Loi des rendements décroissants

La loi des rendements décroissants est l'idée selon laquelle le rendement marginal obtenu par l'utilisation d'un facteur de production supplémentaire (un hectare agricole de plus, une machine de plus...) finit par diminuer, toutes choses égales par ailleurs.
C'est une loi qui a d'abord été établie par les économistes pour l'agriculture, mais qui a été généralisée abusivement par les néoclassiques.
Elle est aussi connue sous le nom de la loi des proportions variables, loi des rendements non proportionnels ou loi des rendements marginaux décroissants.
1 Histoire[modifier | modifier le wikicode]
1.1 Origines agricoles[modifier | modifier le wikicode]
Les économistes premiers économistes se sont concentrés sur la terre en tant que facteur de production.
Dès 1768, Turgot décrit les rendements décroissants en ces termes[1] :
« Les productions ne peuvent être exactement proportionnelles aux avances; elles ne le sont même pas, placées dans le même terrain, et l'on ne peut jamais supposer que des avances doubles donnent un produit double.
[...] dans l'état de la bonne culture ordinaire, les avances annuelles rapportent 250 pour 100, il est plus que probable qu'en augmentant par degrés les avances depuis ce point jusqu'à celui où elles ne rapporteraient rien, chaque augmentation serait de moins en moins fructueuse [...] »
— Anne Robert Jacques Turgot, Observations sur le mémoire de M. De Saint-Péravy
Les travaux de Von Thünen et David Ricardo vont chercher à approfondir cette question. Un des enjeux était d'analyser si la production agricole pouvait suivre l'accroissement de la population, où si la « trappe malthusienne » était fatale (une « loi de population » objective).
Une des explications les plus couramment avancées est qu'un sol devient de moins en moins fertile au fur et à mesure de son exploitation. Une sorte de « loi de la fertilité décroissante du sol ».
David Ricardo a donné une explication de la loi des rendements décroissants dans l'agriculture, qu'il a mise en relation avec la tendance de la rente foncière à augmenter (délégitimant ainsi les aristocrates fonciers) :
« Quand une terre de qualité encore inférieure est mise en exploitation, une rente est immédiatement appliquée aux terres de la seconde qualité et celle-ci est également proportionnelle aux différences de productivité de ces deux terres. Par contre-coup, la rente des terres de qualité supérieure va elle aussi augmenter parce qu'elle doit être supérieure à celle de la terre de qualité intermédiaire du montant égal à la différence de quantité de capital et de travail (pour l'exploiter).
Avec chaque accroissement de la population, qui contraint un pays à exploiter des terres de qualité inférieure afin d'augmenter la production alimentaire, la rente sur les terres fertiles va croître. »
— David Ricardo, Des principes de l'économie politique et de l'impôt, 1817
Marx a approfondit le sujet en montrant qu'il y a davantage de facteurs à l'origine de la rente foncière, et il souligne qu'il n'y a pas besoin pour expliquer la rente de l'hypothèse que la fertilité d'un sol cultivé décroît avec le temps.[2]
Lénine, commentant Marx en 1914, écrit que « la fameuse "loi de la fertilité décroissante du sol" est une profonde erreur qui tend à mettre sur le compte de la nature les défauts, les limitations et les contradictions du capitalisme. »[3]
1.2 Généralisation[modifier | modifier le wikicode]
Cette loi est ensuite généralisée par les économistes que Marx appelait « vulgaires ». En particulier, elle est appliquée à la production industrielle, considérée comme décomposée entre deux facteurs de production : le travail et le capital. Lorsqu'un de ces facteurs de production augmente mais pas les autres, la production augmente et la production marginale diminue.
La loi des rendements décroissants est devenue un thème populaire, que les économistes aiment voir dans tout phénomène qui semble suivre un mouvement d'inflexion.
Par exemple l'économiste Paul Collier soutient que l'aide au développement envoyée à l'Afrique connaît des rendements décroissants. Chaque tranche d'aide supplémentaire a des effets plus faibles que la précédente.[4]
2 Explication[modifier | modifier le wikicode]
La loi peut s'énoncer le plus simplement de la manière suivante : lorsqu’on augmente la quantité utilisée d’un facteur, au-delà d’un certain niveau, la production augmente de moins en moins.
Prenons l'exemple d'un champ de pommes de terre avec deux tracteurs (reste donc constant), avec un nombre variable de travailleurs (facteur travail). Une augmentation du nombre de travailleurs permet d'augmenter la récolte (production) de pommes de terre de manière absolue. Mais cette augmentation décroît après l'ajout du deuxième travailleur, car chaque travailleur supplémentaire doit récolter les pommes de terre sans tracteur, ce qui est plus difficile.
Unité(s) de travail | Unité(s) de capital | Production | Production marginale |
---|---|---|---|
1 | 2 | 50 | 50 |
2 | 2 | 110 | 60 |
3 | 2 | 135 | 25 |
4 | 2 | 150 | 15 |
5 | 2 | 155 | 5 |
6 | 2 | 155 | 0 |
Prenons un autre exemple : supposons qu'un exploitant agricole a le choix de s'implanter sur des terres de différentes qualités. Ce dernier, s'il est rationnel, va chercher en premier lieu à exploiter les terres les plus fertiles, présentant les meilleurs rendements. Or, à mesure que l'exploitant va élargir son exploitation, il va devoir s'implanter sur des terres de moins en moins fertiles qui n'ont pas été sélectionnées initialement, ce qui correspond à une diminution de la productivité marginale de la terre, donc à une situation de rendements décroissants.
3 Critiques et études empiriques[modifier | modifier le wikicode]
Les néoclassiques ont surtout réalisé des modélisations mathématiques de la fonction de productivité marginale.[5][6]
3.1 Ressources naturelles[modifier | modifier le wikicode]
Sur le plan empirique (confrontation avec des données), les rendements décroissants ont surtout été observés pour des facteurs de production naturels, comme l'agriculture.[7] Par exemple, le rendement des champs pétrolifères a tendance à suivre la loi des rendements décroissants (à mesure qu'il devient plus difficile d'extraire du pétrole moins accessible).
3.2 Productivité du travail[modifier | modifier le wikicode]
Selon certains économistes, la loi des rendements décroissants permettrait d'expliquer la productivité horaire "observée" française relativement élevée[8].[9] Ainsi selon Renaud Bourlès et Gilbert Cette, en raison du relativement plus faible nombre d'heures travaillées en France, et de son plus faible taux d'emploi par rapport aux États-Unis par exemple, la France voit sa productivité horaire observée presque au même niveau que celle américaine alors que sa productivité horaire "structurelle" est significativement plus faible. En effet, l'emploi est sujet à la loi des rendements décroissants. Les travailleurs les plus productifs sont les premiers à être intégrés sur le marché du travail. Ainsi un faible taux d'emploi exclut du marché du travail les travailleurs moins productifs dont la productivité ne sera alors pas mesurée par les statistiques nationales. Le nombre d'heures travaillées est également sujet à la loi des rendements décroissants. Chaque nouvelle heure travaillée est moins productive que la précédente. Ainsi, un plus faible nombre d'heures travaillées augmente la productivité horaire moyenne mesurée.
3.3 État stationnaire et progrès techniques[modifier | modifier le wikicode]
La loi des rendements décroissants, si elle est générale, implique l'évolution de l'économie vers un état stationnaire[7].
Afin d'expliquer la croissance économique de long terme constatée, le modèle de Solow et Cobb-Douglas ont ajouté un facteur technologique (ou progrès technique) pour « contourner » ce que certains interprètent comme une limite théorique à la loi des rendements décroissants.
Un exemple fréquemment utilisé pour affirmer la limite de la théorie et souligner la prépondérance du progrès technique est celui de l'innovation en agriculture : chaque innovation dans la production d'engrais et la mécanisation des récoltes a permis d'enrayer les rendements agricoles décroissants. Toutefois, cette argumentation aussi a ses limites étant donné que les rendements agricoles mondiaux sont justement en train de décroître, et pour certains de stagner, pour de multiples raisons, dont les pratiques agricoles non soutenables, l'érosion des sols et le dérèglement climatique.
3.4 Contradiction interne[modifier | modifier le wikicode]
La loi des rendements décroissants est en contradiction avec la théorie de la répartition néoclassique issue de travaux de John Bates Clark Medal qui s'appuie sur des rendements constants afin de justifier l'épuisement du produit.
4 Références[modifier | modifier le wikicode]
Notes
- ↑ Anne-Robert-Jacques Turgot, Observations sur le mémoire de M. De Saint-Péravy, BNF (lire en ligne)
- ↑ Karl Marx, Le Capital, Livre III - Section VI : La transformation d'une partie du profit en rente foncière, 1867
- ↑ Lénine, Karl Marx - La doctrine économique, 1914
- ↑ (en) Paul Collier, The Bottom Billion : Why the Poorest Countries are Failing and What Can Be Done About It, OUP Oxford, , 224 p. (ISBN 978-0-19-537463-6 et 0-19-537463-0, lire en ligne)
- ↑ Jean-Marie Harribey, « La fonction de production dans l’analyse néo-classique »
- ↑ (en) Andreas Krause et Daniel Golovin, « Submodular Function Maximization », sur École polytechnique fédérale de Zurich, .
- ↑ Revenir plus haut en : 7,0 et 7,1 (en) « Diminishing Returns », dans Encyclopædia Britannica, (lire en ligne).
- ↑ « Infographie: Où la productivité horaire est-elle la plus (et la moins) élevée ? », sur Statista Infographies (consulté le 12 mai 2023)
- ↑ (en-GB) « A comparison of Structural Productivity Levels in the Major Industrialised Countries », sur Banque de France, (consulté le 12 mai 2023)
Liens externes
- Version originale des Principes de l'économie politique et de l'impôt de Ricardo Pour l'exemple sur les rendements décroissants, voir §2.3 à §2.5.