvernement justement pour rester la seule alternative quand le réformisme serait démasqué aux yeux des masses par la démonstration de son impuissance au pouvoir.

Le soutien d'un gouvernement bourgeois qui n'avait ni armée ni police[modifier le wikicode]

Si en tant que ligne politique, l'orientation de Pablo et ses amis fut révisionniste et capitulatrice, en tant que prévision des événements, elle fut catastrophique. La révolution de 52 ne suivit aucun des schémas qu'ils avaient prévu en 51, au contraire. La classe ouvrière, à travers ses organisations de classe, les syndicats et les milices, liquida le régime militaire. Mais, comme toujours, même si la réalité est autre que prévue, Pablo poursuit sa stratégie. Et c'est alors que la direction du mouvement ouvrier bolivien (les trotskystes, qui faisaient ce que Pablo leur ordonnait, en première ligne) mit le MNR bourgeois au pouvoir et lui donna son soutien critique.

Nous insistons : Pablo et ses amis ont soutenu en Bolivie un gouvernement bourgeois qui n'avait ni police ni armée pour le maintenir, parce qu'ils avaient adopté cette stratégie à long terme au Congrès de 51. Pour preuve, voici ce que disait après avril 52 notre section bolivienne, directement contrôlée par Pablo et ses amis :

« Dans le moment présent, notre tactique consiste à regrouper nos forces en soudant le prolétariat et les paysans en un bloc pour défendre un gouvernement qui n'est pas le nôtre. » « Loin de lancer le mot d'ordre de renversement du régime de Paz Estenssoro, nous le soutenons pour qu'il résiste à l'attaque de la "rosca" » « Cette attitude se manifeste d'abord comme pression sur le gouvernement pour qu'il réalise les aspirations les plus vitales des ouvriers et des paysans. » (X° Conférence du POR, 10-6-53, cité par L. Justo, "La revolución derrotada").

Un an de révolution : notre mot d'ordre était « Tout le pouvoir à la COB et aux milices armées », celui de Pablo... « Soutien critique au MNR ! »

Alors que nous défendions en Bolivie le mot d'ordre de « Tout le pouvoir à la COB et aux milices armées », les camarades Frank et Germain, sans aucune honte disaient ceci, un an après la révolution de 52, dans QI :

« Le POR commença par un soutien juste mais critique au gouvernement du MNR. Cela veut dire qu'il évita de lancer le mot d'ordre « A bas le gouvernement du MNR », il le soutint critiquement contre toute attaque de la part de l'impérialisme et de la réaction, ainsi que pour toute mesure progressiste. » (QI, avril 53, p .25).

Entre parenthèses, nous ne voyons pas la relation entre ne pas lancer le mot d'ordre immédiat de « A bas le gouvernement » et le soutien critique, puisque nous pouvons ne pas le lancer sans que cela signifie soutenir le gouvernement, ni de manière critique ni autrement.

En juillet 53, la revue officielle de notre Internationale, Quatrième Internationale, dans son édition espagnole (supervisée à la virgule près par Pablo et ses amis), faisait de la situation bolivienne le tableau suivant :

« L'organisation des milices ouvrières s'amplifie parallèlement à celle des masses paysannes... » « Le régime a évolué en effet vers une espèce de « kérenskysme » très avancé, beaucoup plus accentué que celui de Mossadegh en Iran, par exemple. » (p.74).

Et dans cette situation de « kérenskysme avancé », nous continuions à ne pas lancer le mot d'ordre de « Tout le pouvoir à la COB et à ses milices ».

Deux ans de révolution : « Tout le pouvoir à la gauche du MNR », « Défense armée du gouvernement de Paz Estenssoro ! »[modifier le wikicode]

Un an de plus passa - deux depuis la révolution - et le IV° Congrès de l'Internationale se réunit. Pablo et ses amis y poursuivirent leur stratégie décennale, ils ne perdirent en rien leur goût profond pour les organisations non prolétariennes et pour les tendances centristes et continuèrent à refuser d'appeler la COB, l'organisation ouvrière par excellence, à prendre le pouvoir. Ils avaient trouvé une autre organisation centriste digne de leur « soutien critique » : la gauche du MNR.

« En Bolivie, le tournant à droite et réactionnaire de la politique du MNR, cédant à la pression de l'impérialisme et à la réaction indigène, rend plus impérieuse que jamais une franche dénonciation de ce tournant par le POR, qui doit enlever toute sa confiance à ce gouvernement, comme aux ministres ouvriers, en appelant constamment la COB et en travaillant systématiquement en son sein afin d'appliquer une véritable politique de classe indépendante du MNR et d'engager la centrale dans la voie du gouvernement ouvrier et paysan; la campagne systématique pour cette perspective, ainsi que pour le programme d'un tel gouvernement, la campagne pour des élections générales, avec droit de vote pour tous les hommes et les femmes de plus de 18 ans, pour élire une assemblée constituante et la présentation de listes ouvrières de la COB à ces élections. Cette politique est la seule qui puisse provoquer une différenciation au sein du MNR et obliger son aile gauche très diffuse et désorganisée à rompre définitivement avec la droite et avec ses dirigeants « ouvriers » bureaucratisés, et à s'engager dans la voie du gouvernement ouvrier et paysan. » (Résolution du IVème Congrès, QI juin 54, p.54).

La ligne aurait été parfaite, avec une modification : pour garantir tout cela (constituante, élections, etc.), il faut que la COB prenne le pouvoir. Mais Pablo et ses amis ne le disaient pas. Qui allaient donc appeler à cette constituante ? Si ce n'était pas la COB au pouvoir, il ne restait que le gouvernement de Paz Estenssoro ou un prétendu gouvernement de la gauche du MNR. Cette ligne confirmait celle que s'était donnée la section bolivienne un an plutôt, exprimée dans un manifeste publié le 23 juin 53, avec la bénédiction de Pablo et ses amis.

« La menace de conspiration réactionnaire est devenue permanente... par conséquent nous devons... défendre le gouvernement actuel... par la... défense armée du gouvernement ».

Bien que cela paraisse incroyable, c'est bien du gouvernement bourgeois qu'il s'agit, du gouvernement bourgeois de Paz Estenssoro. Peut-être que le danger de « conspiration réactionnaire » justifiait le fait de ne pas avancer momentanément le mot d'ordre de « Tout le pouvoir à la COB » et de le remplacer par le mot d'ordre décisif de « Front ouvrier contre la réaction ». Mais la stratégie consistant à ce que la COB prenne le pouvoir restait en vigueur, et en aucun cas on ne pouvait avancer le mot d'ordre de « défense » d'un gouvernement bourgeois. Cependant, quel était le mot d'ordre de pouvoir par lequel se terminait ce manifeste ?

« Toute cette lutte doit tourner autour du mot d'ordre « Contrôle total de l'Etat par l'aile gauche du MNR ! ». » (BI du POR, mai 56, p .262, dans "La revolucion derrotada").

Quatre ans de révolution : nos positions triomphent mais il est trop tard[modifier le wikicode]

Le temps passa et la gauche du MNR échoua. Ainsi, quatre ans après la révolution, alors que l'armée avait réussi à se restructurer, étant donné que l'on ne pouvait plus faire confiance au MNR - comme au début - ou en son aile gauche - comme ensuite - Pablo et ses amis adoptèrent la ligne pour laquelle notre parti avait lutté systématiquement depuis le début. Dans une résolution du CE du POR bolivien de mai 56, enfin (mais trop tard) il est dit :

« En renforçant et en développant tous les organes de double pouvoir, face aux conflits avec le gouvernement, avec la bourgeoisie, l'oligarchie et l'impérialisme, face au parlement et aux tentatives du gouvernement Siles pour prendre de l'influence dans les syndicats, nous impulserons la tendance des masses en lançant : « Que la COB règle tous les problèmes ! » et « Tout le pouvoir à la COB ! ». »

Enfin, ils se rendaient compte de ce que nous répétions depuis des années. C'était une victoire, tardive, de notre lutte et de notre polémique. La capitulation de Pablo et ses amis était découverte, les terribles dangers qui nous guettaient derrière les fameuses « tactiques » à long terme, basées sur des hypothèses concernant l'avenir et non la réalité présente, étaient mis en lumière.

5. La tactique de l'entrisme « sui generis » face aux putschs réactionnaires argentins de 55 et aux gouvernements « gorilles » de 55-58.[modifier le wikicode]

La stratégie décennale de l'entrisme « sui generis » n'eut pas seulement des conséquences désastreuses en Bolivie. En Argentine, cette stratégie fut également tragique pour les trotskystes. Le mot « gorille », qui a acquis un sens universel, n'est pas né par hasard dans notre pays. C'est ici (et au Guatemala) qu'apparurent après-guerre les premiers gouvernements ultra-réactionnaires analogues au gouvernement actuel du Brésil. Avec la dictature militaire argentine sont apparus les camps de concentration regroupant des milliers de prisonniers, l'illégalité des syndicats, des partis de gauche et des partis bourgeois d'opposition, les assassinats et la torture des militants syndicaux, de gauche et d'opposition .C'était une dictature peut-être encore plus brutale que celle du Brésil actuellement. C'est de là que ces dictatures tirent le nom justifié de « gorille » que leur a donné le prolétariat argentin. Il est intéressant de voir quelle fut la politique suivie à cette époque par Pablo, et la nôtre, face aux coups d'Etat comme aux dictatures gorilles.

Nos prétendus opportunisme et capitulation devant le péronisme[modifier le wikicode]

Dans une résolution imposée par la majorité, le CEI a qualifié la politique de notre parti à cette époque comme opportuniste et capitulatrice devant le péronisme. Nous devons donc commencer par l'exposition réelle de notre prétendu « opportunisme ». Cette tâche est rendue encore plus nécessaire par le fait que nous ayons critiqué sévèrement notre section bolivienne pour sa politique face aux récents coups d'Etat réactionnaires. Notre trajectoire justifie-t-elle ces critiques ? , se demanderont de nombreux camarades étrangers ou nouveaux dans le mouvement et qui ne connaissent pas sa véritable histoire.

Nous avons publié plusieurs fois sous forme de brochures ou de livres nos documents de cette époque-là (« 1954 : année-clé du péronisme », « Qui sut lutter contre la « révolution libératrice » avant le 16 septembre 55 ? » (Le premier putsch « gorille » qui échoua), « Et après Peron ? »). Pour démontrer leurs accusations, les camarades de la majorité ont pourtant entre les mains une documentation abondante et très maniable, puisqu'ils n'ont pas à recourir aux archives ou à la collection de journaux.

Notre véritable orientation est documentée[modifier le wikicode]

De cette documentation, il ressort très clairement les faits suivants :

1) A partir de novembre 54, sept mois avant le premier putsch et dix mois avant le putsch victorieux, nous avons lancé une campagne contre le coup d'Etat réactionnaire en disant qu'il se produirait. Cette campagne se traduisait dans les titres de tous les journaux que nous avons publiés après cette date. Un historien reconnu comme Milciades Peña a fait une préface à notre article, disant ceci :

« Dès le premier moment, les militants socialistes révolutionnaires trotskystes ont dit très clairement quel serait le sens réel de cette lutte et leur position dans cette lutte. Et dès le premier moment, ils ont prévu le putsch et alerté la classe ouvrière contre celui-ci ». (« Qui a su lutter... »)

2) Sans faire aucune confiance au gouvernement péroniste, nous avons su distinguer les différences dans le camp ennemi, et sans les minimiser en les considérant comme de simples variantes bourgeoises. Nous signalions que le gouvernement Peron était bourgeois et incapable de combattre le putsch, mais nous signalions également qu'il était distinct de l'impérialisme américain et de ses agents politiques, l'église catholique et les partis d'opposition qui préparaient le coup d'Etat réactionnaire.

3) Nous insistions sur la principale tâche politique posée depuis décembre 54 : combattre le coup d'Etat inévitable que préparait la réaction. Nous appelions à un accord technique avec le gouvernement péroniste pour lutter contre le putsch, et à un front unique avec les partis ouvriers et principalement la CGT. Nous sommes intervenus dans toutes les mobilisations du mouvement ouvrier et des masses contre les préparatifs putschistes et nous avons joué un rôle très important dans l'écrasement par le mouvement ouvrier du premier putsch et dans la formation des premières milices ouvrières que le pays ait connues depuis la « semaine tragique » de 1919.

4) Nous avons appelé à la formation de milices et à l'armement des syndicats pour lutter contre le coup d'Etat. Nous avons dénoncé systématiquement le gouvernement péroniste comme un gouvernement bourgeois qui allait laisser faire le putsch car il était incapable de le combattre. Nous avons souligné systématiquement que nous n'avions rien à voir avec le péronisme.

Nous avons prévu et lutté contre le coup d'Etat dix mois avant qu'il n'éclate[modifier le wikicode]

Voyons quelques preuves déterminantes. Notre premier article contre le putsch fut publié dans notre journal du 3 décembre 1954. Cet article, le plus important du journal, et intitulé « l'église catholique au service du coup d'Etat de l'impérialisme yankee. Seule la mobilisation de la classe ouvrière arrêtera le coup d'Etat et la colonisation du pays », disait :

« En même temps, le discours de Peron, mesuré dans toutes ses paroles et prononcé sur le ton de l'explication et non de l'agitation, est le meilleur indice du fait que le gouvernement ne veut pas mobiliser les masses au-delà de réunions formelles qu'il puisse contrôler. Cependant, seule la plus large mobilisation de la classe ouvrière renforcera le pays face à la tentative de colonisation de l'impérialisme yankee. » « Le gouvernement péroniste, qui est engagé dans une politique de collaboration de classes et se met avec de plus en plus d'évidence du côté du patronat, n'est disposé à céder sur aucune des revendications que la classe ouvrière lui présente. » « En tant que parti anticapitaliste et anti-impérialiste, nous voulons que notre position soit très claire par rapport à ce problème. Ce n'est pas une position sur le papier mais une position de lutte. Malgré toutes nos divergences avec le gouvernement péroniste, malgré nos critiques, nous voulons dire publiquement que tant que le gouvernement ne se rendra pas à l'impérialisme yankee, face au coup d'Etat fomenté par Wall Street, nous lui offrons un accord de caractère technique, bien délimité, public et sans engagement politique, afin d'arrêter toutes les tentative de l'impérialisme pour coloniser le pays et surexploiter notre classe ouvrière. »

Notre dernier journal avant le coup d'Etat[modifier le wikicode]

Dans le dernier journal avant le coup d'Etat victorieux, pour ne pas ennuyer par de nombreuses citations, nous disions ceci :

« Nous n'avions pas confiance, nous ne l'avons toujours pas dans la politique et les méthodes du gouvernement actuel, bien que nous respections la majorité avec discipline ». « Le fait que nous acceptions la volonté de la majorité des travailleurs ne signifie pas que nous soyons péronistes, ni non plus l'aile gauche du péronisme, ni même un allié du péronisme. Nous sommes une organisation distincte du péronisme, notre parti est un parti ouvrier, le péronisme par contre est un parti bourgeois, un parti pour la défense de l'ordre actuel des choses. » « Si nous sommes pour certaines actions aux côtés du gouvernement péroniste et contre l'opposition, c'est parce que, bien que nous soyons pour le remplacement du gouvernement actuel par un gouvernement de la CGT et de toutes les organisations ouvrières et paysannes, nous sommes contre le remplacement du gouvernement actuel par un gouvernement des curés, des patrons et de l'impérialisme yankee. » (Article principal intitulé : « Bas les pattes la réaction cléricale, le patronat et l'impérialisme ! Mains libres aux ouvriers ! », 5 septembre 1955).

Un tract significatif : où sont l'opportunisme et la capitulation ?[modifier le wikicode]

Dans un tract de la même époque nous disions :

« Travailleurs: la Fédération socialiste de Buenos Aires qui édite le Journal "La Verdad" vous lance un appel urgent :

« Soutenez les directives de la CGT défendez la situation actuelle contre la réaction qui veut imposer un gouvernement militaire réactionnaire !

« Il ne s'agit pas de défendre un gouvernement, le gouvernement péroniste, mais d'empêcher que triomphe un gouvernement ouvertement pro-capitaliste et anti-ouvrier.

« Nous ne sommes pas favorables à la politique péroniste, ni aux manèges des dirigeants syndicaux qui s'enrichissent sur le dos des ouvriers et suppriment la démocratie syndicale. Mais dans ce cas précis, nous mettons au premier plan l'unité de la classe ouvrière et du mouvement syndical contre l'attaque que mène la réaction pour imposer son gouvernement. Si le putsch militaire gagne, la classe ouvrière perdra son organisation et son unité, et les patrons, l'impérialisme et le clergé seront les maîtres tout puissants du pays. C'est pour cela que nous pensons qu'il faut soutenir l'action de la CGT contre le coup d'Etat. Cela ne nous empêche pas de vous avertir fraternellement des dangers suivants :

« Nous ne devons pas oublier que le 14 juin la direction du mouvement syndical assurait qu'il ne se passait rien et que deux jours plus tard le coup d'Etat éclatait. Nous ne devons pas oublier non plus que jusqu'à il y a quelques jours, on disait qu'il ne se passait rien et qu'il fallait garder son calme « en allant de la maison au travail et du travail à la maison ». Cette politique s'est révélée comme une grave erreur : si la classe ouvrière s'était mobilisée, elle n'aurait pas subi deux coups d'Etat en trois mois.

« Ce que nous vous disons depuis un an, nous vous le répétons maintenant : seule la mobilisation et l'initiative de la classe ouvrière peuvent écraser une fois pour toutes les coups d'Etat réactionnaires. C'est pour cela que, avec discipline, nous demandons et exigeons des directions syndicales quelles mettent en pratique la résolution sur les milices ouvrières.

« Camarades, nous tous unis, sans exception, devons lutter contre le coup d'Etat de la réaction et devons exiger l'application de la résolution sur les milices ouvrières, car c'est la seule façon d'écraser UNE FOIS POUR TOUTES la réaction cléricale, patronale et impérialiste. Fédération socialiste de Buenos Aires, 17-9-55. Lisez "La Verdad". »

La section officielle n'a pas dit un mot contre le coup d'Etat[modifier le wikicode]

La section dirigée par Posadas et reconnue par Pablo ne disait pas un mot contre le coup d'Etat, tandis que nous menions cette lutte et que nous nous risquions dans la rue contre le putsch réactionnaire. Nous le répétons: pas un seul mot ! Voyons un seul exemple: dans le journal de la section précédant le 1er mai, à peine plus d'un mois avant le premier coup d'Etat du 10 juin qui donna naissance aux milices ouvrières et fit des centaines et des milliers de morts (cela ne s'est jamais su), et l'affrontement du mouvement ouvrier avec la marine, il n'y a pas - ne parlons pas d'une ligne politique contre le putsch ! - pas un seul article qui touche ce problème. L'éditorial donne le programme de la section pour les mois à venir en onze points. Le premier, cela ne pouvait pas manquer, est « contre les préparatifs de guerre ! » (Ligne avancée par Pablo selon laquelle la guerre mondiale venait à court terme). Le second : « Pour l'expulsion de l'impérialisme ! ». Le troisième : « Soutien à la révolution bolivienne ! ». A partir du quatrième commencent les mots d'ordre et tâches nationaux :

« 4) Défense de tous les acquis ! Pas un pas en arrière sur les conquêtes ! 5) Défense et renforcement de l'organisation syndicale... 6) Salaire minimum vital et échelle mobile des salaires ! 7) Contrôle ouvrier de la production ! 8) Contre toute loi et mesure répressive contre le mouvement ouvrier ! Liberté pour tous les militants ouvriers emprisonnés ! 9) Pour un congrès des organisations syndicales contre l'offensive bourgeoise et le coût de la vie ! 10) Pour un gouvernement ouvrier et paysan ! » ("Voz Proletaria", 25 avril 1955, n° 104).

Pas un mot sur le danger de coup d'État, ni un mot sur la nécessité de milices ouvrières, ni d'une politique face à la réaction !

La section officielle dénonce le putsch... après qu'il ait eu lieu[modifier le wikicode]

Et le coup d'Etat triompha, vint la répression la plus féroce contre le mouvement ouvrier et péroniste, les syndicats furent contrôlés. La section officielle fut bien obligée de reconnaître qu'il y avait eu un coup d'Etat « clérical, oligarchique et impérialiste ». Dans un tract postérieur au putsch, ils reconnaissent qu'il y a :

« des massacres de travailleurs par les tanks, les bombes, les mitraillages par avions, les canons et les mitrailleuses. Il s'est accompli et se déroule le massacre massif de travailleurs le plus criminel et le plus sanguinaire de l'histoire de la bourgeoisie argentine ». « Sans avoir encore de rapports complets pour tout le pays, nous avons vu et nous savons que cette paix et cette liberté auxquelles on nous appelle et qu'on nous promet laisse un bilan de 6000 morts à Mendoza, presque 20 000 à Cordoba, des ouvriers massacrés et des dirigeants fusillés à Mar del Plata et Bahia Blanca (nous n'avons pas de données précises sur les bombardements des zones ouvrières de Santiago del Estero et de Rosario) ; selon des informations non précisées, le massacre atteint 7000 ouvriers ; des manifestants cégétistes portant des pancartes qui disaient « Soldats ne tirez pas, nous sommes le peuple » furent mitraillés par des avions de chasse ; à Cordoba, ils ont lancé des bombes sur les quartiers ouvriers par les hublots d'avions commerciaux ; par la radio étrangère, nous savons qu'à Tucuman (nous n'avons toujours pas d'informations directes) il y a eu une terrible tuerie. » (Supplément à "Voz Proletaria", 26 septembre 1955).

La véritable explication : l'entrisme « sui generis »[modifier le wikicode]

Malgré cette reconnaissance des caractères du putsch, ils ne firent aucune autocritique (ni Posadas, ni son ami intime et défenseur inconditionnel Pablo) de la politique qu'ils eurent au cours de l'année 55. Cette politique obéissait à une raison profonde, à l'entrisme « sui generis ». Le programme que nous avons cité ne mentionne pas la politique pourrie du PC argentin qui faisait le jeu de la réaction cléricale. Dans tout le journal non plus n'est pas mentionnée la politique pourrie du stalinisme dans le monde. Il n'y a que des éloges pour la Chine et sa politique. Par contre, l'ennemi principal était le gouvernement péroniste et la bourgeoisie dans son ensemble, surtout celle liée au péronisme. C'était une application tactique de l'entrisme, du suivisme par rapport au stalinisme national et international, qui avait toujours été contre le péronisme pour des raisons tactiques : pour contrôler le mouvement ouvrier et avoir ainsi une monnaie d'échange avec l'impérialisme. La section pabliste fut la variante de gauche du stalinisme argentin.

Ensuite vint la lutte contre les gouvernements « gorilles ». Notre parti centra sa lutte contre les gouvernements, pour les droits démocratiques. Nous avons commencé la lutte pour le droit du péronisme et du général Peron à intervenir politiquement, pour la légalité de ce parti bourgeois qui avait le soutien de presque tout le mouvement ouvrier. Nous avons dénoncé la dictature « gorille » en proposant la lutte pour la renverser. Nous avons été parmi les fondateurs des 62 organisations de résistance au gouvernement. Nous avons été de toutes les luttes. Le gouvernement « gorille » nous a « distingués » et nous a persécutés avec acharnement, encore plus que le péronisme et les partis de gauche antigorilles qui se sont battus contre le putsch. Même le PC subit quelque peu la répression.

La seule gauche légale sous la dictature « gorille » : le « trotskysme » de Pablo et Posadas[modifier le wikicode]

Mais il y eut un parti qui fut totalement légal, le seul parti de gauche dont la presse légale se vendait dans tous les kiosques sous la protection policière, le seul à qui fut donné la possibilité de parler à la radio (et qui l'utilisa). Tandis que nous, et tous les autres qui luttaient contre la dictature « gorille », nous étions envoyés dans les camps de concentration et les prisons. Ce parti, miracle des miracles, obtenait la légalité, et dans sa presse il se glorifiait de l'avoir obtenue grâce à une lutte intense. CE PARTI ÉTAIT L'ENFANT CHÉRI DU CAMARADE PABLO, LA SECTION MONTRÉE COMME MODÈLE A TOUT LE MOUVEMENT TROTSKYSTE MONDIAL, LE MODÈLE DE L'ENTRISME « SUI GENERIS » ET DE TOUTE LA POLITIQUE DE LA MAJORITÉ D'ALORS. CE PARTI RECEVAIT LE 24 OCTOBRE 1955, UN MOIS APRÈS LE PUTSCH CONTRE LEQUEL IL N'AVAIT PAS LUTTE, UN SALUT ET DES FÉLICITATIONS DU CEI, QU'IL PUBLIA EN JANVIER 1956 DANS SON JOURNAL LÉGAL SOUS LA DICTATURE « GORILLE ».

Quel était le secret de cet amour de la dictature « gorille » pour la section officielle ? Il réside dans de nombreux faits politiques de grande importance : 1) la section pensait, et le disait publiquement, que les ouvriers ne devaient pas lutter pour la légalité du péronisme et du général Peron, car « c'étaient des partis bourgeois » ; 2) dans le cadre de l'entrisme « sui generis », la section suivait le stalinisme comme son ombre, et celui-ci avait des relations assez bonnes avec la dictature afin que celle-ci lui laisse une petite place dans le contrôle militaire des syndicats. L'ennemi principal pour la section comme pour le stalinisme était la hiérarchie syndicale péroniste, pas les gouvernements « gorilles ». En toute logique, la section n'eut pas, à notre connaissance, de prisonniers puisque ses militants étaient légaux.

Aujourd'hui, le camarade Germain nous critique pour avoir utilisé les marges de légalité que les travailleurs ont conquises par leurs luttes. Nous pensons qu'avant de nous critiquer, qu'il ait raison ou non, il devrait commencer par faire son autocritique pour avoir soutenu publiquement pendant des années la politique funeste de sa section officielle dans notre pays.

6. La stratégie du contrôle ouvrier.[modifier le wikicode]

Pendant la période de l'entrisme « sui generis », les camarades de la majorité commencèrent à proposer une nouvelle stratégie décennale : le contrôle ouvrier. Cette stratégie naquit vers 1964, elle continue aujourd'hui, et le camarade Germain menace de la maintenir encore pendant des siècles, bien qu'il commence maintenant à en impulser une autre pour l'Europe : le travail sur l'avant-garde de masse. Dès la naissance de la stratégie de contrôle ouvrier, Germain l'a justifiée par sa théorie sur la nouvelle structure et les lois du néocapitalisme : on ne luttait plus contre les bas salaires et le chômage mais contre la direction des entreprises. Actuellement, la justification tend à changer semble-t-il, étant donné que la situation économique des pays impérialistes, et particulièrement celle des pays européens, a démenti la théorie « germainiste » et mis de nouveau à l'ordre du jour les luttes économiques « traditionnelles ». Mais la stratégie demeure ; avec une nouvelle justification pas encore tout à fait élaborée, mais elle demeure.

Trotski et le contrôle ouvrier[modifier le wikicode]

Cependant, Trotski s'est battu contre l'aile droite du communisme, les brandléristes, qui lançaient le mot d'ordre de contrôle ouvrier pour toute une période. C'est que pour Trotski, contrairement aux opportunistes qui sont toujours pour ce mot d'ordre, celui-ci ne peut être le thème de la propagande et de l'agitation que dans une étape révolutionnaire, quand le double pouvoir, la révolution socialiste et la nationalisation de toute l'industrie sont posés :

« Le contrôle ouvrier est une mesure de transition dans les conditions de la plus haute tension de la lutte de classes, et ne peut se concevoir que comme un pont vers la nationalisation révolutionnaire de toute l'in­dustrie. » ("The Struggle Against Fascism in Germany", León Trotski, Introduction par Ernest Mandel, p.242).

Trotski insiste en disant que cette nationalisation ne peut se faire qu'avec le pouvoir ouvrier et les soviets :

« D'une manière générale, le contrôle ouvrier n'est concevable que lorsque la prépondérance des forces politiques du prolétariat sur celles du capitalisme est indubitable. » « Le mot d'ordre de contrôle ouvrier sur la production se réfère en général à la période de la création des soviets. » « Ils (les brandléristes) se condamnent eux-mêmes en citant le fait d'avoir répété pendant un grand nombre d'années le mot d'ordre qui n'est à avancer qu'en période révolutionnaire. » (Idem p.243).

1964 : Naissance de la « stratégie » du contrôle ouvrier[modifier le wikicode]

Trotski peut dire ce qu'il veut, cela n'intéresse pas les camarades de la majorité et encore moins le camarade Germain. La première fois qu'ils avancèrent la stratégie de contrôle ouvrier fut en 64 :

« La revendication de contrôle ouvrier est actuellement la revendication stratégique centrale des socialistes et du mouvement ouvrier en général. » (Mandel, "l'Économie du néocapitalisme"(1964), dans "Essais sur le néocapitalisme". ERA 1971).

Au congrès de 1965, bien avant que commence la vague de luttes massives du prolétariat européen, dont les plus grandes expressions furent mai 68 en France et 69 en Italie, il était dit :

« Le mot d'ordre de contrôle ouvrier apparaît comme le mot d'ordre central de cette étape de la lutte, sur lequel débouchent toutes les autres revendications transitoires. » (VIIIème Congrès, CI, avril 66, p.134).

1969 : Après le mai français, le contrôle ouvrier continue

Après mai 68, Mandel assurait que :

« La revendication de contrôle ouvrier est à l'ordre du jour » et « l'expérience de mai 68 en France montre une des principales raisons pour lesquelles la revendication de contrôle ouvrier occupe une place de première importance dans notre stratégie socialiste qui vise au renversement du capitalisme dans les pays industrialisés. » (Mandel : "Le débat sur le contrôle le ouvrier", International Socialist Review, mai-juin 69, p, 1 et 3).

1973 : Le contrôle ouvrier est un des axes du document européen de la majorité[modifier le wikicode]

Dans le document européen de la majorité, cette ligne de contrôle ouvrier est donnée à deux occasions comme essentielle parmi les dix tâches centrales pour nos sections :

« Intervenir systématiquement dans toute agitation ouvrière, dans toutes les grèves et campagnes revendicatives, en posant la problématique du Programme de transition dans son ensemble, c’est-à-dire en arrêtant une série de revendications centrées essentiellement sur le mot d'ordre de contrôle ouvrier, revendication qui a aujourd'hui un rôle capital, car elle conduit les travailleurs à remettre objectivement en question l'autorité du patronat et de l’Etat bourgeois et à créer des organes de double pouvoir. » (BII n° 4. p.25 de l'édition du PST).

Et dans un autre point il insiste :

« Assurer une propagande systématique dans le mouvement ouvrier, organisée autour des revendications transitoires et orienter la recomposition de celui-ci afin qu'elles soient défendues - surtout celle de contrôle ouvrier - par des secteurs du mouvement syndical et des organisations ouvrières traditionnelles en voie de radicalisation. » (Idem p.26).

Le contrôle ouvrier et le problème du pouvoir[modifier le wikicode]

Cette position consistant à extraire un mot d'ordre de notre programme, pour le transformer en axe de toute notre politique est typique de la majorité. Elle l'a fait avec la guerre de guérillas et la lutte armée en Amérique latine. Mais dans le cas du contrôle ouvrier, c'est encore plus dangereux car cette ligne peut, par sa propre logique, arriver à remplir le même rôle réformiste que le mot d'ordre de « socialisme » de la social-démocratie dans l'après-guerre. Comme toute position erronée, elle va contre les expériences de la lutte de classes. Le problème du pouvoir, selon le même document, va être posé par :

« Le caractère de l'époque confère aux luttes de masse non seulement un caractère politique objectif, mais implique également la nécessité impérieuse de poser la question du pouvoir politique... » (Idem p .13).

Par ailleurs le même document reconnaît que le détonateur des explosions du mouvement des masses européennes peut être très divers :

« (...) les revendications économiques (années 19-20 et 25-26), une crise économique aiguë (1923), un brusque changement défavorable de la conjoncture économique (60-61), la réaction contre un coup d'Etat d'extrême-droite (Espagne en 36 et Grèce en 63), les espérances d'un changement politique fondamental (juin 36 en France) les révoltes étudiantes (mai 68), la crise monétaire, les guerres coloniales, la défense des droits acquis par le mouvement ouvrier (droit de grève, libertés syndicales...). Il serait vain d'établir d'avance la séquence possible ». (Idem p.18).

Le camarade Germain et les autres camarades de la majorité nous disent qu'il peut y avoir plusieurs détonateurs pour la mobilisation des masses, ils nous disent que « le caractère de l'époque... implique la nécessité impérieuse de poser la question du pouvoir politique », et ces deux affirmations sont très correctes. Mais ensuite, ils nous disent que face à toutes les situations, notre mot d'ordre central doit être celui de contrôle ouvrier. Cela est très dangereux et peut nous faire tomber dans le réformisme. D'abord parce que le contrôle ouvrier n'est pas un mot d'ordre de pouvoir, et ensuite parce que nous donnons des illusions aux masses en leur disant que, avec le contrôle ouvrier sous le régime bourgeois, nous pouvons résoudre toute cette gamme de problèmes (crises économiques, tournants violents à droite, guerre coloniale, etc...).

Construire le socialisme sans prendre le pouvoir ?[modifier le wikicode]

En suivant la logique de cette façon de poser le contrôle ouvrier comme tâche centrale pour un temps indéfini, nous pouvons arriver à dire que l'on peut construire le socialisme sans prendre le pouvoir. Cela signifie qu'ainsi nous n'avons pas comme tâche centrale l'éducation des travailleurs sur la nécessité de prendre le pouvoir, mais d'exercer le contrôle ouvrier et la gestion socialiste au sein de l'Etat bourgeois. Le camarade Mandel s'approche dangereusement de cette conclusion :

« Dans la vague de grèves qui traverse l'Europe depuis mai 68, les sections et les militants de la IVème Internationale ont poursuivi fondamentalement un triple objectif : 1) populariser, étendre régionalement, nationalement et internationalement les expériences de la lutte ouvrière la plus remarquable, tant par les revendications avancées que par les formes d'organisation et de combat adoptées ; 2) propager, enraciner dans le sein des masses ouvrières la contestation de l'autorité patronale, la lutte pour le contrôle ouvrier. C'est à travers cette contestation que les travailleurs acquerront la conscience et la pratique nécessaires pour passer, dans les futures grèves et explosions révolutionnaires, à la prise de leurs usines et à la socialisation de la production ; 3) stimuler la création d'organes de direction des grèves contrôlées par les masses de travailleurs, c'est-à-dire, des comités de grève démocratiquement élus qui rendent compte régulièrement en assemblée générale des grévistes. Si les travailleurs apprennent à gérer leurs propres grèves, ils apprendront ainsi d'autant plus vite à gérer demain leur propre Etat et leur propre économie. » (Discours de Mandel le 16 mai 1971 à Paris en hommage à la Commune de Paris. IP, vol.9, n°25, p.608).

Heureusement, nous ne connaissons pas de positions théoriques de la part d'autres camarades de la majorité coïncidant avec celle du camarade Mandel. Mais la « stratégie » du contrôle ouvrier est, dans cette conception et en réalité, justifiée théoriquement. Et cette tentative théorique n'a été faite jusqu'à présent que par Mandel-Germain. Si nous suivons cette voie, le danger qui guette notre Internationale est clair : en commençant par la « stratégie » du contrôle ouvrier, nous pouvons finir par l'abandon de la lutte pour le pouvoir.

7. Deux interprétations et deux orientations pour la grève générale de mai 68 en France.[modifier le wikicode]

L'erreur de la stratégie de l'entrisme « sui generis » a eu des conséquences tragiques en Bolivie en 52-55 et en Argentine en 55 ; la stratégie pour dix ans du contrôle ouvrier manifeste ses terribles dangers potentiels dans l'interprétation faite par le camarade Mandel de la grève générale de mai 68 et dans l'orientation que, selon lui, il aurait fallu appliquer.

Trotski et la grève générale[modifier le wikicode]

Il existe une phrase de Trotski qui devrait être l'introduction de toute analyse d'une grève générale dans n'importe quel pays du monde, et même plus particulièrement en France pour celle de 68, car Trotski y parle de la situation française à la veille de la grève générale de 36 :

« Par dessus toutes les tâches et tous les mots d'ordre partiels pour notre époque est posée LA QUESTION DU POUVOIR ». (Majuscules de Trotski, "Où va la France ?", mars 35, p. 86).

Cette affirmation catégorique de Trotski s'explique par son analyse de la signification d'une grève générale :

« L'importance fondamentale de la grève générale, indépendamment du succès partiel qu'elle peut obtenir ou non, réside dans le fait qu'elle pose la question du pouvoir d'une manière révolutionnaire... Quels que soient les mots d'ordre et les motifs pour lesquels la grève s'est déclenchée, si elle implique réellement les masses et si les masses sont profondément décidées à lutter, la grève générale pose inévitablement à toutes les classes de la nation la question: qui sera le maître de la maison ? Les dirigeants du prolétariat doivent comprendre cette logique interne de la grève générale, à moins qu'ils ne soient pas des leaders mais des dilettantes et des aventuriers. Politiquement, cela implique que les dirigeants appellent alors sans relâche le prolétariat à réaliser la tâche de la conquête révolutionnaire du pouvoir. » (Idem p.87-88) « La grève générale est par essence un fait politique. Elle oppose comme un tout la classe ouvrière à l'Etat bourgeois ». « La grève générale pose directement la question de la conquête du pouvoir par le prolétariat. » (Idem p.89).

Mandel et la grève générale de Mai 68 en France[modifier le wikicode]

Pour Mandel, ce ne doit pas être vrai quand il dit qu'en mai 68 les ou­vriers français :

« (...) utilisèrent des formes de lutte beaucoup plus radicales qu'en 36, 1944-46... » ("Workers under Neo-capitalism", ISR, novembre-décembre 68). Et qu'il n'éprouve aucune gêne à soutenir que :

« S'ils avaient été éduqués pendant les années et les mois précédents dans l'esprit du contrôle ouvrier, ils auraient su que faire, élire un comité dans chaque établissement qui aurait commencé par ouvrir les livres de compte de la compagnie, calculer eux-mêmes les coûts réels de fabrication et l'utilité de chaque compagnie, établir le droit de veto sur l'embauche et le licenciement et sur tous les changements dans l'organisation du travail, remplacer les contremaîtres et les superviseurs nommés par les patrons par un camarade élu des travailleurs (ou par les membres de l'équipe de travail en roulement). » (Mandel : "Le débat sur le contrôle ouvrier", p.3).

Dans une situation unique, qui ne dure que quelques jours, dont une fois passée on ne sait pas quand elle se répétera, quand ce qui est réellement posé c'est le problème du pouvoir, quand la seule chose à faire est de l'avancer et de dénoncer les organisations opportunistes pour ne pas le faire, Mandel conseille « d'élire un comité dans chaque établissement qui [...] ouvre les livres de compte de la compagnie, calcule les coûts réels de fabrication et l'utilité de chaque compagnie, etc... ». Un trotskiste conséquent aurait dit le contraire de Mandel : « Si les travailleurs avaient été éduqués pendant les années et les mois précédents dans l'esprit de la révolution socialiste, de l'impérieuse nécessité pour la classe ouvrière de prendre le pouvoir en tant que direction du peuple exploité, ils auraient su que faire: transformer la grève générale en une lutte pour le pouvoir. »

Heureusement, ni les camarades de la section française, ni la majorité qui dirige l'Internationale, ni le camarade Mandel lui-même n'ont appliqué cette ligne en mai 68. Au contraire, leur politique face à cette mobilisation des masses fut essentiellement correcte. Ce n'est pas à nous d'expliquer cette contradiction entre la théorie défendue et la pratique réalisée. Nous voulons simplement faire ressortir les dangers que porte en elle-même l'application conséquente de cette théorie. Dans la plus grande grève générale réalisée par le prolétariat français au cours de ce siècle, quand la prise de l'Elysée était posée, la « stratégie » du contrôle ouvrier et la théorie qui l'accompagne veulent enfermer les trotskistes français dans la comptabilité des usines pour... « calculer leurs coûts de fabrication » !

8. La stratégie pour l'Amérique latine du IXème Congrès mondial.[modifier le wikicode]

Nous affirmons que le IXème Congrès a adopté pour l'Amérique latine une de ces fameuses « stratégies » à long terme du camarade Germain : la stratégie de la guérilla rurale sous le nom de « lutte armée ». Le camarade Germain affirme que ce n'est pas cela qui a été adopté. Au lieu de reconnaître l'erreur du camarade Maïtan au IXème Congrès, Germain, en avocat de la défense, attaque Hansen, par une accusation gratuite, de l'avoir mal interprété.

Le camarade Germain accuse gratuitement le camarade Hansen[modifier le wikicode]

« Permettez-nous d'ajouter qu'une lecture objective, sans préjugés, du document du IXème Congrès rend possible la conclusion qu'il n'y est défendu en aucune manière "une stratégie de guerre de guérillas rurales" (encore moins une "stratégie de foco guérillero") mais la stratégie de lutte armée, qui est une chose totalement différente. Pour tenter de donner l'impression opposée, le camarade Hansen s'est vu forcé d'extraire une seule phrase du document adopté par le IXème Congrès mondial et polémique contre celle-ci au lieu d'analyser le document comme un tout et de polémiquer contre sa ligne générale. » (Germain et Knoeller: "The strategic orientation of revolutionists in Latin America", 68-72, p.85).

Cet argument, principalement celui d'« une seule phrase », cherche à nous confondre totalement, en donnant l'impression que le camarade Hansen a sorti la seule et unique phrase en faveur de la « guerre de guérillas rurale » et l'utilise avec la minorité pour mener une polémique fausse et tendancieuse. Le camarade Hansen cite cette phrase car c'est elle qui résume le mieux la position de tout le document de la majorité. Mais celui-ci a toute une série de phrases semblables ou ayant le même sens. Faisons la lecture « objective » que nous demande le camarade Mandel.

Première phrase :[modifier le wikicode]

« Même dans le cas de pays où pourraient se produire d'abord de grandes mobilisations et conflits urbains, la guerre civile prendra des formes variées de lutte armée, parmi lesquelles l'axe principal pour toute une période sera la guérilla rurale... » (p .7)

Seconde phrase :[modifier le wikicode]

« Dans ce sens, la lutte armée en Amérique latine signifie fondamentale­ment guerre de guérillas » (p.7).

Cette phrase précise ce qui précède, c'est-à-dire qu'implicitement, la « guerre de guérillas » dont on parle est rurale, à moins que le rédacteur du document n'ait perdu, en même temps que le sens politique, le sens grammatical.

Troisième phrase :[modifier le wikicode]

« La sélection stricte de cet axe central doit être complétée... »(p.7)

C'est là une seconde phrase complémentaire de la première, où « axe central » équivaut à « axe principal », c'est-à-dire la « guérilla rurale ».

Quatrième phrase :[modifier le wikicode]

« Dans la perspective d'une guerre civile prolongée et de la guerre de guérillas rurale comme son axe principal... » (idem p.7)

C'est la phrase qui commence la thèse 18 et résume toute la thèse 17, et celle qu'a utilisée Hansen pour gagner du temps. Il y est répété le concept fondamental de tout le document : la guerre de guérillas rurale est l'axe central (ou principal).

Cinquième phrase :[modifier le wikicode]

« Dans une situation de crise pré-révolutionnaire qu'expérimente actuellement l'Amérique latine à l'échelle continentale, la guerre de guérillas peut stimuler de fait une dynamique révolutionnaire, même si au début la tentative parait venir de l'extérieur ou être unilatérale (comme ce fut le cas du mouvement bolivien guérilléro du Ché). » (p.7-8)

C'est une phrase précisant celle que nous avons citée en quatrième lieu.

Sixième phrase :[modifier le wikicode]

« De fait, dans la majorité des pays, la variante la plus probable est que, pour une période assez longue, les paysans auront à supporter le poids principal de la lutte et que dans une mesure considérable, les cadres du mouvement seront fournis par la petite bourgeoisie révolutionnaire... » (p.6)

C'est la phrase la plus importante, bien qu'elle ne parle pas directement de la guérilla rurale comme axe principal, puisqu'elle affirme que les paysans auront à supporter le poids majeur de la lutte et que les cadres seront fournis par la petite bourgeoisie révolutionnaire. Quel type de lutte est-ce alors ? Il s'agit sans aucun doute de la guérilla rurale, car il est impossible que le document propose la possibilité que les paysans, en tant que classe, descendent à la ville « pour une longue période » pour supporter le poids majeur de la lutte, dirigés par les étudiants (cadres de la petite bourgeoisie révolutionnaire).

Septième phrase :[modifier le wikicode]

« Profiter de chaque occasion non seulement pour augmenter le nombre de noyaux de guérilleros ruraux, mais aussi pour promouvoir les formes de lutte armée particulièrement adaptées à certaines zones... » (p.8).

Selon cette citation, ce qui est fondamental (« non seulement »), c'est la guérilla rurale, et ce qui est secondaire (« mais aussi ») ce sont les autres formes de lutte. Mais inversons le raisonnement: pourquoi le texte ne dit-il pas (comme le fait "Rouge" pour le Chili) « prendre avantage de chaque occasion non seulement pour augmenter les milices ouvrières, paysannes, de quartier, de zones, les comités de sous-officiers, de défense unitaire contre les bandes bourgeoises... ». Il ne le dit pas car ce n'est pas sa conception. Sa conception c'est que l'axe central est la guerre de guérillas rurale, et les autres formes de lutte armée adaptées à d'autres zones sont secondaires et sont à promouvoir après avoir garanti le noyau guérillero rural.

Huitième phrase : le camarade Maïtan fait la même interprétation que le camarade Hansen[modifier le wikicode]

« Si l'on prend en compte les conditions géographiques, les structures démographiques de la majorité de la population, ainsi que les considérations techniques et militaires sur lesquelles insiste le Ché lui-même, il en résulte que la variante la plus probable sera celle de la guerre de guérillas rurale à l'échelle continentale. » (IP, 20-4-70, p.360).

C'est ce que nous explique le camarade Maïtan, auteur du document et rapporteur officiel du IXème Congrès, dans son article « Cuba, Military Reformism and Armed Struggle in Latin America ». Les camarades Germain et Knoeller sont-ils d'accord avec cette interprétation faite par le camarade Maïtan des positions de la majorité ? Elle est identique à la nôtre et diamétralement opposée à celle de Germain. Pourquoi le camarade Germain ne polémique-t-il pas avec le camarade Maïtan pour lui démontrer que ce n'est pas ce qu'il disait dans la résolution du IXème Congrès ? Pourquoi nous dénonce-t-il pour avoir fait une fausse polémique ?

Les conclusions sont évidentes. La première est proverbiale : il n'y a pas plus aveugle que celui qui ne veut pas voir. La seconde est politique et catégorique : Il n'y a pas, comme l'insinue Germain, une seule phrase, mais de nombreuses phrases qui précisent la signification de tout le document adopté au IXème Congrès mondial. Et il signifie que l'axe principal pour toute une période sera la guerre de guérilla rurale.

Cette tentative de fausser la discussion n'est pas la seule. Nous préciserons donc les divergences qui existèrent au cours du IXème Congrès.

Première divergence : sur l'axe principal de notre activité[modifier le wikicode]

Pour la majorité, « la guerre civile prendra des formes variées de lutte armée, parmi lesquelles l'axe principal pour toute une période sera la guerre de guérillas rurale » dans la perspective d'une guerre civile prolongée.

Pour la minorité, cette stratégie est erronée, car :

« La tâche-clé de l'avant-garde latino-américaine, comme partout, reste la construction du parti marxiste révolutionnaire. Cette tâche a la priorité sur toutes les questions de tactique et de stratégie, dans le sens où celles-ci doivent s'orienter dans ce but, car c'est le maillon décisif du processus révolutionnaire... ». « La construction du parti révolutionnaire doit être considérée et présentée comme la tâche centrale, l'orientation principale, la préoccupation presque exclusive de l'avant garde. Et le caractère explosif de la situation latino-américaine ne diminue en rien cette nécessité, mais l'intensifie. » (Hansen : Assesments of the Draft Resolution on Latin America, 68-72, p.23).

Un peu plus tard, la minorité insistait :

« Ce que l'Internationale doit faire, par tous les moyens possibles, c'est insister sur la tâche fondamentale de l'étape présente. C'est, en commençant par le commencement, réunir suffisamment de cadres pour entamer sérieusement la construction de partis léninistes de combat. » (Hansen : "A contribution to the discussion on revolutionary strategy in Latin America", p.62).

Concrètement, la minorité considérait comme une erreur totale l'orientation vers la « guerre de guérillas rurale » qui nous éloignait d'une tâche apparemment beaucoup plus modeste, celle de gagner des cadres trotskystes et de commencer la construction de partis trotskystes intimement liés au mouvement des masses. Etant donné la faiblesse du mouvement trotskyste latino-américain, nous pensions que c'était la seule tâche immédiate et possible. L'autre était un suicide qui ne permettrait pas de gagner une insertion dans le mouvement des masses et détruirait la possibilité de construire le parti.

Deuxième divergence : sur les classes participantes et sur le terrain des mobilisations à venir après le Congrès[modifier le wikicode]

Pour la majorité, il ne faisait aucun doute que :

« La variante la plus probable est que, pour une période assez longue, les paysans auront à supporter le poids majeur de la lutte » (thèse citée).

Pour éviter des discussions, la thèse continue en précisant le rôle du prolétariat et des masses urbaines :

« Cela signifie que le rôle de direction du prolétariat peut s'exercer sous diverses formes: soit par la participation des travailleurs salariés (ouvriers industriels, mineurs ou travailleurs agricoles) à la tête des luttes révolutionnaires, ce qui sans doute n'arrivera que dans une minorité de pays latino-américains ; soit indirectement lorsque la direction de ces luttes est aux mains d'organisations, tendances ou cadres provenant du mouvement ouvrier; soit dans le sens historique du terme, au moyen du programme, des théories qui découlent du marxisme. Dans n' importe quel cas, l'achèvement de la révolution socialiste est inconcevable sans la mobilisation et la participation la plus large du prolétariat. » (p. 6).

Cela veut dire que, pour les années à venir, la classe ouvrière et les masses urbaines d'Amérique latine ne vont rien faire d'important dans l'immédiat, elles ne seront pas l'axe du processus révolutionnaire, à part dans une minorité de pays. Le rôle du prolétariat, absent en tant que classe du processus révolutionnaire, sera tenu « indirectement » par les « organisations, tendances ou cadres provenant du mouvement ouvrier », ou « au moyen du programme et des théories qui découlent du marxisme ». Ce n'est que la version la plus moderne de la théorie de Staline tant critiquée par Trotski, de la substitution des classes par les organisations et les programmes. Cette thèse est tellement anti-ouvrière, quant aux perspectives plus ou moins immédiates, qu'elle ne laisse même pas au prolétariat agricole un rôle d'une certaine valeur. Il faut reconnaître que le document est conséquent jusqu'au bout avec l'affirmation « pour une longue période les paysans auront à supporter le poids majeur de la lutte ». En toute logique, le prolétariat et les masses urbaines passent au second plan.

Pour la minorité, cette orientation sociale de travail est directement criminelle puisque la lutte est en train de se déplacer vers les villes et la classe ouvrière. En voici une preuve déterminante :

« En ce qui concerne la stratégie de notre mouvement, les principale caractéristiques de l'évolution révolutionnaire de la jeunesse sont : 1- sa manifestation dans les centres urbains ; 2- la participation considérable des masses ; 3- la tendance des travailleurs à se lier aux autres secteurs des masses et à les pousser à l'action. » (Hansen. idem, p.25).

Troisième divergence : sur la tâche immédiate et principale que doivent réaliser nos sections latino-américaines[modifier le wikicode]

Pour la majorité :

« Voici pourquoi on ne peut pas concevoir la préparation technique comme un simple aspect du travail révolutionnaire, mais comme l'aspect fondamental à l'échelle continentale, et un des aspects fondamentaux dans les pays où les conditions minimum n'existent pas encore. » (p.6-7).

Cette préparation technique se combine avec l'« axe principal » de « la guerre de guérillas rurale » pour donner une conclusion pratique catégorique :

« (...) terme (guerre de guérillas rurale) dont la signification primordiale est géographique et militaire et qui n'implique pas nécessairement une composition exclusivement (ni même prépondérante) paysanne des détachement de lutte » (p .7).

Dit à notre simple façon: il faut préparer la guérilla dans les meilleurs endroits, que nous ayons ou non des paysans qui nous soutiennent dès le début. Ainsi, la lutte des masses urbaine était d'abord exclue pour toute une étape et maintenant la nécessité du soutien paysan est devenue secondaire au début de la lutte. Il suffit d'avoir un noyau de combattant sans nécessairement de contact solide avec un secteur du mouvement des masses pour commencer la guérilla rurale.

Pour la minorité, la tâche immédiate était d'élaborer un programme de transition pour pénétrer dans le mouvement des masses urbaines et travailler avec elles pour les mobiliser :

« Si le concept de guerre de guérillas rurale pour une période prolongée a été adopté comme axe principal du travail révolutionnaire, le problème de la mobilisation des masses urbaines est devenu alors superflu, et avec lui la majeure partie du Programme de transition ». (Hansen, idem, p.25).

Quatrième divergence: sur les organismes du mouvement des masses dans lesquels nous devons intervenir[modifier le wikicode]

Pour la majorité, conséquente jusqu'au bout avec son axe principal de guerre de guérillas rurale, les organisations traditionnelles du mouvement de masse, notamment ouvrières, étaient si peu dignes d'intérêt qu'elle ne les nommait même pas comme lieux obligatoires d'intervention. Par contre, elle donnait une orientation précise sur les organismes dans lesquels nous devions pénétrer à l'échelle continentale :

« Intégration dans le courant révolutionnaire historique représenté par la révolution cubaine et l'OLAS, ce qui implique, indépendamment des formes, de travailler comme partie intégrante de l'OLAS » (p.1O).

Pour la minorité, c'était évidemment une politique suicidaire :

« L'impression qui s'en dégage c'est que, de la même manière que l'orientation principale présentée dans le projet de résolution sur l'Amérique latine apparaît comme une adaptation au niveau actuel de développement de l'orientation des cubains, le conseil de travailler comme « partie intégrante » de l'OLAS apparaît comme une adaptation au niveau d'organisation qu'ils ont atteint » (Hansen, idem, p.24).

En effet, notre entrisme dans l'OLAS ne pouvait s'expliquer que par le fait d'avoir la même ligne que les cubains à ce moment-là (guerre de guérillas sur une base géographique, militaire).

Dans la minorité, nous pensions que nous devions rester indépendants et laisser la porte ouverte à des actions communes ou à la constitution de fronts avec les cubains.

Ces quatre divergences fondamentales étant retracées, les militants de notre mouvement doivent les confronter avec la réalité, afin de se prononcer sérieusement sur qui avait raison.

1- Aucune section n'a concrétisé la guérilla rurale, nous nous sommes tous consacrés à « réunir des cadres » pour construire le parti[modifier le wikicode]

La majorité affirmait que « l'axe principal pour toute une période est la guerre de guérillas rurale » : La minorité affirmait qu'il fallait « réunir suffisamment de cadres pour entamer sérieusement la construction du parti léniniste de combat ".

La réalité montre que nulle part nos sections n'ont concrétisé la guérilla rurale. La section bolivienne a Essayé de le faire pendant des années sans y parvenir et a eu des résultats catastrophiques. De toutes les sections - même celles qui adoptèrent la résolution du IX° Congrès - aucune ne lança la lutte armée, toutes se consacrèrent à réunir suffisamment de cadres. La seule exception fut le PRT (Combatiente) qui a rompu actuellement avec notre Internationale et dont l'expérience, comme nous l'avons vu, a confirmé les positions de la minorité.

2- La lutte a été menée par les travailleurs des villes, jamais par les paysans à la campagne[modifier le wikicode]

La majorité soutenait que « pour une longue période, les paysans auraient à supporter le poids majeur de la lutte ». La minorité soutenait que le poids de la lutte allait se manifester dans les « centres urbains » avec « une participation considérable des masses » et « la tendance des travailleurs à se lier aux autres secteurs des masses et à les pousser à l'action ».

La réalité montre que, au cours de ces quatre dernières années, il ne s'est produit aucune mobilisation paysanne importante. La seule exception fut le Chili, mais où de toute manière la mobilisation ouvrière et urbaine était infiniment plus importante (comme le réaffirme l'article de "Rouge" en montrant la nécessité de beaucoup plus d'organismes urbains que paysans).

3- Aucune section n'est entrée dans l'OLAS : nous nous sommes maintenus ­comme partis trotskystes indépendants[modifier le wikicode]

La majorité affirmait qu'il fallait s'intégrer « au front révolutionnaire continental constitué par l'OLAS ». La minorité soutenait qu'il fallait rester indépendants et laisser la porte ouverte pour des fronts uniques avec les cubains.

La réalité montre que pas une seule section n'est entrée dans l'OLAS pour la raison, entre autres, que la stratégie de l'OLAS de guerre de guérillas rurale échoua avec un tel fracas, à cause de la montée du mouvement des masses urbaines et ouvrières, que les cubains ont dissous de fait l'organisation qu'ils avaient construite pour centraliser la guérilla rurale.

4- Notre tâche centrale était la mobilisation des masses et non la « préparation technique »[modifier le wikicode]

La majorité soutenait que la « préparation technique » était l'aspect fondamental « à l'échelle continentale ». La minorité affirmait que la tâche essentielle était de « mobiliser les masses urbaines en élaborant un programme de transition ».

La réalité de ces dernières années est là pour démontrer qui avait raison. Il reste à la majorité de nous expliquer pourquoi le seul groupe qui concrétisa son appel à la « préparation technique » a rompu avec l'Internationale.

Voilà les divergences et elles sont catégoriques, et les faits, les durs faits de la réalité objective sont également catégoriques. Seule manque une déclaration, non moins catégorique, de notre Internationale.

9. Hugo Blanco au Pérou, Trotski et la Chine (25-27), la lutte contre le fascisme, et la révolution cubaine : quatre exemples interprétés par le camarade Germain.[modifier le wikicode]

Nous venons de voir comment les faits objectifs de la lutte de classes ont démoli la stratégie de guerre de guérillas rurale préconisée par les camarades de la majorité au IXème Congrès mondial. Cela provoqua un rapide virage tactique du camarade Germain qui, maintenant, nie avoir soutenu une telle stratégie et soutient par contre qu'il s'agissait de la « stratégie de lutte armée ». En quoi cette stratégie à long terme du camarade Germain se différencie-t-elle de celle qu'il a soutenu quatre ans auparavant ? La différence consiste à ne plus parler de la paysannerie, ni de la guérilla rurale, ni de l'entrée dans l'OLAS. En quoi reste-t-elle la même ? En ce qu'elle continue à soutenir que le parti doit prendre l'initiative de la lutte armée et doit avoir comme tâche fondamentale sa préparation technique.

Les quatre exemples du camarade Germain[modifier le wikicode]

Pour justifier théoriquement cette position, le camarade Germain recourt à quatre exemples historiques, énumérés dans le titre de ce sous-chapitre. Selon lui, ce que proposait Trotski pour la Chine entre 25 et 27, ainsi que pour la lutte contre le fascisme, ce que fit Hugo Blanco au Pérou, tout cela montre que le parti doit prendre en main l'initiative de la lutte armée, après s'être préparé techniquement. Et la victoire de la révolution cubaine est un exemple de la justesse de cette ligne qui peut se répéter à nouveau.

Nous allons démontrer que tout cela est faux et que le camarade Germain essaie d'adapter la réalité àses théories, en faisant de fausses interprétations des positions de Trotski, de l'expérience péruvienne et du cas des cubains. Nous prendrons chacun de ces exemples dans l'ordre chronologique. Commençons par la position de Trotski sur la Chine.

Ce que Germain fait dire à Trotski sur la Chine[modifier le wikicode]

Pour comprendre la position de Trotski sur la Chine, il faut commencer par lire complètement la citation que Germain donne tronquée :

« Les ouvriers et les paysans n'auraient pas suivi la bourgeoisie indigène si nous ne les avions pas induits en erreur. Si la politique de l'Internationale Communiste avait été un peu plus juste, le résultat de la lutte du Parti Communiste pour conquérir les masses aurait été décidé d'avance : le prolétariat chinois aurait soutenu les communistes et la guerre paysanne aurait appuyé le prolétariat révolutionnaire.

« Si dès le début de la marche vers le nord, nous avions commencé à créer les soviets dans les régions « libérées » (c'était l'aspiration instinctive et profonde des masses), nous aurions gagné la base nécessaire et l'élan révolutionnaire nous aurions concentré autour de nous les insurrections paysannes, créé notre armée et détruit celle de nos ennemis. » ("El gran organizador de derrotas", Ed. Olimpo, Buenos Aires, p.223).

Selon l'interprétation de Germain, Trotski parlait d'un parti comptant seulement 10 à 15 000 membres et dont les deux tiers étaient dans les villes, perdu dans un pays de 450 millions d'habitants. Et Trotski : « regrettait que ces quelques milliers de communistes, pas plus, ne commencent pas à organiser une armée paysanne dirigée par les communistes » (Germain :"En défense...", p.50).

Ensuite, le camarade Germain insinue que si Trotski a fait cela, pourquoi ne pourrions-nous pas le recommander à nos sections qui sont aussi faibles que l'était le PC d'alors ?

Le problème était politique, pas militaire[modifier le wikicode]

Ce n'est pas un hasard si le camarade Germain n'a pas donné la première phrase du paragraphe cité. Trotski y dit que les ouvriers et les paysans chinois avaient suivi la bourgeoisie à cause d'une orientation erronée de l'Internationale. Cela signifie qu'il parle de problèmes politiques et non militaires.

Ce n'est pas un hasard non plus, bien qu'il le cite, si le camarade Germain ne se préoccupe pas d'interpréter ce qui suit dans le paragraphe. Trotski ne s'y réfère pas au PC chinois mais à l'Internationale. Mais dans le cas où il aurait réellement recommandé la création d'une armée, Germain pense-t-il que nous puissions comparer l'IC de 27 à notre Internationale aujourd'hui ? Le PC chinois pouvait être plus fort ou plus faible que nos sections, mais ce qui ne fait aucun doute c'est que l'IC était infiniment et qualitativement plus forte que la nôtre de tous les points de vue mêmes militaire.

Ce que Trotski disait véritablement sur la Chine[modifier le wikicode]

Mais passons au problème de contenu. La politique de Trotski pour la Chine n'était pas celle de construire essentiellement une armée paysanne comme le pense Germain. Trotski affirmait qu'il fallait une politique correcte, qui ne se réduisait pas à construire une armée mais à obtenir l'indépendance politique du PC et de la classe ouvrière chinois par rapport au Kuomintang et lancer le mot d'ordre de construction des soviets :

« L'orientation des soviets aurait dû consister à opposer les ouvriers et les paysans à la bourgeoisie du Kuomingtang et à son agence constituée par son aile gauche. La formule des soviets en Chine signifiait en pre­mier lieu qu'il fallait rompre le bloc honteux des « quatre classes » qui conduisait au suicide, et qu'il fallait séparer le parti communiste du Kuomingtang. Le centre de gravité ne se trouvait donc pas dan une forme aride d'organisation mais dans une ligne pour conduire des classes. » (Trotski, idem, p. 239).

Revenons maintenant à la citation de Germain. Pour lui, la :

« conséquence la plus fatale » « de la politique du parti communiste chinois en 25-27 » fut « son refus de stimuler, organiser, coordonner et armer les soulèvements paysans et les lier à la classe ouvrière urbaine dirigée par les communistes pour créer une puissante alliance ». (Germain, p.50). Dans son interprétation n'existe pas le mot « soviets ».

Pour Trotski, il y eut une orientation politique incorrecte. Quelle était celle correcte ? Commencer à créer les soviets dès le début :

« Si (ça c'est une proposition conditionnelle, n'est-ce pas camarade Germain ?) dès le début de la marche vers le nord, nous avions commencé à créer les soviets... nous aurions gagné la base nécessaire... nous aurions concentré autour de nous les insurrections paysannes, créé notre armée et détruit celle de nos ennemis. »

Cela veut dire que, pour Trotski, la seule façon de gagner la base nécessaire, de concentrer autour des communistes les insurrections pay­sannes et de créer l'armée, c'était de commencer par créer les soviets. Et l'orientation de créer des soviets est une orientation bien politique, « une ligne pour conduire les classes », qui n'a rien à voir avec les fameuses « initiatives du parti pour la lutte armée » et « les préparations techniques » du camarade Germain.

La lutte contre la fascisme est une excuse pour transposer en Europe la stratégie du IXème Congrès pour l'Amérique latine[modifier le wikicode]

Passons maintenant au problème de la lutte contre le fascisme. Le camarade Germain transpose en Europe sa « stratégie » consistant à se « préparer techniquement » et à « prendre l'initiative de la lutte armée ». Comme la majeure partie de l'Europe n'a pas de régimes dictatoriaux contre lesquels lutter, il décide que l'objectif de nos « initiatives » doit être le « péril fasciste » :

« C'est la capacité de nos camarades, là où ils ont gagné un minimum de forces, à prendre des initiatives d'affrontements ouverts avec les fascistes, que les organisations de masse ne prennent toujours pas "(document cité, p.25).

Ce que Germain fait dire à Trotski sur la lutte contre le fascisme[modifier le wikicode]

Pour justifier cette position, il fait de nouveau recours à une fausse interprétation de Trotski. Dans la citation que donne Germain, comme dans le reste du document, il est clair comme de l'eau de roche que ce que pense Trotski est exactement à l'opposé de ce que lui fait dire Germain. Pour arriver à cette interprétation, Germain « oublie » quelle est la question à laquelle Trotski répond dans le paragraphe cité.

« Le parti doit-il créer le groupe de défense avec « ses propres militants » » (c'est la question « oubliée ») « Les mots d'ordre doivent être lancés dans les quartiers où nous avons des sympathisants et des ouvriers qui nous défendent. Mais un parti ne peut pas créer un organe de défense indépendant. La tâche est de créer un tel corps dans les syndicats. » (Trotski "Writings" 1938-39, p.50).

Ensuite le camarade Germain "oublie" la phrase finale, car elle précise encore que la défense contre le fascisme est liée à notre activité syndicale :

« A Minneapolis, où nous avons des camarades très capables et très expérimentés, nous pouvons commencer et le montrer à tout le pays » (p.50).

Ce que Trotski disait véritablement de la lutte contre le fascisme[modifier le wikicode]

Finalement, Germain « oublie » le reste de l'article, en particulier la réponse de Trotski à la question sur comment lancer dans la pratique les groupes de défense contre le fascisme :

« C'est très simple. Avez-vous un piquet de grève ? Même la grève passée, nous disons que nous défendons notre syndicat en faisant un piquet permanent. » (p.50).

En résumé, toute la position de Trotski se synthétise ainsi :

« Nous pouvons vaincre de la même de la même manière (que les fascistes, en envoyant par exemple 40 ou 50 hommes pour dissoudre une réunion fasciste), mais nous devons avoir un petit corps ouvriers. » (p.50).

Trotski dit exactement le contraire de Germain[modifier le wikicode]

Il est évident que pour Trotski ce qui est fondamental, c'est de toujours avoir le soutien de la population, de la classe ouvrière, dès le début. Il faut intervenir « dans les quartiers de sympathisants » ou « avec des ouvriers qui nous soutiennent et peuvent nous défendre » ou « à Minneapolis (le principal centre de travail syndical du parti), pour faire des piquets de nos syndicats » et ne jamais créer « une organisation de défense indépendante » ».

Tout cela n'a rien à voir, c'est même l'opposé de ce qu'affirme Germain. Pour lui, le parti doit créer un organisme de défense indépendant (la tâche fondamentale de préparation technique) qui doit intervenir même sans le soutien des ouvriers (« prendre l'initiative ») dans l'affrontement avec le fascisme. Le camarade Germain a tout à fait le droit de défendre sa stratégie décennale de lutte armée transposée à l'Europe, mais il n'a pas le droit de falsifier Trotski pour se justifier.

Germain contre Camejo et Maïtan dans l'interprétation de la révolution cubaine[modifier le wikicode]

Il n'a pas non plus le droit de falsifier les faits, comme il le fait dans le troisième exemple que nous allons voir, celui de la révolution cubaine. Le camarade Germain tente de démolir l'argumentation du camarade Camejo qui soutient avec justesse que l'exemple de Cuba est pratiquement impossible à répéter.

Une des affirmations du camarade Camejo est que le mouvement révolutionnaire à Cuba a compté avec la « semi-neutralité » de l'impérialisme américain. Germain répond que :

« la formule de « semi-neutralité » de l'impérialisme des Etats-Unis est simplement grotesque. Washington armait et finançait Batista jusqu'à la veille exacte de sa chute » (document cité p.53).

Comme d'habitude, pas un mot de Germain n'est exact. Notre propre Internationale publia dans QI n°31 de juillet 67, la position suivante de Livio Maïtan :

« Malgré les liaisons étroites avec le régime de Batista, l'impérialisme nord-américain n'a pas eu, dans les années 56-59 par rapport au mouvement de Castro, une attitude d'hostilité agressive de telle sorte qu'elle enlève toute marge de manœuvre politique soutenue dans les milieux capitalistes aux Etats-Unis » (Maïtan: "la IVème Internationale et les problèmes majeurs de la révolution latino-américaine à l'étape actuelle").

La véritable politique de l'impérialisme yankee envers le mouvement castriste[modifier le wikicode]

Pour ne pas faire une discussion sémantique entre « semi-neutralité » et « ne pas avoir de politique d'hostilité agressive », nous passerons aux faits.

Germain dit que « Washington armait et finançait Batista jusqu'à la veille exacte de sa chute ». Nous, nous disons que Washington établit un embargo sur tous ses envois d'armes à Batista le 14 mars 58. De plus, nous disons que l'église catholique, les plus grands représentants des entreprises yankees, les diplomates américains à Cuba (sauf l'ambassadeur) et les organisations de façade de la franc-maçonnerie américaine, comme le Rotary-Club et le Lyons-Club étaient tous du côté de Fidel Castro.

Déclaration d'un agent de la CIA[modifier le wikicode]

« La nuit suivante, un groupe représentatif de citoyens de Santiago me fit, l'honneur de m'inviter à un banquet au Country-Club. Avec Pepin Bosh y assistaient Manuel Urrutia qui était encore juge ; Daniel Bacardi, président de la Chambre de commerce ; le recteur de l'Université d'Oriente ; le révérend Père Chabebe ; le chef du Mouvement de la Jeunesse catholique ; Fernando Ojeda, un exportateur de café très connu, les présidents du Rotary-Club et du Lyons-Club, de l'Association médicale, du Collège des avocats, des instituteurs civiques et d'autres groupes... La table était longue, à une extrémité, il y avait une chaise vide face au couvert mis, et un badge, mis soigneusement pour être bien vu, disait « réservé ». Celui qui offrait le banquet, Fernando Ojeda se leva et se dirigea vers moi. Un de nos compatriotes avait l'intention d'assister à ce dîner en son honneur - dit-il - mais il s'est excusé de ne pouvoir le faire. Nous le comprenons et acceptons ses excuses, car il est occupé par une mission importante à Cuba. Son nom est Fidel Castro. Je demandais au Père Chabebe s'il considérait Fidel Castro comme un communiste, et il répondit fermement par la négative. Castro a demandé des aumôniers pour son armée rebelle - me dit le Père Chabebe -. Le premier aumônier, le Père Guillermo Sardiñas, est arrivé au quartier général de Castro jeudi dernier, et le même jour, j'ai envoyé 40 « muchachos » rejoindre Castro dans les montagnes. La semaine passée, j'ai envoyé là-bas une quantité de médailles bénites. » (Jules Dubois : "Fidel Castro", Grijallo, Buenos Aires, 1959, p.137-138).

Ce livre est une définition en lui-même, puisqu'il a été écrit par un agent, bien connu de la CIA et du Département d'Etat américain, et qu'il est totalement en faveur de Fidel Castro. Nous ne devons donc pas nous étonner de ce que dit encore Dubois :

« Le Père Sardiñas avait laissé sa paroisse de Nueva Gerona, dans l'île de Pinos, à la charge d'un assistant et avait obtenu la permission du palais de l'Archevêché de La Havane pour rejoindre les forces rebelles. Cela contrastait avec l'armée de Batista qui n'avait pas d'aumôniers. » (idem, p.138).

Le double jeu de l'impérialisme yankee[modifier le wikicode]

Cela ne veut pas dire que l'impérialisme et l'église luttèrent contre Batista. L'impérialisme américain joua un double jeu : les ambassadeurs étaient avec Batista, les consuls et les hauts fonctionnaires avec Castro. Un embargo fut établi sur les armes destinées à Batista, mais la dernière livraison de missiles négociée avant l'embargo fut faite. Tout indique une politique ambivalente ou de « semi-neutralité ».

Les relations entre le mouvement castriste et le Département d'Etat existèrent et furent timides. L'impérialisme américain reconnut Castro et son mouvement bien avant que ne tombe Batista. Le 26 août 1958, le Front Civil Révolutionnaire, en accord avec Castro, envoyait une lettre de « solidarité » à Eisenhower et pour le féliciter de ses derniers discours. Il lui demandait, au nom de cette solidarité, que soient retirées les missions militaires à Cuba. Le 13 octobre le Département d'Etat répondait d'une manière très cordiale dans une note, refusant cependant de remplir la demande. C'était une reconnaissance de fait.

Le Che dément le camarade Germain[modifier le wikicode]

Pour terminer, nous écouterons un témoin qui connaît bien mieux la révolution cubaine que le camarade Germain, le Che Guevara. Dans ses lettres personnelles à Ernesto Sabato (un écrivain argentin connu), Guevara reconnaît que Sabato a raison quand il dit que le mouvement castriste est soutenu par l'oligarchie, les secteurs les plus réactionnaires, de l'Argentine. Il ajoute même :

« Il n'est jamais venu à l'esprit des nord-américains que ce que Fidel Castro et notre mouvement disaient d'une manière si ingénue et si brutale était réellement ce que nous pensions faire. Nous étions pour eux la grande escroquerie de cette moitié de siècle; nous disions la vérité apparemment fausse. Eisenhower dit que nous avons trahi nos principes, c'est en partie vrai, nous avons trahi l'image qu'ils se faisaient de nous, comme dans le conte du petit berger menteur, mais à l'envers, et on ne nous a pas cru non plus. » (Guevara, lettre à Sabato du 12-4-60, dans "Claves políticas" de Sabato, Alonso Editor 1972, p.90).

Et anticipant sur les objections des Germain qui allaient qualifier de « grotesque » le soutien de Fidel Castro par tout un secteur de l'impérialisme yankee (le secteur lié aux Jésuites et à une partie de la franc-maçonnerie) et par toute l'oligarchie latino-américaine, le Ché expliquait les motifs de ce soutien, en définissant Castro et son mouvement ainsi :

« En définitive, Castro était candidat à la députation pour un parti bourgeois, aussi bourgeois et respectable que peut l'être le Parti radical en Argentine, et suivait les traces d'un leader disparu, Eduardo Chibas qui avait des caractéristiques que nous pourrions comparer à celles d'Yrigoyen lui-même. » (Guevara, document cité, p.88).

Nous n'avons à ajouter à cette citation que la précision qu'Yrigoyen fut l'enfant chéri de l'impérialisme anglais (qui dominait l'Argentine comme l'impérialisme américain dominait Cuba).

Nous affirmons que l'expérience de la révolution cubaine n'a rien à voir avec celle d'une poignée de militants préparés techniquement et prenant l'initiative de la lutte armée. Les cubains avaient, bien avant de commencer la lutte, acquis une grande influence de masse à travers précisément le parti qu'avait dirigé Chibas. Que ce fut un parti bourgeois n'a rien à voir, car il s'agit de savoir s'ils ont gagné le soutien des masses avant ou après avoir commencé la lutte armée. Le reste est le thème d'une autre discussion.

Les conditions qui entourèrent la révolution cubaine peuvent-elles se répéter ?[modifier le wikicode]

Ce qui est clair c'est que, même si la révolution cubaine avait été le fruit de l'initiative d'une poignée de révolutionnaires dans la lutte armée, les conditions qu'elle a connues furent absolument exceptionnelles et pratiquement impossibles d'être répétées. Que Germain nous dise si un mouvement guérilléro postérieur à celui de Castro a compté avec la tolérance de l'impérialisme et le soutien des exploiteurs latino-américains. Qu'il nous dise si l'un d'eux ne s'est pas terminé comme tous les autres par un désastre total. Ils se heurtèrent dès le début à l'opposition de l'impérialisme et des bourgeoisies nationales et ne comptèrent sur aucune sorte d'appui massif, car précisément ils ont pris, isolés des masses, l'initiative de la lutte armée. A moins que le camarade Germain n'ait obtenu des garanties de semi-neutralité de la part de l'impérialisme et de soutien de la part des oligarchies latino-américaines, sa stratégie à long terme de lutte armée entraînera les sections de notre Internationale qui l'appliquent à des désastres analogues à ceux des guérillas castristes sur notre continent.

Lutte armée de Hugo Blanco au Pérou[modifier le wikicode]

Nous terminerons très brièvement par le quatrième exemple du camarade Germain, l'intervention de Hugo Blanco au Pérou. Nous n'avons rien à ajouter à ce que dit le camarade Hansen dans son dernier document.

Nous pouvons seulement dire que cette fausse interprétation des faits par le camarade Germain est totalement consciente. Le camarade Germain a-t-il oublié que tout ce qu'a fait le camarade Hugo Blanco, c'était avec les syndicats paysans, et non une « armée révolutionnaire » crée par le parti de par sa propre initiative ? A-t-il oublié que la lutte armée est apparue comme une nécessité pour le mouvement paysan (syndicalement organisé par Hugo Blanco) de se défendre contre la répression déchaînée par le régime face à l'occupation massive des terres ? Quel est le rapport entre cette lutte armée, fruit d'un moment de la lutte de classes au Pérou, et la stratégie de lutte armée de la majorité pour toute l'Amérique latine et pour chaque moment de la lutte de classes ? Le camarade Germain oublie-t-il que cette lutte armée est apparue comme une nécessité du mouvement des masses et non comme une initiative d'un parti ou d'une avant-garde ?

Les véritables divergences par rapport à la lutte armée[modifier le wikicode]

Les quatre exemples du camarade Germain, interprétés comme il se doit, éclairent avec netteté toute cette discussion. Il ne s'agit pas ici, bien que le camarade Germain insiste, de se définir pour ou contre la lutte armée. Il s'agit du fait que la majorité prétend décréter que la lutte armée, ou sa préparation, est notre tâche centrale pour toute une longue étape de la lutte de classes; du fait qu'elle prétend que cette lutte armée soit une initiative prise par le parti. Pour la minorité, la lutte armée est une tâche parmi d'autres pour le mouvement des masses, qui ne peut être menée que lorsque le mouvement des masses y sera disposé et quand la lutte de classes l'imposera, et qui ne réussira que si elle est faite à partir des organismes du mouvement des masses. En définitive, il s'agit du fait que la minorité refuse de prendre la lutte armée comme une stratégie en soi pour toute une étape de la lutte de classes, mais elle est disposée pour cette tâche, comme pour une autre, à se mettre à la tête des masses quand leur propre lutte les amènera à la nécessité de la mener. La meilleure preuve en est que le camarade Hugo Blanco, le dirigeant de masse le plus important du trotskysme de ces 20 dernières années (au moins), qui a eu entre les mains, la responsabilité de prendre les armes quand la situation de la luttes de classes l'exigeait, et qui a su assumer cette responsabilité, ce camarade n'appartient pas à la majorité mais aux rangs et à la direction de notre tendance léniniste trotskyste.

  1. Le délégué du SWP (Clark) vota pour cette résolution. D'autres résolutions de la même teneur furent votées par le SWP. En laissant de côté le fait que Clark rompit avec le SWP pour soutenir Pablo, l'important est que le SWP soutint et contribua à construire le Comité International de la IV. Le SWP soutenait ainsi implicitement et explicitement la bataille menée par notre parti et le SLATO (l'organisation du Comité International pour l'Amérique latine) contre cette ligne en Bolivie.